En ces dernières nuits de 2012, l’année bi-mémorandaire part littéralement en fumée. La presse faisait même sa une hier vendredi (28/12) sur cette épaisse fumée qui rend l’air si irrespirable depuis un mois, on ne bascule pas impunément en effet, vers la civilisation du bois (de chauffage). Et nous regrettons souvent d’avoir ouvert si ce n’est que brièvement nos fenêtres, car la fumée s’infiltre aussitôt dans nos appartements. De ce point de vue, à Athènes comme en Thessalie par exemple, c’est du pareil au même.
Arrivé ainsi de nuit à Athènes, j’ai pu observer le smog de la capitale et surtout, le sentir. Certains voyageurs en avaient déjà fait d’ailleurs un grand sujet de conversation : « Avez-vous vu ce nuage, c’est le retour au temps de nos grands parents… ». « Ah…. Non, vous ne pouvez pas dire que c’est la faute à Samaras, ensuite, Tsipras ne résoudra pas la situation par une sorte de miracle ». Mais c’était pratiquement la seule discussion entre voyageurs, par fatigue peut-être ou à cause des fêtes. Seulement voilà, un homme accroché à son téléphone mobile entre Thèbes et Athènes, haussa durant un instant le ton de sa voix : « Tous les économistes le disent, la belle époque c’était entre 1952 et 1972, depuis c’était la préparation de la fin et en ce moment le début de la fin ».
Dans les montagnes entre la Thessalie et l’Epire il y avait ces derniers jours un semblant de monde qui visite encore les lieux. Parmi eux, on distingue d’abord les visiteurs locaux qui depuis les villes proches de Karditsa ou de Trikala ont emprunté les routes de montagne, maintenant que le temps est redevenu clément, c’est-à-dire ensoleillé et surtout sans nouvelle neige. Viennent ensuite les vacanciers athéniens ou autres, venus comme de l’ancien temps en escapade hivernale. Il s’agit de ces sujets de la Baronnie encore économiquement vivants et fiers de l’être. Ils occupent entre la moitié et les deux tiers des tables dans les cafés et bien davantage de place sur les parkings car leurs voitures sont parmi les plus imposantes. Pour le reste, la clientèle est composée des déclassés sociaux ou en voie de le devenir. La fracture sociologique passe alors parfois entre deux tables et huit chaises jusque les salles des cafés typés, chauffés au bois, en somme une ancienne attraction exotique pour les (péri)citadins et qui n’impressionne plus grand monde.
Les « baronniens » aisés s’adonnent alors à de discussions épidermiques, transpirant les kystes de l’ancien temps dans le genre : « ah, tu te souviens ma chérie de l’autre fois où nous mangions des huitres à Bruxelles (…) évidemment que j’ai déjà fait le tour des hôtels du coin, et jusqu’à la station de ski à Metsovo de l’autre côté de la montagne ». Cette image histologique de notre ancien épiderme ne colle décidément plus, à la peau de la société grecque comme avant. Un jeune homme assis en face expliquant déjà à sa compagne « qu’il faut enfin comprendre, nous sommes en guerre, ils veulent nous finir », jeta aussitôt un regard bien sombre en se retournant vers les « concitoyens » de la table voisine. « Partons Stella, il y a trop de bruit dans ce café et on ne respire plus très bien, j’ai déjà réglé, deux cafés six euros, une arnaque de plus mais nous ne pouvons pas non plus rester enfermés chez nous… »
C’est vrai que les déclassés nouveaux supportent de moins en moins les rescapés provisoires du naufrage. Et encore, il ne s’agit pas de ces gens qui figureraient apparemment sur la « liste Lagarde » qui dans sa dernière version authentique provoque déjà la tempête dans un verre d’eau… lourde. Cette liste « nous » serait parait-il parvenue « escortée » de deux agents des services secrets français et grecs si l’on croit notre hebdomadaire satyrique To Pontiki (27/12), avant d’être transmise au parquet d’Athènes. La suite, assez prévisible, est d’ailleurs racontée de manière assez aseptisée par le « grand quotidien du soir » : « L’affaire de la liste dite « Lagarde » d’exilés fiscaux en Suisse, qui agite la Grèce depuis des mois, a rebondi vendredi 28 décembre avec la révélation du fait qu’en avaient été rayés les noms de proches d’un ex-ministre.
A l’issue d’une journée marquée par des fuites judiciaires et politiques, le parti socialiste, le Pasok, partenaire de l’alliance gouvernementale droite-gauche au pouvoir, a directement mis en cause l’ex-ministre socialiste des finances Georges Papaconstantinou, artisan du premier plan de rigueur dicté par l’Union européenne et le FMI. Dans un communiqué annonçant son expulsion du parti, le Pasok a invoqué de « clairs indices découlant d’une enquête du parquet » selon lesquels les noms effacés étaient ceux de « parents » de cet ex-ministre (…) M. Papaconstantinou, ministre des finances d’octobre 2009 à juin 2011, venait pourtant de « catégoriquement » démentir avoir trafiqué la liste, qui lui avait été remise personnellement en 2010 par la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, alors son homologue française. Il a aussi nié savoir que les noms de proches y figuraient. Il s’agit, selon les médias, de deux cousines, filles d’un autre ex-ministre (un conservateur aujourd’hui défunt), et de leur mari. (…) L’existence de la « liste Lagarde » n’avait en effet été révélée que par la presse, en octobre, plongeant dans l’embarras une classe politique soupçonnée d’omerta. » (quotidien Le Monde 29/12).
