1. SUR LES CENDRES DU 29 MAI
L’extraordinaire audience rencontrée par les promoteurs d’un « non de gauche au TCE » pendant la campagne référendaire, le triomphe du « non » ont fait naître une immense espérance : donner à cette victoire une traduction politique, être au rendez-vous que l’Histoire nous donnait après une défaite majeure des libéraux de droite ET de gauche. Maintenant que de cette espérance il ne reste plus que des cendres, il faut en tirer les conséquences.
Première question : cette espérance était-elle fondée ?
Sans doute, tout projet qui entend changer le système comporte sa part d’utopie. Mais il ne fait aucun doute que le « non » de gauche avait reçu l’appui d’au moins 12 millions (sur les 15 millions obtenus par le « non ») de femmes et d’hommes aspirant à autre chose qu’un projet de société néolibéral.
Deuxième question : cette espérance était-elle partagée ?
La vérité, et elle est confirmée par des sources à l’intérieur de la direction du PCF comme à l’intérieur de la direction de la LCR, c’est qu’il n’a jamais été question que Buffet ne soit pas candidate et qu’il n’a jamais été question que Besancenot ne soit pas candidat. Ceux qui affirmaient que ce n’était « pas une question de casting » nous mentaient. Un dirigeant communiste, qu’il appartienne au PCF ou à la LCR, ne partage pas ce qu’il détient. La règle est toujours la même : « ce qui est à nous est à nous ; ce qui est aux autres est négociable ».
Troisième question : cette espérance était-elle réaliste ?
S’appuyant sur une réalité électorale (l’échec cuisant en 2002 de l’alliance PS-PCF-Verts et du gouvernement dérégulateur soutenu pendant cinq ans par ces trois partis), sur l’immense impopularité du gouvernement Raffarin, sur l’intensité des luttes sociales (retraites, intermittents, enseignants, CPE,…), sur l’importance des mobilisations en phase avec certains de nos fondamentaux (défense des services publics, revendications écologiques, campagnes altermondialistes, …), il n’était pas déraisonnable d’espérer construire une démarche commune à partir d’un projet commun.
Mais c’était compter sans la volonté des appareils de faire passer leur survie avant le projet et les objectifs. Nous avons manqué de réalisme en pensant que les socialistes du « non » allaient rompre avec un parti dont le programme allait dans un sens diamétralement opposé à nos attentes. Nous avons manqué de réalisme en pensant que les appareils issus de la pensée léniniste (PCF et LCR) avaient vraiment changé et qu’enfin l’objectif d’émancipation sociale allait devenir leur priorité.
Nous nous sommes laissés abuser par les propos des Mélanchon, des Besancenot et des Buffet. Nous espérions tellement ! Nous attendions tellement un courage politique qu’ils n’ont pas eu. Leurs actes n’ont jamais été à la hauteur de leurs propos. Celle qui occupait une place centrale et qui avait signé un livre intitulé « Un peu de courage » n’en a pas eu le moindre. Ils nous ont trompés. Le PRS, le PCF et la LCR ont délibérément tué la démarche unitaire qui nous avait mobilisés contre le TCE. Ce faisant, ils se sont faits, une fois de plus, les complices d’un système qu’ils affirment contester sans jamais le mettre à mal quand l’occasion leur en est donnée.
2. LA GAUCHE N’EXISTE PLUS
La gauche n’est plus qu’un immense champ de ruines. Ruines des socialistes, ruines des héritiers du léninisme. Echec total. Ni les uns, ni les autres n’ont été capables d’offrir une résistance crédible à la mondialisation, un projet politique global qui nécessitait une riposte de gauche globale.
Les socialistes, contaminés par les idées chrétiennes-démocrates de la 2e gauche, ont accompagné, voire accéléré la mondialisation. Ils ont accepté que l’injustice et l’exploitation s’apparentent à l’ordre naturel des choses. Ils sont presque toujours à l’origine, en France comme en Europe, des principales décisions qui ont fait avancer la mondialisation. Ce n’est pas un hasard si c’est un des leurs qui dirige l’Organisation Mondiale du Commerce, instrument tout puissant de la dérégulation mondiale. Le PS français, une fois acquis le principe d’une économie de marché dérégulée, s’est réduit à une machine à offrir des possibilités de carrière.
