ISLAMABAD ENVOYÉ SPÉCIAL
Alors que la capitale pakistanaise, Islamabad, montre des signes de « bunkérisation » face à l’insécurité croissante et que la population vit dans la crainte des attentats, la société civile peine à exprimer son malaise.
Prise au piège entre la pression des islamistes radicaux et la prééminence de l’armée, la population semble pourtant être très réactive aux affrontements entre l’armée et les talibans de la vallée de Swat, dans le nord-ouest du pays. L’offensive en cours contre des talibans avec qui le gouvernement avait pourtant signé, en février, les accords dits de Malakand sur l’application de la charia (la loi islamique) agit comme un révélateur.
« Je peux comprendre que l’on tente d’abord le dialogue avec les talibans afin de protéger les civils puis que l’on use de la force faute de choix », estime Aitzaz Ahsan, opposant à l’ex-président Pervez Musharraf et figure du mouvement des avocats pour l’indépendance de la justice en 2008. « Mais, poursuit ce symbole de la société civile, le gouvernement a commis une faute en signant ces accords, la force et l’obscurantisme ne permettront jamais de faire vivre les gens ensemble. »
Au sein de la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N), le premier parti d’opposition au président Asif Zardari après avoir été son allié en 2008, un seul député a voté, en février, contre les accords Malakand au Parlement. « Il était évident qu’approuver ces accords était une capitulation face aux talibans, justifie, à Islamabad, l’auteur de ce vote, Ayaz Amir. Signés sous la menace des armes, ils ne pouvaient que les renforcer. »
« GUERRE IMPORTÉE »
« En dépit des critiques sur les dommages collatéraux de l’armée, de l’immense problème humanitaire des déplacés et de la confusion qui règne, ici, dans les esprits, la population soutient globalement l’offensive en cours », assure M. Amir. Selon lui, la société est, enfin, unanime à dire que le pays est victime « d’une guerre importée au Pakistan par les Etats-Unis ». Etudiant à l’université internationale islamique d’Islamabad, Hassan, 23 ans, estime, lui aussi, que « la haine des Américains réunit tous les Pakistanais ». Mais, précise-t-il, « les gens craignent surtout que l’insécurité aggrave encore la crise économique ».
En 2009, la suppression de plus de 1,5 million d’emplois est attendue et plus de 5 millions de personnes supplémentaires devraient passer sous le seuil de pauvreté, qui touche déjà 66 % de la population. La croissance économique, proche de 6 % depuis des années, devrait à peine dépasser 1 % en 2009, d’après l’institut britannique Economist Intelligence Unit (EIU).
Illustration de cette dégradation, juste après sa nomination, le gouvernement du président Zardari a été contraint de faire appel au Fonds monétaire international (FMI) fin 2008 pour éviter un défaut de paiement.
Venus assister, mi-mai, à un tournoi majeur de squash, à Islamabad, Mehmood, le patron d’une petite filature à Lahore, et son fils, sont partagés. « Les talibans menacent notre sécurité mais le gouvernement est incompétent et corrompu. Il fait autant de mal au pays que les insurgés », affirme le père.
L’indice de la production industrielle est passé, en moins d’un an, de 6 % à - 5,2 %, avec des creux à - 20 % dans l’industrie manufacturière à cause des coupures d’électricité. Selon la chambre de commerce d’Islamabad, la crise malmène aussi les cadres moyens qui ont acheté leur voiture à crédit et qui ne peuvent ni quitter le pays comme les riches ni rembourser leur prêt.
Les provinces du Penjab et du Sindh, qui concentrent l’essentiel de la population du Pakistan, avaient jusqu’alors prêté peu d’attention aux provinces pachtounes du nord-ouest du pays. La guerre intérieure menée par l’armée dans cette région et ses conséquences sur l’unité du pays ont changé la donne. Au point que même les célébrités pakistanaises prennent désormais la parole. A l’instar d’autres artistes, dans le quotidien The Nation du 14 mai, l’actrice Nadia Jamil écrit ainsi que les habitants du nord-ouest sont aussi des « citoyens pakistanais ». « Le vrai cancer, ajoute-t-elle, ce ne sont pas les talibans mais notre stupidité. Le gouvernement est entièrement responsable. La seule solution, c’est l’éducation. »
Jacques Follorou
* Article paru dans le Monde, édition du 04.06.09.
