Vos boîtes électroniques ont-elles été comme la mienne choisies pour des messages quotidiens de dénonciation de l’ingérence étrangère en Syrie ?
D’après ces courriels, c’est, d’abord, une générique « violence » qu’il faut condamner. Louable intention, peut-être, sauf que vient ensuite le message définitif : « manipulés » les manifestant.e.s ne feraient en dernier recours que le jeu d’une conspiration sioniste, impérialiste et … intégriste. Et nous avec, par la grâce des médias.
Sauf que, à force de trop croire à la conspiration, on finit par oublier une révolution en cours et apporter le soutien à son bourreau…
Depuis onze mois, c’est une véritable insurrection qui est en cours en Syrie contre un régime héréditaire qui, depuis quarante ans, impose une dictature implacable coupable notamment des massacres de 1982. C’est quotidiennement que des centaines, des milliers, des dizaines de milliers de jeunes, hommes et femmes, défient le régime en descendant dans la rue.
Aujourd’hui, alors que le régime est en train de bombarder Homs, le mouvement insurrectionnel a atteint les grandes villes, Alep, Damas. C’est de leurs quartiers périphériques, les plus pauvres, que les gens se lèvent pour manifester.
C’est la révolution arabe qu’on réprime
C’est avec détermination que ce mouvement déjoue les manœuvres d’un pouvoir qui s’ingénie à aiguiser les oppositions sectaires entre sunnites, alaouites et chrétiens. C’est avec une maturité certaine qu’il a en partie déjoué la tentative du régime de provoquer une réponse violente, armée, à la répression.
Celle-ci, qui aurait fait quelques 7000 morts et plus de 20’000 blessés -le conditionnel reste de rigueur, mais l’ampleur des chiffres ne change rien sur le fond-, n’a pas non plus dissuadé les gens de descendre dans la rue. C’est au risque de leur liberté, voire de leur vie, que les manifestants exigent la fin du régime.
Et même si des membres des forces de l’ordre qui ont déserté pratiquent des exactions, ce qui est non seulement possible, mais fort probable, peut-on comparer ces exactions à la violence institutionnelle exercée par un appareil d’Etat fort d’un savoir faire vieux de quarante ans ?
Y aurait il symétrie entre les brutalités commises par certains anciens militaires, formés par le régime mais passés à l’opposition, et celle organisée par des centaines de cadres supérieurs de la police secrète et des forces armées ? Peut-on prendre prétexte de telles actes pour s’abstenir, en fin de compte et avec de moins en moins de honte, de condamner le principal fauteur de violence, le régime ?
Etablir une telle symétrie revient à nier de fait que, depuis onze mois, c’est la poursuite en Syrie de la révolution arabe que le régime du rejeton d’Hafez el Assad essaie d’empêcher.
Refuser cette alternative là
Faut-il le laisser faire sous prétexte que les impérialistes préparent une ingérence dans les affaires du pays, eux qui, du gouvernement turc au Kurdistan, à celui de Nethaniaou et Ehoud Barak à Gaza ou à l’administration US à Guantanamo, n’ont pas de leçons à donner en termes de respect des droits des peuples ? Faut-il rappeler que ce sont des gouvernements comme celui de Poutine –l’homme prêt à « chasser les Tchétchènes jusque dans les chiottes »- ou celui de la Chine des libertés syndicales qui se sont opposés à la résolution de l’ONU condamnant la Syrie ?
Entre la peste et le choléra, des militants anti-impérialistes ont souvent fait leur choix : certains sont passés armes et bagages du côté des impérialistes. D’autres, plus obscurs -et pour cause- ont fini par soutenir d’immondes crapules, de Staline à Khadafi, en passant par Pol Pot, Saddam Hussein et Milosevic.
Avec l’insurrection
Pour les révolutionnaires, le choix est du côté du peuple qui se soulève. Qui exige, au sacrifice de sa vie, le départ de Bashar el Assad, la fin du régime du parti Baath. Ce n’est pas entre l’intervention impérialiste et la poursuite de la tyrannie qu’il faut choisir. Il faut les refuser toutes les deux.
Assad doit partir. Son maintien au pouvoir ne serait que synonyme de nouveaux massacres, de sang versé. Et cela ne ferait que légitimer l’intervention impérialiste, la faciliter. Une telle mainmise occidentale sur le pays renforcerait d’ailleurs les courants religieux réactionnaires, comme le montrent toutes les expériences, les récentes et les plus vieilles.
C’est par la mobilisation, par le développement des « coordinations révolutionnaires » sur le terrain que le peuple syrien prend ses destinées en main, se politise, fait l’apprentissage de la démocratie. Il doit être soutenu, il a besoin d’appuis internationaux.
Et mérite aussi le soutien et la popularisation, y compris sur le plan international, l’appel à « l’extension des mouvements de grève et d’insoumission pour paralyser ce régime sanguinaire » lancé par le « Courant de la gauche révolutionnaire », une force politique qui vient d’éditer le premier numéro de son journal, « La première ligne ».
Paolo Gilardi