DUJIANGYAN (Sichuan) ENVOYÉ SPÉCIAL
Dans cette rue commerçante de Dujiangyan, grosse ville au nord-ouest de Chengdu, dans la province du Sichuan, touchée par le séisme, aucun des magasins, à peine fissurés, ni même les kiosques avec leurs ornements en bois laqué parfois brisés, n’ont subi le sort de l’école primaire Xinjian, dont on aperçoit les ruines au fond d’un porche, en face de l’un des hôpitaux de la ville. On ne peut d’ailleurs que les apercevoir, car désormais trois militaires sont en faction devant l’entrée, secondés par des policiers qui intiment l’ordre de quitter les lieux à tous les curieux. « Ce matin, des étrangers prenaient des photos, mais ce n’est plus autorisé cet après-midi », glisse furtivement une passante. Pas un parent n’est en vue.
Même scène à Juyuan, un bourg de la banlieue de Dujiangyan, où un cordon de policiers interdit de pénétrer dans la cour de l’école, réduite à un amas de gravats. La veille, des parents de Juyuan, qui s’étaient rendus à la cour de justice dans l’espoir d’engager des poursuites contre l’école, ont été dispersés sans ménagement par la police. De plus, les autorités locales leur ont indiqué qu’aucune procédure n’aurait de chance d’aboutir. Dans le même temps, des journalistes japonais faisaient l’objet d’un interrogatoire. Dujiangyan recevait la visite de Li Changchun, le chef de la propagande du Parti communiste chinois.
Vendredi 6 juin, l’AFP rapportait à son tour que ses journalistes s’étaient vu interdire l’entrée de Wufu, un bourg proche de Mianzhu, où les parents furent les premiers à ériger un autel pour leurs enfants disparus. Le 1er juin, Journée de l’enfance, la marche et le sit-in qu’ils avaient organisés avaient attiré un nombre anormalement faible de journalistes chinois. Un des seuls photographes présents sur les lieux avait confié : « Je ne peux pas couvrir ça pour mon journal. Ce n’est pas autorisé par le département de propagande. »
QUESTIONS « SENSIBLES »
Depuis plusieurs jours, les nouvelles directives à l’attention des médias chinois ont tracé un périmètre autour de questions « sensibles », celles liées à la construction des écoles, mais aussi l’évocation de retards dans l’intervention des sauveteurs, ou encore la prévention des tremblements de terre ou de l’existence d’études alarmantes sur la sismicité de la région. China Media Project, de l’université de Hongkong, rapporte de son côté que les journalistes du Guangdong, où le groupe de presse Nanfang s’est distingué par des enquêtes très poussées sur les écoles, auraient reçu l’ordre de quitter le Sichuan.
Même s’il n’est pas acquis que ceux-ci s’exécutent, le ton change. Les autorités signalent qu’elles ne souhaitent aucunement perdre la main dans la gestion médiatique du désastre. Certes, malgré la formidable mise en scène des secours et du rôle de l’armée - avec toute sa dramaturgie martiale, la campagne du kangzen jiuzai, ou « Combattons le tremblement de terre, réparons les destructions », suit l’exacte partition des grandes mobilisations des années passées, comme lors des inondations de 1998 -, la question des écoles n’a pourtant pas été passée sous silence.
Il y a quelques semaines, China Newsweek, affilié à l’agence de presse China News, faisait sa couverture sur les « enfants de Wenchuan » et tentait de dresser la liste exhaustive des écoles détruites, parvenant à un bilan, provisoire, de plus de 13 000 morts. Le premier ministre, Wen Jiabao, a été montré à maintes reprises sur les sites des écoles, et le régime martèle que des enquêtes sont en cours.