Le Pakistan libère le fondateur d’un groupe islamiste et mécontente New Delhi
Un tribunal pakistanais a ordonné, mardi, la remise en liberté du fondateur de l’organisation islamiste Lashkar-e-Taiba, tenue responsable par l’Inde des attaques de Bombay fin novembre. Hafiz Saeed avait été placé en résidence surveillée en décembre, peu après le raid de Bombay, qui a fait 166 morts. Son élargissement a provoqué la colère de New Delhi et risque d’être mal accueilli à Washington. « La cour a jugé que la détention de Hafiz Saeed constituait une violation de la Constitution et de la loi de notre pays », a déclaré son avocat, A. K. Dogar, devant la Haute Cour de Lahore.
En l’assignant à résidence, le gouvernement pakistanais avait assuré qu’il agissait dans la droite ligne des restrictions que l’ONU a imposées à Saeed et à l’organisation caritative qu’il dirige aujourd’hui, Jamaat ud Dawa. « Le gouvernement a subi une défaite. Notre innocence a été prouvée. Notre organisation est une organisation d’entraide. Cette décision démontre que nous n’avons rien à voir avec le terrorisme », a déclaré Yahya Mujaghid, porte-parole de Hafiz Saeed.
« Nous sommes mécontents de constater que le Pakistan ne fait pas preuve du sérieux et de l’engagement nécessaires pour traduire devant la justice ceux qui ont perpétré ce crime », a déclaré de son côté le ministre de l’intérieur indien, Palaniappan Chidambaram. Hafiz Saedd et son ONG figurent sur une liste de personnalités et d’organisations liées à Al-Qaida et aux talibans établie par le Conseil de sécurité des Nations unies.
LEMONDE.FR avec Reuters | 02.06.09 | 11h13 • Mis à jour le 02.06.09 | 11h16
L’offensive dans la vallée de Swat bientôt terminée, selon l’armée pakistanaise
L’armée pakistanaise veut donner le coup de grâce aux talibans dans la vallée de Swat. Des troupes s’apprêtent à prendre d’assaut Charbagh, une ville située à une vingtaine de kilomètres au nord de Mingora, dans la vallée de Swat.
Samedi, l’armée affirmait avoir repris aux insurgés islamistes le chef-lieu du district de Swat, Mingora, une ville de quelque 300 000 habitants. Dimanche, un responsable du ministère de la défense assurait que l’offensive de l’armée dans la vallée de Swat allait prendre fin dans quelques jours. Il reste impossible de vérifier les informations délivrées chaque jour par l’armée, les zones de combat dans la vallée de Swat et ses environs étant hermétiquement fermées par les militaires.
D’ailleurs, samedi, les avions de l’armée ont largué des tracts à Charbagh, enjoignant aux civils de quitter la ville. Le couvre-feu imposé par l’armée autour de Charbagh a également été levé temporairement dimanche pour leur permettre de partir. Comme à Mingora, vidée de la quasi-totalité de ses habitants avant l’assaut final, la plus grande partie des 20 000 à 25 000 résidents de Charbagh semblent avoir quitté le bourg. L’armée a levé le couvre-feu diurne dans les villes de Bahrain, Madyan, Fatehpur, Khwazakhela, Matta et Alpurai, ainsi que dans le district voisin de Shangla.
Depuis le début de l’offensive de l’armée le 26 avril dans trois districts voisins aux mains des talibans, Lower Dir, Buner et Swat, près de 2,5 millions de personnes ont fui les zones de combat, selon l’ONU, qui évoque une « crise humanitaire majeure ».
LEMONDE.FR avec Reuters et AP | 01.06.09 | 11h24 • Mis à jour le 01.06.09 | 11h40