C’est un quasi non-événement d’autant plus que l’omerta porte et portera encore longtemps sur toute cette… phénoménologie de l’esprit relevant de l’ultime capitalisme et sur les corrupteurs des corrompus, venus du grand large européen et mondial. Car le véritable événement ne sera pas (facilement) évoqué par la presse des… grands phénomènes. Ce qui est intéressant ici, consiste plutôt à comprendre pourquoi, comment, et à quel moment opportun, une partie des fusibles de la Baronnie (figurant parmi les architectes de la Grèce mémorandiste), seront destitués et livrés à dose homéopathique à la justice supposée vengeresse et de… bonne constitution dans un pays sans Constitution. Car pour rester dans les grandes vérités, on sait aussi ce que signifie le Traité – Mémorandum III, ratifié par 153 « parlementaires » grecs, dont le décret vient de paraître au journal officiel de l’ex-pays (12/12/2012 – FEK 240).
C’est alors la fin officielle de la souveraineté et de la vie démocratique et politique je crois si on tient compte du texte lui-même : « (…) The « Amendment Agreement » is made by and between : (A) European Financial Stability Facility (« EFSF »), a société anonyme incorporated in Luxembourg with its registered office at 43, avenue John F. Kennedy, L-1855 Luxembourg (R.C.S. Luxembourg B153.414), represented by Mr. Klaus Regling, Chief Executive Officer or Mr. Christophe Frankel, Deputy Chief Executive Officer ; (B) The Hellenic Republic (hereinafter referred to as « Greece » or the « Beneficiary Member State »), represented by the Minister of Finance ; and (C) The Bank of Greece (hereinafter referred to as the « Bank of Greece »), represented by the Governor of the Bank of Greece This Amendment Agreement and any non-contractual obligations arising out of or in connection with it shall be governed by and shall be construed in accordance with English law. (…)
4.2 The parties undertake to submit any dispute which may arise relating to the legality, validity, interpretation or performance of this Amendment Agreement to the exclusive jurisdiction of the courts of the Grand Duchy of Luxembourg. 4.3 Clause 3.2 is for the benefit of EFSF only. As a result, nothing in Clause 3.2 prevents EFSF from taking proceedings relating to a dispute (« Proceedings ») in the courts of the domicile of the Beneficiary Member State or of the governing law of this Amendment Agreement and the Beneficiary Member State hereby irrevocably submits to the jurisdiction of such courts. To the extent allowed by law, EFSF may take concurrent Proceedings in any number of such jurisdictions. 4.4 The Beneficiary Member State, the Bank of Greece and the Hellenic Financial Stability Fund each hereby irrevocably and unconditionally waives all immunity to which it is or may become entitled, in respect of itself or its assets, from legal proceedings in relation to this Amendment Agreement, including, without limitation, immunity from suit, judgement or other order, from attachment, arrest or injunction prior to judgement, and from execution and enforcement against its assets to the extent not prohibited by mandatory law (…) »
Par la même occasion, une (relative ?) redistribution des cartes à travers le pouvoir politique et économique du pays-territoire est en cours d’exécution par les Troïkans, qui d’ailleurs placent en ce moment leurs agents directs auprès des ministères, « véritables relais de leur pouvoir, reléguant les ministres au rôle de marionnettes » (To Pontiki – 27/12). Voilà la seule authentique nouvelle, en plus de la mise en application de la dite « Règle d’or » dès le 1er janvier 2013, pour ne pas commenter l’autre « nouvelle » du Monde sur « le succès en Grèce, des médias qui parlent des bonnes nouvelles », ou comment extraire le cheveu de la soupe et en faire de la propagande avec, toute une cuisine.
