INTERVIEW DE CAMILLE DE CASABIANCA, RÉALISATRICE DU FILM SUR LA NAISSANCE DU NPA...
Est-ce que ton film « C’est parti ! » qui sort le 10 février, se range dans la case documentaire, ou bien est ce que ton film est un véritable ovni cinématographique ?
Camille de Casablance – « C’est parti » est un film que j’ai concu pour le cinéma. C’est l’histoire d’hommes et de femmes sympathiques qui ont un but : celui de construire ce parti. Ils ont un an pour y arriver. Ils ont des embûches, ils ont des problèmes, ils ont aussi des bonnes surprises, donc cela se raconte comme une histoire, sans interview. Donc finalement ces personnes, qui sont réelles, deviennent les personnages du film. En faisant ce film, ce que je souhaitais, c’est intéresser le public, un public plus large que les militants, même si je pense que cela les amusera eux aussi.
Lorsque tu as pris la décision de filmer le processus constituant du Nouveau Parti Anticapitaliste, vers qui t’es tu tournée, et as-tu rencontré des difficultés pour faire accepter ton projet ?
A partir du moment où on m’a laissé tourner, j’ai eu une confiance absolue et ça je dois dire que c’était bien. J’ai eu aussi un échange avec Olivier, qui ne souhaitait pas être au centre du film. On s’est mis d’accord, il était évident qu’il ne serait pas au centre du film, mais il était aussi évident que c’était un des personnages importants de la création du NPA..
A travers « C’est parti ! » on rencontre un certain nombre de militantes et de militants, quels personnages de ce film t-ont le plus touché et pourquoi ?
Tout le monde m’a touché, parce que c’est un film humain. Pour moi c’est un film romantique parce qu’ on a cette idée de lutter pour cette société d’émancipation et d’égalité. Tous les gens dans le film partagent ça et je le partage avec eux. C’est vrai que pour moi qui suis cinéaste, il y avait des personnages... Par exemple François Sabado c’est un peu Raimu, pour ceux qui connaissent les vieux films français... Olivier c’est un peu le jeune acteur, comme les acteurs américains... Il y avait Anne Leclerc qui pourrait être Anna Magnani... Il y a Abdel d’Avignon, le p’tit mec rigolo qui a la tchatche, qui a de l’humour... Donc c’est devenu des personnages pour moi.
Dans les années 80, tu as rejoint les comités rouges, quels souvenirs gardes-tu de cette époque et de tes années de militantisme ?
L’époque était différente, on pensait qu’on allait faire la révolution assez vite. On devait être un certain nombre à pénétrer l’appareil d’Etat, aux télécoms, au ministère de l’Intérieur pour, le soir de la révolution, être aux manettes. On avait cette idée là, dans la tête, de la prise du pouvoir. J’ai commencé à avoir des doutes sur l’imminence de la révolution. J’ai demandé à aller en Californie, à l’université de Berkeley. Quand j’ai vu la classe ouvrière californienne, je me suis dit c’est peut etre pas pour tout de suite... Donc effectivement j’ai cessé de militer à la LCR mais je ne suis pas allée à la soupe et j’ai choisi une autre voie qui est celle du cinéma et qui est celle qui me permet de continuer à rêver.
N’as tu pas aujourd’hui l’envie de rejoindre les militants du NPA ?
C’est vrai que c’est une question que les gens me posent, mais il était clair que pour moi c’est un regard, c’est le contraire d’un film militant. C’est ce film que je propose, maintenant l’avenir, je ne sais pas, demain, de quoi il sera fait ! Mais pour l’instant, moi, je fais mon travail de cinéaste ! Je dis aux militants qui s’attendraient à voir le programme du NPA dans le film qu’il n’y est pas ! C’est juste un film sur ce que c’est d’être militant aujourd’hui.
Lors du grand nettoyage des locaux du parti, entre une porte qui vole et les œuvres complètes de Lénine en passe de finir dans la benne, on découvre à travers ta caméra des militants partagés entre l’envie de se débarasser d’un passé bien encombrant et celle de conserver de précieux morceaux d’histoire. Quel regard portes-tu sur ces images ?
