Au niveau mondial, « le processus de féminisation de la pauvreté se poursuivra et se transmettra à la prochaine génération. » C’est le pronostic fait par le Bureau International du Travail (BIT), si n’est pas mise en œuvre une politique donnant « aux femmes la possibilité de travailler pour s’affranchir avec leur famille de la pauvreté, en créant des possibilités d’emplois décents qui leur permettront d’exercer une activité productive et rémunératrice dans des conditions de liberté, de sécurité et de dignité humaine ». Or toute l’évolution impulsée par la mondialisation néolibérale est à l’opposé de cette politique souhaitée par le BIT dans son dernier rapport sur les tendances mondiales de l’emploi des femmes (mars 2007)
Pour intéressant qu’il soit, le rapport du BIT n’échappe pas aux limites de l’exercice. D’une part, les données statistiques sont souvent manquantes ou douteuses (chômage, p. ex.). D’autre part, le BIT, organisme tripartite international, a pour le moins de la peine à appeler un chat, un chat et le capitalisme, un système d’exploitation. A chaque fois qu’il risque d’apparaître, son anonymat est sauvegardé par l’usage récurrent du pronom indéfini « on ».
Les différentes situations de la main-d’œuvre féminine sont ainsi juxtaposées, sans qu’il soit clairement montré qu’un seul et même mouvement, celui du capital au niveau mondial, façonne aussi bien ce qui se passe au « centre » que dans la « périphérie ». Inégale, mais combinée, telle est la sur-exploitation des femmes travailleuses.
Ainsi, « Au Royaume-Uni, par exemple, 60 % des femmes ayant un emploi se retrouvent dans dix professions, avec une forte concentration dans cinq domaines : les soins, les caisses, la restauration, le nettoyage et le secrétariat ». C’est-à-dire dans des secteurs non syndiqués, à bas revenu et à la merci des PME.
A l’autre bout de la chaîne, les agricultrices restent un groupe marginalisé, bien que responsable de la moitié de la production alimentaire mondiale. « Bien des femmes sont obligées d’avoir un deuxième emploi pour survivre. Il s’agit souvent d’un travail non agricole à la pièce effectué à domicile pour un revenu supplémentaire dérisoire ».
Un monde d’oppression spécifique
Le lien entre les deux situations de surexploitation – l’une dans une situation salariale classique, l’autre provoquée par une baisse des prix de la production vivrière, concurrencée par les besoins de l’agrobusiness – ne tient pas seulement à l’existence d’un capitalisme opérant mondialement, mais aussi à l’existence de rapports de domination et d’oppression spécifiques des femmes. Ces rapports sociaux de sexe, qu’il ne nomme pas, le résumé du BIT les suit pourtant à la trace, lorsqu’il constate : « la ségrégation sexuelle en matière professionnelle évolue, mais le progrès est lent. Les stéréotypes concernant le travail des femmes, qui confinent celles-ci à la prestation de soins et à l’activité domestique, sont encore renforcés. Ils pourraient se perpétuer dans la prochaine génération si l’on continue d’offrir aux femmes des possibilités d’emplois limitées ou inférieures et d’investir peu dans leur éducation, leur formation et leur expérience. Il est frappant que ces tendances persistent même quand les femmes émigrent. Dans les pays hôtes, elles occupent le même type d’emploi que dans les pays d’origine et sont souvent confrontées aux mêmes types de discrimination. » De même, le passage du secteur agricole à celui des services ne modifie pas la donne : « Dans les services, les femmes sont encore concentrées dans des domaines traditionnellement associés à des rôles dévolus à leur sexe, surtout dans les services communautaires, sociaux et personnels. » Ce sont ces mêmes rapports sociaux de sexe qui font que « la proportion des femmes parmi les travailleurs familiaux auxiliaires est supérieure à celle des hommes dans toutes les régions du monde ».
Si l’on retient ces deux aspects de la réalité, celui de la surexploitation au profit d’un capitalisme mondialement structuré et hiérarchisé et celui de rapports sociaux de sexe maintenant les femmes en situation de domination et d’attribution des travaux domestiques, alors l’absence de promotion automatique et d’amélioration de la condition de la femme par le développement socio-économique se comprend. Quand « on » se développe, « on » reconstruit et reproduit constamment toutes les inégalités qui viennent nourrir les surprofits. Cela ne se combat pas par les vœux pieux sur les emplois « décents et rémunérateurs » formulés par le BIT, alors que des millions d’emplois indécents et sous-payés viennent d’être créés dans la décennie passée et que le néolibéralisme a inscrit en lettres d’or sur son drapeau la devise « nos profits valent mieux que vos vies ».
Encart
Femmes et migrations
Rappelant que près de la moitié des migrants internationaux sont des femmes, soit 95 millions de migrantes, le rapport indique : « Les expériences des travailleuses migrantes sont aussi diverses que leurs origines et leurs destinations. Bien que la migration soit bénéfique à bien des femmes, elle n’est pas dénuée de défis. En effet, des millions de femmes font face à des risques substantiels. Elles n’ont pas souvent la possibilité d’émigrer légalement et en toute sécurité. Elles peuvent se retrouver piégées dans des situations dangereuses allant de l’esclavage moderne que constitue le trafic des êtres humains à la prostitution et à l’exploitation sauvage du travail domestique. En tant que femmes et travailleuses, elles peuvent être fortement défavorisées après leur arrivée dans le pays de destination, surtout si d’autres facteurs tels que la race, la classe et la religion entrent en jeu. En outre, bon nombre de migrantes ne connaissent pas leurs droits. »