Le président philippin, Rodrigo Duterte, a instauré mardi 23 mai la loi martiale sur la grande île du sud du pays, Mindanao, après une journée de combats en zone urbaine entre l’armée et des groupes ayant prêté allégeance à l’organisation Etat islamique (EI). M. Duterte a écourté une visite officielle en Russie, où il était arrivé la veille, pour rentrer à Manille.
Selon le secrétaire à la défense philippin, Delfin Lorenzana, deux soldats et un policier ont été tués, et douze autres blessés, au cours de violents accrochages dans la ville de Marawi – 200 000 habitants, majoritairement musulmans. Une résidente a dit à la chaîne ABS-CBN avoir entendu des coups de feu toute la nuit et jusque dans la matinée, avec une pause d’une vingtaine de minutes à l’heure de la première prière du mercredi. La plupart des gens avaient trop peur de sortir de chez eux malgré leur désir d’évacuer la ville, a-t-elle expliqué.
L’extrême sud des Philippines est en proie depuis les années 1990 aux attaques de groupes criminels se réclamant de l’islam radical et se finançant avec les prises d’otages et la piraterie maritime. Arrivé au pouvoir mi-2016, M. Duterte a demandé aux forces armées de liquider ces groupes, l’un historique, Abou Sayyaf, et l’autre fondé autour de 2013, Maute. Mais les troupes régulières se heurtent sur le terrain à des ennemis tenaces.
En janvier, l’armée avait bombardé des combattants cachés dans le fief du Maute après avoir obtenu des informations faisant état de la présence sur place du leader d’Abou Sayyaf, Isnilon Hapilon. Celui-ci aurait tenté de rapprocher les deux entités pour se présenter comme l’« émir » des Philippins affiliés à l’EI. Isnilon Hapilon aurait été blessé dans l’attaque.
Les violences de mardi seraient la suite directe de cet épisode, selon Manille. Depuis Moscou, le secrétaire à la défense a expliqué que I’armée avait tenté d’arrêter le leader terroriste. Il se trouvait à Marawi, que son groupe avait pu infiltrer sans être détecté par l’armée, « peut-être en se faisant passer pour des civils » car il s’y trouve « beaucoup de sympathisants ».
C’est lorsque les forces régulières, soldats et policiers, ont approché de sa cache qu’ont commencé les combats, selon le gouvernement. « Elles prévoyaient d’arrêter M. Isnilon, elles ne savaient pas qu’il était appuyé par une centaine de combattants armés », a expliqué M. Lorenzana.
Renforts
Ces rebelles islamistes auraient alors appelé en renfort d’autres combattants puis occupé dans la journée un hôpital, une faculté, la mairie et la prison de la ville, et mis le feu à plusieurs bâtiments.
Des habitants de Marawi ont posté sur les réseaux sociaux des photos de combattants vêtus de noir ou en treillis, tenant des artères de la ville et les toits d’immeubles. Les insurgés ont placé un drapeau de l’EI sur au moins un véhicule de police. Ils l’auraient également fait flotter au sommet de l’hôpital.
« Ils occupent toujours la rue principale de Marawi (…) et deux ponts menant à la ville, a précisé M. Lorenzana. L’ensemble de la ville de Marawi est dans le noir, il n’y a pas de lumière, et il y a des tireurs du [groupe terroriste] Maute tout autour. »
Plusieurs otages dont un prêtre aux mains des islamistes
Des islamistes combattant les forces de sécurité dans le sud des Philippines ont pris plusieurs personnes en otages, dont un prêtre, a annoncé mercredi 24 mai l’Eglise catholique, alors que le président, Rodrigo Duterte, a déclaré la loi martiale dans la région.