Ce qui m’a intéressé dans ce film, c’est qu’en fait il y a une transmission entre les générations. Il y a les anciens, il y a les jeunes. Dans les partis en général, quand les jeunes arrivent, c’est un putsch, les vieux s’accrochent absoluement, mais là c’est assez joli, en fait c’est visuel parce qu’on voit que ce n’est pas la même génération. On voit d’ailleurs Daniel Bensaïd, que tout le monde aimait beaucoup... Quand il est mort, les journalistes m’ont appelé pour me demander si je n’ avais pas un extrait à mettre sur internet, et je me suis appercue qu’en fait dans le film si on le voit deux fois vraiment longuement, on le voit plein de fois. Sa présence imprègne tout le film.
Tu expliques que tu as filmé « ce processus de transformation, un peu comme une physicienne observe un corps passer d’un état à l’autre, solide à liquide. », penses-tu qu’aujourd’hui, notre construction est belle et bien achevée ?
Ah non pas du tout ! Là c’est le début, on sent qu’il y a une dynamique dans cette création du NPA qui est extremement positive, c’est comme le début d’une histoire d’amour, c’est merveilleux mais peut etre qu’après ce sera la chienlit on sait pas mais au début, ya ce coté positif dans le film. Ce film montre la naissance d’un parti.
Propos recueillis par Linda...
* Mis en ligne sur le site Mediapart et celui du NPA.
Critique : « C’est parti » : l’ancien parti, le nouveau et son héros réticent
Une scène du film documentaire français de Camille de Casabianca, « C’est parti ».
près le Mur de Berlin, la Carte orange, le tour vint pour la Ligue communiste révolutionnaire d’être avalée par la marche du temps. Il se trouve qu’une cinéaste a sorti sa caméra à temps pour enregistrer les derniers jours de « la Ligue », comme la désignaient familièrement ses partisans et ses ennemis, jusqu’à ce qu’elle laisse la place au Nouveau Parti anticapitaliste (NPA).
Camille de Casabianca, qui a milité jadis dans les rangs de la Section française de la IVe Internationale, autre nom de la LCR, filme en toute sympathie.
Ce qui ne fait pas d’elle une naïve. Sa familiarité avec le sujet ne l’empêche pas non plus de s’étonner. Cette distance, d’autant mieux mesurée qu’elle résulte d’une histoire personnelle plus que d’un calcul intellectuel, fait de C’est parti une rareté : un film qui montre la politique en train de se faire lucidement et chaleureusement, à charge pour chaque spectateur d’en tirer des conclusions, théoriques ou pratiques.
C’est parti s’organise autour d’un leitmotiv, le grand ménage organisé dans les locaux de la LCR à la veille de la naissance du NPA, dont les images reviennent à intervalle régulier. Les vieux militants, dont le plus célèbre est Alain Krivine, et les plus jeunes, parmi lesquels on reconnaît Olivier Besancenot, balancent le vieux monde par les fenêtres : des kilos de papiers noircis de débats aujourd’hui abscons, des affiches de campagnes infructueuses, des fichiers mystérieux.
Pendant qu’on fait du passé table rase, la gestation du nouveau parti arrive à son terme. C’est là que l’on trouve les séquences les plus passionnantes du film. On y trouve un héros réticent, Olivier Besancenot, qui doit assumer sa position de vedette. Sa seule présence à une réunion garantit la présence des journalistes, qui par ailleurs ne s’intéresseront pas aux autres intervenants. Camille de Casabianca circule dans l’appareil de la LCR comme un poisson dans l’eau, et la plupart du temps son film donne la sensation d’être l’observateur invisible de la vie quotidienne des militants. Sauf quand le débat tourne autour du bon usage d’Olivier Besancenot. Dès qu’il est question de célébrité, les dés son pipés, et la conscience d’être filmé se manifeste. De ce point de vue, C’est parti apporte quelques éléments intéressants à la critique du star system.
Ex-« liguards »
Mais l’essentiel du contenu politique est ailleurs. Les éventuels accès de nostalgie des vétérans trotskistes sont régulièrement étouffés par les questions, les interventions des nouveaux militants. C’est là que l’on trouvera toutes les réponses aux questions que pose la présence d’une femme musulmane sur une des listes du NPA aux régionales.
On s’apercevra ainsi que ce récent épisode est l’aboutissement d’un processus engagé depuis quelque temps, et que les militants et militantes gauchistes, qui ont eu bien du mal jadis à prendre en compte le combat homosexuel, doivent aujourd’hui répondre à d’autres interrogations.