« Etrange » également, la « grande presse » n’accorde pas trop de place à cette nouvelle, sauf exception : « (…) En vertu de ce traité, les pays s’engagent à avoir des « budgets équilibrés » ou « en excédent » sur un cycle économique, soit un déficit structurel (hors éléments exceptionnels et service de la dette) d’un niveau maximal de 0,5% du Produit intérieur brut. Les pays qui affichent une dette globale modérée, c’est-à-dire « nettement en-dessous de 60% du PIB », auront droit à un déficit structurel toléré de 1%. Chaque Etat devra lui-même prévoir qu’un « mécanisme de correction soit déclenché automatiquement » en cas de dérapage important par rapport à cet objectif, avec l’obligation de prendre des mesures dans un certain laps de temps. La « règle d’or » devra être inscrite « de préférence » dans la constitution. Mais ce n’est pas une obligation. A défaut un texte de loi suffira si sa valeur juridique garantit qu’il ne sera pas remis perpétuellement en cause. La Cour de justice européenne vérifiera la mise en place des règles d’or. Elle pourra être saisie par un ou plusieurs Etats et au terme du compte infliger une amende allant jusqu’à 0,1% du PIB du pays fautif. L’Allemagne voulait aller plus loin en confiant à la Cour le pouvoir de sanctionner aussi les dérapages des déficits et de la dette des pays. Elle a dû reculer face à l’opposition de la France. Mais n’a pas renoncé pour plus tard. »
Heureux fêtards du 31 décembre 2012, encore quelques heures d’insouciance, la règle d’or c’est notre mémorandum (pour l’instant allégé…), le smog athénien et la Troïka en moins. Notre année 2012 partira alors enfumée au sens propre et figuré. Nos rues d’Athènes en témoignent toujours, nos murs, ainsi que nos petits gestes quotidiens. Dans les cafés, les 20-40 ans n’ont qu’un seul mot à la bouche (ou à travers la gorge) : « comment quitter le pays ». En marge de la « fête » place de la Constitution, notre mendiant du jour compte encore ses sous. A proximité, les vendeurs ambulants, plus nouveaux que jamais font leur apparition, toujours furtive, ils sont sur leurs gardes. D’habitude les policiers ferment les yeux, sauf... lorsque ces derniers ne sont pas des compatriotes. Micro-événement du jour, hier (27/12), un mendiant dans le métro, brandissait à la fois son passeport et sa carte d’identité nationale, afin de prouver sa... consanguinité avec nous autres voyageurs, d’ailleurs avec succès d’après ce que j’ai pu observer. La Troïka est aussi un grand faiseur d’altérité à tout niveau, dont un des aboutissements disons consécutifs, se nomme « Aube dorée ».
Conservant notre indéniable et sinistre longueur d’avance… sur la fin, en Grèce, nous sommes déjà à l’épiphanie de la crise. Les îlots de résistance fleurissent, parfois dérisoires et toujours « gênants », comme l’espace autogéré de la Villa Amalia évacué par la police récemment. Les affiches et les banderoles de l’Union des Travailleurs dans la « branche papier » (maisons d’édition et librairies), appellent à la grève lors des ouvertures désormais possibles le dimanche : « Ce n’est pas le temps qui manque pour faire ses courses. C’est le temps et les ressources qui manquent pour vivre ». La « fête » du centre-ville athénien se terminera bientôt… tout comme celle de la vignette automobile de la cuvée 2013. A quatre jours du 31/12, la moitié seulement des automobilistes s’étaient empressés pour l’acheter, tandis que plus de 130.000 plaques d’immatriculation ont été « rendues » aux services concernés des préfectures car leurs propriétaires ne peuvent plus payer cette taxe. Depuis le premier mémorandum, un demi million de véhicules ont été immobilisés dans l’ensemble du pays et malgré l’augmentation du prix de la vignette les recettes ont fondu, comme d’ailleurs l’ensemble des recettes fiscales, désormais non pas (seulement) par tricherie mais par l’impossibilité de faire face à ces dépenses régaliennes d’un pays… historiquement prouvé.
Il fait pourtant encore bien vivre chez nous dans un sens qui certes n’est plus celui d’avant, déjà privés de motorisation (totalement ou partiellement) nous sommes assez nombreux à pratiquer la marche à pied. Nous conservons aussi coûte que coûte notre sociabilité et notre dignité, car elles vont de pair. Nous levons les yeux vers le ciel pour mieux admirer certaines de nos architectures emblématiques de l’histoire de notre ville et pour constater que même délabrées, elles… tiennent bien l’harmonie. Comme celle du bâtiment abritant les Archives Littéraires et Historiques Helléniques (ELIA, appartenant depuis 2009 à la Fondation Culturelle de… la Banque Nationale de Grèce), dans le quartier de la Plaka.
Manos Charitatos (né en Alexandrie en 1944), co-fondateur, directeur et qui était l’âme de cette institution est décédé dans la nuit du jeudi (27/12) à vendredi. Je l’avais connu, et il m’avait fait découvrir une collection unique de 68 lettres du front, s’agissant des soldats qui écrivaient au journal Synadelfos - « Confrère » de Smyrne entre mai et juillet 1922 – (Fonds Voutieridis), ainsi qu’un certain nombre de gazettes des tranchées datant de la même période. Rencontré une dernière fois il y a environ un an, Manos Charitatos m’avait assuré (non sans un certain désespoir) qu’il devient impossible de rechercher et surtout de retrouver d’autres sources directes (lettres du front, gazettes) de cette période en Grèce : « Il n’y a plus aucune volonté politique, ni d’ailleurs possibilité de financement… » m’avait-il dit.
Nous n’aurons certes jamais comme la ville de Péronne d’Historial de la Grande Guerre à notre portée, mais nous finirons par nous transformer en vivarium permanent la Grande Guerre sociale du siècle d’après. Temps de crise, temps de guerre… années décidément enfumées.
