Il va de soit que l’on ne peut réduire l’œuvre de Kafka à une doctrine politique, quelle qu’elle soit. Kafka ne produit pas des discours, mais crée des individus et des situations, et exprime dans son œuvre des sentiments, des attitudes, une Stimmung. Le monde symbolique de la littérature est irréductible au monde discursif des idéologies : l’œuvre littéraire n’est pas un système conceptuel abstrait, à l’instar des doctrines philosophiques ou politiques, mais création d’un univers imaginaire concret de personnages et de choses. [1]
Cependant, cela n’interdit pas d’exploiter les passages, les passerelles, les liens souterrains entre son esprit anti-autoritaire, sa sensibilité libertaire, ses sympathies pour l’anarchisme d’une part, et ses principaux écrits de l’autre. Ces passages nous ouvrent un accès privilégié à ce qu’on pourrait appeler le paysage interne de l’œuvre de Kafka.
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Les inclinaisons socialistes de Kafka se sont manifestées très tôt : selon son ami de jeunesse et camarade de lycée Hugo Bergmann, leur amitié s’était quelque peu refroidie pendant la dernière année scolaire (1900-1901), parce que « son socialisme et mon sionisme étaient trop forts » [2]. De quel socialisme s’agit-il ?
Trois témoignages de contemporains tchèques documentent la sympathie que l’écrivains pragois portait aux socialistes libertaires tchèques et sa participation à certaines de leurs activités. Au début des années 30, lors de ses recherches en vue de la rédaction du roman Stefan Rott (1931), Max Brod recueillit des renseignements d’un des fondateurs du mouvement anarchiste tchèque, Michal Kacha. Ils concernent la présence de Kafka aux réunions du Klub Mladych (Club des Jeunes), organisation libertaire, anti-militariste et anti-cléricale, fréquentée par plusieurs écrivains tchèques (S. Neumann, Mares, Hasek) . Intégrant ces informations - qui lui furent « confirmées d’autre part »- Brod note dans son roman que Kafka « assistait souvent, dans le silence, aux séances du cercle. Kacha le trouvait sympathique et l’appelait ’Klidas’, ce qu’on pourrait traduire par ’le taciturne’ ou plus exactement suivant l’argot tchèque par ’colosse de silence’ ». Max Brod n’a jamais mis en question la véracité de ce témoignage, qu’il citera à nouveau dans sa biographie de Kafka. [3]
Le deuxième témoignage est celui de l’écrivain anarchiste Michal Mares, qui avait fait la connaissance de Kafka dans la rue (ils étaient voisins). Selon Mares - dont le document fut publié par Klaus Wagenbach en 1958 - Kafka était venu, suivant son invitation, à une manifestation contre l’exécution de Francisco Ferrer, l’éducateur libertaire espagnol, en octobre 1909. Au cours des années 1910-12 il aurait assisté à des conférences anarchistes sur l’amour libre, sur la Commune de Paris, sur la paix, contre l’exécution du militant parisien Liabeuf, organisées par le « Club des Jeunes », l’association « Vilem Körber » (anti-cléricale et anti-militariste), et par le Mouvement anarchiste tchèque. Il aurait même, à quelques réprises, payé cinq couronnes de caution pour faire libérer son ami de la prison. Mares insiste, de façon analogue à Kacha, sur le silence de Kafka : « A ma connaissance, Kafka n’appartenait à aucune de ces organisations anarchistes, mais il avait pour elles les fortes sympathies d’un homme sensible et ouvert aux problèmes sociaux. Cependant, malgré l’intérêt qu’il portait à ces réunions (vu son assiduité), il n’intervenait jamais dans les discussions ». Cet intérêt se manifesterait aussi dans ses lectures - les Discours d’un rebelle de Kropotkine (cadeau de Mares lui-même), ainsi que des écrits des frères Reclus, de Bakounine et de Jean Grave - et dans ses sympathies : « le destin de l’anarchiste français Ravachol ou la tragédie d’Emma Goldmann qui édita Mother Earth, le touchaient tout particulièrement... ». [4]
Ce témoignage était apparu en 1946, dans une revue tchèque, sous une version quelque peu différente, sans attirer l’attention [5]. Mais c’est après sa publication en annexe du remarquable livre de Klaus Wagenbach sur la jeunesse de Kafka (1958) - le première œuvre à mettre en lumière les liens de l’écrivain avec les milieux libertaires pragois - qu’il va provoquer une série de polémiques, visant à mettre en question sa crédibilité. Nous y reviendrons.
Le troisième document sont les Conversations avec Kafka de Gustav Janouch, parues, dans une première édition en 1951 et dans une deuxième, considérablement élargie, en 1968. Ce témoignage, qui se réfère à des échanges avec l’écrivain pragois au cours des dernières années de sa vie (à partir de 1920), suggère que Kafka gardait sa sympathie pour les libertaires. Non seulement il qualifie les anarchistes tchèques d’hommes « très gentils et très gais », « si gentils et si amicaux qu’on se voit obligé de croire en chacune de leurs paroles », mais les idées politiques et sociales qu’il exprime au cours de ces conversations restent fortement marquées par le courant libertaire.
