Hong Kong se souvient du massacre de la place Tiananmen
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À Hong Kong, des milliers de citoyens inquiets de l’emprise grandissante de Pékin sur leur territoire officiellement autonome se sont rassemblés mardi soir au parc Victoria pour commémorer le 30e anniversaire du massacre de la place Tiananmen.
Brandissant des chandelles ou des affiches aux slogans bien sentis, ils ont manifesté pacifiquement à proximité d’une réplique de la Déesse de la démocratie, une sculpture qui avait été installée à l’époque sur la place Tiananmen.
« Il est très important que la population de Hong Kong continue de se souvenir de la tragédie du 4 juin, et en préserve la mémoire », explique Richard Tsoi, vice-président de l’Alliance en soutien aux mouvements démocratiques et patriotiques en Chine. « Ne laissez pas les autorités chinoises essayer d’effacer la mémoire de la nation. »
Des milliers de manifestants se réunissent chaque année à Hong Kong pour commémorer la mort de centaines, voire de milliers de Chinois – aucun bilan officiel n’existe, NDLR – assassinés après que l’armée fut intervenue pour étouffer leur mouvement prodémocratique dans la nuit du 3 au 4 juin.
L’événement de cette année se déroule à quelques jours d’une grande marche prévue dimanche, pour protester contre un projet de loi qui autoriserait des extraditions vers la Chine continentale. Les organisateurs, qui craignent que cette mesure ne limite une fois de plus les droits et les libertés publiques dont jouissent les résidents, espèrent y attirer 300 000 personnes.
Le territoire de Hong Kong, gouverné par la politique dite « un pays, deux systèmes » depuis qu’il a été rétrocédé par le Royaume-Uni à la Chine en 1997, est l’un des rares endroits en Chine où le sanglant événement peut être publiquement souligné.
Photo : Des milliers de Hongkongais ont participé à la veillée aux chandelles au parc Victoria. Photo : Getty Images / AFP/PHILIP FONG
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De vigies aux chandelles de plus petite envergure ont aussi eu lieu à Macao, gouverné selon la même politique que Hong Kong depuis que le Portugal l’a rétrocédé à Pékin en 1999, et à Taïwan, considéré comme une province rebelle par la Chine.
La présidente taïwanaise Tsai Ing-wen, partisane d’une autonomie accrue pour l’île, n’a d’ailleurs pas manqué de souligner l’événement sur sa page Facebook. « Non seulement le gouvernement chinois n’a pas l’intention de se repentir, mais il continue à dissimuler la vérité », a-t-elle écrit sur Facebook.
La place Tiananmen sous étroite surveillance
En Chine, l’anniversaire du massacre est une fois de plus passé sous silence. Les policiers en uniforme ou en civil déployés autour de la place Tiananmen se sont assurés que la chape de plomb entourant ces événements demeure intacte.
Photo : La sécurité était omniprésente mardi pour contrôler l’accès à la place Tiananmen, à Pékin. Photo : La Presse canadienne / AP/Mark Schiefelbein
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Les événements de la place Tiananmen ? « Jamais entendu parler de ça. Je ne suis pas au courant », affirme un touriste chinois d’une trentaine d’années. « C’est aujourd’hui ? J’avais oublié », a prétendu une autre femme, avant de s’esquiver.
Sans surprise, les journalistes occidentaux ne sont pas les bienvenus. À l’aube, un vidéojournaliste de l’AFP qui tentait d’accéder à la place s’est vu intimer l’ordre de rebrousser chemin. « Il vous faut une autorisation du bureau d’administration de Tiananmen », lui ont expliqué des gardiens de sécurité.
Dans un communiqué, le Club des correspondants étrangers en Chine a d’ailleurs « condamné » le comportement des autorités envers les médias, estimant qu’elles violaient leurs propres règles en exigeant une autorisation spéciale.
Dès lundi, un journaliste de l’AFP, qui circulait en voiture autour de la place, avait été stoppé par la police, laquelle avait exigé qu’il efface les images présentes dans son appareil photo.
Un de ses confrères qui voulait réserver dans un grand hôtel proche de Tiananmen n’a finalement pas pu obtenir une chambre avec vue sur la place, celle-ci étant soudainement « en réfection ».
Photo : Des policiers vérifient l’identité de citoyens à proximité de la place Tiananmen. - La Presse canadienne / AP/Mark Schiefelbein
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Des Chinois se souviennent, discrètement
Des Chinois se souviennent, mais se font discrets et paraissent résignés. « Je rentrais chez moi après le travail. L’avenue Changan était parsemée de véhicules incendiés. L’Armée de libération du peuple a tué beaucoup de gens. C’était un bain de sang », raconte Li, un homme de 67 ans interrogé aux abords de la place.
Prié de dire si Pékin doit fournir un bilan des événements du 4 juin 1989, il répond : « À quoi bon ? Ces étudiants sont morts pour rien. »
Photo : Le 18 mai 1989, des étudiants universitaires manifestent sur la place Tiananmen, à Pékin. Photo : Getty Images
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Comme chaque année en prévision de l’anniversaire, le régime a arrêté ou éloigné des militants des droits de la personne ainsi que des proches des victimes, jamais autorisés à vivre leur deuil en public.