Samedi 29 décembre 2012
Panagiotis Grigoriou
Ruptures biographiques
Mardi 25 décembre 2012
En ce temps festif la Grèce entière se reprend comme elle peut... contre son sort. Nous célébrons… comme c’est encore permis ces fêtes 2012, plus que jamais en rupture espérée avec la durée troïkane. Nous ignorons combien cela peut encore durer, jusqu’à 2060, si l’on tient compte du mémorandum III, c’est alors inimaginable. Nous découvrons, sans trop y croire parfois, que la… biométrie de la crise survivra de notre propre mort. Donc, adaptons-nous et surtout faisons la fête ! C’est d’autant plus indispensable en ce moment, car nous réalisons – peut-être un peu tard – que depuis le premier mémorandum de 2010, nous sommes tous en… rupture biographique.
Progressivement ou brusquement, les pages de nos vies, déjà désaccordées, redeviennent blanches, « épurées » de la grammaire de l’avant-crise, enfin, et à part nos petites bricoles qui nous adaptent au nouveau polar du monde, nous arriverons peut-être un jour à réinventer la littérature du renversement. En attendant… c’est déjà Noël 2012 ! Quasiment plus personne ne part en touriste, sauf notre cousine Th., celle de l’ancienne grammaire, elle avait déjà suffisamment choqué toute la famille il y a deux semaines au mariage de notre cousin Costas par sa pratique de l’ostentatoire et du déplacé économique et symbolique, elle est actuellement à Charm el-Cheikh… Nous autres, nous avons alors pris le train pour nous rendre au village, comme de nombreux autres athéniens et encore, car dans leur immense majorité les citadins passent Noël chez eux.
Comme cela se pratique de plus en plus depuis deux ans, le train était bondé, de nombreux voyageurs s’entassaient dans les couloirs ou entre les wagons. Se rendre au bar ou aux toilettes tenait bien de la dextérité, à la fois du fin négociateur et de l’acrobate. « Ah… c’est un scandale, bientôt nous voyagerons en train comme en Inde », s’écria une voyageuse qui n’avait pas réussi à atteindre les toilettes. La réponse n’a pas tardé à venir : « Et en plus, la Compagnie des chemins de fer nationaux sera chinoise, un comble ! » Entre la capitale et la Thessalie, un billet A/R en train coûte 22 euros, en réservant deux à trois semaines avant le départ. Et tout le monde sait combien cela revient en voiture, sept cent kilomètres A/R à 1,70 euros le litre d’essence, plus 20 euros de péages, ou sinon, 60 euros (A/R) en autocar, donc le choix devient disons facile. Sauf, lorsque certains voyageurs s’en prennent au contrôleur des billets : « Pourquoi donc, n’arrimez-vous pas de wagons supplémentaires ? Vous vous amusez peut-être à nous transporter comme de bestiaux ou quoi ? Vous êtes encore payés, mais la moitié de gens dans ce wagon sont chômeurs voyez-vous… » Cela s’apparente… presque à du « dialogue social » : « Vous exagérez, d’abord c’est pour de raisons techniques que nous ne pouvons pas rallonger les trains, par endroits les infrastructures ne le supportent pas, comment vous l’expliquer autrement… Puis, nous nous démenons pour vous et nous luttons contre la privatisation forcée de notre compagnie. C’est pour votre sécurité vous savez… Certes, nous sommes encore payés mais c’est déjà indigne ce que nous touchons comme rémunération ».
Serrés à l’extrémité du wagon avec tous les autres... embarqués économiques, deux jeunes, étudiants vraisemblablement, lisaient attentivement Rizospastis, le journal du KKE (parti communiste). Le train a marqué l’arrêt de Thèbes, et parmi ceux qui ont monté à bord, un autre jeune homme est venu prendre place à leur côte. La discussion n’a pas tardé à éclater, très vive mais sans débordements : « Vous vous trompez les gars, moi, je suis patriote, nationaliste si vous voulez, je suis pauvre et peut-être comme vous, au chômage. Nous aussi nous nous occupons du peuple et des pauvres car nous en faisons partie, vous n’avez pas le monopole des prolétaires. Nous sommes au moins d’accord sur un point il me semble, et ne me dites pas que je suis un fasciste, il y en a assez de ce discours …. Je suis de l’extrême-droite et je le revendique, disons-nous donc que les riches nous écrasent et ils réduisent notre patrie en esclavage… cela vous convient-il au moins, ou non ? » - « Eh mec, détrompes-toi, si tu penses comme l’Aube dorée par exemple, il faut savoir que ces gens défendent les monopoles et les puissants comme tu dis, sauf que tu ne le vois pas, ou pas encore… ». Ensuite, l’échange a porté sur l’Allemagne, un modèle du genre « car les lois sont respectées » selon le jeune homme se réclamant de l’extrême-droite, « ce qui n’a pas de sens dit ainsi, car il s’agit d’abord de la loi des patrons et qu’en Allemagne il y a de nombreux pauvres comme ailleurs », répondirent les deux jeunes communistes.