Par exemple, sa définition du capitalisme comme « un système de rapports de dépendance » où « tout est hiérarchisé, tout est dans les fers » est typiquement anarchiste, par son insistance sur le caractère autoritaire de ce système - et non sur l’exploitation économique comme le marxisme. Même son attitude sceptique envers le mouvement ouvrier organisé semble inspirée par la méfiance libertaire envers les partis et institutions politiques : derrière les ouvriers qui défilent « s’avancent déjà les secrétaires, les bureaucrates, les politiciens professionnels, tous les sultans modernes dont ils préparent l’accès au pouvoir...La révolution s’évapore, seule reste alors la vase d’une nouvelle bureaucratie. Les chaînes de l’humanité torturée sont en papiers de ministères ». [6]
Dans sa deuxième édition (1968), censée reproduire la version complète de ses notes, perdue dans l’après-guerre et rétrouvée bien plus tard, Janouch registre l’échange suivant avec Kafka :
« - Vous avez étudié la vie de Ravachol ?
- Oui ! Et pas seulement celle de Ravachol, mais aussi la vie de divers autres anarchistes. Je me suis plongé dans les biographies et les idées de Godwin, de Proudhon, de Stirner, de Bakounine, de Kropotkine, de Tucker et de Tolstoï ; j’ai fréquenté différents groupes, assisté à des réunions, bref j’ai investi dans cette affaire beaucoup de temps et d’argent. J’ai pris part en 1910 aux séances que tenaient les anarchistes tchèques dans une taverne de Karolinental appelée »Zum Kanonenkreuz« , ou se réunissait le club anarchiste dit »Club des Jeunes« ...Max Brod m’acompagne plusieurs fois à ces réunions, qui au fond ne lui plaisaient guère. (...) Pour mois, il s’agissait d’une affaire très sérieuse. J’étais sur les traces de Ravachol. Elles me conduisirent ensuite à Erich Mühsam, à Arthur Holitscher et à l’anarchiste viennois Rudolf Grossmann...Ils cherchaient tous à realiser le bonheur des hommes sans la Grâce. Je les comprenais. Cependant (...) je ne pouvais continuer longtemps à marcher au coude à coude avec eux ». [7]
De l’avis général des commentateurs, cette deuxième version est moins crédible que la première, notamment par son origine mystérieuse (des notes perdues et retrouvées). Il faut ajouter, dans le cas précis qui nous intéresse, une erreur manifeste : Max Brod, de son propre aveu, non seulement n’a jamais accompagné son ami aux réunions du club anarchiste, mais ignorait tout de sa participation aux activités des libertaires pragois.
L’hypothèse suggérée par ces documents - l’intérêt de Kafka pour les idées libertaires - est confirmée par certaines références dans ses écrits intimes. Par exemple, dans son journal on trouve cet impératif catégorique : « Ne pas oublier Kropotkine ! » ; et dans une lettre à Max Brod de novembre 1917, il manifeste son enthousiasme pour un projet de revue (Feuilles de combat contre la volonté de puissance) proposé par l’anarchiste freudien Otto Gross. [8] Sans oublier l’esprit libertaire qui semble inspirer certaines de ses déclarations ; par exemple, la petite remarque caustique qu’il fit un jour à Max Brod, en se référant à son lieu de travail, le Bureau des Assurances Sociales (où des ouvriers victimes d’accidents vénaient plaider leurs droits) : « Comme ces hommes-là sont humbles ...Ils viennent nous solliciter. Au lieu de prendre la maison d’assaut et de toute mettre à sac, ils viennent nous soliciter ». [9]
Il est bien probable que ces divers témoignages - surtout les deux derniers - contiennent des inexactitudes et des exagérations. Klaus Wagenbach lui-même reconnait (à propos de Mares) , que « certains détails sont peut-être faux » ou du moins « exagérés ». De même, selon Max Brod, Mares, comme beaucoup d’autres témoins qui ont connu Kafka, « tend à exagerer », notamment en ce qui concerne l’extension des liens amicaux avec l’écrivain. [10] Quant à Janouch, si la première version de ses souvenirs donne une impression « d’authenticité et crédibilité », parce qu’ils « portent les signes distinctifs du style avec lequel Kafka parlait », la deuxième lui semble beaucoup moins digne de confiance.
Mais c’est une chose de constater les contradictions ou les exagérations de ces documents, et c’est une toute autre chose que de les rejeter en bloc, qualifiant de « pure légende » les informations sur les liens entre Kafka et les anarchistes tchèques. C’est l’attitude de certains spécialistes, parmi lesquels Eduard Goldstücker, Hartmut Binder, Ritchie Robertson et Ernst Pawel - le premier un critique littéraire communiste tchèque et les trois autres auteurs de biographies de Kafka dont on ne peut pas nier la valeur. Leur tentative d’évincer l’épisode anarchiste dans la vie de Kafka mérite d’être discutée en détail, dans la mesure où elle a des implications politiques évidentes.
Selon E.Goldstücker - bien connu pour ses efforts visant à « réhabiliter » Kafka en Tchécoslovaquie au cours des années 60 - les souvenirs de Mares réédités par Wagenbach « appartiennent au royaume de la fiction ». Son argument central c’est qu’il n’est pas concevable que des révolutionnaires, des anarcho-communistes, aient accepté dans leurs réunions « un homme qu’ils ne connaissaient pas » et qui par dessus le marché restait toujours silencieux (selon Kacha et Mares). Or, ce que Goldstücker semble curieusement oublier, c’est que Kafka n’était pas « un inconnu » mais, bien au contraire, personnellement connu de deux des principaux organisateurs de ces réunions : Michal Kacha et Michal Mares (ainsi que d’autres participants comme Rudolf Illowy, son ancien collègue d’études au lycée). Toutefois - de façon quelque peu contradictoire avec ce qui précède - Goldstücker finit par admettre la participation de Kafka à des activités anarchistes, soutenant simplement que cette participation n’aurait pas durée plusieurs années comme l’affirme Mares mais aurait été limité à sa présence dans « quelques réunions ». Or, comme Mares lui-même ne mentionne concrètement que cinq réunions, on ne voit pas très bien pour quelle raison Goldstücker rejette aussi catégoriquement son témoignage...
