Dans un article choc sur le géant de la pornographie en ligne Pornhub, le chroniqueur du New York Times Nicholas Kristof raconte la facilité avec laquelle on peut trouver des vidéos montrant des viols et l’exploitation sexuelle d’enfants sur ce site pornographique et a interviewé des victimes qui ont vu leurs vies ruinées par la suite. Il demande pourquoi le Canada dirigé par le Premier ministre Justin Trudeau “qui se dit féministe”, accepte d’héberger “une entreprise qui diffuse des vidéos de viols aux quatre coins du monde”.
Son article a provoqué une onde de choc au Canada.
L’opposition conservatrice à Ottawa et les partis d’opposition à Québec réclament du gouvernement Trudeau une enquête sur le site. M. Trudeau assure que son gouvernement travaille avec les différents services de police pour garantir la sécurité des Canadiens et ajoute :
“Nous avons toujours été extrêmement préoccupés par la violence fondée sur le genre, l’exploitation des mineurs et la pornographie juvénile.”
Son ministre de la sécurité, Bill Blair, dit avoir contacté la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour épauler les autorités québécoises pour lutter contre l’exploitation sexuelle.
Des services débordés
Le quotidien québécois La Presse affirme dans sa propre enquête que le “scandale” qui éclabousse Pornhub n’est que la pointe de l’iceberg : “Les images d’enfants exploités sexuellement sur Internet se comptent par millions au Canada ; les signalements annuels pour des crimes liés à la pornographie juvénile, en dizaines de milliers. Les autorités ne suffisent pas à la tâche.”
Le Centre canadien de protection de l’enfance, basé à Winnipeg, dans le centre du Canada, déniche ces images à l’aide d’un logiciel espion, Arachnid. Il les catégorise pour ensuite les signaler aux fournisseurs d’accès à Internet afin qu’elles soient retirées de la circulation. La chef d’équipe du centre, Catherine Tabak, précise au quotidien que près de 80 % des victimes ont moins de 12 ans, et la moitié a moins de 3 ans. Au sujet des “cas extrêmes”, elle confie :
“Ça pourrait être une image où un enfant est attaché au lit ou à une chaise et, en même temps, il va y avoir des actes sexuels avec un adulte, ou un animal, ou des objets. On voit beaucoup d’images où il y a de la torture sur des enfants.”
La GRC affirme avoir traité en 2018 sept fois plus de dossiers que trois ans auparavant et avoir en ses mains 5 millions d’images d’enfants qui sont exploités sexuellement. “Le phénomène est mondial”, souligne La Presse. Le professeur de criminologie à l’Université de Montréal Francis Fortin impute aux avancées technologiques la croissance du phénomène : “Les vitesses de connexion augmentent, le temps passé en ligne aussi.” De plus, concède-t-il, “c’est compliqué d’arrêter quelqu’un. Il faut des gens pour faire les perquisitions. Il faut des gens pour accompagner le processus judiciaire.”
La réaction de Pornhub
Le site Pornhub, écrit le quotidien montréalais Le Devoir, a rapidement rejeté “les allégations selon lesquelles il permettrait la diffusion de vidéos de pornographie juvénile”. Le site propriété de l’entreprise Mindgeek affirme toutefois dans un communiqué avoir “institué une politique de confiance et de sécurité de pointe pour identifier et éliminer les contenus illégaux de [leur] communauté”.
Entre-temps, les problèmes s’accumulent pour le site. MasterCard et Visa mènent une enquête sur leurs liens avec l’entreprise et ont annoncé qu’ils cesseraient de faire affaire avec Pornhub si les allégations du New York Times se confirmaient. Déjà, en 2019, PayPal avait suspendu ses services de paiement en ligne avec la société, qui se targue d’avoir eu 42 milliards de visites cette année-là.
Le problème n’est pas nouveau, souligne pour sa part Radio-Canada. En mars dernier, une pétition en ligne contre Pornhub avait recueilli plus de 400 000 signatures. Des sénateurs et députés canadiens avaient demandé à Justin Trudeau de lancer une enquête et d’intervenir pour protéger les victimes d’abus sexuels et les mineurs, mais le Premier ministre n’y avait pas donné suite.
Problème réglementaire
Dans un second article sur le sujet publié le 9 décembre, le chroniqueur du New York Times, Nicholas Kristof, se réjouit de ces développements venus du Canada. Il applaudit également les quatre sénateurs américains qui ont déposé un projet de loi pour faciliter les procédures, pour les victimes de viol, de poursuite des sites pornographiques afin de les empêcher de tirer profit de vidéos compromettantes les mettant en scène.
La Presse plaide dans son éditorial pour la mise en place “d’un mécanisme qui prévient dès la première diffusion de matériel problématique”, et argue que les sites pornographiques comme Pornhub devraient s’assurer que leur contenu est légal. Le problème, souligne le quotidien, c’est que ces entreprises sont protégées par la section 230 du Communications Decency Act [loi sur la décence des communications]. Cette disposition américaine s’applique également au Canada en vertu de l’Alena,, et La Presse s’en désole :
“Elle stipule que les plateformes intermédiaires comme Facebook,, YouTube et Pornhub, sur lesquelles les usagers chargent leur propre contenu, ne peuvent être tenues responsables de ce contenu.”
Martin Gauthier
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