Le Bureau des droits de l’homme des Nations unies dit d’ailleurs être préoccupé par des informations faisant état d’arrestations ou d’actes d’intimidation envers les opposants ainsi que d’une « censure accrue ».
Une demi-douzaine de ces militants n’ont pu être joints par téléphone ou messagerie texte mardi par l’Associated Press. L’un de ceux qui a répondu, Hu Jia, a confirmé que des agents de sécurité l’ont emmené à l’extérieur de Pékin la semaine dernière.
« Cela est un reflet de leurs peurs, de leur terreur, pas des nôtres », a-t-il commenté au sujet de cette pratique, que les autorités chinoises assimilent à des « vacances ».
Les médias d’État évitent soigneusement toute mention du massacre. La télévision publique CCTV a par exemple ouvert son bulletin de mi-journée par la présentation du logo officiel marquant un autre anniversaire : les 70 ans de la fondation de la République populaire de Chine. L’événement doit être célébré en grande pompe… le 1er octobre.
Le Banksy chinois sort de l’ombre... en partie
Un caricaturiste chinois dont les croquis satiriques anonymes lui ont valu d’être comparé à l’artiste Banksy, sans parler de l’ire qu’il soulève à Pékin, a profité de l’anniversaire pour se montrer une première fois à visage découvert et révéler son histoire personnelle.
Badiucao est un ancien étudiant en droit qui s’est politisé en regardant un documentaire sur la répression des étudiants de la place Tiananmen, et dont les dessins subversifs moquent régulièrement le président chinois Xi Jinping. Il espère que sa décision de dévoiler son visage contribuera à le protéger des autorités chinoises.
Un caricaturiste chinois connu sous le nom de Badiucao a accepté de montrer son visage pour une première fois à l’occasion du 30e anniversaire du massacre de la place Tiananmen. Il tait toutefois son véritable nom. On le voit ici dans le conteneur à bateaux qui lui sert de studio de fortune à Melbourne, en Australie.
Photo : Getty Images / AFP/ASANKA BRENDON RATNAYAKE
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L’homme de 33 ans se sent en danger, de même que sa famille, depuis qu’il a été contraint d’annuler une exposition l’année dernière à Hong Kong. La police chinoise aurait dit à des proches qu’il n’y « aurait aucune pitié » s’il ne renonçait pas.
Badiucao a grandi à Shanghai et se destinait à être avocat quand il a regardé un soir avec trois amis le téléchargement d’un film taïwanais. Ils ignoraient cependant que La porte de la paix céleste (Tiananmen, en chinois), un documentaire sur la répression, figurait dans le fichier.
Le groupe, qui n’avait jamais entendu parler de l’événement, fut cloué sur place. « Ça durait trois heures, on était tous assis là, la pièce était complètement sombre, personne ne s’est même levé pour rallumer la lumière », a-t-il raconté.
« Ces jeunes corps peuvent être écrasés par les chars mais leur esprit est toujours là et ils me donnent la force de sortir au grand jour », affirme-t-il aujourd’hui.
Freeland invite Pékin à « briser le silence »
Alors que le Canada est engagé dans un litige diplomatique avec la Chine, la ministre canadienne des Affaires étrangères demande à Pékin de « briser le silence » entourant « la violente répression contre les citoyens pacifiques et non armés » il y a 30 ans sur la place Tiananmen. Selon elle, Pékin devrait rendre « ouvertement compte des citoyens chinois qui ont été tués, détenus ou portés disparus ».
« En vertu de la Constitution chinoise, les citoyens chinois devraient jouir de la liberté d’expression, de réunion, d’association et de croyance. Le Canada soutient ces droits fondamentaux de la personne et se range du côté de tous ceux qui sont empêchés d’exercer leurs droits », indique Chrystia Freeland dans une déclaration publiée mardi.
« Trente ans plus tard, la lutte pour les libertés fondamentales se poursuit pour les défenseurs des droits de la personne en Chine, y compris les avocats et les journalistes. Nous exhortons la Chine à respecter toutes ses obligations en matière de droits de la personne et à libérer ceux qui ont été détenus injustement et arbitrairement », ajoute-t-elle, au moment où deux Canadiens, Michael Kovrig et Michael Spavor, sont incarcérés en Chine.
Florence de Changy : A Hongkong, le souvenir inquiet de Tiananmen Trente ans après le massacre, le camp prodémocratie craint la férule de Pékin.
Près de 180 000 personnes ont participé, mardi soir, dans le parc Victoria de Hongkong, à la veillée de commémoration des trente ans de la sanglante répression du mouvement de la place Tiananmen, en 1989. La participation a été la plus forte depuis le vingt-cinquième anniversaire, en 2014. Tous les soirs de « 4 juin », depuis 1990, Hongkong joue très consciencieusement son rôle de porte-flambeau du souvenir, consciente d’être la seule ville de Chine à pouvoir le faire.