Hartmut Binder, auteur d’une biographie détaillée et très érudite de Kafka, est celui qui dévéloppe de la façon la plus énérgique la thèse selon laquelle les liens entre Kafka et les milieux anarchistes pragois sont une « légende » qui appartient « au royaume de l’imagination ». Klaus Wagenbach est accusé d’avoir utilisé des sources « qui étaient agréables à son idéologie » (Kacha, Mares et Janouch), mais qui « manquent de crédibilité ou sont même des falsifications délibérées ».
Le premier problème avec ce type de raisonnement est le suivant : pourquoi les trois témoignages considérés « peu fiables » coïncident dans l’affirmation des liens entre Kafka et les libertaires ? Pourquoi ne trouve-t-on pas des témoignages « fictifs » sur la participation répétée de Kafka à des réunions sionistes, communistes ou sociaux-démocrates ? Il est difficile de comprendre - sauf à imaginer une conspiration anarchiste - pourquoi il y aurait uniquement des « falsifications » dans cette direction précise. Mais examinons de plus près les arguments de Binder - dont le combat contre Wagenbach n’est pas dépourvu de motivations « idéologiques ».
A son avis, « le simple fait, que Brod n’a appris ces prétendues activités que plusieurs années après la mort de Kafka, de la part de Michal Kacha, un ancien membre de ce mouvement anarchiste...témoigne contre la crédibilité de cette information. Parce qu’il est presque inimaginable, que Brod, qui à cette époque a entrepris deux voyages de vacances avec Kafka et qui le rencontrait quotidiennement...ait pu ignorer l’intérêt de son meilleur ami pour le mouvement anarchiste... ». Or, si cela est vraiment « presque inimaginable » (constatons tout de même que le « presque » laisse une marge au doute...), comment se fait-il que le principal intéressé, c’est-à-dire Max Brod lui-même, considérait cette information comme parfaitement fiable, puisqu’il l’a utilisée aussi bien dans son roman Stefan Rott que dans sa biographie de son ami ? Le même vaut pour un autre argument de Binder : « Ecouter, dans une brasserie enfumée, des discussions politiques d’un groupe agissant en dehors de la légalité...c’est une situation inimaginable pour la personnalité de Kafka ». Et pourtant, cette situation n’avait rien d’étrange aux yeux de Max Brod, qui connaissait tout de même quelque chose sur la personnalité de Kafka... En fait, rien dans l’œuvre de Kafka ne laisse entendre qu’il avait un respect si superstitieux pour la légalité !
Pour tenter de se débarrasser une fois pour toutes du témoignage de Michal Mares, Binder se réfère avec insistance à une lettre de Kafka à Milena, où il est question de Mares comme une « connaissance de rue ». Il développe le raisonnement suivant : « Kafka souligne expressément que sa relation avec Mares est seulement celle d’une Gassenbekantschaft (connaissance de rue). Ceci est bien l’indice le plus net, que Kafka n’a jamais participé à une réunion anarchiste ». Le moins qu’on puisse dire c’est qu’entre la prémisse et la conclusion il y a un non-sequitur évident ! Tout ce que l’on peut déduire de la lettre de Kafka à Milena c’est que Mares a, dans son témoignage de 1946, probablement exagéré les liens d’amitié entre Kafka et lui, mais il n’y a aucune contradiction entre leurs relations épisodiques et la participation de Kafka a des réunions anarchistes où se trouvait, entre autres, le jeune Mares. Même si leur connaissance se limitait à des rencontres dans la rue (la maison de Kafka était proche du lieu de travail de Mares), cela n’empêcherait pas Mares de lui passer des tracts et des invitations pour des réunions et manifestations, de constater sa présence dans certaines de ses activités, et même de lui faire cadeau, à l’occasion, d’un exemplaire du livre de Kropotkine.
Mares possède, comme preuve matérielle de ses liens avec Kafka, une carte postale envoyée par l’écrivain, datée du 9 décembre 1910 . Il affirme - mais c’est une assertion impossible à vérifier - qu’il avait reçu plusieurs lettres de son ami qui « ont disparu dans les nombreuses perquisitions qui s’effectuaient chez moi à cette époque ». Binder prend acte de l’existence de ce document, mais partant du fait que la carte était adressée à « Josef Mares » (et non Michal) il pense détenir ici une nouvelle preuve des « fictions » du témoin : il serait tout à fait invraisemblable qu’une année après avoir fait la connaissance de Mares et participé à ses côtés à plusieures soirées du Klub Mladych, Kafka « ne connaisse même pas son prénom ». Or, cet argument ne tient pas, pour une raison très simple : selon les éditeurs allemands de la correspondance entre Kafka et Milena, le vrai prénom de Mares n’était pas Michal mais... Josef.
Quand à Janouch, si Binder rejette comme pure invention la version de 1968 de ses mémoires, la référence aux anarchistes dans celle de 1951 lui semble « pouvoir être fondée sur un vrai souvenir ». Mais il s’empresse de la réduire à peu de chose, en l’assimilant au passage mentionné de la lettre à Milena : la connaissance, « dans la rue », du poète Michal Mares. Or, dans la conversation rapportée par Janouch il est question d’« anarchistes » au pluriel, « si gentils et si aimables », ce qui suppose que Mares est loin d’être le seul militant libertaire rencontré par Kafka.