Leur interlocuteur est descendu à la gare de Lianiokladi, près de la ville de Lamia. A partir de cet arrêt, le train peinait presque pour gravir la montagne, longeait des ravins, et enfin, à la sortie d’une longue courbe, apparut la plaine de la Thessalie… et le verdict (formulé par les deux jeunes) avec : « Tu sais, ce type assemblait des arguments hétéroclites mélangeant un peu tout, sauf que son truc paraissait cohérent aux yeux des ignorants, il ne changera pas d’avis… » Ces étudiants, ainsi que ceux qui ont pu, ils ont alors quitté Athènes. Ces derniers jours, les embouteillages ont fait leur apparition ; et les commerçants quant à eux, n’ont certes pas vu leur chiffre d’affaires décoller, mais enfin au moins, un semblant de marché a toutefois fonctionné, c’était d’ailleurs surtout la fête de l’alimentaire, on peut aussi comprendre et fêter... nos agrumes de qualité par exemple. Ou sinon faire comme la dernière fois où nous nous sommes salués entre amis pour les fêtes dans une taverne aux quartiers périphériques de la ville, inaugurant la nouvelle formule : « crise et chant rebetiko ». Un jeudi sur deux, il devient possible de s’y retrouver, apportant partiellement de quoi faire griller en cuisine, ou à consommer directement à table, puis, moyennant dix euros par personne, avoir droit à un plat plutôt collectif, à une boisson et à une portion de salade. Et en produisant évidemment notre musique nous même, car certains amis ou connaissances sont en effet des musiciens amateurs.
D’ailleurs, pour ce qui est de la culture ou d’une certaine gastronomie, la dernière tendance consiste à fixer le prix à dix, voire à cinq euros par personne. C’est tout autant vrai qu’au-delà, on sort du contexte et que que de toute manière, notre musique sert aussi à nous faire tenir... moins dix euros ! Certains, remarquent également, qu’il fait mieux à la taverne que chez eux, tellement nos appartements sont si mal chauffés cet hiver. La presse du jour (24/12) rapporte prétendument stupéfaite que le marché du fioul domestique s’est effondré à -80% en cet automne 2012, par rapport à l’année dernière. Ceci explique alors cela, plus le bois de chauffage érigé en paradigme civilisationnel de notre nouveau monde.
Nos pratiques s’adaptent rapidement, sauf que souvent, il s’agit alors d’un drame supplémentaire. Les enfants ont toujours chanté par exemple dans les rues ou devant les boutiques la veille de Noël et de nouvel an en Grèce, pour recevoir en cadeau quelques pièces. Seulement, depuis l’année dernière et surtout cette année, c’est-à-dire hier (24/12), de nombreux enfants ou adolescents ont été agressés par d’autres adolescents. Ils se sont ainsi fait voler leur « récolte de fête » (reportages radiophoniques et télévisés – 24/12). Pour éviter ces… déconvenues, d’autres enfants se sont vus escortés par leurs parents « pour plus de sécurité » comme on dit. Nos pratiques s’adaptent mais aussi se transforment d’une année à l’autre. Noël 2012 n’est plus comparable à celui de 2011, tandis que durant une si longue synchronie, les moments des fêtes répétèrent un rituel en somme stérile : les cadeaux de circonstance, les réveillons à dormir debout, les enfants râleurs pour un rien de trop, ou encore les séjours au ski pour certains néo-hellènes de la plus stupide des « belles époques » de la Grèce contemporaine.
En 2012, les enfants déjà ne réclament plus grand-chose, et lorsqu’ils chantent à la veille de Noël, c’est pour réunir l’argent nécessaire à l’achat du fioul et ainsi éviter la fermeture de leur école, privée de chauffage cet hiver. Plus de trois cent écoles au Nord de la Grèce resteront fermées après les fêtes, sauf « miracle », car comme le budget destiné à faire face aux frais de chauffage a été diminué de 60%, l’hiver grec peut tout aussi bien s’avérer… pédagogique. Ce que nos marionnettes du « gouvernement » ont sans doute du mal à comprendre : à part la pédagogie de la peur, il y a désormais celle du froid et de la faim sur laquelle il va falloir apprendre à compter. Étrange pays. Les politiques exerçant des responsabilités sont égaux à eux-mêmes, tandis que les pratiques du peuple s’adaptent aux temps nouveaux.
Tels ces élèves de terminale à Pyli, une bourgade du département de Trikala. Comme leurs homologues durant toutes ces années précédentes, ils ont organisé une loterie afin de financer « la grande excursion » de leur classe. Sauf qu’au lieu de proposer aux heureux gagnants un scooter par exemple, ils « ont mis en jeu », un poste en CDD de six mois au sein d’un supermarché de la ville proche de Trikala. L’organisation de la loterie supervisée par le maire de Pyli en étroite collaboration avec les enseignants concernés a été parfaite et la gagnante fut l’épouse d’un professeur du lycée, laquelle avait acheté de nombreux billets de cette loterie. Elle préféra offrir « sa » place à un chômeur, car elle-même, elle est en poste parait-il. La nouvelle a aussitôt fait le tour de la ville et ce matin (24/12) on en parlait avec fierté même dans les cafés. D’autant plus, que la presse nationale (le journal 6 Jours par exemple), consacre des reportages à l’événement.
