« Les talibans de la Corne d’Afrique »,« Les marionnettes d’Al-Qaëda dans la région », « La Somalie ... un Afghanistan potentiel ». Autant d’expressions que Washington utilise pour désigner les islamistes de Somalie. Les Américains se serviront de l’armée éthiopienne pour chasser ces Bin Laden du pays. Un important cadeau offert par Addis-Abeba pour la nouvelle année. « C’est grâce à l’armée éthiopienne que l’Administration américaine a réussi à réaliser un succès stratégique en Somalie, sans tirer un seul coup de feu ni perdre un seul soldat », dit Moustapha Magdi, chercheur au Centre d’études arabes et africaines. Et assez facilement, Washington déploie ses forces navales au large de la Somalie sous prétexte d’empêcher la fuite d’islamistes en déroute. Une victoire dont rêvaient les Américains à la suite de plusieurs interventions en Somalie, toutes soldées par un grand échec.
« Les Américains ont une vendetta à régler en Somalie. Les forces américaines ont connu une aventure désastreuse », ajoute Magdi.
Le chercheur raconte que l’opération militaire américaine appelée « Rendre l’espoir » en 1993, menée sous prétexte de tenter de pacifier un pays où l’Etat s’effondrait, s’était achevée par un piteux retrait après que les miliciens somaliens eurent abattu deux hélicoptères américains, tué 18 Marines et exhibé leurs corps à travers les rues de la capitale.
Cet échec américain, suivi par un autre échec de l’opération « humanitaire » militarisée des Nations-Unies, entre 1992 et 1995, avait modifié la stratégie américaine et l’avait éloignée un peu de la situation en Somalie.
Mais l’apparition en juin dernier des Tribunaux islamiques au pouvoir avait ravivé les craintes américaines. Selon Hani Raslan, politologue, « pour Washington, une Somalie dirigée par des Tribunaux islamiques serait la base principale à la cellule est-africaine d’Al-Qaëda ». Washington les accuse en effet d’abriter trois islamistes soupçonnés d’avoir pris part aux attentats à la bombe de l’été 1998 contre ses ambassades à Nairobi et Dar es-Salam. De plus, plusieurs responsables des Tribunaux islamiques en place à Mogadiscio, dont le responsable militaire, Aden Ayrow, ou le chef religieux, Dahir Aweys, se trouvent en bonne place sur les listes des terroristes recherchés par les Etats-Unis.
C’est ainsi que Washington a décidé de les combattre et avec tous les moyens possibles. Tout d’abord, les Américains se sont mis à financer secrètement, à coups de centaines de milliers de dollars, les chefs de guerre encore au pouvoir à Mogadiscio pour freiner la montée des Tribunaux islamiques. Un soutien sans équivoque à cette coalition que les chefs de guerre ont formée avec des hommes d’affaires somaliens, — appelée l’Alliance pour la Restauration de la Paix et Contre le Terrorisme, — a été affiché. Mais cette alliance a subi une défaite décisive. En effet, l’appui américain à ces chefs de guerre détestés pour leur corruption a alimenté la méfiance de la population, la poussant dans les bras des islamistes qui ont pris facilement la capitale. Les Américains n’ont pas perdu l’espoir. En juin 2006, quatre jours après la prise de Mogadiscio, décident de créer un « Groupe de contact sur la Somalie » avec pour objectif déclaré de promouvoir l’action concertée et la coordination pour soutenir les institutions fédérales transitoires de Somalie. Mais les réunions de ce groupe ne dépassaient pas le niveau formel.
L’Ethiopie, principal allié africain dans la région dans la lutte contre le terrorisme comme Washington l’affirme ouvertement, vient lui apporter la victoire recherchée. « Les Etats-Unis, se trouvant enfoncés en Afghanistan et en Iraq, n’ont pas voulu ouvrir un autre champ de bataille. Ils ont alors incité l’Ethiopie à agir. Une incitation que cette dernière, très inquiète de voir un régime islamiste radical s’installer à sa frontière sud, avait accueillie favorablement », relève Hani Raslan.
Selon Magdi, « dans sa guerre mondiale contre le terrorisme, la Corne de l’Afrique vient, pour l’Amérique, juste après le Moyen-Orient ». Mais la lutte contre le terrorisme n’est pas le seul objectif que Washington veut réaliser dans cette région. Redessiner la carte géopolitique de la Corne d’Afrique est aussi un important dessein. « Washington a élaboré un plan d’une grande Corne de l’Afrique, à l’instar du Grand Moyen-Orient », ajoute-t-il. Une façon de se forger une place dans une Afrique, qui jusqu’à présent était davantage sous « patronage » européen de par une histoire coloniale. L’intérêt américain accordé à la Somalie est similaire à celui accordé au Sud-Soudan et au Darfour. La Corne de l’Afrique doit aussi suivre le groupe de pays dépendants de l’Amérique.