L’ensemble de la discussion de Hartmut Binder à ce sujet donne l’impression pénible d’une tentative délibérée et systématique - faisant feu de tout bois - pour débarasser l’image de Kafka de la tache noire qui serait -aux yeux d’une vision politique conservatrice - sa participation à des réunions organisées par les libertaires pragois.
Quelques années plus tard, dans sa biographie de Kafka - ouvrage par ailleurs tout à fait digne d’intérêt - Ernst Pawel defend apparemment les mêmes thèses que Binder : il s’agit d’« enterrer l’un des grands mythes » attachés à la personne de Kafka, à savoir « la légende d’un Kafka conspirateur au sein du groupe anarchiste tchèque club Mladych (club de la Jeunesse) ». Cette légende serait due « aux souvenirs fertiles de l’ex-anarchiste Michal Mares, qui, dans ses Mémoires un peu fantaisistes publiés en 1946, décrit Kafka comme un ami et un camarade qui participait à des réunions et à des manifestations anarchistes. » L’histoire de Mares « sur laquelle Gustav Janouch allait broder par la suite, se retrouve dans plusieurs biographies de Kafka, qui nous le présentent comme un jeune conspirateur et comme un compagnon de route du mouvement de libération tchèque. Ce récit est pourtant complètement démenti par tout ce qu’ l’on sait de sa vie, de ses amis et de son caractère. Déjà peu crédible en conspirateur, comment aurait-il pu et même voulu dissimuler son engagement à des amis intimes qu’il voyait tous les jours ? ».
La « légende » est d’autant plus facile à démentir qu’elle ne correspond à aucune des sources en question : ni Kacha (non mentionné par Pawel), ni Mares ou Janouch - et encore moins Wagenbach - n’ont jamais prétendu que Kafka était
un « conspirateur au sein du groupe anarchiste ». Mares insiste explicitement sur le fait que Kafka n’était membre d’aucune organisation. En outre, il ne s’agit pas de « conspiration » mais de participation à des réunions qui étaient, dans la plupart des cas, ouvertes au public. Quand à la « dissimulation à des amis intimes » - c’est à dire Max Brod - nous avons déjà montré l’inanité de cet argument.
Ernst Pawel fournit une raison supplémentaire en faveur de sa thèse : il est « inconcévable » que « quelqu’un qui avait presque un statut de fonctionnaire » ait échappé à l’attention des indicateurs de police. Or, les dossiers de la police pragoise « ne contiennent pas la moindre allusion à Kafka ». L’observation est intéressante, mais l’absence d’un nom dans les archives policières n’a jamais été en elle-même une preuve suffisante de non-participation. Par ailleurs, il est peu probable que la police disposait du nom de tous ceux qui assistaient à des réunions publiques organisées par les divers clubs libertaires : elle s’intéressait aux « meneurs », aux dirigeants de ces associations, plutôt qu’aux gens qui écoutaient en silence...
Cependant, Pawel se distingue de Binder par sa disposition à réconnaître la validité des faits suggérés par ces témoignages, dans une version plus atténuée : « La verité est plus prosaïque. Kafka connaissait effectivement Mares (...) et sans doute a-t-il pu assister à des réunions ou à des manifestations publiques, en tant qu’observateur interessé. Ses propres penchants socialistes sont attestés par Bergmann et par Brod. (...) Dans les années qui suivirent, il semble aussi avoir été intéressé par l’anarchisme philosophique et non violent de Kropotkine et d’Alexandre Herzen ». Nous ne sommes pas si loin des conclusions de Wagenbach...
Examinons maintenant le point de vue de Ritchie Robertson, auteur d’un remarquable essai sur la vie et l’œuvre de l’écrivain juif pragois. A son avis les informations fournies par Kacha et Mares doivent être « traitées avec scepticisme ». Ses principaux arguments à ce propos sont repris à Goldstücker et à Binder : comment un groupe qui se réunit secrètement accepterait-il en son sein un visiteur silencieux « lequel, pour le peux qu’ils en savaient, pouvait bien être un espion ».? Comment serait-il possible que Brod ne sache rien de la participation de son ami à ces réunions ? Quelle valeur peut-on attribuer au témoignage de Mares, considérant qu’il n’était qu’une Gassenbekanntschaft de Kafka ? Bref, « pour toutes ces raisons l’assistance de Kafka a des meetings anarchistes semble bien être une légende ». Inutile de revenir sur ces objections, dont j’ai déjà montré plus haut le peu de consistance.
Ce qui est tout à fait nouveau et intéressant dans le livre de Robertson c’est la tentative de proposer une interprétation alternative des idées politiques de Kafka, qui ne seraient, selon lui, ni socialistes ni anarchistes, mais romantiques . Ce romantisme anti-capitaliste ne serait, selon lui, ni de gauche ni de droite . Or, si l’anti-capitalisme romantique est une matrice commune à certaines formes de pensée conservatrices et révolutionnaires - et dans ce sens il dépasse effectivement la division traditionnelle entre gauche et droite - il n’en reste pas moins que les auteurs romantiques eux-mêmes se situent clairement dans un des pôles de cette vision du monde : le romantisme réactionnaire ou le romantisme révolutionnaire.
En fait, l’anarchisme, le socialisme libertaire, l’anarcho-syndicalisme sont un exemple paradigmatique d’« anti-capitalisme romantique de gauche ». Par conséquent, définir la pensée de Kafka comme romantique - ce qui me semble tout à fait pertinent - ne signifie nullement qu’elle ne soit pas « de gauche », concrètement un socialisme romantique de tendance libertaire. Comme chez tous les romantiques, sa critique de la civilisation moderne est teintée de nostalgie pour le passé - représenté à ses yeux par la culture yiddish des communautés juives de l’Europe de l’Est . Avec une intuition remarquable, André Breton écrivait : « tout en marquant la minute présente », la pensée de Kafka « tourne symboliquement à rebours avec les aiguilles de l’horloge de la synagogue » de Prague.