Plutôt tourné vers l’avenir, le film de Camille de Casabianca ne s’intéresse qu’incidemment aux nombreux ex-« liguards » qui peuplent aujourd’hui la vie publique française. C’est Henri Weber, ancien directeur de l’hebdomadaire Rouge, aujourd’hui député européen socialiste, qui les représente dans un débat saisi à la Fête de L’Humanité. Le vétéran utilise tous les ressorts de la rhétorique trotskiste pour défendre le compromis. A ce moment, l’infinie polysémie du titre prend un sens ironique, presque méchant : « C’est parti, pour ne plus jamais revenir. » L’instant d’après, le film reprend sa bonne humeur pour suivre les aventures incertaines de ceux qui n’arrivent toujours pas à ne plus y croire.
Thomas Sotinel
* Article paru dans le Monde, édition du 10.02.10. LE MONDE | 09.02.10 | 16h42.
° Film documentaire français de Camille de Casabianca. (1 h 24.)
« C’est parti », Besancenot héros de cinéma (malgré lui)
Pendant plusieurs mois, Camille de Casabianca a suivi au plus près la naissance du Nouveau parti anticapitaliste (NPA). Résultat : un documentaire passionnant, cocasse, instructif… En haut du casting, un certain Olivier Besancenot.
Mais d’abord, une scène marquée par un peu d’humour et beaucoup de tristesse, à moins que ce ne soit l’inverse… Des filles et des garçons vident leurs bureaux. Sous des piles de vieux journaux et dossiers poussiéreux, ils retrouvent des traces d’un passé révolu.
Comptes-rendus antédiluviens, notes éparses. Un type raconte : « Y a des trucs qui croupissent ici depuis vingt-cinq ans. ». Plus le temps de faire le tri : les vieilleries passent par la fenêtre et atterrissent dans une gigantesque benne postée sur le trottoir.
La scène se situe à Montreuil. Et ceux qui font le vide pour cause de déménagement sont les permanents de la Ligue Communiste Révolutionnaire, auto-dissoute pour donner naissance au NPA, le Nouveau parti anticapitaliste.
Bientôt, des visages familiers apparaissent. Les plus connus ? Ceux d’Alain Krivine et Olivier Besancenot. L’ancien et le moderne, se retroussant les manches de concert pour que le processus de rénovation suive son cours. Pas une mince affaire.
D’un meeting à la Mutualité à l’université d’été à Port-Leucate en passant par un débat musclé à la fête de l’Huma (guest star : Henri Weber, ex de la Ligue reconverti en inconditionnel de la realpolitik), on croise des anonymes, sympathisants de la première ou de la nouvelle heure, et des personnalités historiques du mouvement. Daniel Bensaïd, décédé il y a peu, ou Pierre-François Grond, la figure montante.
Le film enregistre les grandes résolutions et les petits tracas des uns et des autres. Le trivial se mêle à l’idéologie. La crise de rire à la prise de tête. (Voir la bande annonce).
Un film d’entreprise ? Une fiction militante ? Deux fois non. Si Camille de Casabianca, la réalisatrice, a incontestablement de la sympathie pour ceux qu’elle observe (« Je ne sais pas faire de films sur des gens dont je me paie la fiole », dit-elle), « C’est parti » ne s’abîme jamais dans les ornières du docu pédago-partisan.
Pour la réalisatrice, une démarche de proximité, mais pas complaisante
Les responsables de la Ligue ont accepté le principe du film, laissé la cinéaste musarder où elle le voulait. Le résultat ne cherche en aucun cas à « vendre » (ou à salir) les couleurs new-look du trotskisme.
Ce qu’enregistre la documentariste est bien plus universel, drôle et passionnant : comment vit un groupe ? Comment rénover une vieille maison ? Comment imposer de nouveaux visages ? Comment résister, aussi, à la starisation du leader ?
Dépourvu de tout commentaire, le film renseigne sur les difficultés de cette gauche-là et, plus généralement, raconte avec un humour ravageur les inévitables tensions agitant une communauté au travail (parti politique, journal, club de foot, en l’occurrence peu importe).
