Mission du CADTM en solidarité avec la lutte du peuple hondurien contre la dictature
10 août par CADTM
Voici 6 semaines déjà, le dimanche 28 juin, le président du Honduras Manuel Zelaya a été séquestré puis expulsé du pays par les militaires. Le CADTM a condamné ce coup d’état orchestré par les secteurs réactionnaires de la société (l’armée, l’oligarchie, l’Eglise, le pouvoir judiciaire, les médias dominants) et le Pentagone. Ce coup vise à mettre fin brutalement aux aspirations de changements du peuple hondurien, investi dans le lancement d’une consultation populaire pour ouvrir la voie à un processus d’Assemblée constituante.
Afin de participer au soutien à la lutte de résistance du peuple hondurien, le CADTM a décidé (en concertation avec la coordination internationale de soutien à la lutte au Honduras) d’envoyer une mission de deux personnes sur place. Il s’agit d’accompagner les manifestants, de faire connaître à l’étranger leurs actions et leur opinion. Ils’agit aussi de leur amener une aide financière.
Voici les premiers messages que Cécile Lamarque nous a fait parvenir depuis le 8 août.
Premier message de Cécile L. depuis le Honduras, envoyé le 8 août :
« Je suis bien arrivée à Tegucigalpa hier, pas de problème. Je pensais trouver l’aéroport et la zone autour (l’hôtel est près de l’aéroport, je ne suis pas encore allée dans le centre de Tegucigalpa) ultra militarisée, mais ce n’est pas le cas, on ne voit quasiment rien qui évoque le coup, si ce n’est les écriteaux sur les murs, « fuera golpistas » (=putschistes ), etc.
D’entrée dans le taxi qui m’a conduit à l’hôtel, j’ai pu prendre le pouls de la situation : je suis tombée sur un taximan favorable au maintien des golpistes au pouvoir ! J’ai fait celle qui n’était pas vraiment au fait de la situation politique, il m’a donc raconté tout ça, voilà rapidement sa version, à croire que les médias remplissent parfaitement leur rôle de désinformation ! : Lui (le taximan) a voté pour Zelaya aux élections en 2006, mais Zelaya n’a pas respecté ses engagements et s’est tourné vers Chavez, a pris des mesures qui allaient à l’encontre de son gouvernement et des entreprises privées, qu’il faut respecter car ce sont elles qui donnent du travail ici. Le taximan est pour le maintien des golpistes car le peuple hondurien veut la paix, la liberté, et ne veut pas d’une société socialiste ou communiste. D’après lui, les manifestants sont une minorité qui ne comprend rien. Voilà en gros ces propos.
Vers 16 h, Tom Loudon et les autres membres de la délégation, tous des américains, sont rentrés à l’hôtel. On est ensuite parti ensemble au Syndicat des travailleurs des boissons (Sindicato de trabajadores de Bebidas y similares, STIBYS), pour une rencontre avec 2 membres du Front des Avocats contre le Coup. Les locaux du STIBYS sont apparemment le lieu où se réunissent souvent le Front de Résistance contre le Coup et d’autres groupes.
Les deux représentants du Front des Avocats étaient Nestari Rostezo (?) et Manuel Bonilla. Le Front a été crée il y a deux semaines pour apporter son appui aux personnes détenues qui n’ont personne pour les réprésenter et pour constater les violations des DH. Il compte plus de 100 avocats à travers le pays, qui ont pour la plupart cessé leurs activités pour se consacrer exclusivement à la protection des civils.
Les avocats sont réunis au sein du Colegio de Abogados, dont le président, proche ou issu du Parti Nacional, appuie le coup, donc certains avocats se sont réunis et ont dans un premier temps émis un CP pour dire que le président ne reflétait pas la position de tous les avocats et ont ensuite crée le Frente de Abogados.
Alors que la plupart des CP des missions parlaient de 9 morts, eux reportent 24 morts, et 400/500 personnes arrêtées. Les familles des personnes assassinées, par peur des représailles, préfèrent parfois ne rien signaler.
Une autre violation des DH : la désinformation et le contrôle médiatique. Sur environ 50 médias, seuls 2 transmettent des infos ’vrais’ sur la situation : Radio Globo, qui fait face actuellement à un processus pour être fermée, et Canal 36, apparemment sous mesure préventive de l’ONU pour éviter sa fermeture.
