L’empreinte carbone du Costa Rica est minuscule par rapport à celle d’autres pays. Mais [la première dame] Claudia Dobles [chargée de superviser la mise en œuvre d’un “plan de décarbonation”], caresse un rêve ambitieux : démontrer qu’en se passant totalement de combustibles fossiles, un petit pays peut donner l’exemple au reste du monde et, dans la foulée, résoudre un problème crucial et améliorer la santé et le bien-être de ses citoyens.
Cela permettrait de faire échec au “pessimisme et au chaos” qu’inspire le réchauffement climatique, a-t-elle déclaré. “Nous devons commencer à apporter des réponses.”
Avec son pari écologique – qui se heurte certes encore à un certain nombre de difficultés –, le Costa Rica a pris une longueur d’avance. Une grande part de la production électrique nationale est d’ores et déjà issue de sources d’énergies renouvelables – essentiellement hydroélectriques, mais aussi éoliennes, solaires et géothermiques.
Au cours de ces trente dernières années, après des décennies de déforestation à tout-va, le pays a multiplié par deux son couvert forestier, si bien que la moitié du territoire est aujourd’hui tapissée d’arbres. Immense réservoir de carbone, ce poumon vert est également un important facteur d’attractivité touristique. Pour ne rien gâcher, l’ensemble de la classe politique s’accorde à admettre la réalité du changement climatique.
Si cette stratégie de “décarbonation” réussit, le Costa Rica pourrait fournir une feuille de route à d’autres pays, et plus particulièrement aux pays en voie de développement, en montrant comment des dirigeants démocratiquement élus peuvent favoriser la croissance économique en s’affranchissant des sources d’énergie polluantes.
Si le pays échoue, ce serait une mauvaise nouvelle pour tous les autres
Mais si elle échoue dans un pays si petit et si stable politiquement, cela aura des conséquences tout aussi décisives : “Si nous n’arrivons pas à éliminer totalement le recours aux combustibles fossiles à l’horizon 2050, il y a de fortes chances pour qu’aucun autre pays n’y parvienne”, reconnaît Francisco Alpízar, économiste au Centre de recherche et d’enseignement supérieur en agriculture tropicale de Turrialba [dans le centre du pays] et conseiller climatique du gouvernement. “Ce serait une très mauvaise nouvelle.”
Pour Claudia Dobles, la priorité consiste à s’attaquer aux transports, principale source d’émission de gaz à effet de serre du Costa Rica. Selon une enquête récentede l’organisation [académique] Estado de la Nación, il y a en effet de plus en plus de voitures et de deux-roues sur les routes du pays, l’âge moyen des véhicules en circulation étant de 17 ans. Les embouteillages sont un véritable fléau : à l’heure de pointe du matin, la vitesse du trafic ne dépasse pas 16 km/h ; en fin d’après-midi, elle est encore plus lente.
Dans le cadre de son plan national de décarbonation [adopté le 24 février], le gouvernement projette de mettre en service des lignes ferroviaires électrifiées pour le transport des passagers et du fret d’ici à 2022, ce qui correspond à la fin du mandat du président Carlos Alvarado. Il s’est par ailleurs donné jusqu’en 2035 pour convertir à l’électricité près d’un tiers de la flotte d’autobus et installer des dizaines de bornes de recharge, et prévoit qu’à échéance 2050, pratiquement tous les véhicules individuels et collectifs en circulation rouleront à l’électricité. Contrairement à beaucoup d’autres pays, le Costa Rica n’a pas besoin de charbon pour produire son électricité.
Cette réforme des transports coûtera cher, et elle passera nécessairement par d’autres mesures qui n’ont à première vue que très peu de rapport direct avec le changement climatique – assainir le budget du pays, d’abord, afin d’être en mesure de faire de gros emprunts à l’étranger pour financer cet ambitieux projet, et réduire le taux de chômage, un dossier politique brûlant. Cela suppose également de répondre aux besoins des citoyens qui aspirent à plus de mobilité socioprofessionnelle.