Besancenot donne à voir l’ambivalence de son statut au sein du NPA
La caméra furette partout, parvient à se faire oublier et enregistre des crispations instructives. Ainsi cette scène, qui tombe à pic vu les polémiques du moment, où une nouvelle recrue interroge le NPA sur ses positions vis-à-vis de la religion et du voile. Et essuie une volée de bois vert (de bois rouge) de la part d’une militante fidèle aux racines ultra-laïques de la LCR.
Mais le plus passionnant est niché côté Olivier Besancenot… Il n’est qu’un personnage parmi d’autres de « C’est parti », mais le film, en creux, donne à voir l’ambivalence de son statut dans l’organisation.
Important meeting à venir… Les leaders du NPA cherchent à convaincre Besancenot d’y apparaître. Ce dernier freine des quatre fers. Semble redouter son instrumentalisation au sein même du parti.
Le postier Besancenot aux camarades permanents : « Mais je bosse, moi ! »
Le ton monte. Besancenot évoque son emploi du temps surchargé. Se fâche contre ses potes qui usent de stratagèmes tordus pour parvenir à leurs fins. « Vous me demandez de faire un boulot de merde. »
Un peu plus tard, il lâche même un historique « Mais je bosse, moi ! », en référence à ses activités de postier, comparé à l’emploi du temps de ses permanents de camarades. Ambiance.
Dur, pour l’un, d’échapper à la personnalisation. Dur, pour les autres, de ne pas titiller la touche people quand on a en magasin un type jeune, sympathique, excellent dialecticien. Le film, parmi ses nombreuses richesses, donne à voir ces ambiguïtés-là. Franchement captivant.
Par Olivier de Bruyn
* Paru sur Rue89, 07/02/2010 | 15H29
► C’est parti de Camille de Casabianca - en salles le 10 février.
C’est Parti, de Camille De Casabianca - 2010
Avec Olivier BesancenotFrançois SabadoAbdel ZahiriAlain Krivine
Comment la ligue communiste révolutionnaire est devenue le Nouveau parti anticapitaliste : un documentaire a suivi de l’intérieur la transformation du mouvement trotskiste. Que reste-t-il de cette révolution annoncée ?
Des femmes et des hommes s’affairent dans des locaux sans charme. Ils classent, rangent, jettent des piles de dossiers (compromettants ?) à la poubelle. Travaux ? Déménagement ?
Parmi ces déménageurs cool, on en reconnaît un : Olivier Besancenot.
Cette première séquence de C’est parti (titre à plusieurs entrées), documentaire de Camille de Casabianca, donne le ton : la Ligue communiste révolutionnaire 2008, en pleine mutation Nouveau parti anticapitaliste, c’est ambiance popote, copains, chantier, bordel et changement.
Situation et décors naturels en disent plus long que tout discours, scénario ou dialogues : la transition LCR-NPA, c’est un vrai matériau politique et cinématographique, belle intuition centrale de Camille de Casabianca.
Camille de Casabianca était la cinéaste idéale pour ce projet. Elle écrit au début de son magnifique journal de tournage : “Grand jour : Olivier est d’accord. Ils me donnent leur bénédiction. C’est le mot, car j’ai l’impression de pénétrer dans une congrégation. Je pourrai tout filmer. Ils me font “entièrement confiance”. Je sens que cette solennité me lie mais je ne m’alerte pas trop. D’une part, j’ai l’œil moqueur, d’autre part, je ne sais pas faire de films sur des gens dont je me paie la fiole : ils auront l’air sympathiques.”
Comme on l’apprend dans son texte, elle fut encartée à la LCR pendant ses années lycée puis fac, au début des eighties. Après un séjour d’études aux Etats-Unis, elle a quitté la Ligue et les utopies révolutionnaires. “A deux pas du campus californien, j’avais sous les yeux la classe ouvrière américaine avec ses trois voitures par famille. Son potentiel de révolte m’a paru très bas. Le doute s’est installé en moi puis la certitude que, de mon vivant en tout cas, je ne risquais pas de connaître le Grand Soir.”
Elle était à la distance parfaite pour ce film : dedans dehors, humainement en empathie, politiquement critique et lucide. Sa proximité amicale avec les leaders historiques, Krivine, Sabado lui a permis de se fondre avec sa caméra au sein de la LCR pendant de longs mois.