Le père Chito Suganob et d’autres personnes qui se trouvaient dans une cathédrale ont été pris en otages par des membres du « groupe combattant Maute », a déclaré dans un communiqué le président de la Conférence des évêques des Philippines, Socrates Villegas. « Ils ont menacé de tuer les otages si les forces gouvernementales lancées contre eux ne sont pas rappelées. »
La conférence des évêques philippins a par ailleurs annoncé qu’un prêtre et ses ouailles avaient été pris en otage par les combattants, qui ont pénétré dans la cathédrale de la ville en plein office et les ont emmenés jusqu’à un endroit inconnu. « Ils ont menacé de tuer les otages si les forces gouvernementales lancées à leurs trousses ne sont pas rappelées », a déclaré le président de la conférence, l’archevêque Socrates Villegas.
Les forces armées ont dit envoyer des renforts sur place mardi soir, et tenter avant leur arrivée de ne pas perdre de terrain. « Nous serons capables de les contenir en avançant demain ou dans les deux jours qui viennent », a assuré le secrétaire à la défense.
Le maire de la ville, Majul Gandamra, a expliqué mercredi matin au journal The Inquirer que la tension retombait. « Mais je ne peux pas dire que le groupe Maute ou l’EI ont disparu, a-t-il nuancé. J’entends dire que certains ont quitté la ville pour rejoindre les communes des alentours. »
Pour l’établissement d’un « califat »
Certains commentateurs critiquaient mardi soir l’incapacité des forces armées à anticiper un tel risque, en lançant une opération dans une ville située à deux heures de route de la zone où les combattants islamistes ont été bombardés en début d’année. Ces derniers étaient parvenus, en novembre 2016, à hisser le drapeau de l’EI sur la mairie d’une commune, Butig, dix fois moins peuplée que Marawi. Il avait fallu plusieurs semaines pour les déloger des dix hectares dont ils s’étaient saisis.
Ces groupes islamistes armés ont, par ailleurs, fait la preuve de leur ambition d’opérer hors de leur rayon d’action passé. En septembre 2016, le Maute avait conduit une attaque à la bombe faisant 16 morts et 70 blessés sur un marché de nuit de la plus grande ville de l’île de Mindanao, Davao, dont M. Duterte a été le maire pendant deux décennies.
Puis, en avril, une tentative de prise d’otages contrée par l’armée avait fait huit morts sur l’île touristique de Bohol, dans le centre du pays. Enfin, début mai, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada ont appelé leurs ressortissants à la prudence s’ils prévoyaient de voyager dans certaines régions de l’île de Palawan, connue pour ses plages paradisiaques, du fait d’« informations crédibles » sur des projets d’enlèvements.
L’instauration de la loi martiale, certes limitée à la région de Mindanao mais mise en place par un président qui revendique des méthodes violentes, inquiète les défenseurs des droits de l’homme philippins. Ils craignent, dans le sud du pays, un retour à la gouvernance autoritaire qu’avait imposé Ferdinand Marcos jusqu’à sa chute en 1986.
M. Duterte lui-même a promis de l’appliquer avec « sévérité », évoquant déjà la possibilité de maintenir ce régime d’exception durant un an alors que la Constitution le limite à soixante jours. « Cela ne sera pas différent de ce qu’avait fait le président Marcos », a-t-il déclaré.
Harold Thibault
* LE MONDE | 23.05.2017 à 22h29 • Mis à jour le 24.05.2017 à 12h23 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/05/23/philippines-violents-combats-dans-le-sud-de-l-archipel-la-loi-martiale-instauree_5132810_3216.html
Le président philippin demande des armes à son homologue russe Vladimir Poutine
Rodrigo Duterte est reparti précipitamment de Moscou en raison de la situation sur l’île de Mindanao, dans le sud des Philippines, où la loi martiale a été instaurée.
Vladimir Poutine a bousculé son agenda pour recevoir tardivement, mardi 23 mai, Rodrigo Duterte dans les salons du Kremlin avant qu’il ne reparte. A peine arrivé, pour sa première visite officielle en Russie, le président philippin a dû en effet faire demi-tour en raison de violents combats qui ont opposé l’armée et des groupes affiliés à l’organisation Etat islamique (EI) sur l’île de Mindanao, dans le sud des Philippines, où la loi martiale a été instaurée. Du moins a-t-il eu le temps d’implorer son hôte de lui livrer des armes.
