Ces derniers jours ont été chauds pour le DAL. Est-ce que tu peux dire rapidement ce qui s’est passé ?
Jean-Baptiste Eyraud – Nous avions installé un campement lundi 14 octobre, place de la République, à la suite d’une table ronde pour le droit au relogement de 300 familles qui n’avait rien donné. Nous avons décidé de passer la nuit Place de la République pour la 4e fois. Nous l’avions déjà fait sans que cela ne pose de problème. Le lendemain vers midi, les CRS ont débarqué. Ils ne restent alors sur le campement qu’une vingtaine de personnes, les autres sont au travail. Sans sommation, les CRS coupent les bâches, qui tombent sur la tête des mal logéEs et militantEs assis par terre qui se tiennent par les coudes, et embarquent ceux-ci sans ménagement. Un CRS déchire l’oreille d’un père de famille qui sortira de l’hôpital avec 12 points de suture. Le ton est donné.
Le soir même, et le lendemain soir, et le jeudi soir, rassemblement sur la base de notre déclaration de manifestation statique d’une semaine. À chaque fois les policiers nous encerclent pour nous empêcher de manifester, et on entend des CRS se dire : « on va se les faire ». Il y a beaucoup de mères de familles et des enfants. Le samedi 19, nous participons à la journée européenne pour le droit au logement et contre la spéculation immobilière organisée dans 12 pays européens. Le rassemblement se tient, mais beaucoup de policiers sont présents. Nous décidons de partir et commençons à descendre dans le métro. Surprise, la police nous bloque et nous bouscule. Nous nous asseyons par terre, et là les CRS nous frappent.Comme les autres personnes, je reçois des coups. Un CRS me tire par les cheveux et me mets trois coups de rangers dans les côtes. Ils m’enlèvent aussi mes chaussures. Ils tordent les membres des mères de familles, les têtes... Il y a pas mal de blessés. En fait, ils veulent nous faire mal pour nous forcer à nous lever. Habituellement ils te portent à 3 ou 4, en douceur. C’est un choix de la hiérarchie, des ordres ont été donnés faire mal et faire peur. Puis ils nous traînent par terre et nous emmènent dans la cage humaine qu’ils ont constituée, nous séquestrant pendant 4 heures dans des conditions dégradantes, puisqu’il faut uriner sous les yeux des policiers. Le commissaire refuse qu’un médecin fasse des soins.
Au bout du compte, le Ministère du logement intervient, inquiet des brutalités en cours, et se dit prêt à négocier. Rendez-vous est pris pour le lundi suivant. La police s’en va à notre demande, et nous partons tous ensemble.
Qui étaient les familles rassemblées Place de la République ?
Ce sont des familles qui ont fait des demandes de logement social, qui, pour la plupart, sont des prioritaires DALO. Dans l’attente d’un relogement par l’État, elles sont hébergées dans des conditions éprouvantes, dans des hôtels à droite à gauche, qui connaissent des situations de grande précarité. Ce sont les mêmes qui ont occupé les gymnases de la ville de Paris depuis le début de l’année. Elles sont très déterminées à lutter, comme on l’a fait rue de la Banque, et elles en ont marre.
Comment expliques-tu l’attitude du pouvoir ?
Les faucons ont le vent en poupe. On a vu aussi la répression contre des luttes du logement à Toulouse, Poitiers, Lille, Montpellier, Renne et Bordeaux ces derniers temps, on le voit aussi les familles sans papiers. Il y a une position dure du gouvernement contre les mouvements sociaux, pour faire taire les revendications, avec des contradictions en son sein comme on le voit entre le ministère du logement et celui de l’Intérieur.
Vous avez porté plainte auprès de l’IGPN ?
On est obligé de passer par l’IGPN pour porter plainte contre la police. C’est une réforme de Sarkozy. On a déposé les images, les documents. Plusieurs personnes ont porté plainte. Moi aussi. Pour violence et séquestration. Il y a des images qui montrent la brutalité policière. À une autre époque, dans les années 90, une affaire comme celle là aurait fini en correctionnelle. On va voir quelles suites seront données par l’IGPN.
Que penses-tu de l’ensemble de la politique du gouvernement en matière de logement ?
Cette politique n’est pas bonne. À part quelques avancées mineures, on n’est pas satisfait de la loi Duflot. Le renforcement de la loi de réquisition a été rejeté par le Sénat, une meilleure protection des mal-logés, des habitants de taudis contre les marchands de sommeil et les bailleurs indélicats n’est pas passée non plus, pour l’instant.
Les fonds pour produire du logement social, le 1 % logement, ont été raflés pour d’autres missions. Cela assèche les sources de financement de la construction de logements sociaux. Ils ont gelé les allocations logements, les APL, ce qui va peser sur les locataires les plus modestes.
Nous sommes très critiques vis-à-vis de ce gouvernement qui fait des cadeaux fiscaux aux riches pour investir dans le locatif, qui soutient la rente locative qui ne produit que de la spéculation et de la pauvreté. L’encadrement des loyers de madame Duflot risque d’être un encadrement des loyers à la hausse. Nous espérons qu’il va apporter cependant un peu de répit aux locataires modestes, mais ce n’est pas du tout certain.
Il y a eu depuis quelques semaines, des mobilisations contre les expulsions et les ruptures d’hébergement, à Poitiers, Toulouse, Clermont-Ferrand, Grenoble, Caen, etc. Ne faudrait-il pas tenter de fédérer ces luttes pour leur donner plus de visibilité ?
Ce qui est en cause, c’est le droit à l’hébergement. Toute personne sans logis, quelque soit sa situation administrative selon la loi, y a droit, jusqu’à une orientation vers un hébergement stable ou un relogement. Et l’hiver risque d’être dramatique. On est prêt à contribuer à une mobilisation large mais coordonner n’est pas si facile. Si les salariés de l’urgence ne se mobilisent pas, ce sera insuffisant. La mobilisation des associations gestionnaires serait aussi nécessaire. A Clermont-Ferrand, le mouvement a pris car tout le monde s’y est mis. C’est une idée à fouiller et évidemment on serait partant. Mais il faut sortir de l’hébergement hôtelier et lancer un vaste plan de mobilisation des logements et locaux vacants (réquisition, mise à disposition, intermédiation locative…). Ça passe également par la réquisition des logements vacants. Il y a un enjeu important à constituer un front pour défendre ce droit. Dans le cas contraire, les idées d’extrême droite vont se développer, la xénophobie et le racisme, la stigmatisation et la répression des populations les plus précarisées.
Quelles sont vos perspectives de mobilisations pour les semaines à venir ?
On a devant nous une période de négociations. On est mobilisé jeudi 31 octobre pour l’arrivée de la trêve hivernale, une sorte d’halloween avec les enfants, place de la République. Ensuite je pense qu’il y aura des mobilisations concernant l’application de la loi de réquisitions, l’amélioration de la loi Duflot. Nous étions dans l’idée d’une grande loi pour les mal-logés, les sans logis, les locataires, soutenue et encouragée par une mobilisation sociale, et la plate forme logement des mouvements sociaux. Le Ministère du logement et le gouvernement n’en ont pas tenu compte et ont choisi d’écouter les gestionnaires, et au final, les bailleurs et les milieux de l’immobilier.
Propos recueillis par JMB