Sa distance idéologique et sa position de cinéaste lui ont donné le recul nécessaire. Son intelligence de cinéaste a fait le reste : pas de commentaires, pas d’entretiens posés.
C’est parti se fonde sur l’immersion, l’observation, le travail de montage. Au final, des scènes saisies à vif, d’une simplicité qui fait la force et la beauté du film, mélangeant empathie et ironie, accompagnement et distanciation amusée, respect et mélancolie comme devant de beaux combats perdus d’avance.
Dans le film, la LCR-NPA se manifeste d’abord par beaucoup de parlottes, de débats et de discussions sans fin. Quelle stratégie pour les échéances électorales à venir ? Comment sensibiliser les jeunes générations ? Comment régler la mire du rapport aux médias ? Comment concilier la célébrité d’Olivier Besancenot avec le refus du culte de la personnalité et de la notion de chef ?
“Olivier est assailli par des journalistes qu’il fuit. On sent la toute petite entreprise, l’attaché de presse, gentil, bénévole, le côté dépassé par les événements. En réalité, toute intimité donne cette impression de bricolage. Un film sur l’UMP aurait mis en lumière la même approximation. Mais eux ne m’auraient pas laissé voir leur activité au jour le jour : leur idéologie est celle de princes qui font rêver les manants.”
Les membres de l’état-major LCR-NPA passent des heures à ferrailler comme des ados. La LCR apparaît ainsi comme une entité démocratique où la liberté de parole est entière.
Mais ce primat de la parole n’est-il pas aussi la drogue mortifère, le piège dans lequel s’enferme la Ligue (comme la plupart des mouvements d’extrême gauche) ? Dans une des séquences apparaît le sénateur PS Henri Weber, lui-même issu de la Ligue.
En soixante-dix ans, dit-il, quel a été l’apport réel du trotskisme dans les transformations de la société française ? Quelle réforme l’extrême gauche a-t-elle imposée ?
Weber pose les bonnes questions et ajoute qu’il lui faudrait deux heures pour énumérer les lois ou changements dus à la gauche de gouvernement. Weber essuie une réplique virulente de François Sabado sur les compromissions ou trahisons du PS.
Cet échange résume les questions que pose tout le film : agir, influer, transformer, cela ne suppose-t-il pas une certaine souplesse et quelques compromis – qui ne sont pas synonymes de compromission ? Rester dans une supposée pureté idéologique, n’est-ce pas se condamner à la marge, à l’inaction, à la parole réifiée mais impuissante qui regarde passer les trains du changement ?
Pour changer la vie des hommes ne faut-il pas dépasser la pure politique ? Apple (tendance Mac comme tendance Beatles) n’a-t-il pas révolutionné le monde plus sûrement que n’importe quel groupuscule révolutionnaire ? On y pense en voyant tous les ordis qui équipent les bureaux de la LCR-NPA.
On a beau être anticapitaliste, les produits du capitalisme sont quand même bien utiles. C’est bien parce qu’ils ont pris conscience de leurs archaïsmes que les têtes pensantes de la LCR ont décidé de se transformer en NPA.
Simple changement de façade peut-on penser. Mais le film montre bien l’obsession des vieux dirigeants à transmettre leur message aux jeunes. Le prolétariat ouvrier s’amenuisant, la vieille Ligue tente de trouver des troupes fraîches dans les cités de banlieue, ce nouveau prolétariat contemporain.
Ce n’est pas gagné. Une des scènes les plus ironiques du film montre que certains jeunes beurs ont un problème avec des mots comme “révolutionnaire” ou “anticapitaliste”.
Il y a bien sûr une certaine logique à ce que le NPA rencontre les populations déshéritées des técis, à ce qu’une formation politique s’affichant anticapitaliste séduise un pan de la société victime du libéralisme et d’une ségrégation rampante.
Mais il y a des silences, un malentendu : les djeuns n’en ont rien à battre de Trotski ou de la IVe Internationale (marquant la scission entre Staline et Trotski). Ils ne sont pas anticapitalistes, ils veulent au contraire leur part des richesses.
Autre flou soulevé par le documentaire : la place de la religion. Comment concilier un parti de tradition athée, voire anticléricale, avec la culture musulmane ? Pas simple, comme le montre une discussion entre un jeune militant beur et une camarade plus âgée et très féministe.