La réponse apportée par les autorités chinoises au séisme a néanmoins marqué les esprits. « Je vous assure que la manière dont les Chinois se sont organisés pour gérer les secours va rester dans les annales », dit José-Luis Engel, un médecin espagnol venu au Sichuan pour Médecins du monde. « Les directives internationales sur le soutien psychologique dans les situations d’urgence recommandent, outre de nourrir et loger les victimes, de les réconforter, leur faire comprendre qu’on s’occupe d’eux. Les Chinois le font - et sans mentir, ce qui est loin d’être toujours le cas ».
Pourtant, ce tour de vis augure mal des chances des parents du Sichuan d’obtenir réparation. Avec leurs banderoles proclamant qu’ils ont « confiance dans le parti pour rendre justice à leurs enfants », leur obstination mêlée de colère, ils ressemblent aux milliers de pétitionnaires qui, pour des terres agricoles spoliées ou polluées, des logements confisqués ou des transfusions sanguines empoisonnées, se sont lancés dans une poursuite bien aléatoire de la justice, se heurtant à une résistance qui, loin des caméras, se transforme très vite en répression politique.
Brice Pedroletti
* Article paru dans le Monde, édition du 08.06.08. LE MONDE | 07.06.08 | 13h57 • Mis à jour le 07.06.08 | 13h57
Des vestiges culturels majeurs détruits au Sichuan
Soixante-cinq vestiges culturels sous la protection de l’Etat et cent dix-neuf sous la protection provinciale du Sichuan (Chine) ont été sérieusement endommagés lors du séisme du 12 mai, a récemment annoncé l’administration d’Etat du patrimoine culturel, dirigée par Shan Jixiang. Ce dernier a précisé que des équipes d’experts seront envoyées dans le Sichuan pour évaluer les dégâts et conseilleront sur le meilleur moyen d’agir.
D’anciens édifices se sont effondrés ou sont menacés, le temple d’Erwang, des temples sur le mont Qingcheng à Dujiangyan et le temple Bao’en dans le comté de Pingwu faisant partie des plus touchés. Avec eux, un millier d’œuvres ou d’objets d’art ont été détruits, dont près de cent cinquante sont considérés comme particulièrement précieux.
Le temple Erwang (temple des Deux-Rois) a été construit il y a deux milliers d’années pour honorer Li Bing, alors gouverneur du Sichuan, et son fils, pour leur contribution à la construction de Dujiangyan, le plus ancien système d’irrigation, qui a été construit 256 ans avant notre ère sur la rivière Minjiang, et qui était toujours en fonctionnement.
LIEU DE NAISSANCE DU TAOÏSME
Cet ouvrage hydrologique, considéré comme une merveille technologique, permet l’irrigation de la plaine de Chengdu. Inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2000, il se trouvait à l’épicentre du séisme, et a été largement endommagé et la structure principale serait fracturée. Sur le mont Qingsheng, lieu de naissance du taoïsme, aussi inscrit sur la liste de l’Unesco, plusieurs anciens édifices classés risquent de s’effondrer, a indiqué Wang Qiong, vice-directeur du bureau du patrimoine culturel de la province.
Le Bao’en, l’un des plus grands temples bouddhistes du Sichuan (278 mètres sur 100), construit par le gouverneur de Pingwu, Wang Xi, entre 1440 et 1460, aurait été sévèrement endommagé, et des fresques ont été détruites. A Chengdu, capitale de la province, située à 92 kilomètres de l’épicentre, les toits de certains bâtiments du Muséum Du Fu (l’un des plus grands poètes de Chine) se sont effondrés et certains murs se sont fissurés.
Le sort d’autres sites ou monuments inscrits par l’Unesco reste encore mal connu, ainsi la réserve du grand panda du Sichuan, le mont Emei, le grand bouddha de Leshan et l’ensemble des grottes sculptées de Dazu, considéré comme l’un des plus vastes et des plus beaux de Chine. Le bureau culturel du Sichuan a demandé aux musées à travers la province de stocker temporairement leurs pièces d’exposition pour garantir leur sécurité, a fait savoir Wang Qiong.
Frédéric Edelmann
* Article paru dans le Monde, édition du 08.06.08. LE MONDE | 07.06.08 | 14h11.