L’intérêt de l’épisode anarchiste dans la biographie de Kafka (1909-1912) c’est qu’il nous offre une des clés les plus éclairantes pour la lecture de l’œuvre - en particulier des écrits à partir de l’année 1912. Je dis bien une des clés, parce que le charme de cette œuvre vient aussi de son caractère éminement polysémique, irréductible à toute interprétation univoque. L’ethos libertaire s’exprime dans differentes situations qui sont au cœur de ses principaux textes littéraires, mais avant tout par la façon radicalement critique dont est représenté le visage obsédant et angoissant de la non-liberté : l’autorité. Comme l’a si bien dit André Breton, « nulle œuvre ne milite tant contre l’admission d’un principe souverain extérieur à celui qui pense ».
Un anti-autoritarisme d’inspiration libertaire traverse l’ensemble de l’œuvre romanesque de Kafka, dans un mouvement de « dé-personnalisation » et réification croissante : de l’autorité paternelle et personnelle vers l’autorité administrative et anonyme. Encore une fois, il ne s’agit pas d’une quelconque doctrine politique , mais d’un état d’esprit et d’une sensibilité critique - dont la principale arme est l’ironie, l’humour, cet humour noir qui est, selon André Breton, « une révolte supérieure de l’esprit ».
Cette attitude a des racines intimes et personnelles dans son rapport au père. L’autorité despotique du pater familias est pour l’écrivain l’archétype même de la tyrannie politique. Dans sa « Lettre au Père » (1919) Kafka se souvient : « Tu pris à mes yeux le caractère énigmatique qu’ont les tyrans dont le droit ne se fonde pas sur la réflexion, mais sur leur propre personne ». Confronté au traitement brutal, injuste et arbitraire des employés par son père, il se sent solidaire des victimes : « Cela me rendit le magasin insupportable, il me rappelait trop ma propre situation à ton égard...C’est pourquoi j’appartenais nécessairement au parti du personnel... ». [25]
Les principale caractéristiques de l’autoritarisme dans les écrits littéraires de Kafka sont : 1) l’arbitraire : les décisions sont imposées d’en haut, sans justification - morale, rationnelle, humaine - aucune, souvent en formulant des exigences démesurées et absurdes envers la victime ; 2) l’injustice : la culpabilité est considère -à tort - comme évidente, allant de soi, sans nécessité de preuve et les punitions sont totalement disproportionnées à la « faute » (inexistante ou triviale).
Dans son premier écrit majeur, Le Verdict (1912), Kafka met en scène uniquement l’autorité paternelle ; c’est aussi un des rares écrits où le héros (Georg Bendemann) semble se soumettre entièrement et sans résistence au verdict autoritaire : l’ordre intimé par le père à son fils de se jeter dans la rivière ! Comparant cette nouvelle avec Le Procès, Milan Kundera observe : « La ressemblance entre les deux accusations, culpabilisations et exécutions trahit la continuité qui lie l’intime ’totalitarisme’ familial à celui des grandes visions de Kafka ». [26] A ceci près que dans les deux grands romans (Le Procès et Le Château) il s’agit d’un pouvoir « totalitaire » parfaitement anonyme et invisible.
L’Amérique (1913-14) constitue à cet égard un ouvrage intermédiaire : les personnages autoritaires sont tantôt des figures paternelles (le père de Karl Rossmann et l’Oncle Jakob) et tantôt des hauts administrateurs de l’Hôtel (le Chef du Personnel et le Portier en Chef). Mais même ces derniers gardent un aspect de tyrannie personnelle, associant la froideur bureaucratique avec un despotisme individuel mesquin et brutal. Le symbole de cet autoritarisme punitif surgit dès la première page du livre : démystifiant la démocratie américaine, représentée par la célèbre statue de la Liberté à l’entrée du port de New York, Kafka remplace dans ses mains la torche par une épée...Dans un monde sans justice ni liberté, la force nue, le pouvoir arbitraire semblent régner sans partage. La sympathie du héros va aux victimes de cette société : par exemple, le chauffeur du premier chapitre, exemple de « la souffrance d’un pauvre homme soumis aux puissants », où la mère de Thérèse, poussée au suicide par la faim et la misère. Il trouve des amis et des alliés du côté des pauvres : Thérèse elle-même, l’étudiants, les habitants du quartier populaire qui refusent de le livrer à la police - parce que, écrit Kafka dans un commentaire révélateur, « les ouvriers ne sont pas du côté des autorités ». [27]
Du point de vue que nous intéresse ici le grand tournant dans l’œuvre de Kafka c’est la nouvelle La colonie pénitentiaire, écrite peu après L’Amérique. Il y a peu de textes dans la littérature universelle qui présentent l’autorité sous un visage aussi injuste et meurtrier. Il ne s’agit pas du pouvoir d’un individu - les Commandants (Ancien et Nouveau) ne jouent qu’un rôle secondaire dans le récit - mais de celui d’un mécanisme impersonnel.
Le cadre du récit est le colonialisme... français. Les officiers et commandants de la colonie sont français, tandis que les humbles soldats, les dockers, les victimes devant être exécutées sont des « indigènes » qui « ne comprennent pas un seul mot de français ». Un soldat « indigène » est condamné à mort par des officiers dont la doctrine juridique résume en peu de mots la quintessence de l’arbitraire : « la culpabilité ne doit jamais être mise en doute ! ». Son exécution doit être accompli par une machine à torturer qui écrit lentement sur son corps avec des aiguilles qui le transpercent : « Honore tes supérieurs ».
