ISLAMABAD CORRESPONDANTE
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Après huit ans de régime militaire, le Pakistan devrait être dirigé par un gouvernement de coalition excluant tous les alliés du président Pervez Musharraf tout en laissant celui-ci à la merci d’un Parlement hostile.
Arrivé en tête des suffrages avec environ 33,6 % des voix, le Parti du peuple pakistanais (PPP), dirigé par Asif Zardari, veuf de l’ex-premier ministre Benazir Bhutto, assassinée le 27 décembre, dirigera la coalition. « Nous allons chercher le soutien des forces démocratiques pour former le gouvernement mais toute personne qui, de près ou de loin, a appartenu au gouvernement précédent ne nous intéresse pas », a-t-il affirmé, mardi 19 février.
M. Zardari, qui devrait rencontrer, jeudi, l’ex-premier ministre Nawaz Sharif dont le parti remporte près de 25,9 % des votes, a confié au Parlement la responsabilité de coopérer ou non avec le président Musharraf.
Homme fort du moment, Nawaz Sharif s’est montré sans concession vis-à-vis de M. Musharraf qui l’avait, en 1999, évincé du pouvoir lors d’un coup d’Etat militaire. Rappelant que le président avait promis de partir si le peuple était contre lui, il a affirmé : « Maintenant le peuple a tranché et les partis politiques devraient s’unir pour mettre fin à jamais à la dictature. »
Lors d’une conférence de presse dans son fief de Lahore, la capitale du Pendjab, M. Sharif, détendu, a défini le plan de bataille des prochains gouvernement et Parlement. « Nous devons revenir sur toutes les mesures inconstitutionnelles et contraires au droit prises par Musharraf le 3 novembre (jour de déclaration de l’état d’urgence) », a-t-il dit, ajoutant : « Le rôle de l’armée en politique doit cesser une fois pour toutes. »
Les objectifs définis par M. Sharif menacent directement l’avenir du président Musharraf. Si les forces d’opposition s’unissent, elles peuvent réunir les deux tiers des voix nécessaires à toute modification de la Constitution.
Nawaz Sharif entend revenir sur les décisions prises lors de l’état d’urgence, début novembre. Cela implique le rétablissement des juges alors évincés, dont le premier, le président de la Cour suprême Iftikhar Mohammad Chaudhry, en résidence surveillée avec sa famille depuis le 3 novembre.
Les juges rétablis pourraient alors s’emparer de nouveau de la pétition contestant le droit du général Musharraf à se représenter pour un deuxième mandat présidentiel et invalider son élection le 6 octobre.
Ces nouvelles ne semblent pas, du moins publiquement, affecter le président Musharraf. Dans un entretien, mardi, au quotidien américain The Wall Street Journal, il indique son intention de rester et de travailler avec le nouveau gouvernement. Pour son porte-parole, le général Rashid Qureshi : « Il ne s’agit pas d’une élection présidentielle. Le président Musharraf a été élu pour cinq ans. »
Washington a appelé les partis à coopérer avec lui. « Le président Musharraf est encore le président du Pakistan et, bien sûr, nous espérons que, quel que soit le premier ministre, il sera capable de travailler avec lui et avec toutes les autres factions », a affirmé le porte-parole du département d’Etat, Tom Casey.
La vague de fond qui a emporté le parti présidentiel est toutefois un sévère avertissement pour les Etats-Unis qui soutenaient M. Musharraf. Président de la commission des affaires étrangères au Sénat américain, le sénateur Joseph Biden a affirmé que ces élections « étaient une occasion pour les Etats-Unis de passer d’une politique centrée sur un seul homme (le président Musharraf) à une politique s’adressant à tout le peuple ». Washington pourrait réexaminer sa politique.
* Article paru dans le Monde, édition du 21.02.08.
Le gouvernement pakistanais veut que le veuf de Mme Bhutto, Asif Zardari, soit jugé en Suisse
La chambre d’accusation de la justice genevoise a examiné, mercredi 20 février, les suites à donner à l’affaire de blanchiment d’argent visant Asif Ali Zardari, le veuf de l’ex-premier ministre Benazir Bhutto.
M. Zardari, qui a succédé à son épouse à la tête du Parti du peuple pakistanais (PPP), principale formation d’opposition dans le pays, après sa mort fin décembre 2007 dans un attentat, est sorti, mardi 19 février, grand vainqueur des élections législatives.
Il est poursuivi, en Suisse, pour avoir perçu 8,8 millions d’euros de l’entreprise suisse Cotecna afin d’obtenir un marché au Pakistan. L’argent aurait été versé sur l’un de ses comptes à Genève. Les investigations ont mis en lumière d’autres mouvements de fonds suspects d’un montant total de 36,6 millions d’euros entre la Suisse et des paradis fiscaux.
Des soupçons concernant Mme Bhutto, qui se sont éteints avec sa mort, reposaient sur l’achat d’une montre de plusieurs centaines de milliers de dollars à Londres. L’argent a été prélevé sur un compte de son mari.
M. Zardari, seule personne poursuivie dans ce dossier avec un avocat suisse associé à l’affaire Cotecna, dément les accusations portées contre lui. La chambre d’accusation n’était pas appelée à se prononcer sur les faits eux-mêmes, mais sur la suspension de la procédure.
ORDONNANCE DE RÉCONCILIATION
Son avocat, Me Saverio Lembo, a indiqué au Monde que son « client était une victime politique du régime pakistanais qui a déjà fait huit ans de détention préventive dans son pays sans jamais être condamné ».
De plus, le conseil de M. Zardari a rappelé, à l’audience, l’existence d’une ordonnance de réconciliation signée, au mois d’octobre, entre Mme Bhutto et le président Pervez Musharraf impliquant l’abandon des poursuites engagées contre elle et son mari dans le pays comme à l’étranger.
Les avocats de l’Etat pakistanais, partie civile dans cette affaire, ont, au contraire soutenu, devant la chambre d’accusation, que le Pakistan avait subi un grave préjudice et attendait que M. Zardari soit jugé.
Entourés de deux membres du Bureau national anticorruption pakistanais, ils ont assuré que le gouvernement du Pakistan n’était pas tenu par une amnistie puisque l’ordonnance de réconciliation nationale, encore examinée par la Cour suprême, n’était toujours pas en vigueur.
Le procureur général a, pour sa part, rappelé, qu’en matière de blanchiment, il ne pouvait y avoir de procès sans la collaboration du Pakistan, lieu où a été commise l’infraction initiale. La chambre d’accusation doit rendre son arrêt dans la semaine.
Jacques Follorou
* Article paru dans l’édition du 22.02.08. LE MONDE | 21.02.08 | 13h57.