L’Afrique du Nord semble promise à connaître, dans le très proche avenir, une exploitation frénétique des hydrocarbures non conventionnels, huiles et gaz de schistes. Des questions de plusieurs ordres se rattachent à cette perspective :
• Au profit de qui se s’effectuera-t-elle ?
• Dans quelles conditions ?
• Avec quels risques induits ?
L’exploitation d’huile et de gaz de schiste est déjà en cours en Amérique du Nord. A partir de ce qui est connu de celle-ci, il est possible d’entrevoir des éléments de réponses à ces questionnements. La détention et la maîtrise des technologies spécifiques à cette exploitation n’ont pas suffi à assurer la rentabilité économique des différents projets. Sans les aides et subventions étatiques massives accordées par les États, personne n’entendrait parler d’un quelconque « miracle » des hydrocarbures non conventionnels. Ces aides sont une condition majeure de la prolifération de l’exploitation des gaz de schistes. L’autre condition de ce fameux « boom » tient aux capacités de résilience qu’ont ces sociétés par leur maîtrise des techniques de décontamination et de dépollution de l’environnement. Parce qu’il faut le rappeler, cette exploitation est polluante, ses impacts environnementaux, écologiques et climatiques sont immenses.
C’est sur ces différents niveaux qu’il faut essayer de projeter l’exploitation envisagée par l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et la Libye. Nous savons tous que nos pays ne disposent pas des technologies propres à la valorisation de ces hydrocarbures, que cette dépendance technologique s’étend aussi au traitement des conséquences environnementales. C’est donc une option qui va fortement solliciter les faibles ressources financières de nos pays pour des emplois à la rentabilité improbable. Il nous faudra payer en devises fortes les opérations d’exploitations – phase de pollution -, puis concéder encore les mêmes paiements pour tenter de réparer les dégâts – phase de dépollution -. Il est fort à parier qu’en bout de processus nos états se retrouvent en situation d’endettement !
Au-delà de cette approche globale, il faudrait s’arrêter sur un risque spécifique à l’Afrique du Nord. Un risque qui engage lourdement notre responsabilité devant les générations futures. Nous n’avons pas une conscience claire de ce qu’est notre« désert », le Sahara. Ces étendues de sables et de rocailles cachent la vie dans leurs entrailles : D’énormes réserves d’eau douces, ou à faibles salinité. Ces eaux, qui forment les nappes phréatiques et albiennes, se sont accumulées dans les strates géologiques pour former le Système aquifère du Sahara septentrional (SASS) qui couvre une superficie totale de plus d’un million de km2 : 700 000 km2 en Algérie, 80 000 km2 en Tunisie et 250 000 km2 en Libye.
Dans notre imaginaire, le Sahara est un océan de sable où la vie est marginale, où ni l’homme, ni l’animal, ni le végétal ne peut survivre. Un espace hostile où il est impossible de s’établir, où il est permis de tout faire sans précaution, sans retenue. C’est ce genre tartufferies qui ont été mobilisées par l’armée française au service de son programme nucléaire. Elle y a mené ses essais nucléaires de 1957 jusqu’en 1967. Des essais qui ont durablement contaminé l’air et les sols sur de grandes étendues. Aujourd’hui, avec ce projet d’exploitation de gaz de schiste, les majors et les multinationales, avec la complicité des pouvoirs en place, s’apprêtent à commettre un crime écologique et environnemental majeur : L’irrémédiable pollution, plus que probable, des nappes phréatique et albienne, ou plus exactement l’aquifère su Sahara septentrional.
Ces aquifères fossiles se sont constitués il y a plus de 10 000 ans, lorsque la région était soumise à un climat plus humide Pendant des dizaines de milliers d’années, les pluies se sont infiltrées dans le sous-sol et accumulées dans différentes couches géologiques. Des dizaines de milliers de milliards de mètres cubes d’eau y sont piégés. Il suffira de quelques années, au plus deux décennies, d’exploitation des hydrocarbures non conventionnels pour détruire cette ressource, pour stériliser le Sahara.
Ces eaux servent déjà à nos populations, notamment pour l’agriculture. Environ 80 % du volume d’eau prélevée à partir de près de 9000 points d’eau, servent à cette activité. Il y a une décennie, les prélèvements étaient estimés à 550 millions de m3/an en Tunisie, 1 500 millions de m3/an en Algérie, et 450 millions de m3/an en Libye. Ces quantités étaient appelées à progresser. Dans le même temps, la recharge du SASS est au maximum, d’environ un milliard de mètres cubes d’eau/an. Une quantité bien insuffisante pour compenser les prélèvements.
L’eau c’est la vie, cela est bien connu ; mais à l’avenir, elle est promise à devenir une ressource stratégique majeure.
L’Algérie, d’après les projections, devra forer un minimum de 10 000 puits de gaz de schiste pour produire 55 milliards de mètres cubes. Chaque puits est une prise de risque sur tout ou une partie du SASS. Prendre ce risque sur les eaux des nappes du Sahara est inacceptable. D’autant que le potentiel saharien en énergie renouvelable est tributaire de la disponibilité de l’eau. Le Sahara recelé un incommensurable potentiel solaire et éolien. Mais sans eau, ce potentiel est chimérique. Les réserves aquifères du SASS sont essentielles au maintien de la vie au Sahara, elles sont aussi indispensables au développement d’une agriculture saharienne prometteuse, et de filières d’énergies alternatives durables et créatrices d’emplois pérennes.
En Algérie, la loi permettant l’exploitation des hydrocarbures de schistes a été adoptée dans les mêmes conditions où se préparent leurs exploitations en Tunisie, au Maroc ou en Libye. Dans l’opacité et l’absence d’un débat public et contradictoire.
Envoyé spécial : Abdou
Contributeurs : Mehdi et Mohand