Les golpistes ne s’attendaient pas à cette réponse de la part de la population, secteur défavorisé et classes moyennes ensemble. La conscientisation de la population s’accroît.
Ils ont rappelé qu’ils ont peu de moyens et que ça rend la mobilisation sur place de plus en plus difficile, face aux golpistes qui sont financés par les McDonald, Burgers King et autres multinationales. Par ex, ces derniers jours, les avocats n’ont pas pu se rendre à l’intérieur du pays pour assurer la protection de personnes détenues faute de moyens. La lutte est donc très difficile.
Il y a une frustration de la part de la population du fait de la lenteur de l’ONU et de l’OEA à apporter une réponse au Coup. Ils ont rappelé la participation directe des USA au coup.
Ils sont déterminés à poursuivre la lutte et maintiennent les mêmes revendications : retour de Zelaya + Assemblée Constituante. Ils disent qu’avec le retour de Zelaya, la tâche sera d’autant plus difficile puisqu’il s’agira de faire juger les golpistes.
Le Frente de Abogados est en train de porter une demande devant la CPI contre les golpistes.
Voilà en gros..
La délégation US s’est entretenue à deux reprises avec Hugo Llorens, l’ambassadeur US au Honduras. Evidemment ils n’en ont rien retiré... »
Deuxième message de Cécile L. depuis le Honduras, envoyé le 9 août 2009
« Aujourd’hui il n’y a pas de manifestation, la population se réunit au parc national. J’irai donc là bas auj’. Désolée d’avoir tardé à donner des nouvelles, ces deux journées sont passées très vite...Quelques news donc des journées d’hier et d’aujourd’hui. Je commence par la lecture du journal du matin, car c’est assez aberrant de lire la propagande putschiste... Hier 8 août, le journal hondurien El Heraldo (sous-titré « La vérité est entre vos mains ! »), affichait en « une » le dernier exercice rhétorique du président Barack Obama : « Je ne peux pas appuyer sur un bouton et réinstaller Zelaya ». Sans doute Obama eût-il été davantage crédible en manifestant la difficulté d’un retour en arrière une fois le bouton enclenché ! En dessous, la reproduction des propos d’Obama feignant le changement d’attitude de l’administration américaine et sa ’non-ingérence’ : « Le Président dit que c’est ironique que certains qui ont critiqué l’ingérence des Etats-Unis en Amérique latine se plaignent aujourd’hui qu’il n’interfère pas davantage ». La suite en page 10. Je ne vais pas m’attarder sur toute l’édition du jour, même si au fil des pages il y a vraiment de nombreux points qui mériteraient d’être soulevés ! De l’autosuggestion sans doute, car le régime putschiste et l’administration américaine peinent de plus en plus à confondre le peuple hondurien sur le coup« made in Washington ». Ici il y a aussi une alerte à la grippe H1N1, largement relayée par la presse. Quelques cas ont en effet été reportés. Beaucoup y voit une manière de détourner l’attention du Coup d’état.
Dans ce climat de désinformation et de contrôle médiatique, les murs font office de tribunes populaires et affichent des slogans contre les putschistes, pour Zelaya, contre le système en place... Hier samedi, il n’y avait pas de manifestation mais un rassemblement culturel à l’initiative des Artistes en Résistance contre le Coup d’Etat, qui se tenait au parc national de Tegucigalpa, au cœur de la ville (dominée par les icônes omniprésentes de la culture commerciale : Burger King, Mc Donald, etc, qui apparemment apportent leur soutien financier aux putschiste). On appelait d’ailleurs à prêter plus d’attention aux écriteaux qu’aux titres de la presse nationale. Au rythme des percussions batucadas du Front de Resistance contre le Coup d’Etat, cette journée, appelée « Gritos de paraiso », la 3e depuis le Coup d’Etat du 28 juin, a vu se succéder des artistes honduriens venus chanter des chants qui ont marqué les mobilisations, joué des scénettes burlesques mettant en scène et dénonçant le coup d’état, la répression et ses principaux protagonistes. Ont également pris la parole quelques mouvements sociaux et syndicats. J’ai interviewé Samuel Trigueros, écrivain et peintre hondurien, parmi les fondateurs du Frente Nacional. Je vous envoie ça demain.