Nos mutations sont alors effectives et désormais, elles apparaissent comme étant irréversibles. Une certaine normalité demeure pourtant. Sur l’impressionnant marché de la ville de Trikala il y avait beaucoup de monde la veille de Noël. Encore une fois les dindons… et leur farce ont retenu toute l’attention des passants, tandis que les commerçants ne faisant pas dans l’alimentaire faisaient encore grise mine. Dans une boulangerie, une vieille femme a fait semblant de ne pas avoir de la monnaie pour se faire offrir un pain, car elle avait visiblement faim. Sur un mur devant de l’ex Préfecture devenue administration régionale, une affiche revient toujours sur l’adoption du mémorandum III « par cent cinquante députés, plus trois élus du département : politiciens-traîtres », et sur cette même affiche, on redécouvre également une photo de la chancelière de Berlin en tenue nazie. Ce n’est pas la première fois qu’en Grèce, l’anachronisme « explique » (mal) la dernière invention en matière de synchronie historique. A dix mètres, il y a aussi cette même affiche visible à Athènes qui suggère « un plan B sans l’euro ». Je ne dirais pas que ces deux affiches attirent les foules à Trikala, qui plus est, la veille de Noël, elles ne passent pas inaperçues pourtant.
La vraie nouveauté à Trikala depuis la dernière fois, c’est que la taverne située derrière le pompiste, près de la forteresse, est définitivement fermée et que l’Aube dorée a ouvert ses locaux en plein centre-ville, observant une certaine discrétion, seul un petit papier collé devant l’entrée de l’immeuble informe de ses permanences « mardi et samedi de 19h à 22h ». Apparus à la télévision la veille de Noël, Papoulias, le « président » de la « République » et Samaras, chef du « gouvernement » tripartite, avaient l’air décomposés, je dirais même « déréalisés », tels des épouvantails sur un potager thessalien. Papoulias a laissé lui échapper une larme sincère lorsque des enfants atteints de cancer lui ont chanté Noël. Au même moment, il a déjà ratifié par sa signature, toutes les lois du mémorandum, dont celles qui ont obligé les malades du cancer à devoir choisir... s’il faut payer à la fin de chaque mois leurs médicaments ou la nourriture.
Plus que « nôtre » président, c’est sans doute le méta-capitalisme qu’il a tendance à devenir enfin sincère : mourir… ou mourir, il n’y a guère d’autre choix (dans sa logique). Notre véritable cadeau de Noël à nous tous au sein du petit comité d’amateur de chant rebetiko et d’Opéra, n’était pas la soirée chantante à la taverne, ni le voyage à Trikala bien évidement. Cela tient peut-être du « miracle » mais voilà que mon ami journaliste au chômage a trouvé du travail pour quatre mois. Il touchera environ la moitié de son ancien salaire et retrouvera sans doute l’essentiel de sa dignité. Passons de bonnes fêtes comme on dit.
Panagiotis Grigoriou
Clôtures
Jeudi 20 décembre 2012
Nos univers décousus se croisent ces jours-ci au centre-ville pour une dernière fois cette année, qui s’achève décidément sans fracas. Les flâneurs, les lèche-vitrines, les sans-abri, les possédants, certains députés et leurs gardes du corps plus les gardes du corps des possédants, c’est-à-dire les mêmes… policiers, officiels et officieux. Et hier mercredi (19/12), nos derniers manifestants de l’année, ont paradé peu nombreux pour un (supposé) ultime bras d’honneur à la Troïka. Symbolique, plus qu’autre chose en cette double journée de grève décrétée par les principaux syndicats (« compréhensifs ») du pays pour ainsi finir l’année… en vœu(x) (pieux ?). En… bouquet fin, la municipalité à Athènes organise certes « la fête et ses événements », dont une patinoire place de la Constitution, dans le plus bel « atopisme » de Noël jamais atteint, car l’esprit général semble plutôt défait : « Que les fêtes passent vite, qu’on en termine, je n’ai plus envie », propos entendus récemment dans le métro athénien.
Les syndiqués, les employés des collectivités territoriales concernés par les licenciements décidés par le gouvernement bâtaient (poliment !) le pavé ce mercredi, tandis que les militants de l’extrême gauche distribuèrent des tracts dénonçant le défaitisme des grands syndicats, affrontant même certains badauds qui s’étaient pris aux fonctionnaires « privilégiés ». Seul le sans-abri du coin place Klathmonos, n’y prêtait plus aucune attention à tout cela, épuisé de tout et surtout de son néant si béant (et peut-être bien du nôtre). Son homologue, place de la Constitution avait plus de succès. Il faut bien dire qu’il soigne sa « communication » comme on dit encore parfois en ce moment, phrase entendue Place de la Constitution, signe aussi des temps nouveaux. Se montrer, ne pas se monter, avoir honte ou pas, exhiber ou dissimuler sa pauvreté, telles sont certaines des préoccupations d’une partie des Grecs.
Déjà, par un processus implacable les « porteurs de la crise » seraient amenés à « s’externaliser » de l’espace social, à disparaitre à jamais, enfermés chez eux, pour ne plus pointer leur nez dehors, comme déjà certains de mes amis. Pour les déportés sociaux au stade suivant, il s’agit d’aller « se cacher » dans les parcs et y demeurer… coûte que coûte. Mardi (18/12) en plus, les orages tombés sur Athènes ont vite transformé les dortoirs de fortune (du stade d’après) en… tranchées boueuses ’à moins de choisir le bon endroit), plus que jamais, à la première ligne du front méta-social, mais c’était encore dans l’indifférence quasi-totale. Orages, pluie et soleil alternent sans cesse ces derniers jours à Athènes. Rien de plus normal, et durant les nuits fraiches, une odeur de bois brûlé recouvre la ville, on respire… la crise.