Le personnage central de la nouvelle n’est ni le voyageur qui observe les événements avec une muette hostilité, ni le prisonnier, qui ne réagit point, ni l’officier qui préside à l’exécution, ni le Commandant de la colonie. C’est la Machine elle même.
Tout le récit tourne autour de ce sinistre appareil (Apparat), qui semble de plus en plus, au cours de l’explication très détaillée que l’officier donne au voyageur, comme une fin en soi. L’Appareil n’est pas là pour exécuter l’homme, c’est plutôt celui-ci qui est là pour l’Appareil, pour fournir un corps sur lequel il puisse écrire son chef-d-œuvre esthétique, son inscription sanglante illustrée de « beaucoup de florilèges et embellissements ». L’officier lui-même n’est qu’un serviteur de la Machine, et finalement, se sacrifie lui-même à cet insatiable Moloch. [28]
A quelle « Machine de pouvoir » concrète, à quel « Appareil d’autorité » sacrificateur de vies humaines, pensait Kafka ? La Colonie pénitentiaire a été écrite en octobre 1914, trois mois après l’éclatement de la Grande Guerre...
Dans Le Procès et Le Château on retrouve l’autorité comme « appareil » hiérarchisé, abstrait, impersonnel : les bureaucrates, quelle que soit leur caractère brutal, mesquin ou sordide, ne sont que des rouages de ce mécanisme. Comme l’observe avec acuité Walter Benjamin, Kafka écrit du point de vue du « citoyen moderne qui se sait livré à un appareil bureaucratique impénétrable dont la fonction est contrôlée par des instances qui restent floues même à ses organes d’exécution, a fortiriori pour ceux qu’il manipule ». [29]
L’œuvre de Kafka est à la fois profondément enraciné dans son environnement pragois - comme l’observe André Breton, elle « épouse tous les charmes, tous les sortilèges » de Prague - et parfaitement universelle. [30] Contrairement à ce que l’on prétend souvent, ses deux grands romans ne sont pas une critique du vieil état impérial austro-hongrois, mais de l’appareil étatique dans ce qu’il a de plus moderne : son caractère anonyme, impersonnel, en tant que système bureaucratique aliéné, « chosifiée », autonome, transformé en but en soi.
Un passage du Château est particulièrement éclairant de ce point de vue : c’est celui - petit chef d’œuvre d’humour noir - où le maire du village décrit l’appareil officiel comme une machine autonome qui semble travailler « par elle-même » : « On dirait que l’organisme administratif ne peut plus supporter la tension, l’irritation qu’il a enduré des années par la faute de la même affaire, peut-être infime en soi d’ailleurs, et qu’il prononce de lui-même le verdict sans le secours des fonctionnaires ». [31] Cette profonde intuition du mécanisme bureaucratique comme engrenage aveugle, dans lequel les rapport entre individus deviennent une chose, un objet indépendant, c’est un des aspects les plus modernes, les plus actuels, les plus lucides de l’œuvre de Kafka.
L’inspiration libertaire est inscrite au cœur des romans de Kafka, qui nous parlent de l’Etat - que ce soit sous la forme de l’« administration » ou de la « justice » - comme d’un système de domination impersonnel qui écrase, étouffe ou tue les individus. C’est un monde angoissant, opaque, incompréhensible, où règne la non-liberté. On a souvent présenté Le Procès comme un ouvrage prophétique : l’auteur aurait prévu, avec son imagination visionnaire, la justice des Etats totalitaires, les procès nazis ou staliniens. Bertold Brecht, pourtant compagnon de route de l’URSS, observait, dans une conversation avec Walter Benjamin à propos de Kafka, en 1934 (avant même les procès de Moscoù) : « Kafka n’a qu’un seul problème, celui de l’organisation. Ce qui l’a saisi, c’est l’angoisse devant l’Etat-fourmillière, la façon dont les hommes s’aliènent eux-mêmes par les formes de leur vie commune. Et il a prévu certaines formes de cette aliénation, comme par exemple les méthodes de la GPU ». [32]
Sans mettre en doute la pertinence de cet hommage à la clairvoyance de l’écrivain pragois, il faut néanmoins rappeler que Kafka ne décrit pas dans ses romants des Etats « d’exception » : une des plus importantes idées - dont la parenté avec l’anarchisme est évidente - suggérées par son œuvre c’est la nature aliénée et oppressive de l’Etat « normal », légal et constitutionnel. Dès les premières lignes du Procès il est dit clairement : « K. vivait bien dans un Etat de droit (Rechtstaat), la paix régnait partout, toutes les lois étaient en vigueur, qui osait donc l’assaillir dans sa maison ? ». [33] Comme ses amis, les anarchistes pragois, il semble considérer toute forme d’Etat, l’Etat en tant que tel, comme une hiérarchie autoritaire et liberticide.
L’Etat et sa justice sont aussi, par leur nature intime, des systèmes mensongers. Rien n’illustre mieux cela que le dialogue, dans Le Procès, entre K. et l’abbé, au sujet de l’interprétation de la parabole sur le gardien de la loi. Pour l’abbé, « douter de la dignité du gardien, ce serait douter de la Loi » - argument classique de tous les représentants de l’ordre. K. objecte que si l’on adopte cet avis, « il faut croire tout ce que dit le gardien », ce qui lui semble impossible :
« — Non, dit l’abbé, on n’est pas obligé de croire vrai tout ce qu’il dit, il suffit qu’on le tienne pour nécessaire.