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L’artère piétonne qui mène au parc Victoria se transforme alors en une grande foire effervescente. Les haut-parleurs, à quelques mètres les uns des autres, rivalisent en décibels. Tous les partis politiques du camp prodémocratie de Hongkong sont là, avec leurs chefs de file perchés sur la dernière marche d’escabeaux en équilibre instable. Sont également au rendez-vous la plupart des ONG des droits de l’homme, l’association des « mères de Tiananmen », divers groupes taïwanais critiques de Pékin, ainsi que la secte Falun Gong, interdite en Chine continentale. Des hordes de volontaires tendent à la foule, qui joue le jeu, de grandes urnes transparentes, vite bourrées de billets. On distribue aussi chandelles, tracts, posters, autocollants et magazines.
A 20 heures, heure officielle du début de la cérémonie, tous les terrains de sport du terre-plein principal étant complets, les retardataires sont guidés vers d’autres zones du parc. Après un dépôt de gerbes et une minute de silence pour laquelle toute l’assemblée se met debout, musiciens, témoignages et documentaires se succèdent.
« C’est notre devoir de continuer de rappeler au reste du monde qu’un évènement aussi tragique a eu lieu. Un parti politique ne peut pas décider de changer l’histoire. Il faut montrer que les gens se souviennent de ce qui s’est vraiment passé », déclare avec véhémence Anna, 22 ans, institutrice, bougie dans son cône en papier à la main, qui ne participe que pour la deuxième fois. Partageant la même bâche en plastique étalée sur le sol encore trempé par l’orage, le père de son amie d’école, John Ma, est un banquier d’une cinquantaine d’années qui, comme la plupart des Hongkongais à l’époque, a suivi le » printemps de Pékin » en 1989 à la télévision et a été bouleversé par la répression. Le processus de rétrocession de Hongkong à la Chine, qui aboutira en 1997, était déjà lancé et les Hongkongais ont eu alors très peur pour leur avenir.« La participation à cette veillée est un baromètre du sentiment des Hongkongais à l’égard de Pékin », affirme-t-il.
« Il n’y a aucun autre événement dans le monde qui mobilise trente années de suite des dizaines de milliers de personnes de la sorte », observe le Pr Edmund W. Cheng, de l’Université baptiste de Hongkong. Il identifie toutefois deux forces qui s’opposent désormais à la perpétuation de cette cérémonie : le camp pro-Pékin de Hongkong, qui tente d’étouffer, de minimiser, voire de réécrire l’épisode, et le camp dit « localiste », qui part du principe que les Hongkongais n’ont pas à se soucier de ce qui se passe en Chine continentale.
Selon un sondage universitaire, la majorité des participants à ces veillées annuelles sont déjà venus « dix fois ou plus ». Le nombre de primo-participants a tendance à baisser depuis le « mouvement des parapluies », 79 jours d’occupation d’artères centrales de la ville, en 2014, pour dénoncer la mainmise de Pékin sur Hongkong, qui avait mobilisé particulièrement les jeunes.
« Un travail de lente persuasion »
Les nouvelles générations s’interrogent sur le message de la veillée, certains jugeant illusoire d’espérer encore la démocratisation de l’ensemble de la Chine, comme le précise d’ailleurs le nom du groupe qui organise la veillée, l’Alliance de soutien aux mouvements patriotiques et démocratiques de Chine. Ce même groupe a ouvert un petit musée à Hongkong, pour documenter le « printemps de Pékin ». « Je ne désespère pas, par un travail de lente persuasion, de convaincre les jeunes leaders qui proposent une autre manière de commémorer le 4 juin de faire front commun », indique, en distribuant des tracts, l’ancien professeur de sciences politiques et militant prodémocratie, Joseph Cheng. Une veillée alternative a d’ailleurs rassemblé une centaine de jeunes participants de l’autre côté du port.
Si les Hongkongais tiennent à montrer qu’ils n’oublient pas le 4 juin 1989, c’est également pour faire bon usage de leurs libertés d’expression et de rassemblement, hors de portée en Chine continentale et qu’ils sentent à présent menacées à Hongkong. Le leader étudiant Feng Congde, qui avait été accueilli en France en 1990 et vit actuellement aux Etats-Unis, a d’ailleurs été refoulé à son arrivée à Hongkong, dimanche 2 juin. « Il n’y a clairement pas d’autonomie juridique à Hongkong qui n’écoute plus que le Parti communiste », a réagi Feng Congde.
« C’est dans l’intérêt de la Chine d’arrêter de balayer le 4 juin sous le tapis. Le 4 juin pèse lourd, tant en Chine qu’à Hongkong », suggère, dans son éditorial du jour, le quotidien anglophone de Hongkong, le South China Morning Post, qui cultive, depuis son rachat en 2016 par le géant chinois du commerce en ligne Alibaba, fondé par le milliardaire chinois Jack Ma, une ligne éditoriale subtile quant aux affaires chinoises. Le journal relève toutefois le risque de divisions au sein du parti qu’impliquerait une telle révision de la lecture officielle du printemps 1989.
VIDEOs
https://youtu.be/fJOtPK31fwg (en anglais dans The Guardian)
https://www.youtube.com/watch?v=v6SnZP8b5i4 (en français sur Euro.news)