Sous nos yeux les digues cèdent les unes derrière les autres y compris dans la bouche de ceux dont on pouvait espérer un minimum de retenue. Pascal Bruckner, un homme dont on peut penser qu’il choisit ses mots, n’a pas hésité sur Arte à diffamer Rokhaya Diallo en l’accusant d’avoir « armé le bras des tueurs » de Charlie Hebdo, répétant ensuite que les paroles de la journaliste et militante antiraciste avaient « entraîné des meurtres ». Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, n’a pas hésité à déclarer en direct à la télévision qu’il était « choqué de rentrer dans un hypermarché et de voir qu’il y avait un rayon de telle cuisine communautaire et de telle autre à côté » allant jusqu’à affirmer que « c’est comme ça que commence le communautarisme ». Gilles William Golnadel fait l’objet – c’est inédit – de poursuites de la part de la Cour Nationale du Droit d’Asile pour avoir dit « la Cour nationale du droit d’asile qui accepte le Tchétchène décapiteur ». Éric Zemmour, multirécidiviste, continue, soutenu par son employeur CNEWS, à tenir des propos abjects.
La haine pour la première fois dans ce pays depuis longtemps, est devenue une source de profit. Chacun y va maintenant se sentant pousser des ailes de sa formule assassine, clouant au pilori son coupable tout désigné.
Alors que la peur semble trouver chaque jour de nouvelles sources pour la nourrir, malheureusement et tragiquement c’est l’inverse que nous connaissons en accéléré ces dernières semaines. En effet, ceux qui ne cessent de rappeler que la liberté d’expression est sacrée, instrumentalisent sa sacralité pour de façon irresponsable, au nom de cette liberté, se découvrir totalement décomplexés pour tenir des propos insultants, méprisants et parfois tout simplement appeler à la haine et à l’intolérance.
Jamais les plus grands responsables publics et le plus éminent d’entre eux, n’ont autant affirmé au nom de la protection des libertés fondamentales pour en réalité vouloir les restreindre. Jamais autant ces mêmes responsables, portés par l’obsession de survie politique ou celle de continuer à exister publiquement et médiatiquement, n’ont tenus, dans en un temps aussi bref des propos dénués de toute retenue. Sous nos yeux un minimum vital de scrupules est en train de s’évanouir. Lorsque l’on braconne sur la peur, on l’alimente ; mécanique infernale qui fait disparaitre toutes les frontières entre l’indécence et la décence. Est ainsi encouragée une désinhibition de paroles et d’actes, de haines, qu’il y a encore quelques années aurait été impensables. Depuis l’ignoble assassinat de Samuel Paty, la surenchère, les expressions haineuses, encourageant à toutes les stigmatisations semblent maintenant gangréner l’ensemble de l’espace public. La liste est longue et ne cesse de noircir l’image de notre pays et de meurtrir notre démocratie qui souffre.
À quand l’interdiction des magasins hallal et cacher ?
On pensait que l’expression sinistre « d’islamo-gauchiste » serait réservée aux polémistes. La voilà adoubée maintenant par le ministre de l’Éducation nationale qui déclare que : « Notre société a été beaucoup trop perméable à des courants de pensée […] Ce qu’on appelle l’islamo-gauchisme fait des ravages, a-t-il affirmé. Il fait des ravages à l’université, il fait des ravages quand l’Unef cède à ce type de chose, il fait des ravages quand dans les rangs de La France insoumise, vous avez des gens qui sont de ce courant-là et s’affichent comme tels. Ces gens-là favorisent une idéologie qui ensuite, de loin en loin, mène au pire ».
Cette expression devient maintenant l’alpha et l’oméga pour disqualifier des députés ou tout simplement des acteurs de la société civile aux seuls motifs qu’ils crient halte au feu quand ils évoquent la crainte que connaît la communauté musulmane à laquelle se substitue un sentiment de stigmatisation, depuis des années ainsi qu’un sentiment d’abandon de la République. L’expression pourrait demain justifier de nouvelles formes de responsabilité pénale, le Gouvernement réfléchissant déjà à la création d’un délit de « séparatisme ».
Les ONG qui soutiennent les migrants, les sans-papiers, les sans-domiciles, perçoivent bien que toutes ces invectives s’universalisent. Des journalistes résistent alors que d’autres, comme tétanisés, par leurs silences objectivent sinon ratifient.
« Bien sûr beaucoup de nos concitoyens refusent en défendant les valeurs de fraternité de solidarité à être désigner comme de sinistres naïfs voire, comme nous le sommes parfois aussi, des complices du terrorisme. Nous voulons tous nous persuader que l’impensable est impossible mais si cette horrible métastase continue à nous gangrener dans quel état sera notre pays dans quelques mois, en 2022 ? »
Nous nous rapprochons d’un point de bascule et nous pouvons le craindre, d’un point de non-retour dont aucun responsable public, ne semble trouver les mots pour mettre un terme à une telle dérive dont plus rien, ni personne, ne semble ou ne peut vouloir contenir.
Les mesures annoncées par leur gravité et leur précipitation nous disent que le pouvoir a fait le choix de cibler des grandes associations reconnues au sein de la société civile mais également à travers la communauté musulmane. Ces mesures et ses déclarations ne peuvent qu’aggraver la relation d’anxiété qui s’est nouée entre de plus en plus de français et l’Islam. Elles insécurisent la communauté musulmane, déchirent le drapeau des lumières et font ricaner les despotes qui n’en demandaient pas tant pour continuer à imprimer leurs minorités.
Notre démocratie, qui était déjà en péril, menace de l’être de plus en plus. Facteur aggravant quand le gouvernement se livre à ce qui s’apparente à une véritable politique du chiffre et à des effets d’annonces.
Nous sommes à un carrefour dangereux, bien loin des nobles déclarations de Monsieur Emmanuel Macron alors simple candidat. Quels mots forts n’a-t-il pas eu pour dire sa volonté de rétablir la cohésion sociale, le dialogue et la confiance dans notre pays.
Des tabous ont déjà sauté, par exemple celui du droit des enfants : droit absolu et pourtant totalement méprisé. On le sait les enfants français en très bas âge dans des camps délabrés et menacés de toutes parts sont en risque de mort. A l’exception de quelques poignées d’associations courageuses, cette réalité ne suscite que de l’indifférence.
Des principes fondamentaux du droit qui semblaient écrits dans le marbre pour l’éternité aujourd’hui souffrent en silence. Émerge ce que Mireille Delmas-Marty qualifie de « droit pénal de la sécurité ».
Bien sûr beaucoup de nos citoyens refusent en défendant les valeurs de fraternité de solidarité d’être désignés comme de sinistres naïfs voire, comme nous le sommes parfois aussi, des complices du terrorisme.
Nous voulons tous nous persuader que l’impensable est impossible mais si cette horrible métastase continue à nous gangréner dans quel état sera notre pays dans quelques mois, en 2022 ? En tous les cas on connaît déjà ceux qui vont tirer les marrons du feu.
William Bourdon et Vincent Brengarth, avocats au Barreau de Paris