Les pratiques décidées par l’appareil du PCF en 2006 (imposer sa volonté partout même quand on est minoritaire, créer des « collectifs » de toutes pièces composés exclusivement de militants PCF, diaboliser ceux qui sont d’un avis différent, etc,) prouvent que ce parti n’a pas changé. Les prétextes de moins en moins crédibles avancés par la LCR n’ont pas suffi pour dissimuler son désir – bien médiocre au regard des enjeux – de compétition avec les frères ennemis du PCF. Ces deux partis ont montré qu’ils n’ont rien compris aux leçons de l’Histoire. En particulier qu’un vrai rassemblement ne peut se réduire à un ralliement. Pétris de sectarisme, pétrifiés dans des théories obsolètes et inaptes à la moindre mutation, ils ont été incapables de trouver la parade efficace à cette phase globale, dérégulatrice et financiarisée, du capitalisme qu’on appelle mondialisation.
Les uns se laissent prendre au piège du discours sur la modernité, comme si l’injustice et l’exploitation n’étaient pas des phénomènes éternels. « Moderniser le socialisme » annoncent-ils. Comme si c’était ringard de tendre vers plus d’égalité, plus de justice pour tous. Les autres sont incapables de sortir de théories et de pratiques qui appartiennent à une culture politique morte. Il n’en reste qu’un langage stéréotypé qui ne trompe plus personne.
Le mot « gauche » n’est plus qu’une étiquette sur du vide. Il ne signifie plus rien dans les faits. « La gauche est un rêve qui se rêve et qui ne se réalise jamais » constatait Malraux. C’est bien plus vrai aujourd’hui que lorsqu’il le déplorait. A nous de le démentir. Ne nous résignons pas à ce que le mot « gauche » appartienne désormais à la nostalgie.
3. SANCTIONNER L’ECHEC D’UNE DEMARCHE
Je suis de ceux qui pensent qu’au pays de l’espérance, il n’y a jamais de crépuscule. Avec Jaurès, je suis convaincu que « l’Histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements ; mais elle justifie l’indicible espoir. » Le champ de ruines qu’est aujourd’hui la gauche offre une opportunité : construire une gauche nouvelle.
Décembre 2006 a sonné le glas d’un terrible échec : celui de « l’Appel pour un rassemblement antilibéral de gauche et des candidatures communes ». Ce qui a été tenté à la fois sur la stratégie et sur le contenu est désormais obsolète. Les CUAL du départ, victimes d’infiltrations et de manipulations, ont perdu leur principale raison d’être. Quant aux dizaines de faux CUAL, créés de toutes pièces par le PCF, ils demeurent ce qu’ils ont été le temps de nuire : des sections rebaptisées du PCF. Les concessions énormes consenties pour préserver les chances d’une unité tant désirée ne s’imposent plus. Il ne peut plus être question de privilégier des « ambitions et des stratégies » qui font de nous les otages des appareils. Il ne peut plus être question d’accepter la contrainte de « 125 propositions » qui nous ont obligés, pour prix de l’unité, à concéder sur le productivisme, sur les OGM, sur les nanotechnologies, sur la démocratisation des collectivités territoriales, sur le nucléaire civil et militaire, sur l’OTAN, sur l’Europe.
Construire une gauche nouvelle implique que nous soyons libérés des contraintes acceptées et des concessions consenties en échange d’une unité qui nous a été refusée. Nous ne sommes plus liés par ce contrat qui fut un marché de dupes.
Pourtant, ce n’est pas acquis. Parmi nous, certains se préparent à mettre l’épisode douloureux des présidentielles et des législatives entre parenthèses et veulent que nous fassions comme si rien ne s’était passé. Privilégiant des projets personnels de carrière qui les aliènent aux appareils et/ou pénétrés d’une culture politique qui les rend incapables de concevoir l’action politique autrement qu’au travers de négociations d’appareils, incapables de concevoir l’unité du peuple de gauche en dehors de cartels de structures qui confisquent la démocratie, ils vont tenter de nous enfermer de nouveau dans un scénario qui a pourtant échoué.
Dans un vocabulaire usé jusqu’à la corde, ils nous annoncent leur volonté de procéder à une « refondation unitaire de la gauche antilibérale ». Ce sont les fossoyeurs de toute espérance. Ce sont les mêmes qui n’ont jamais réussi qu’à privilégier leur carrière et entretenir leur coterie, leur statut d’apparatchik, leurs impuissances successives et cumulées à changer la vie. Au nom de leurs échecs, ils entendent nous dicter leur façon de faire. Ils ont failli. Qu’ils s’écartent. Nos objectifs valent mieux que leurs intrigues.