Un “pionnier de l’écologie”
C’est le cas de Stephanie Abarca, 32 ans, gérante d’une boutique d’ameublement. En partant au travail avec son sac et sa boîte-déjeuner en main, elle assure soutenir entièrement les objectifs environnementaux de la première dame, estimant que le Costa Rica doit bien entendu être un “pionnier de l’écologie”.
Elle n’en est pas moins confrontée à des problèmes plus immédiats : pour aller travailler, elle doit se lever à 4 heures du matin, se doucher, s’habiller, faire une heure de bus, marcher jusqu’à la gare (ou courir, si son bus a du retard) pour encore vingt minutes de train – dans un tortillard au diesel sifflant et crachant. Soit deux heures de trajet, deux fois par jour. En général, elle est trop épuisée pour profiter du cours de yoga que propose son employeur à 18 heures pour lutter contre le stress. Le vendredi soir, elle est sur les rotules.
Elle a commencé à économiser pour se payer une voiture d’occasion – une petite citadine Suzuki Swift. Ses déplacements quotidiens en seraient plus simples, assure-t-elle, tout en étant très consciente que cela rejetterait aussi davantage de carbone dans l’atmosphère. “Tout le monde veut une voiture, soupire-t-elle. Ça n’arrange pas les choses.”
Après les transports, l’agriculture et la gestion des déchets représentent la plus grande part des émissions du Costa Rica. Pour limiter la pollution des décharges, le plan prévoit de construire de nouvelles usines de traitement des déchets et de mettre en place des systèmes de recyclage et de compostage, aujourd’hui pratiquement inexistants.
Les producteurs d’ananas et de bananes devront eux aussi limiter leurs émissions de gaz à effet de serre. Tout comme les éleveurs de bétail, ce qui pourrait passer par une réduction des surfaces de terres utilisées. Or les Costaricains, à commencer par la famille du président, sont de grands amateurs de viande. À la question de savoir s’il pourrait envisager d’adopter un régime vegan, Carlos Alvarado répond par un éclat de rire : “Ce n’est pas demain la veille !”
Réforme budgétaire et manifestations
Reste à savoir comment le Costa Rica financera son ambitieux plan écologique. Une première estimation en évaluait le coût à 6,5 milliards de dollars [5,75 milliards d’euros] pour les seules onze prochaines années [correspondant aux phases “démarrage”, de 2018 à 2022, et “virage”, de 2023 à 2030], un montant dont le gouvernement a assuré qu’il serait réparti entre le secteur privé et le public.
Ce qui est plus vite dit que fait, car l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) a pointé du doigt le faible taux de recouvrement de l’impôt, les exemptions fiscales accordées à de puissantes entreprises industrielles et l’envolée de la dette publique. L’aggravation du déficit budgétaire costaricain a récemment conduit les agences de notation à revoir à la baisse la note de solvabilité du pays. Et la réforme budgétaire que le président a tenté de faire passer l’année dernière a soulevé un tollé, déclenchant des manifestations et un mois de grève des enseignants.
Carlos Alvarado, 39 ans, qui, avant d’être élu à la tête de l’État l’année dernière, a publié un roman historique, aime bien se référer au passé. Certains de ses prédécesseurs ont également réalisé des choses improbables, se plaît-il à rappeler, telle l’abolition de l’armée en 1949. La lutte contre le dérèglement climatique est à son sens “la mission première de notre génération”. Il ne voit aucune raison d’attendre que d’autres pays, plus grands et plus puissants, ouvrent la voie. En 2050, souligne-t-il, son fils aura 37 ans, soit le même âge que lui lorsqu’il a brigué la présidence.