Les syndicats, dans la version « opérette », en avaient à peine terminé avec les manifestations « contenues » et ponctuelles du jour, et le centre d’Athènes a aussitôt retrouvé son trafic habituel. Mercredi soir, on apprenait que finalement la Cour suprême du pays a donné raison au ministre de l’Economie pour ce qui concerne la perception de la taxe foncière via les factures d’électricité. Selon les termes de cette décision « la taxe sera perçue par ce biais jusqu’au 22 mars 2013 » et à la Régie d’Electricité on précise toutefois « que le courant se sera pas interrompu chez les usagers qui refusent son règlement ». Mi-figue, mi raisin. Au même moment, d’autres tribunaux, annulent depuis une semaine les licenciements de certains agents de la fonction publique territoriale, alors embauchés en contrats à durée indéterminée, annulations au motif de la non-conformité de cette décision par rapport à la Constitution : « L’Etat ne peut pas licencier des agents appartenant à des organismes qui lui sont bien distinctes et autonomes, comme les municipalités par exemple ». Et les occupations dans certaines mairies ou administrations, ainsi que la grève des éboueurs se poursuivent. C’est de la résistance à bas voltage.
Dans l’après-midi de mercredi en tout cas, la police, unités de MAT (CRS) comprises, a fini par se positionner autour du Parlement ou devant le ministère de l’intérieur, sans précipitation. De la clôture dans l’air, la pause. Les policiers avaient l’air assez détendus, ils commentèrent allégrement la presse sportive, s’estimant heureux de passer bientôt Noël en famille. Tout comme les manifestants, mais qui ne commentaient pas la presse sportive. Certains parmi eux, ont prétendu « que pour l’instant, nous n’irons guère plus loin, à part faire du surplace dans la lutte, ou s’offrir une pause si possible pour en finir avec 2012 ». Temps de clôture incontestablement. Pourtant, notre société est « travaillée » de l’intérieur, et ceci sans répit. Il n’y a qu’à observer les murs de la ville, les affiches, les slogans ou les graffitis : « Alice au pays des victimes » ou « Paupérisation – misère – déprime », « Ne pas vivre en esclave », « L’Etat et la société en guerre ». Et souvent à côté, on trouve les vitrines décorées pour les fêtes, ou au contraire, des boutiques délabrées… nos natures mortes. Nos forces politiques sont également « travaillées » en ce moment, chez les mémorandistes attitrés, chez leurs homologues « réticents », puis aussi, au sein des cercles anti-mémorandistes.
Alexis Tsipras étant en visite officielle de dix jours au Brésil et en Argentine « pour s’en inspirer », chez Syriza « de l’intérieur », des camarades (et parfois députés) s’entredéchirent ouvertement, y compris à travers les pages du journal de Syriza, Avgi. Un de ses éditorialistes par exemple, a violemment attaqué le courant gauche du parti, c’est pourtant rare à ce point, d’autant plus, au moyen de la « presse maison (commune ?) », provoquant déjà un débat houleux (et en partie médiatisé) au sein du journal historique de la gauche. Au même moment, officieusement et plutôt à l’initiative de certaines de leurs bases éclairées, les non adeptes de l’U.E. à gauche, se retrouvent… verre ou crayon à la main, c’est selon. Car tout le monde a remarqué ce récent quasi revirement de l’opinion grecque quant aux « préceptes » sacrés de l’euro-unionisme, l’opinion, mais pas la ligne officielle chez Syriza. Ailleurs aussi, on a remarqué ce changement des stéréotypes et on s’y adapte ou du moins on fait semblant : L’Aube dorée se montre ouvertement plus souverainiste que par le passé récent, lorsque par exemple son chef Mihaliolakos, déclarait qu’il souhaitait le maintien de la Grèce dans la zone euro (juin 2012).
Il n’y a que le « gouvernement » et les banques associées qui pavoisent depuis le mémorandum III « car l’ouragan est passé », selon les dires des politiques et des journalistes… ainsi « agencés ». En plus, comme l’agence Standard&Poor’s, a relevé mardi (18/12) la note de la Grèce (c’est-à-dire de ses banques) de SD à Β- donc champagne. Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Comme l’écrit François Leclerc sur le blog de Paul Jorion , « [t]ous les paris ne sont pas gagnants et tous les hedge funds florissants. L’un d’entre eux, Third Point, vient toutefois de décrocher le gros lot en pariant sur la dette grecque, puis en participant à l’opération de rachat par l’État grec. L’opération lui a permis d’acheter pour 500 millions de dollars de titres au prix de 17 cents (soit 17 % de la valeur nominale) et les revendre à 34 cents, c’est à dire le double. Mais cette success story pourrait ne pas s’arrêter là, si l’on en croit des sources familières avec le hedge fund rapportées par le Financial Times. Tous les titres n’auraient pas été vendus, dans l’attente d’une nouvelle opération plus profitable encore qui ne saurait être évitée (Third Point gère 10 milliards d’euros et a assuré cette année un retour de 20 % à ses investisseurs). » Je note que la presse du régime en Grèce, (To Ethnos par exemple) présente aujourd’hui, Daniel Seth Loeb, le patron de Third Poin, pratiquement comme un modèle de réussite entrepreneuriale. Ceci… explique cela !
