FUKUSHIMA (suite 43) Cinq radios des poumons par jour
Mardi 23 août. Qui va revenir habiter près de Fukushima ? Où exactement ? Et qui ne le pourra jamais ? Les « normes habituelles » tolérées vont-elles être respectées ? Ou les niveaux vont-ils être « revus » / « interprétés » de façon à éviter d’autres évacuations, et minimiser le désarroi dans la population, qui se compte en millions d’habitants. [1]
La bataille des chiffres de la radioactivité du sol, de l’air, de l’eau etc. due aux rejets de la centrale ne fait que commencer. Ils demandent aujourd’hui d’être regardés à la loupe. Ce que chacun d’entre nous, armé d’un peu de patience – et même s’il ne comprend pas très bien l’anglais ! (a fortiori le japonais) - peut faire grâce à Internet : on peut essayer par exemple de regarder la carte et les tableaux de ce 23 août [2]. On aura compris que, contrairement à une vision « simple » qui a conduit les autorités japonaises à ordonner une évacuation autour de la centrale au-delà d’un certain rayon (d’abord 3 km, puis 10 km, puis 20 km avec demande de confinement entre 20 et 30 km), la radioactivité n’est PAS répartie uniformément et de façon décroissante plus on s’éloigne de la centrale (rappelons cependant que dès le début de la catastrophe, Américains et Français avaient prôné une évacuation à des distances bien plus grandes 60 km, voire 80 km). Comme le simple bon sens nous le rappelle, les gaz et poussières radioactives ont suivi le sens du vent et, pour ces dernières, se sont déposées de façon désordonnée, parfois rabattues par la pluie. Le résultat est si divers et inhomogène que l’on a adopté le terme de « peau de léopard » pour décrire la carte qui représenterait les niveaux de raioactivité. En clair, une tache très radioactive peut côtoyer un endroit presque épargné etc. Rappelons qu’en raison de la météo des tous premiers jours de la catastrophe – où le relâchement de radioactivité dans l’air a été maximal suite notamment aux explosions hydrogène dans les réacteurs), s’est formée une sorte de « plume » radioactive dans la direction nord- nord-ouest. C’est elle dont on retrouve la trace au sol désormais. Et dont on peut se demander comment elle va être éliminée ? (décapage systématique des sols ? puis enfouissage de ces sols ? où ? pour quel cubage ?).
Nous allons prendre un seul exemple, et pas des plus extrêmes, pour faire comprendre la situation. A l’ouest-nord-ouest de Fukushima, dans le comté de Futaba, au-delà de la zone des 20 km, à 24 km dans la ville de Namie (le lieu exact de mesure est baptisé Akougi Kunugidarai), a été enregistré le 22 août un débit de dose de 35 microsieverts par heure. Ce qui signifie, en termes règlementaires comparables aux unités officielles : 306 millisieverts en un an. Un chiffre à prendre, bien sûr, avec quelque intelligence. On peut estimer que les habitants du lieu ne sont pas exposés toute la journée à ce débit de dose, soit parce qu’à l’abri chez eux pendant la nuit, soit parce qu’ils bougent ici et là pendant la journée. Divisons donc ce chiffre par deux, ou même trois : 150 ou 100 millisieverts par an. On peut alors le comparer aux normes françaises : la dose de radioactivité artificielle tolérée (qui vient se rajouter à la radioactivité naturelle) en provenance des activités nucléaires et surtout des examens médicaux, est de 1 millisievert par an [3]. En clair, à Akougi Kunugidarai, les habitants devront encaisser 150 ou 100 fois cette dose.
Est-ce que cela sera considéré comme admissible ? Ou faudra-t-il clairement revoir la carte des évacuations ? Rappelons que l’annonce selon laquelle le niveau de 20 millisieverts (par an) était admissible pour les enfants a entraîné il y a quatre mois la colère et le désespoir de certains spécialistes. En particulier ceux du professeur Toshiso Kosako, de la prestigieuse université de Tokyo qui, en larmes lors d’une conférence de presse, a présenté sa démission du poste de conseiller du premier ministre fin avril, jugeant la décision insupportable - ce que nous avions rapporté dans ce blog début mai [4].
Tous ces chiffres, direz-vous, demeurent malheureusement bien abstraits. Pour que ce soit plus parlant, voici une comparaison : lors d’une radio aux rayons X des poumons, indique le MEXT japonais, on reçoit une dose d’environ 50 microsieverts [5]. En prenant l’hypothèse « raisonnable » évoquée plus haut, la dose reçue par chaque habitant proche d’Akougi Kunugidarai équivaudrait peu ou prou à ce qu’il recevrait s’il se faisait faire cinq radios des poumons par jour (en toute rigueur, la dose affecte, dans un cas, une partie du corps, dans l’autre tout le corps. Mais il ne s’agit ici que d’ordres de grandeur).
On comprend pourquoi certains parents s’inquiètent de savoir quel est le débit de dose exact près de chez eux, même s’il continue de leur être affirmé qu’en-dessous de 100 millisieverts (en un an), il n’y a pas de problème. Et pourquoi de nouvelles enquêtes épidémiologiques sérieuses sont toujours aussi nécessaires [6], pour de faibles doses affectant un très grand nombre d’individus.
Pendant ce temps, que se passe-t-il à la centrale ? Combien de travailleurs oeuvrent-ils sur place ? Le chiffre de 3000 personnes en permanence est avancé, sans qu’il nous soit possible de le vérifier. D’autant que les rares photos montrent des espaces presque toujours quasi-vides d’humains, à moins qu’un ou deux ne soient montrés en train de s’affairer à une tâche précise. Peut-être 9000 travailleurs s’y seraient-ils déjà succédé depuis les débuts de la catastrophe, le 11 mars. Car il faut continuer à refroidir le corium (mélange de combustible fondu et de débris métalliques divers) dans chaque réacteur, installer des étais pour éviter que tel mur déstabilisé d’une piscine (bâtiment 4 en particulier) ne s’effondre, décontaminer l’eau, effectuer en permanence des mesures de radioactivité etc. A noter, en ce moment, se poursuit l’une des tâches importantes, qui ne pouvait pas être menée jusqu’à présent (pour cause de radioactivité bien trop dangereuse alentour, cf. 10 sieverts/h mesurés cet été près d’une canalisation – dans laquelle, peut-on imaginer, s’est coincé un bout de corium). Une vaste bâche de polyester a commencé d’être installée sur le bâtiment réacteur n° 1, a annoncé l’opérateur TEPCO le 12 août, Elle est destinée à confiner – autant que faire se peut – les poussières et autres émanations radioactives.
L’entreprise n’est pas mince et si ce n’était dans ces circonstances dramatiques, cela ferait penser à une performance de l’artiste Christo, qui a emballé de Bundestag à Berlin, comme le Pont Neuf à Paris : la bâche, de 54 mètres de hauteur et 47 mètres de long (pas de précision sur la profondeur ?) doit finalement cacher cette installation détruite qu’on ne saurait plus voir.
Dominique Leglu, 23.08.2011