Le dernier dimanche de février, sur une estrade dressée derrière le musée de l’Art costaricain [à San José, la capitale], son gouvernement s’est efforcé de rallier le pays à son plan de décarbonation. Les invités ont répondu à l’appel. Le code vestimentaire était décontracté tropical : imprimés à fleurs, vêtements en lin, panama sur la tête. Des bruits évoquant la forêt tropicale emplissaient l’espace. Des acteurs déguisés en animaux se glissaient parmi le public : un jaguar déambulait d’un pas feutré, venant parfois se frotter contre le pantalon d’un politicien, un ara macao dressé sur des échasses ébouriffait la coiffure d’une dame élégante, une grenouille s’incrustait sur les photos des passants.
“Le courage d’aller de l’avant”
“Green is the new black”, proclamait le tee-shirt de la première dame. “C’est une grande transformation qui nous attend, a déclaré le président. Nous devons la réaliser par les données, par l’intelligence, mais nous devons surtout nous armer de courage pour aller de l’avant.”
Tout le monde n’a pas forcément à y gagner.
Un lobby industriel représentant les propriétaires d’autobus a dit que pour électrifier leur flotte, comme l’exige le gouvernement, il leur faudrait soit des subventions publiques, soit augmenter le tarif des billets, ce qui, politiquement, n’arrangerait très certainement pas le pouvoir en place.
Les importateurs de voitures souhaitent quant à eux que les autorités pénalisent les voitures d’occasion, plus polluantes. Le plus grand importateur, Javier Quirós, estime que pour financer un plan aussi ambitieux, le pays devrait reconsidérer son moratoire sur les forages pétroliers. Guillermo Constenla, président de la majorité parlementaire, n’est pour sa part absolument pas favorable à une augmentation de la taxe sur l’essence.
Autre écueil : limiter le nombre de voitures ferait rentrer moins d’argent dans les caisses de l’État, à un moment où le Costa Rica peut le moins se le permettre. En effet, selon le ministère de l’Environnement et de l’Énergie, l’ensemble des taxes liées aux combustibles fossiles, y compris celles imposées aux voitures neuves, représentent plus de 20 % des recettes de l’État.
Son expérience à Paris a transformé la première dame
Le gouvernement n’exclut pas une refonte en profondeur du système fiscal, ce qui serait politiquement risqué. Claudia Dobles a proposé d’augmenter les taxes sur les véhicules consommant beaucoup d’essence, ce qui est aussi risqué.
Elle se dit toutefois convaincue que les habitudes vont évoluer. Enfant, raconte-t-elle, il lui fallait une heure pour se rendre à l’école en bus. C’est d’ailleurs là qu’elle a rencontré Carlos Alvarado. La plupart des relations sociales se déroulaient à la maison, parfois au centre commercial. Ses parents l’accompagnaient en voiture dans ses moindres déplacements. “Je n’avais pratiquement jamais l’occasion de prendre l’air”, se rappelle-t-elle, sauf lorsqu’elle allait rendre visite à de la famille à la campagne. Puis, jeune adulte, elle a fait un séjour à Paris, dans le cadre d’une bourse d’études. L’expérience l’a transformée. Elle n’a plus éprouvé le besoin d’avoir une voiture.
Claudia Dobles [qui est architecte et urbaniste] aimerait que ses concitoyens connaissent ce mode de vie piéton dans leur pays. Pour ce faire, précise-t-elle, il faudrait redéfinir de fond en comble les modèles d’urbanisme de l’immense zone métropolitaine tentaculaire de San José. Prévoir davantage de logements, de commerces, de trottoirs et d’espaces publics où les gens puissent se rencontrer. Et mettre en place des transports modernes, rapides et sûrs. La première dame veut que ses compatriotes comprennent qu’il ne s’agit pas uniquement d’émissions [de gaz à effet de serre]. “C’est aussi une question de qualité de vie”, martèle-t-elle.
Cela étant, si tous les pays du monde devaient se fixer un objectif zéro carbone, le Costa Rica n’en sortirait pas gagnant : la grande majorité des trois millions de touristes qui ont visité le pays l’année dernière sont arrivés par avion, laissant dans le ciel une énorme empreinte carbone.
Somini Sengupta et Alexander Villegas
Somini Sengupta
Alexander Villegas
New York Times
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