Les Pakistanais ont célébré, le 14 août, un sombre 60e anniversaire. La crainte due à l’insécurité qui règne dans le pays et l’incertitude sur l’avenir pèsent sur les esprits.
Accueilli il y a huit ans avec espoir par beaucoup, le chef de l’Etat, le général Pervez Musharraf, concentre aujourd’hui sur lui tous les mécontentements et beaucoup voient son départ comme la condition sine qua non d’une amélioration de la situation.
En tentant, le 9 mars, d’écarter sans ménagement le président de la Cour suprême Iftikhar Mohammad Chaudhry, le président Musharraf a commis une faute dont il aura du mal à se remettre, si tant est qu’il le puisse. Sa crédibilité comme sa légitimité ont été gravement mises à mal dans une crise qui s’est terminée avec sa défaite totale : la Cour suprême a réinstallé son chef dans toutes ses prérogatives et annulé toutes les accusations portées contre lui par le pouvoir.
Au-delà du général Musharraf, c’est aussi l’armée pakistanaise qui pour la première fois est décriée de toute part dans un pays qu’elle a gouverné directement pendant près de trente ans, et indirectement le reste du temps. Les militaires, qui absorbent près de 30 % du budget du pays et dont les intérêts économiques se comptent en milliards de dollars, sont aujourd’hui la cible première d’une population qui s’interroge sur le rêve brisé du fondateur du pays, Ali Jinnah, au moment de la partition de l’empire britannique des Indes en 1947.
« LE PEUPLE D’UN CÔTÉ, L’ARMÉE DE L’AUTRE »
« Le Pakistan n’a qu’un problème, son armée », affirmait récemment un entrepreneur interrogé sur les raisons du malaise. « Le Pakistan n’est pas divisé entre libéraux et extrémistes islamistes, il est divisé entre le peuple d’un côté et l’armée de l’autre », jugeait, mercredi, un haut fonctionnaire à la retraite, interrogé à la télévision à propos du 60e anniversaire.
« L’échec à créer un Etat qui tire sa force de la participation et du consentement du peuple et du respect du règne de la loi explique l’état du pays », affirme pour sa part Tanvir Ahmad Khan, analyste et ancien secrétaire général du ministère des affaires étrangères.
Dans la tourmente, le président Musharraf n’entend toutefois pas céder du terrain. Exprimée à de multiples reprises, sa volonté de se faire réélire pour cinq ans par les assemblées issues des élections truquées de 2002 - et dont le mandat expire le 15 novembre - reste entière.
Les experts constitutionnels diffèrent sur le fait de savoir si, légalement, le président a le droit ou non de se représenter. Une chose paraît déjà certaine, son dépôt de candidature sera contesté notamment par les avocats qui ont été à la tête du mouvement de soutien au président de la Cour suprême. L’ancien premier ministre, Benazir Bhutto, qui pourrait s’entendre avec le général, est ferme sur le fait que celui-ci devra renoncer à son uniforme pour rester président. Une telle perspective n’enchante pas un homme mieux placé que quiconque pour savoir que, sans uniforme, il sera à la merci, le cas échéant, de son successeur à la tête de l’armée.
Après les deux scrutins truqués de l’ère Musharraf, la promesse d’élections libres et honnêtes, réclamées de toute part, sonne d’autant plus creux que le président était prêt à imposer l’état d’urgence pour arriver à ses fins. Seules des pressions internes et externes, notamment américaines, l’ont fait reculer, pour l’instant.
Cette crise politique profonde, à la sortie incertaine, se déroule alors que les extrémistes islamistes, qui ont trop longtemps bénéficié de la bienveillance des autorités, mènent une véritable guerre dans leurs fiefs, le long de la frontière avec l’Afghanistan. Depuis le sanglant assaut contre la mosquée Rouge d’Islamabad les 10 et 11 juillet, près de 300 personnes, en majorité des membres des forces de sécurité, ont été tuées lors d’attentats attribués aux extrémistes islamistes.
Le président Musharraf est sous la pression des Etats-Unis, dont les menaces permanentes d’intervention directe lui compliquent sérieusement la tâche. Il a ordonné un renforcement de l’armée dans les zones tribales, frontalières de l’Afghanistan.
L’armée affronte toutefois des militants aguerris qui n’hésitent devant aucun moyen pour affirmer leur emprise. Plusieurs soldats ont été enlevés, certains décapités et au stade actuel, rien ne permet d’affirmer que l’armée, qui a perdu plus de 800 hommes dans des opérations le long de la frontière afghane depuis 2003, puisse jamais triompher.
Sous le règne Musharraf, malgré les nombreuses déclarations sur le contrôle des extrémistes, ceux-ci ont continué à prospérer et rien de sérieux n’a été fait pour traiter le problème à la base. Cela aurait supposé, au minimum, de contrôler l’influence d’un enseignement sectaire et rétrograde, qui n’est pas limité aux madrasas. L’influence des extrémistes, dont la loi s’étend aujourd’hui au-delà des zones tribales, n’a jamais été sérieusement combattue par des autorités qui ont toujours temporisé. Au risque, comme cela a été le cas pour la mosquée Rouge, de devoir en finir dans le sang.
Le général Musharraf répète à l’envi que l’extrémisme est le principal danger qui menace le Pakistan, mais aucune stratégie n’a été développée pour le contrer et son gouvernement est loin d’être uni sur ce point. Le général n’a pas non plus l’assentiment de la majorité des Pakistanais : ceux-ci voient dans l’extrémisme un produit de l’armée, qui a fait du djihad un instrument de sa politique.
INTÉRÊTS PERSONNELS
De quelque côté qu’ils se tournent, les Pakistanais ne voient que des nuages s’amonceler à l’horizon. La perspective d’un accord politique entre Benazir Bhutto et le général Musharraf n’a rien d’enthousiasmant sur le plan de la démocratie. Ces protagonistes n’ont que des intérêts personnels : rentrer au pays et redevenir premier ministre pour Mme Bhutto, rester président pour le général Musharraf. La seule lueur d’espoir pourrait venir de l’honneur retrouvé de la Cour suprême.
Les juges ont pu mesurer le soutien populaire au premier d’entre eux et l’aspiration du public à un gouvernement démocratique. Ils seront sans doute peu enclins à tolérer les errements du pouvoir en place comme ceux des hommes politiques de l’opposition. Le problème est toutefois que les partis politiques, relais indispensable d’une solution démocratique, n’ont pas réussi jusqu’à maintenant à se mettre d’accord sur un programme et des actions de nature à répondre aux aspirations de 160 millions de Pakistanais.