Le Frente Nacional de Resistencia Contra el Golpe de Estado a appelé les Honduriens à participer à une Marche nationale qui a débuté le 5 août et qui se terminera le 11 août à Tegucigalpa et San Pedro Sula. La population est donc en marche, peut-être ira-t- on à la rencontre de ceux qui vont entrer à Tegucigalpa mardi matin, car la police et les militaires seront sans doute également sur place pour les accueillir... Le gouvernement de facto aurait déjà annoncé qu’il allait recourir à davantage de répression... Aujourd’hui dimanche on s’est rendu à l’Assemblée du Front contre le coup qui se tenait dans les locaux du syndicat STIBYS, et où ont pris la parole différents leaders du mouvement ainsi que des Latino-américains et autres internationaux venus marquer leur soutien : syndicalistes uruguayens, étudiants costaricains, les citoyens US de la mission à laquelle le CADTM est associé, etc. Après 43 jours la lutte semble désormais dans une phase cruciale, déterminante pour le retour, ou pas, à la démocratie : dès demain les mobilisations vont s’intensifier, et certains pensent que si l’on arrive à rien cette semaine, si Zelaya n’est pas réintroduit comme président, etc., les choses n’iront alors sans doute pas en s’arrangeant. On s’est ensuite entretenue avec Rafael Alegria, de Via Campesina, et Juan Barahona, coordination du Frente. Normalement c’est dans la « boîte », je retranscrirai cela, ça vaut le coup de diffuser.
On a ensuite rencontré un homme qui travaille à la Fiscalia del Estado, accompagné d’un avocat du Front des Avocats contre le coup, qui ont démontré tous les arguments légaux, en décortiquant la constitution, pour appuyer le fait que c’est un coup d’état. Il ne m’en fallait pas tant pour être persuadée qu’il s’agit bien d’un coup !! Mais bon, c’est vrai qu’ici, d’autant plus avec la campagne de désinformation qui règne dans la presse écrite et radio, on sent quand même, malheureusement, une polarisation entre ceux qui se positionnent clairement contre les putschistes, et ceux qui n’y voient finalement rien de mauvais ou d’illégal… et certains Américains ici semblent aussi encore se poser la question..
Demain matin on rejoint le Frente à l’Université Pedagogica, journée de mobilisation. Je pars vers 13h à l’aéroport chercher l’autre délégué du CADTM quiarrive d’Europe.
Je m’arrête là pour ce soir... »
Au 46e jour de résistance populaire, la répression à l’encontre des opposants au régime putschiste s’intensifie
14 août 2009
par Jérôme Duval, Cécile Lamarque et Sabine Masson
Au 46e jour de lutte du peuple hondurien contre le Coup d’Etat et le gouvernement de facto, la Police et les Forces Armées ont une nouvelle fois fait preuve d’une extrême brutalité et d’une répression féroce à l’égard des manifestants. En dépit de la répression de la nuit dernière, une nouvelle manifestation qui a réuni des dizaines de milliers de personnes, pacifiques et déterminées, est partie de l’Université pédagogique. Elle allait se rendre au Palais présidentiel, mais à l’annonce de la loi votée par le Congrès National visant à rendre le service militaire obligatoire en cas de crise, les opposants au régime putschiste ont décidé de marcher vers le Congrès.
Alors que les manifestants avançaient vers le Congrès, le centre de la ville s’est vu encerclé par des centaines de militaires et de policiers en armes, empêchant la population de circuler librement et d’exercer son droit à manifester. Les manifestants ont alors subi de plein fouet la violence policière : gaz lacrymogènes, coups aux manifestants pris de panique, arrestations arbitraires, etc.
Suite à cette provocation des forces putschistes se déroule une confrontation devant le Congrès : la police lance des gaz contre les manifestants démunis, qui répondent par des jets de pierres. Après avoir gazé toute la place autour du congrès et le Parque central, les policiers et militaires pourchassent les manifestants qui essayent de fuir en se dispersant dans les rues, frappent les personnes qu’ils arrêtent. Des femmes ont subi des agressions sexuelles.