Les passants, les badauds, les manifestants, les mendiants, et peut-être même certains procédant s’en moquent désormais de ce type de « grandes nouvelles ». Parmi les (micro) manifestants de mercredi midi à Athènes, j’ai remarqué des agents hospitaliers, résignés et tristes, protestant contre la fermeture prévue de leur établissement à Patisia. Comme d’autres, ailleurs en Grèce. Temps de clôtures à répétition. Ou alors on choisi le passé à se remémorer pour ne pas s’apercevoir… combien nos certitudes structurées et structurantes se sont déréalisées en si peu de temps. Une photographie du centre d’Athènes, datant de décembre 1960, mise en ligne par le musée d’art contemporain Benaki, fait le tour de l’internet grec depuis une semaine. Notre blogosphère se range dans le passéisme le plus grossier, « Athènes était une ville joyeuse, propre et confiante… ». C’est l’image du passé qui nous ferait tenir, au lieu de voir la réalité en face et peut-être bien l’affronter, enfin. Le pays n’est plus, sa Constitution, sa souveraineté, le droit de ses travailleurs, le travail, la dignité. Seule sa caste dirigeante, économique et politique demeure pratiquement intacte, toujours prête à (se) vendre et à (s’)acheter avec l’argent des autres, du peuple notamment.
« On » choisi aussi à ne plus se remémorer certains autres moments de l’histoire récente, comme par hasard. Rue du Stade mercredi, j’ai remarqué que la plaque commémorative de Sotiris Pétroulas a été récemment détruite car j’avais photographié ce lieu de mémoire il y a à peine un mois. Je notais dans un autre billet de ce blog que « Dimanche (18/11), Syriza a organisé une rencontre citoyenne, à la mémoire de Sotiris Petroulas, ce jeune étudiant en économie de 23 ans, appartenant à la jeunesse de gauche, grièvement blessée par une grenade de gaz lacrymogène qui a explosé sur sa tête et dont la mort finale a été causée par strangulation lors d’une manifestation au soir du 21 juillet 1965. La police avait fait aussitôt disparaître le corps jusqu’au lendemain, où quelques Lambrakidès (membres de la jeunesse Lambrakis) découvrirent un groupe d’agents en train d’enterrer Petroulas à Kokkinia. Mikis Theodorakis fut alors prévenu. Aidé par la population du quartier, il réussit à se faire remettre le corps. Le lendemain, des centaines de milliers de personnes accompagnaient le mort de la cathédrale d’Athènes au cimetière. Dimanche (18/11), ses anciens camarades et acteurs directs des événements ont apporté leurs témoignages, visiblement émus.
La gauche a aussi besoin de sa mémoire. L’extrême droite aussi (…) Le neveu de Sotiris Pétroulas, (et son parfait homonyme), a exposé la memoire de sa famille. « Nous avons déposé plainte contre l’Etat pour meurtre. C’est ainsi que ma famille a été condamnée à payer une forte amende. En plus, jusqu’aux années 1980, on ne nous autorisait pas à acheter une sépulture définitive pour notre Sotiris. La plaque commémorative rue du Stade a été brisée à deux reprises. Durant la période où Dora Bakoyanni (fille de l’ancien Premier ministre – Nouvelle démocratie, Constantinos Mitsotakis) était maire d’Athènes (1992-1993), elle a voulu faire disparaître les plaques commémoratives du centre ville, dont celle de Sotiris Pétroulas, particulièrement visée par cette mesure qui n’a pas été adoptée à l’époque, grâce à la mobilisation populaire ». Une camarade de lutte de Sotiris Petroulas prit la parole : « en 1965, nous revendiquions tous nos droits, et nous étions d’ailleurs conscients que le régime était pré-dictatorial. Mais nous nous considérions comme étant les enfants de la civilisation humaniste, de la dignité et de l’honnêteté. Nous étions prêts à mourir pour la démocratie. Cette culture humaniste, ses valeurs, nous ne les avons pas transmises à nos enfants, pas suffisamment en tout cas, voilà mon autocritique. D’où la situation actuelle… » »
Pensées prémonitoires ? Clôtures, de la mémoire « gênante », de saison comme nos produits de décembre. Les marrons, le raisin sec de Corinthe, ou les escargots de Crète. Sur un mur : « Welcome to the dark side ». Vraiment ? Nos artistes, nos jeunes acteurs ne l’entendent pas tout à fait de la même oreille : « Leçons de vie, par des animaux uniquement. Animaux civilisés. Une pièce de théâtre tellement drôle sur ces choses si sérieuses ».
Panagiotis Grigoriou