Lorsque la Ligue communiste décida de devenir la section française de la IVe Internationale en 1969, un de ses dirigeants, Gérard de Verbizier connu sous son pseudonyme « Vergeat » partit pour Bruxelles afin d’y devenir le premier permanent d’un appareil international en construction. Il fut l’un de ceux qui assurèrent la transcroissance de l’Internationale dans la grande vague de radicalisation qui précéda et suivit Mai 1968.
Étudiant en histoire, il rejoint l’UEC à Paris en 1963. En deux ans il a parcouru tout le spectre des oppositions anti-staliniennes, de la tendance « italienne » à l’opposition de gauche trotskyste. Il fut l’un des principaux acteurs de la rupture politique du secteur lettres de l’UEC avec la direction du PCF, qui aboutit, en avril 1966, à la création de la Jeunesse communiste révolutionnaire. Au sein de la JCR, « Vergeat » fut de ceux qui rassemblèrent les premiers noyaux lycéens, notamment dans la région toulousaine où il avait des attaches familiales.
Narrateur fascinant, Gérard était aussi chargé de la formation, préparant des exposés passionnants sur la guerre d’Algérie, le Moyen-Orient et la question palestinienne, le Sri Lanka et l’histoire de la lutte de libération nationale au Vietnam. Il fallait qu’il soit brillant, à en juger par ce qu’a écrit Daniel Bensaïd à son sujet : « Il parlait parfois plus de six heures. L’auditoire en redemandait. A croire qu’il savait se faufiler, tel un habile »profileur« politique, dans la pensée de Ho Chi Minh ou de Giap pour en saisir le mouvement intime. Gérard a ainsi été déterminant pour ancrer d’emblée notre culture dans un internationalisme charnel. »
Passionné par l’Asie, c’est tout naturellement qu’il s’investit dans l’activité de la IVe Internationale dans cette région du monde, suivant les progrès et les échecs des sections en Inde, au Sri Lanka et au Japon. Au Proche-Orient, en particulier au Liban et en Israël, il joua un rôle important pour rapprocher de l’Internationale les militants qui allaient fonder en 1970 le Groupe communiste révolutionnaire, devenu section libanaise, ou les militants trotskystes de la gauche radicale israélienne anti-sioniste, le Matzpen, qui fondèrent la section israélienne.
Découvrant en 1971 qu’il était atteint d’une forme génétique, rare et incurable, de diabète associant surdité, atteinte de la rétine, des muscles et du rythme cardiaque, « Vergeat » dut lever le pied de son activisme foudroyant. Ralentissant peu à peu son militantisme à partir de la fin des années 1970, il se consacra au cinéma et à la recherche historique. Fasciné par le yiddishland révolutionnaire, il a consacré un livre — Sans travail, famille ni patrie ; Journal d’une brigade FTP-MOI, Toulouse 1942-1944 (Calman-Lévy, 1994) — à l’histoire de la résistance juive de la Main-d’Œuvre Immigrée (MOI), pendant du film réalisé par Mosco. Il collabora à plusieurs documentaires avec Marcel Lozinski et Anne Duruflé sur la Pologne, ou Gilles Chevalier : Sans oublier les enfants, consacré à la rafle du Vel’ d’Hiv. Il fut aussi coauteur, avec Marcel Teulade, d’un film sur l’automobile (Renault, l’automobile de France).
Devenu à la fin de sa vie quasiment sourd et aveugle, il avait gardé tout son sens de l’humour — cette autodérision qu’il avait empruntée aux militants du yiddishland qu’il avait fréquentés passionnément — et proclamait haut et fort « je travaille dans l’audiovisuel ».
Il est décédé à Paris, le dimanche 25 juillet, jour de son 62e anniversaire.