Un tribunal français annule un mariage parce que l’épouse, de confession musulmane, a menti sur sa virginité. Pire encore, le jugement considère cette virginité comme « une qualité essentielle ». Habituellement, lorsque des époux se retrouvent en désaccord, ils divorcent. Mais ici, la justice républicaine estime que le mariage est nul et non avenu parce qu’il y a… « erreur sur la marchandise » : la virginité de Madame est considérée comme une caractéristique « déterminante » dans le consentement du mari qui entraîne donc une sorte de vice de forme.
Voici une décision qui démontre encore la difficulté de considérer les musulmans comme des citoyens comme les autres… Il semble que la référence musulmane des époux ait conduit la juge à ne pas appliquer sa grille de lecture habituelle. Imagine-t-on ce type de décision avec une épouse chrétienne ? Cela n’est jamais arrivé… Et pourtant, la virginité des femmes avant le mariage est bien une valeur commune aux trois monothéismes. Ce jugement instaure donc un traitement discriminatoire.
Autre question. Imagine-t-on ce type de décision pour l’époux ? L’obligation de virginité avant le mariage s’applique pourtant aussi au futur mari, la juge l’aurait-il qualifiée de « qualité essentielle déterminant la décision de la mariée » si son mari lui avait menti ? Ce jugement instaure donc un traitement discriminatoire sexiste. Jusque-là, la relation au corps et au cœur relevait de la liberté privée. Chacun s’en débrouille comme il peut. Mais ici, certains vont prôner le « respect des différences » pendant que les autres vont opposer la laïcité républicaine à « l’archaïsme de l’islam ». Et tous vont partir du postulat que cet époux n’a fait qu’appliquer sa religion ! Et que c’est encore l’islam qui pose problème ! Que des discours religieux radicaux parlent de l’islam comme d’une essence qui s’applique toujours de la même façon, au-dessus de toute donnée humaine constitue déjà un grave problème. Mais que les décisions de justice s’appuient sur les mêmes bases, cela devient insoutenable ! Car si cette juge pense ainsi « respecter les valeurs de l’islam », elle s’est lourdement trompé ! Ces dernières ne sont pas un paquet ficelé une fois pour toutes. Son relativisme culturel reflète en vérité une représentation bien négative de cette religion, ainsi jugée incapable de toute évolution…
Pourtant, l’islam, est avant tout ce que les hommes en font. Et depuis qu’il a traversé la Méditerranée, il commence à être ce que les femmes ont décidé d’en faire. Le vécu dans le pluralisme laïc met tous les croyants dans une situation où, de fait, ils doivent redéfinir leur manière de croire et d’exister. Cela veut dire que l’agir commun, l’engagement dans l’histoire, devient souvent un élément constitutif d’une nouvelle production théologique, parce que les textes doivent donner du sens aux nouvelles situations concrètes que les croyants rencontrent. Le « faire » des hommes, « l’agir partagé », interrogent certaines interprétations et provoquent de nouvelles significations. On assiste à la fin des formes religieuses traditionnelles et institutionnelles où les principes généraux se traduisent dans des règles de conduite contraignantes appliquées d’une manière uniforme à tous les croyants.
Ici, parce que les femmes ont appris à dire « je » et qu’elles ont fait des études, elles se sont réapproprié les textes. Parce qu’elles ont grandi depuis l’école maternelle avec des enfants juifs, chrétiens, athées, leur vision du monde a changé. Et cela a une répercussion sur la compréhension de leur religion. Elles réalisent que si le Coran est sacré, sa compréhension est toujours humaine. Elles se demandent alors : « Qu’est-ce qui est sacré, l’objectif recherché par Dieu ou les dispositions qu’il a prises au VIIe siècle pour y arriver ? »
Elles revisitent les textes religieux et s’aperçoivent que certaines paroles du Prophète ont été oubliées ou empoussiérées, et que seules les interprétations du Coran qui arrangent les hommes sont connues. Si leurs parents veulent qu’elles se marient tôt au lieu de continuer leurs études, elles ressortent alors le hadith [1] : « La recherche du savoir est une obligation pour tout musulman et toute musulmane ». D’autres rappellent qu’il n’y a pas d’obligation ethnique dans le mariage musulman : rien ne les oblige à se marier entre Algériens ou entre Marocains, elles peuvent épouser un Groenlandais si elles le souhaitent, du moment qu’il est musulman ! D’autres vont encore plus loin : elles estiment que l’islam les oblige à épouser un musulman parce qu’à cette époque, l’homme était chef de famille. Mais maintenant que les femmes travaillent et se retrouvent à égalité avec leur mari, elles estiment qu’elles peuvent épouser un non musulman si celui-ci n’impose pas sa religion. La polygamie est un autre exemple : certaines estiment que ce système était prévu par Dieu uniquement pour protéger les veuves et les orphelins qui mourraient de faim pendant les guerres, mais que maintenant, les « allocations veuvage » remplacent la disposition divine ! Ces musulmanes modernes relèvent également que Khadija était une riche commerçante. Non seulement elle travaillait, mais elle était la patronne du Prophète ! Et c’est elle qui lui a demandé sa main !
Sur la sexualité, elles découvrent des jolis textes qu’on leur a toujours soigneusement cachés. Par exemple, le fameux hadith qui énonce que « ce qui différentie l’homme de l’animal est sa capacité à donner du plaisir à sa femme »… Elles apprennent que la virginité avant le mariage est aussi une obligation pour… les hommes ! Respecter l’islam aurait consisté à ne pas traiter les personnes qui s’y réfèrent « à part ». La caractéristique essentielle des Françaises de confession musulmane, c’est d’être des « sujets qui pensent ». Alors laissez les penser librement, seules ou en couple, mais sans les définir à leur place.