A 14h30 devant le Congrès, alors qu’une vingtaine de personnes ont déjà été arrêtées, nous sommes témoins de l’arrestation d’une dizaine d’autres, dont nous avons pu noter les identités afin de les communiquer aux associations qui assurent le suivi juridique des personnes détenues, la COFADEH (Comité des Familles de Détenus Disparus au Honduras [1]) principalement. Les militaires et policiers s’en sont pris sans distinction et sans motif aux hommes, femmes et enfants. L’action collective sur la place devant l’édifice du Congrès a permis d’éviter la détention d’un mineur de quatorze ans, tandis que dans la cour du Congrès, on assistait impuissant à l’arrestation d’une professeur, Mabel Carolina Lopez, violemment maintenue au sol pendant près d’une demi heure par les militaires. Les éléments des forces armées qui étaient devant le Congrès élevaient leurs boucliers afin d’empêcher les journalistes de filmer, de prendre des photos. On bloque le passage à la délégation des droits humains, seule une procureur de COFADEH est reçue. Peu après, certains détenus sont apparemment transférés vers une caserne militaire tandis que d’autres sont amenés dans les sous-sols de l’édifice du Congrès. Un journaliste hondurien a également été agressé , les militaires lui ont arraché sa caméra. La répression était semblable voire plus cinglante en d’autres points du centre ville, ainsi qu’a San Pedro Sula, principale ville du Nord du pays.
Le régime putschiste a notamment utilisé le ’Poste 21’ composé de militaires des forces spéciales Cobra, forces tristement célèbres pour les tortures qui y ont été perpétrées dans les années 1980. Y ont été enfermées de façon tout à fait illégale 26 personnes, dont on apprend par le Front des Avocats contre le Coup d’Etat qu’elles ont été torturées, frappées, humiliées. Toujours détenues, le régime putchiste veut les inculper d’actes terroristes !
En tant que « Mission d’Observation », nous nous sommes rendus à l’Hôpital Viera où se trouvait le député du parti Unificacion Democratica (UD) Marvin Ponce, blessé par balles au pied, afin de recueillir son témoignage. Impossible d’entrer dans l’hôpital, le gardien avait reçu l’ordre de ne pas nous laisser rentrer !
Dans un même temps, l’Université pédagogique nationale Francisco Morazán (UPNFM), le point de convergence de la résistance hondurienne, a été transformée en forteresse militaire. Une quarantaine de personnes qui étaient à l’intérieur – professeurs, étudiants, syndicalistes, etc - ont été séquestrées plus de huit heures. Ils et elles ont été forcés à se rassembler au centre du terrain de basket, où les militaires les ont maintenus, l’arme pointée en leur direction. Il s’agit d’une détention illégale, réalisée par des forces militaires dans un lieu d’éducation supérieure publique dont l’autonomie est garantie par la Constitution.
Nous nous sommes rendus sur les lieux, accompagnés de deux avocates de la COFADEH afin de pousser à la libération des personnes détenues. Non sans mal, une journaliste de la Cofadeh parvient à rentrer, un avocat du Front des Avocats contre le Coup d’Etat était sur place. Le chef de police, Mr. Cerrato, déclare à la presse que les personnes retenues à l’intérieur font l’objet d’une enquête et doivent donner leur déclaration au sujet d’explosifs que la police et l’armée auraient trouvés à l’intérieur l’Université et attribuent aux opposants. Or, les personnes séquestrées expliquent que ces prétendues « preuves » sont du matériel utilisé par des infiltrés, des déchets de balles et de bombes lacrymogènes tirées la veille par la police contre l’Université.
Aujourd’hui 13 août, on reporte de nombreux blessés à l’Hôpital Escuela, le Consejo Civico de Organizaciones Populares e Indigenas de Honduras (COPINH) déclare que 5 personnes de cette organisation sont portées disparues depuis hier. Les chiffres concernant le nombre de détenus varient selon les sources (police et ministère public). On craint que de nombreuses personnes demeurent disparues.
Cette nouvelle démonstration de force de la part du gouvernement illégitime de Roberto Michelleti et l’établissement d’un régime autoritaire restreignant chaque jour davantage les libertés fondamentales du peuple hondurien font ressurgir le spectre des dictatures latino-américaines des années 1970-1980. Face à l’escalade de violences et de répression, aux violations graves des droits humains, civils et politiques, la solidarité des citoyens et des mouvements sociaux est indispensable. Entre autres revendications, le Front contre le coup d’Etat appelle à faire pression sur les gouvernements du Nord afin qu’ils bloquent tout soutien financier au régime de facto.
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