On se souvient des vidéos chocs, reprises par la presse britannique l’an dernier, montrant des oiseaux à la gorge endommagée, aux pattes ensanglantées, agonisants empilés les uns sur les autres ou encore couverts de vomi. Cette fois, ce sont des images tournées non plus dans des salles de gavage mais dans un couvoir de canetons et dans un élevage de canes reproductrices, dans lesquels les animaux sont également maltraités et violemment mis à mort, qui jettent une nouvelle fois l’opprobre sur la production française de foie gras. De quoi donner un arrière-goût amer aux fêtes de fin d’année.
[Vidéos non reproduites ici. Se référer à l’article original]
La première vidéo, tournée il y a une semaine dans un couvoir pour les filières foie gras et chair en Pays-de-la-Loire, montre le tri des canetons selon leur sexe : les femelles, dont le foie est considéré comme trop petit, se retrouvent broyées à raison de plusieurs dizaines de milliers par jour – dont certaines sortent disloquées mais encore vivantes de la broyeuse. A l’inverse de l’industrie des poules pondeuses, qui voit également des milliers de poussins (mâles) broyés, seuls les canards mâles sont utilisés dans la production de foie gras, soit 43 millions de poussins chaque année selon le ministère de l’agriculture. Ces derniers voient leur bec coupé par une pièce métallique chauffée à blanc, à la chaîne, pour éviter qu’ils ne s’agressent dans les élevages intensifs.
Dans la seconde vidéo, filmée en avril dans le Sud-Ouest, dans un élevage de canards reproducteurs (pour fournir des œufs aux couvoirs), on voit des canes inséminées artificiellement – ce qui est la norme dans les élevages, pas seulement de canards. Puis, plus tard, une cane qui agonise après avoir eu son cou disloqué ou encore des femelles épuisées qui peinent à se déplacer. Quant aux canards mâles dont on prélève la semence, ils sont enfermés dans des cages minuscules.
« Une fois de plus, ces vidéos lèvent le voile sur une filière qui a beaucoup à cacher, réagit Brigitte Gothière, porte-parole de l’association L214, qui milite pour l’interdiction de la production de foie gras, à l’origine de la publication des deux vidéos. Les producteurs, à grand renfort de publicité, ont réussi à faire du foie gras un produit de luxe et soi-disant de tradition, mais les images montrent des choses abjectes et de la maltraitance animale. Le broyage est certes autorisé par la législation mais il doit provoquer une mort immédiate, ce qui n’est pas toujours le cas. » « Il n’y a ni transparence ni traçabilité dans cette filière, donc nous voulons montrer l’envers du décor, comment le produit a été obtenu », poursuit-elle, avant de proposer des alternatives.
« Souffrance inutile »
Après avoir été élevés 40 jours en poussinières, puis 40 jours en extérieur, les mulards – hybrides stériles issus du croisement de deux espèces de canard – sont gavés industriellement pendant 10 à 12 jours, dans des cages, avant d’être abattus. On leur administre deux fois par jour, à l’aide d’une pompe hydraulique ou pneumatique enfoncée dans l’œsophage, près d’un kilo de pâtée de maïs en trois à quatre secondes. Ce traitement occasionne des lésions, des inflammations (œsophagites, entérites), et des infections (notamment des candidoses et des infections bactériennes). Le foie atteint jusqu’à dix fois sa taille habituelle. « Les oiseaux sont atteints de stéatose hépatique [lésion du foie]. Les consommateurs mangent donc un foie malade », poursuit Brigitte Gothière. 2 % des bêtes meurent pendant le gavage, selon des chiffres de l’Institut technique de l’aviculture.
L’Union européenne, dans une directive de 1998, interdit l’alimentation forcée des animaux dans les élevages, débouchant sur « des souffrances ou des dommages inutiles ». Toutefois, lors de l’adoption en 1999 de recommandations européennes concernant les canards et les oies, les pays producteurs de foie gras ont bénéficié d’une dérogation, le temps qu’ils étudient des alternatives n’impliquant pas la prise forcée d’aliments (toujours en cours). L’entrée en vigueur de cages collectives, conformément à la législation européenne, a également été repoussée en France de cinq ans, au 1er janvier 2016. 85 % des ateliers de canards gras en sont déjà équipés.
Consommateurs partagés
Aujourd’hui, seuls cinq pays européens produisent du foie gras : la France, la Bulgarie, la Hongrie, l’Espagne et la Belgique. Le gavage est interdit – mais pas la consommation – dans les autres Etats, soit directement, soit indirectement en application de la législation contre la maltraitance animale. La Pologne, qui était le 5e producteur mondial, a rendu le gavage illégal en 1999. L’Italie y a renoncé en 2004.
L’Hexagone, qui a inscrit le foie gras au patrimoine gastronomique national en 2006, représente 73 % de la production mondiale, avec 19 300 tonnes l’an dernier, issues de 36 millions de canards et de 570 000 oies gavés, selon la dernière note de conjoncture du ministère de l’agriculture. Si la consommation est en très léger déclin (- 1 %) en 2014, pour la quatrième année consécutive, la production de foie gras a été multipliée par plus de trois en vingt ans. Les Français en ont consommé l’an dernier 276 grammes en moyenne par personne.
Les consommateurs restent partagés : selon un sondage YouGov pour L214, réalisé en décembre, 51 % des Français sont favorables à l’interdiction du gavage – 4 points de plus qu’en 2014 et 7 points rapport à 2013 – et 33 % refusent d’acheter du foie gras pour des raisons éthiques ; mais dans le même temps, 80 % d’entre eux estiment que le foie gras est un incontournable des fêtes de fin d’année, selon une autre enquête réalisée en octobre 2014 par le CSA pour le Cifog.
Audrey Garric