La Corée du Nord est condamnée et sanctionnée par la communauté internationale pour son essai nucléaire. Ce tollé indigné est la réponse la plus facile. Mais elle a peu de chance de désamorcer l’escalade. Si un consensus s’est fait au Conseil de sécurité de l’ONU pour clouer Pyongyang au pilori, il est loin d’être certain qu’il y aura une même unanimité dans l’application des sanctions, en dépit de la fermeté affichée de la Chine, de la Corée du Sud ou de la Russie. Surtout, il est peu réaliste de penser, estiment des analystes de la Corée du Nord à Séoul, que les sanctions apporteront une quelconque solution à une crise qui comporte de sérieux risques d’incidents militaires susceptibles de dégénérer. D’autres initiatives, diplomatiques cette fois, doivent intervenir.
C’est apparemment la voie sur laquelle on s’engage à la suite de la tournée asiatique de la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, et des pourparlers entre Pékin et Pyongyang. Mais pour que ces initiatives aient une chance d’aboutir, il faut prendre en compte les motivations de Pyongyang ainsi que les contraintes qu’impose la situation géopolitique de la République populaire démocratique de Corée (RPDC).
A moins de prendre des risques considérables, celle-ci exclut une intervention armée fût-elle « chirurgicale » - d’abord parce que les installations nucléaires nord-coréennes souterraines sont difficiles à détecter et ensuite parce que bombarder la centrale nucléaire de Yongbyon pourrait provoquer un nuage radioactif pire que celui de Tchernobyl. « En raison des impératifs géostratégiques, les options américaines semblent limitées », estime Shim Jae-hoon, analyste politique à Séoul. « Il n’y a pas de solution militaire en Corée », soulignait récemment le New York Times dans un éditorial.
En déclarant à Séoul que les Etats-Unis ne cherchent pas l’escalade dans la crise nord-coréenne, Mme Rice semble indiquer une nouvelle - et relative - flexibilité de la part de Washington. Le retour à une forme de dialogue, encore à définir, paraît également être le souhait de Pyongyang, observent de leur côté les Chinois.
Le défi lancé au monde, le 9 octobre, par la RPDC est « une opération parfaitement orchestrée en vue d’une négociation sur des bases plus favorables pour Pyongyang », affirme Paik Hak-soon, politologue à l’institut Sejong à Séoul. De Madeleine Albright, ancienne secrétaire d’Etat américaine, à Junichiro Koizumi, ex-premier ministre japonais, tous ceux qui ont rencontré Kim Jong-il, dirigeant suprême de la RPDC, l’ont trouvé bien informé et sensé.
Pour Pyongyang, détenir la bombe n’est pas une fin en soi. C’est assurément une garantie que la RPDC ne sera pas un nouvel Irak. Mais la possession de l’arme nucléaire ne peut pour autant répondre à la préoccupation majeure du régime qui dépend largement de l’assistance de ses voisins chinois et coréens du Sud : assurer sa survie. Depuis le début des années 1990, Pyongyang a cherché à négocier son programme nucléaire. C’est encore le cas. « Nous renoncerons à notre programme nucléaire le jour où nous aurons trouvé un mode de coexistence avec les Etats-Unis », a déclaré, en septembre, le ministre des affaires étrangères nord-coréen Kim Gye-gwan à Selig Harrison, l’un des rares Américains à avoir accès aux hautes personnalités à Pyongyang. En échange de l’arrêt de son programme nucléaire, la RPDC demande aux Etats-Unis des garanties de sécurité, une normalisation des relations et la levée des sanctions imposées à la fin de la guerre de Corée (1953) qui en font un pays paria.
Pourquoi alors avoir provoqué cette « montée des enchères » maintenant ? Plusieurs facteurs peuvent être intervenus : 1. Influencer les élections à mi-mandat aux Etats-Unis en faisant de la question nord-coréenne un de leurs enjeux afin de tenter de desserrer l’étau des sanctions financières prises par Washington en septembre 2005 pour contrer les trafics auxquels se livrerait le régime, mais qui frappent, en fait, tous les échanges de la RPDC avec l’extérieur. 2. Eviter la « provocation » d’un essai nucléaire à une date trop proche de l’élection présidentielle en Corée du Sud (décembre 2007), afin de ne pas favoriser l’opposition, et des Jeux olympiques à Pékin (2008).
« SENTIMENT D’URGENCE »
L’étranglement financier auquel se livrent les Etats-Unis en dissuadant les banques internationales de traiter avec la RPDC est ressenti par le régime comme une manœuvre pour provoquer sa chute. Et « il a pu penser ne rien avoir à perdre à renoncer à la négociation en procédant à un essai nucléaire », estime Ha Young-sun, professeur de relations internationales à l’université de Séoul. « Il s’est en outre fait jour à Pyongyang un sentiment d’urgence », poursuit-il. La déconvenue de la participation de la Chine à la condamnation de la RPDC par le Conseil de sécurité pour les tirs d’essai de missiles du 5 juillet a confirmé le régime dans l’idée qu’il ne peut compter sur personne. Défi à la communauté internationale, l’essai nucléaire pourrait être aussi une manifestation d’indépendance vis-à-vis de la Chine.
Les relations entre Pékin et Pyongyang, étroites en apparence, sont loin d’être chaleureuses. La RPDC dépend de la Chine pour ses approvisionnements en denrées alimentaires et en énergie, mais elle sait aussi que la priorité de Pékin est la stabilité régionale, condition de la poursuite de son expansion économique. La Chine ne veut pas d’un effondrement du régime qui entraînerait le chaos dans la péninsule, un afflux de réfugiés à sa frontière et, en cas de réunification sous l’égide du Sud, l’arrivée à ses portes des troupes américaines qui y sont stationnées.
Le régime de Pyongyang agace les Chinois, mais la RPDC est une composante de leur système de sécurité. « La menace nord-coréenne est perçue par les militaires chinois comme un contrepoids à la présence américaine en Asie », souligne John Tkacik de Heritage Foundation, à Washington. Les deux pays sont liés par le traité de défense mutuelle de 1961 et, ajoute-t-il, « la politique chinoise à l’égard de Pyongyang est gérée par l’état-major plus que par les diplomates ».
Favoriser un coup d’Etat militaire prochinois à Pyongyang « est une option caressée par Pékin, mais elle serait encore plus risquée que le maintien de Kim Jong-il », observe Pail Hak-soon. « Aucun régime, poursuit-il, ne tiendra en main le pays comme il le fait. Et aujourd’hui que la RPDC est une puissance nucléaire, son effondrement serait encore plus dangereux » en raison de l’instabilité qui en résulterait. Dans une situation aussi bloquée, la négociation paraît s’imposer. Tel est du moins le pari, risqué, de Pyongyang.