DHARAMSALA (INDE) ENVOYÉE SPÉCIALE
Penchée sur son ordinateur portable, Ladhon Tehtong, directrice de l’organisation Students for a Free Tibet (Etudiants pour un Tibet libre), écoute la conversation entre un manifestant tibétain et un de ses parents installés au Etats-Unis.
Elle vient de recevoir la bande. La voix est hachée mais les cris des manifestants sont audibles : « Longue vie à Sa Sainteté (le dalaï-lama). » « Indépendance. Le Tibet sera toujours pour les Tibétains. Vive le Tibet », peut-on entendre. « Nous sommes des milliers. Les manifestants brûlent des drapeaux chinois », affirme celui qui appelle, alors que son parent s’inquiète de la présence de l’armée. L’émotion est grande dans le petit bureau, et plusieurs militantes, les larmes aux yeux, se penchent sur l’ordinateur qui, brusquement, rend vivante une situation jusque-là immatérielle.
Dans tous les bureaux des organisations tibétaines de Dharamsala, la recherche et la diffusion de l’information sur ce qui se passe au Tibet est une priorité. « Généralement, nous recevons des appels de gens que nous connaissons et qui utilisent leur téléphone portable directement au milieu des manifestants », explique Urgen Tenzin, directeur du Centre tibétain des droits de l’homme et de la démocratie.
« Mardi, une même personne a appelé trois fois pour nous tenir au courant d’une manifestation. Quand, plus tard, nous avons essayé de la contacter, ce n’était plus possible et on ne connaît pas son sort », dit-il.
Les murs de Dharamsala sont couverts de photocopies de clichés en noir et blanc plus horribles les uns que les autres dans leur exposition de cadavres gisant dans les rues aux côtés de chars chinois ou de manifestants le poing levé.
« FÉROCITÉ »
Sur les arbres sont punaisés des témoignages en langue tibétaine ou des appels à l’aide. Des petits groupes de moines ou de nonnes silencieux s’assemblent à chaque fois qu’une nouvelle photo s’ajoute ou qu’un message est affiché. Chacun se comprend, peu parlent, sinon pour prendre à témoin l’étranger de « la férocité de la répression ».
Sur les contreforts de l’Himalaya, à 1 800 m d’altitude, Dharamsala vit, depuis le 10 mars, au rythme des événements du Tibet. Les boutiques tibétaines sont fermées, et la plupart des hôtels tenus par des Tibétains tournent au ralenti pour que le personnel puisse participer aux manifestations « en signe de solidarité ». Transformée, depuis l’installation du dalaï-lama, en 1960, en capitale du Tibet de l’exil, cette bourgade du nord de l’Inde est le refuge d’environ 100 000 Tibétains et la première étape indienne de l’exil pour les 2 000 à 3 000 personnes qui fuient chaque année.
Ses rues étroites et en pente, qui convergent toutes vers le temple principal et la résidence du dalaï-lama, sont chaque soir illuminées par les milliers de bougies des processions organisées en témoignage de solidarité avec les manifestants de l’intérieur et pour dénoncer la répression chinoise.
Un drapeau tibétain peint sur le visage, Tsewang, un étudiant, affirme : « Les Tibétains de l’intérieur meurent, ils font leur part de travail, c’est à nous de faire plus maintenant pour internationaliser le problème avant les Jeux olympiques. » Les espoirs d’une intervention de la communauté internationale sont toutefois minces. « La communauté internationale a de la sympathie pour nous mais, vu les événements, nous avons besoin d’actions concrètes », affirme Tsewang Rigzin, président du Congrès de la jeunesse tibétaine, qui ajoute, amer, en allusion au poids économique de la Chine : « Mais quand on parle dollar, chacun suit le dollar. »