»— Triste opinion, dit K... , elle élèverait le mensonge à la hauteur d’une règle du monde". [34]
Comme l’observe très justement Hannah Arendt dans son essai sur Kafka, le discours de l’abbé révèle « la théologie secrète et la croyance intime des bureaucrates comme croyance dans la nécessité pour soi, les bureaucrates étant en dernière analyse des fonctionnaires de la nécessité ». [35]
Enfin, l’Etat et les Juges administrent moins la gestion de la justice que la chasse aux victimes. Dans un image qui est comparable à celle de la substitution de la torche de la liberté par une épée dans L’Amérique, on voit dans Le Procès un tableau du peintre Titorelli censé représenter la déesse de la Justice se transformer, lorsque l’œuvre est bien éclairée, en célébration de la déesse de la Chasse. La hiérarchie bureaucratique et juridique constitue une immense organisation qui selon Joseph K, la victime du Procès, « non seulement utilise des gardiens vénaux, des inspecteurs et des juges d’instructions stupides... mais qui entretient encore toute une magistrature de haut rang avec son indispensable cortège de valets, de scribes, de gendarmes et autres auxiliaires, peut-être même de bourreaux, je ne recule pas devant le mot ». [36] En d’autres mots : l’autorité d’Etat tue. Joseph K. fera la rencontre des bourreaux dans le dernier chapitre du livre, lorsque deux fonctionnaires le mettent à mort, « comme un chien » .
Le « chien » constitue chez Kafka une catégorie éthique - sinon métaphysique : est décrit ainsi celui qui se soumet servilement aux autorités, quelles qu’elles soient. Le commerçant Block agenouillé aux pieds de l’avocat est un exemple typique : « Ce n’était plus là un client, c’était le chien de l’avocat. Si celui-ci lui avait commandé d’entrer sous le lit en rampant et d’y aboyer comme du fond d’une niche, il l’aurait fait avec plaisir ». La honte qui doit survivre à Joseph K. (dernier mot du Procès), est celle d’être mort « comme un chien », en se soumettant sans résistance à ses bourreaux. C’est le cas aussi du prisonnier de La colonie pénale, qui n’essaye même pas de s’échapper et se comporte avec une soumission « canine » (hündisch). [37]
Le jeune Karl Rossmann, dans L’Amérique, est l’exemple de quelqu’un qui essaye - sans toujours réussir - de résister aux « autorités ». A ses yeux ne deviennent des chiens que « ceux qui veulent bien se laisser faire ». Le refus de se soumettre et de ramper comme un chien apparaît ainsi comme le premier pas vers la marche debout, vers la liberté. Mais les romans de Kafka n’ont pas de « héros positifs », ni d’utopies d’avenir : ce dont il s’agit c’est de montrer, avec ironie et lucidité, la facies hippocratica de notre époque.
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Ce n’est pas un hasard si le mot « kafkaïen » est entré dans le langage courant : il désigne un aspect de la réalité sociale que la sociologie ou la science politique tendent à ignorer, mais que la sensibilité libertaire de Kafka avait merveilleusement réussi à capter : la nature oppressive et absurde du cauchemmard bureaucratique, l’opacité, le caractère impénétrable et incompréhensible des règles de l’hiérarchie étatique, tels qu’ils sont vécus par en bas et de l’extérieur - contrairement à la science sociale qui s’est limité généralement à examiner la machine bureaucratique de « l’intérieur » ou par rapport à ceux « d’en haut » (l’Etat, les autorités, les institutions) : son caractère « fonctionnel » ou « disfonctionnel », « rationnel » ou « pré-rationnel ». [38]
La science sociale n’a pas encore élaboré un concept pour cet « effet d’oppression » du système bureaucratique réifié , qui constitue sans doute un des phénomènes les plus caractéristiques des sociétés modernes, quotidiennement vécu par des millions d’hommes et de femmes. En attendant, cette dimension essentielle de la réalité sociale continuera d’être désignée par référence à l’œuvre de Kafka...
Notes
1. Cf. Lucien Goldmann, « Materialisme dialectique et histoire de la littérature, » Recherches Dialectiques, Paris : Gallimard, 1959. pp. 45-64.
2. Hugo Bergmann, Memories of Franz Kafka in Franz Kafka Exhibition (Catalogue). The Jewish National and University Library, Jerusalem. 1969. p. 8.
3. Max Brod, Franz Kafka, pp. 135-136.
4. Michal Mares, « Comment j’ai connue Franz Kafka, » published as an appendix to Klaus Wagenbach. Franz Kafka : Années de jeunesse (1883-1912), Paris : Mercury of France, 1967). pp. 253.
5. Michal Mares, « Meetings with Franz Kafka, » Literarni Noviny no. 15 (1946). p. 85 and after. This version is cited in the Klaus Wagenbach’s other book, Franz Kafka ins Selbstzeugnissen und Bilddokumenten, Hamburg : Rowohlt, 1964. p. 70.
6. G. Janouch. Kafka M’a dit, Paris : Calmann-Levy, 1952. pp. 70, 71, 135, 107, 108, 141.
7. G. Janouch, Conversations avec Kafka, Paris : Maurice Nadeau, 1978. pp. 118-119.
8. F. Kafka. Diaries und Briefe, Frankfurt : Fischer Publishing House, 1975. p. 196. See on Kafka and Otto Gross, G. Baioni, Kafka : Letteratura ed Ebraiasmo Turin : Einaudi, 1979. pp. 203-205.
