L’envoi dans l’espace par la Corée du Nord d’un lanceur de satellite - ou d’un missile de type Taepodong 2 -, attendu entre le 4 et le 8 avril, ne devrait pas présenter de danger en soi. Il n’en suscite pas moins un branle-bas de combat militaire et diplomatique : déploiement en mer du Japon de navires de guerre américains, sud-coréens et japonais équipés du nec plus ultra en matière de détection et d’interception ; mises en garde de Pyongyang sur les conséquences de ce lancement et probable saisie du Conseil de sécurité des Nations unies.
Cette levée de boucliers s’explique : qu’il s’agisse de la mise sur orbite d’un satellite, comme l’affirme Pyongyang, ou d’un essai de missile, ce lancement, s’il est réussi, devrait confirmer la force spatiale d’un pays qui dispose de capacités nucléaires. Il sera en outre un premier test de l’attitude de Barack Obama à l’égard de la République populaire démocratique de Corée (RPDC).
Pourquoi le régime de Pyongyang prend-il le risque d’accroître son isolement et d’être l’objet de nouvelles sanctions par ce nouveau défi ? Selon les observateurs de la RPDC à Séoul, plusieurs facteurs interviennent. Le régime entend d’abord compléter sa « panoplie » dissuasive en couplant ses capacités atomiques à une avancée dans le domaine des missiles balistiques, confirmant ainsi son statut de puissance nucléaire, malgré le scepticisme des experts sur ses aptitudes à armer un missile avec une tête nucléaire.
Un Taepodong-2 pourrait en théorie atteindre l’Alaska ou Hawaï. La technologie nord-coréenne, vraisemblablement utilisée par l’Iran pour le lancement, en février, de son premier satellite, semble désormais plus au point qu’en 2006 lorsqu’un missile de ce type explosa quarante secondes après son tir. Depuis le début des années 1980, les deux pays coopèrent étroitement en matière de technologie de missiles. Avec un lancement réussi, Pyongyang peut espérer entrer sur un autre segment du marché des missiles : il n’a vendu jusqu’à présent que des versions de moyenne portée à des pays du Moyen-Orient et au Pakistan.
Un second facteur tient à la volonté du régime de rappeler que le processus de stabilisation de la péninsule coréenne est au milieu du gué en raison de l’impasse des négociations à six (Chine, deux Corées, Etats-Unis, Japon et Russie). M. Obama n’a pas encore précisé sa politique vis-à-vis de la RPDC. « Une rupture des négociations à Six, menace brandie par le régime de Pyongyang si de nouvelles sanctions sont prises à son égard, serait d’entrée de jeu un échec de l’administration Obama sur la question coréenne », estime Paik Hakson, spécialiste de la RPDC à l’Institut Sejong à Séoul. « En nous refusant le droit à la jouissance de l’espace, les Etats-Unis et le Japon violent l’esprit de la déclaration commune de septembre 2005 de respect mutuel et d’égalité (...). Si le Conseil de sécurité valide par des sanctions cette attitude, les négociations n’ont plus de sens », a annoncé Pyongyang, le 24 mars.
Le régime renoue avec une stratégie qui s’avéra « payante » en 1998 : alors que la contrepartie américaine de l’accord de 1994 gelant la production nord-coréenne de plutonium tardait à se concrétiser, il avait lancé un Taepodong 1, qui avait survolé le Japon, démontrant des capacités que ne soupçonnaient pas les experts américains. Ce tir avait suscité un tollé à Tokyo, mais, peu après, Washington renouait le dialogue avec Pyongyang et, à la fin du mandat de Bill Clinton, les deux pays étaient sur le point de parvenir à un accord sur les missiles. Pyongyang s’était engagé, en septembre 1999, à suspendre ses essais jusqu’en 2003. Un moratoire reconduit les deux années suivantes. En mars 2005, pour protester contre la « politique hostile » des Etats-Unis, la RPDC s’était estimée déliée de son engagement.
La décision de Washington de ne pas intercepter la fusée nord-coréenne qui va être lancée pourrait indiquer que l’administration Obama veut éviter de compromettre le dialogue avec Pyongyang avant même qu’il n’ait commencé.
Aux enjeux diplomatico-stratégiques de ce lancement s’ajoutent des facteurs internes. Relevant d’une maladie - une attaque cérébrale -, le dirigeant Kim Jong-il entend réaffirmer par ce « bras de fer » avec les Etats-Unis et leurs alliés qu’il est bien aux commandes. Ce lancement coïncide avec l’ouverture, le 9 avril, de la session du Congrès suprême du peuple qui doit le reconduire dans ses fonctions de président de la Commission de défense nationale, organe au sommet de l’Etat. Alors que le pays connaît une nouvelle campagne de mobilisation de masse en vue de la célébration du 100e anniversaire de la naissance de Kim Il-sung en 2012, la mise sur orbite d’un satellite sera un prétexte pour attiser la fierté nationale
En dépit des souffrances de sa population, le régime prend le risque d’un regain d’ostracisme international à son égard dans l’espoir de débloquer, en position de force, les pourparlers avec les Etats-Unis. Il paraît convaincu que Washington et ses alliés ne peuvent pas grand-chose pour le sanctionner. La Chine, son principal allié, avec laquelle les liens se sont renforcés ces derniers mois, veut éviter de déstabiliser le régime. Et Washington pourrait être sensible aux arguments chinois.