« Nous avons besoin d’armes modernes (…). Je suis venu personnellement vous demander votre soutien et votre aide », a déclaré Rodrigo Duterte, après que son porte-parole, Ernesto Abella, a annoncé, depuis Moscou, l’instauration de la loi martiale « pour l’île entière de Mindanao » et pour une période de deux mois. En retour, M. Poutine a exprimé le souhait que le conflit soit « réglé au plus vite » et rassuré son invité : « Il y a beaucoup de perspectives » économiques entre les deux pays, notamment « dans le domaine militaro-technique ».
Malgré un séjour avorté qui devait durer cinq jours, le président philippin a tenu à afficher sa volonté de privilégier une relation encore balbutiante avec Moscou au détriment de l’allié traditionnel américain. « Nous ouvrons une nouvelle page de l’histoire de mon pays », a-t-il souligné dans un entretien à l’agence russe Tass, ajoutant : « Depuis mon arrivée au pouvoir [le 30 juin 2016], nos relations avec l’Occident se sont un peu dégradées, j’ai donc décidé de mener une politique extérieure indépendante. Avant, nous suivions la voie des Etats-Unis. Aujourd’hui, je développe la coopération avec la Chine (…) et la Russie. »
« Prétexte »
Mis en cause pour les milliers de civils tués par les forces de sécurité dans le cadre de sa campagne contre la drogue, Rodrigo Duterte a vu ses livraisons d’armes (de poing, essentiellement) gelées par Washington. « Nous avons commandé des armes à l’Amérique mais eux, ils se préoccupent des droits de l’homme et nous obligent à faire ce qu’ils veulent. J’ai décidé de ne plus avoir affaire à eux, a-t-il affirmé, en se plaignant également de ses relations avec l’Europe. Récemment, l’Union européenne nous a proposé une subvention de 200 millions de dollars [180 millions d’euros] pour améliorer la situation dans le domaine des droits de l’homme. J’ai refusé et dit que nous n’avions pas besoin de cela ». « Les droits de l’homme, a encore insisté M. Duterte, c’est un prétexte des Etats-Unis et de l’Union européenne pour intervenir dans les affaires des autres. »
Le président philippin a donc décidé de se tourner vers M. Poutine qu’il avait décrit, avant même son élection, comme son « idole », motivé, de surcroît, par les conseils d’un diplomate russe lui assurant qu’à Moscou, il trouverait « tout ce dont il a besoin ». Rodrigo Duterte a fait la liste : « Nous avons besoin de matériel de renseignement, de missiles guidés manuellement, d’armes légères. En outre, l’acquisition d’hélicoptères et d’avions “légers”, pas chers mais efficaces, est très importante. » Au moins, a-t-il fait valoir, la Russie ne pose pas de conditions pour conclure un accord sur la livraison d’armes, à la différence des Etats-Unis.
Rien n’est moins sûr. Mais pour Moscou, la démarche du Philippin représente une aubaine qui lui permet de conforter un peu plus le rôle de centre de pouvoir alternatif aux Etats-Unis qu’affectionne le Kremlin. Restés sur place dans la capitale russe, des membres du gouvernement de M. Duterte doivent négocier les contrats économiques et dessiner les contours de la nouvelle alliance entre Moscou et Manille voulue par leur président.
Tout en assurant que « les ennemis ne sont pas nombreux » aux Philippines, et qu’il ne s’agit pas d’un « théâtre de guerre », Rodrigo Duterte avait prévenu quelques heures avant l’instauration de la loi martiale dans l’île de Mindanao : « Si je promulgue cette loi, il n’y aura plus aucune restriction sur les méthodes pour résoudre les problèmes. »
Isabelle Mandraud (Moscou, correspondante)
* LE MONDE | 24.05.2017 à 14h07 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/05/24/le-president-philippin-demande-des-armes-a-son-homologue-russe-vladimir-poutine_5133338_3216.html