C’est parti questionne l’impuissance du NPA et de l’extrême gauche, mouvances qui passent leur temps à blablater et critiquer, mais agissent peu sur les leviers de pouvoir et de changement.
Il montre aussi que ces trotskistes-là sont sympathiques, ouverts, cultivés, à l’image du regretté philosophe Daniel Bensaïd, un des fondateurs de la Ligue, récemment disparu. On sent qu’il est agréable de les côtoyer, tant intellectuellement qu’humainement.
Le film laisse une image ambiguë mais peut-être exacte du militantisme LCR-NPA : jusqu’à aujourd’hui, ce parti n’a jamais rien changé à la société française, refusant le pouvoir, remettant éternellement à demain l’hypothétique Grand Soir. Mais c’est une famille de substitution où il fait bon vivre et penser.
par S.Kaganski & A.Lafetter
* Paru sur les Inrocks.com, le 08 février 2010 [1]
I. Les propos de Camille de Casabianca sont extraits de son journal de tournage.
LA LCR PASSE LARMES À GAUCHE
Il ne fait aucun doute que le film de Camille de Casabianca constituera une archive essentielle lorsqu’Olivier Besancenot sera élu président. En attendant, il faut découvrir ce documentaire pour ce qu’il est, l’observation tendre et ironique d’une mutation au cœur de l’extrême gauche française.
Pendant un an, la réalisatrice a planté sa caméra partout où elle pouvait assister à l’agonie de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire) et au difficile accouchement du NPA (Nouveau Parti anticapitaliste). Dans les meetings où jeunes rebelles à tee-shirts engagés bien que datés (le Che, Sandinista…) croisent des révolutionnaires un brin émoussés. Dans les réunions du bureau politique, alors que le facteur anticapitaliste tente avec l’énergie de l’espoir de convaincre les camarades qu’il ne doit pas être le messie médiatique qu’ils attendent. Sur les plages de la première université d’été, à Port-Leucate, entre plaisir de se retrouver et prises de parole absconses au mégaphone qui auraient eu leur place chez monsieur Hulot.
Pour la réalisatrice, l’occasion était trop belle d’ouvrir son film sur un moment drôle et un peu triste comme tous les déménagements. Avant de devenir le siège du NPA, les antiques locaux verdâtres de la Ligue, à Montreuil, font peau neuve. Les militants vident les armoires dans des bennes à ordures en contrebas de l’immeuble. Du passé, ils font donc table rase, mais non sans mal. François Sabado, un vieux de la vieille, met la main sur le cahier qui fut, de 1986 à 1989, le compte rendu des réunions du bureau politique. Pendant qu’Alain Krivine observe le manège et que Besancenot descend la photocopieuse, la caméra s’attarde sur les œuvres complètes mais poussiéreuses de Lénine, que personne ne s’est encore résolu ni à conserver comme une relique ni à jeter.
Outre l’affection avec laquelle Camille de Casabianca filme ses protagonistes, le docu laisse aussi grande ouverte la porte d’un avenir incertain, aussi excitant qu’angoissant. Une partie de la réponse est à observer dans l’œil rigolard d’Abdel, jeune militant avignonnais, qui se démène comme un diable pour que ça marche. Pour Abdel, cela ne fait aucun doute : c’est bien parti.
Bruno Icher
* LIBÉRATION DU 10 FÉVRIER 2010.
Le documentaire en quête d’espace sur les écrans de cinéma
Une image du film documentaire français de Dominique Marchais, « Le Temps des grâces », sorti en salles mercredi 10 février 2010.
ue signifie une sortie en salles de cinéma pour un documentaire édité en un petit nombre de copies et programmé bien souvent lors de séances ponctuelles ? C’est tout le pari de deux films qui sont à l’affiche à partir du mercredi 10 février. Le Temps des grâces, de Dominique Marchais, traite des mutations du monde paysan ; C’est parti, de Camille de Casabianca, suit les premiers pas du Nouveau Parti anticapitaliste d’Olivier Besancenot, en 2008.
Aucun rapport entre ces deux films si ce n’est qu’ils s’inscrivent tous deux dans une économie fragile. En particulier, ils n’ont reçu le soutien d’aucune chaîne de télévision, alors qu’il y a fort à parier que chacun, dans son style, aurait pu séduire il y a quelques années, Canal+, Arte ou France 2.