9. M. Brod, Franz Kafka, Paris : Gallimard, 1945. pp. 132-133.
10. See K. Wagenbach, Franz Kafka : Années de jeunesse . . . (1958) p. 213 and Franz Kafka in Selbstzeugnissen, (1964) p. 70. and Max Brod, Streitsbares Leben 1884-1968, Munich-Berlin-Vienna : F.A. Herbig. 1969. p. 170. and Ueber Franz Kafka, Frankfurt : Fischer Library. p. 190.
11. E. Goldstücker. « Uber Franz Kafka aus der Prager Perspektive » 1963 in Goldstücker, Kautman, Reimann (ed.) Franz Kafka aus Prager Sicht, Prague, 1965. pp. 40-45.
12. H. Binder. Kafka-Handbuch, volume 1. Der Mensch und seine Zeit, Stuttgart : Alfred Kroener. 1979. pp. 361-362.
13. Ibid. pp. 362-363. The notion that Kafka could have concealed some information would not have been surprising to Brod who emphasized in his biography :
Unlike myself, Kafka had a closed nature and did not open up his soul to anyone, not even to me. I knew very well that he sometimes kept important things to himself.
Nax Brod. Streitbares Leben, pp. 46-47.
14. Binder, Kafka-Handbuch, 1. p. 364. Cf. Kafka. Lettres á Milena, Paris : Gallimard, 1988. p. 270.
15. M. Mares in Wagenbach, Franz Kafka : Années de jeunesse, p. 254. H. Binder, Kafka-Handbuch, 1, pp. 363-364. F. Kafka, Briefe an Milena, Frankfurt : S, Fischer, 1983. p. 336 (editors’ note).
16. Binder, op cit. p. 365.
17. E. Pawel, ibid. p. 162.
18. Ibid. pp. 162-163. In another chapter of the book, Pawel refers to Kafka as a « metaphysical anarchist not much given to party politics » — a definition which seems to me very much on the mark. As for Janouch’s memoirs, Pawel considers them as « plausible » but « subject to caution. » (p. 80).
19. R. Robertson, Kafka, Judaism, Politics, and Literature, Oxford : Clarendon Press, 1985. pp. 140-141 : If one is inquiring into Kafka’s political leanings, it is, in fact, misleading to think in terms of the usual antithesis between left and right. The appropriate context would be the ideology which Michael Löwy has labelled « romantic anti-capitalism. » ... Romantic anti-capitalism (to use Löwy’s term, though « anti-industrialism » might be more accurate had many different versions. . . but as a general ideology, it transcended the opposition of left and right.
20. I attempted to analyze romanticism in my book Pour une sociologie des intellectuels revolutionnaires. L’evolution politique de Lukacs 1909-1929, Paris : PUF, 1976 (cited by R. Robertson in the English translation published in London in 1979) and more recently with my friend Robert Sayre in Revolte et melancholie. Le romanticisme á contre-courant de la modernité, Paris Payot, 1992.
21. A. Breton, Presentation of Kafka in his Anthologie de l’humour noir, Paris : Sagittarius : 1950. p. 263.
22. A. Breton, Anthology de l’humour noir, p. 264.
23. For a more detailed analysis of anarchism and romanticism, I refer you to my book Redemption et Utopie : Le Judaisme libertaire en Europe central, Paris : PUF, 1988. chapter 5.
24. Breton. « Lightning Rod, » Introduction to Anthologie de l’humour noir. p. 11.
25. Kafka, Letter to the Father, 1919, in Préparatifs de noce a la campagne, Paris : Gallimard, 1957. pp. 165, 179.
26. M. Kundera, « Something left Behind, » Le Debat no. 6. June 1981. p. 58.
27. F. Kafka, Amerika. Frankfurt : Fischer Publishing House 1956. pp. 15, 161.
28. F. Kafka, « In the Penal Colony, » Erzaehlung und kleine Prosa. New York : Schocken Books, 1946. pp. 181.
29. W. Benjamin, Letter to G. Scholem, 1938. Correspondance, Paris : Aubier. 1980. II. p. 248.
30. A. Breton. Anthologie de l’humour noir Paris : Sagittaire, 1950. p. 263.
31. F. Kafka, Le Chateau, Paris : Gallimard. 1972. p. 562.
32. Cf. Walter Benjamin, Essais sur Brecht, Paris : Maspero, 1969. p. 132.
33. F. Kafka, The Trial, New York : Schoken, 1970. p. 4 ; Der Prozess, Frankfurt : Fischer, 1979, p. 9].
34. F. Kafka. The Trial, p. 220.
35. H. Arendt. Sechs Essays. Heidelberg : Lambert-Schneider, 1948. p. 133.
36. The Trial, pp. 45-46. My emphasis ML.
37. F. Kafka. The Trial, p. pp. 193-194, 227. Le Procès, Paris : Gallimard, 1985. pp. 283, 309, 325, and « In der Strafkolonie, » p. 181.
38. As Miche Carrouges has perceptively emphasized :
Kafka renounces the corporate perspective of the men of law, those educated and very eminent people who believe they understand the whys and wherefores of the law. He considers them and the law from the viewpoint of the masses of poor subjects who submit without understanding.
But since he is Kafka, he raises this ordinary naive ignorance to the stature of supreme irony overflowing with suffering and humor, mystery and clarity. He unmasks all that there is of human ignorance in judicial knowledge and of human knowledge in the ignorance of the downtrodden.
M. Carrouges. In the Laughter and the Tears of Life. Cahiers de la Compagnie M. Renaud, J.L. Barrault, Paris, Julliard, October 1957, p. 19.