« Avec un personnage aussi populaire que Besancenot, je pensais que j’allais tourner ça comme sur des roulettes. Mais toutes les chaînes que j’ai contactées m’ont répondu qu’un sujet sur la vie politique n’intéresse pas les gens, note Denis Freyd, directeur d’Archipel 33. Je n’ai jamais cessé de travailler au financement de C’est parti pendant toute la durée du tournage », résume le producteur de Jean-Pierre et Luc Dardenne (Le Fils, sorti en 2002, L’Enfant, palme d’or à Cannes en 2005).
Mises bout à bout, une aide de la région Centre, de TV Tours, l’avance sur recettes « après réalisation » du Centre national du cinéma (CNC), le soutien du distributeur CineClassics, etc., ont permis de boucler le budget, à l’arraché. Personne ne se plaint. « On aurait eu plus d’argent, le film n’aurait pas été meilleur », assure Camille de Casabianca.
La fille d’Alain Cavalier a travaillé en équipe réduite, et même seule avec sa caméra numérique pour se fondre au milieu des militants. « Pourquoi avons-nous refusé C’est parti ? Il est certes intéressant de suivre un personnage clé de l’extrême gauche, mais Besancenot ne dit rien à notre public allemand, suisse ou belge, explique Pierrette Ominetti, directrice de l’unité Documentaires à Arte France. Ce n’est pas que l’espace s’est réduit, mais notre angle a changé. Arte France construit désormais son image de marque sur des documentaires historiques, et moins sur des œuvres qui reposent sur le regard d’un auteur. » S’engager sur un documentaire à l’état de projet n’est pas toujours simple, explique de son côté le directeur du cinéma de Canal+, Manuel Alduy : « Quand il s’agit d’un film, on dispose d’un scénario. Pour un documentaire, on n’a qu’une intention, c’est quitte ou double. Quant au film de Dominique Marchais, il y avait deux écueils. On s’était déjà engagé sur Profils paysans de Raymond Depardon, et le propos du Temps des grâces nous semblait un peu universitaire. » Il n’est pas rare qu’une chaîne attende la sortie d’un film en salles pour se décider.
Frileux, le petit écran ? « Il y a une frilosité pour les œuvres singulières, mais la filière cinéma n’est pas non plus la panacée. Il est très difficile d’obtenir une exposition durable pour les films et des engagements fermes de la part des salles », nuance Thierry Lounas, producteur et distributeur du Temps des grâces (Capricci Films).
Pour la sortie du film, Capricci a embauché une personne pour sillonner le pays à la rencontre des lycées agricoles et autres publics cibles. « Il y a deux types de distributeurs : ceux que les salles appellent et ceux qui les appellent », grince Thierry Lounas. Il appartient à cette deuxième catégorie et plaide pour « une révolution copernicienne » dans la diffusion. « On aurait besoin d’une agence publique qui épaulerait les distributeurs dans l’accompagnement des œuvres », précise-t-il.
Dans ce contexte, la sortie en salles n’est plus qu’un point d’étape. « Les festivals sont devenus des lieux de diffusion à part entière. Certains films font plus d’entrées dans les festivals qu’en salles. Quant au cinéma, il vaut mieux privilégier des séances-rencontres avec intervenant. Je préfère avoir une seule séance avec deux cents personnes que multiplier les séances à dix. La salle doit se comporter aujourd’hui comme un festival de cinéma permanent », ajoute le directeur de Capricci Films.
La même logique vaut pour C’est parti. Alain Krivine, l’ex-patron de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) devait se rendre à l’Utopia de Bordeaux, lundi 8 février, pour une avant-première. Le producteur, lui, mise sur les copies numériques « qui vont permettre une meilleure circulation du film, jusqu’à Plestin-les-Grèves, en Bretagne ». En revanche, la perspective des élections régionales, les 14 et 21 mars, n’est pas forcément un atout pour la programmation. Certaines mairies qui subventionnent des salles de cinéma municipales ne souhaitent pas donner une tribune au NPA. C’est parti attendra le mois d’avril. Si, en plus, la politique s’en mêle...
Clarisse Fabre
* Article paru dans le Monde, édition du 10.02.10. LE MONDE | 09.02.10 | 16h42 • Mis à jour le 10.02.10 | 09h52.