4. DEMAIN COMMENCE AUJOURD’HUI
Nous sommes des dizaines de milliers. Les femmes et les hommes qui militent sans appartenir à un parti et qui ont soutenu José Bové et les candidat(e)s de la « Gauche alternative 2007 » portent l’espoir d’une gauche nouvelle. Nous ne sommes pas seuls. Des femmes et des hommes de qualité ont courageusement exprimé leur lucidité sur l’aveuglement de leurs propres appareils et se sont mis en dissidence pour privilégier la seule unité qui compte : celle qui se réalise à la base, par la base. Notre volonté de fonder une gauche nouvelle en dehors de la culture d’appareil nous fait devoir de souligner le courage de celles et ceux qui s’en sont libérés.
L’appel à l’insurrection électorale du 1 février 2007 est l’acte fondateur d’une démarche qui s’est prolongée pendant la campagne des législatives et qui doit, dès maintenant, se poursuivre. Du 1er février au 10 juin, nous avons répété inlassablement notre volonté de construire une gauche nouvelle. Dans un contexte particulièrement difficile dont nous ne sommes pas responsables, mais également avec de multiples erreurs dont nous portons la responsabilité, nous avons cependant rencontré un soutien réel. Certes, ce soutien est modeste, mais il constitue une base de départ suffisante.
Il nous faut maintenant faire vivre l’espérance suscitée, donner corps à nos ambitions. Mais il faut le faire avec la conscience aiguë de la responsabilité qui est la nôtre et de l’immensité du défi que nous avons à relever. Cela ne peut se faire dans le cadre de cercles étroits de prétendus spécialistes le plus souvent autoproclamés. Cela ne peut se faire dans la précipitation.
Pendant cet été, il faut que partout, dans tous les coins de France, parmi toutes les composantes de ce peuple multiple et divers qu’est le peuple de gauche, se réunissent celles et ceux qui se sont impliqués depuis le 1er février. Déjà, plusieurs rassemblements de ce genre sont annoncés. Il faut les multiplier afin qu’ils se tiennent au plus proche des gens et échappent ainsi aux manipulations et aux récupérations des tenants de la culture d’appareil.
Que partout, des petits groupes réfléchissent à deux questions essentielles : quelles sont les valeurs fondamentales qui nous rassemblent ? Quel outil politique faut-il forger pour les porter, les promouvoir et les faire triompher ?
Il nous incombe de vérifier ce que nous avons en commun qui ne peut résulter de compromis et qui ne pourra faire l’objet de concessions. Ce sont les fondations. Elles doivent être solides, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent souffrir d’ambiguïtés. Elles sont la garantie d’une confiance durable entre nous.
Travailler sur l’outil qui portera nos fondamentaux représente l’autre défi majeur. Nous devons éviter les erreurs des appareils. Comment agir ensemble dans l’espace public dans une forme d’organisation en prise avec les attentes de participation et de codécision d’aujourd’hui ? Cette question est cardinale. Elle ne peut être bâclée. Elle exige de la créativité et de l’imagination.
Si des dizaines de groupes locaux réfléchissent à ces deux questions, avancent des éléments de réponse, cet été nous aura apporté une belle moisson. Nous serons équipés pour affronter ces assises
d’automne qu’on nous annonce. Nous serons en capacité d’écarter ceux dont la pensée s’est arrêtée en 1917 et qui préparent notre retour sous le joug des vieux appareils avec leurs vieux discours et leurs vieilles recettes qui conduisent toujours aux mêmes échecs.
4. SE RASSEMBLER AUTOUR DE NOS FONDAMENTAUX
Un projet politique fondateur s’appuie sur des valeurs fondamentales qu’on partage ou qu’on rejette, mais qui ne peuvent souffrir de compromis. Pour nous, ces valeurs s’inscrivent dans une vision du monde que résume parfaitement la triple exigence de liberté, d’égalité et de fraternité. Ces valeurs impliquent un refus de l’exploitation des humains par d’autres humains. Ces valeurs intègrent totalement le rapport de l’être humain avec son environnement. Mais énoncer des valeurs est sans effet si, en même temps, on ne formule pas les réponses aux questions que pose aujourd’hui le respect de ces valeurs. Ces questions sont autant de défis. Il nous faut donc les identifier. Et, sans s’embarrasser des mots et des expressions fétiches qui génèrent les crispations, formuler les réponses pertinentes pour ce début de XXIe siècle.
Si, pour la social-démocratie, être moderne signifie accepter le capitalisme comme l’ordre naturel des choses, pour nous, être moderne, c’est répondre à des défis qui passent par une remise en cause du capitalisme et de ses effets.
Il est un défi permanent qui remonte à la nuit des temps : celui de l’inégalité. Il y a eu et il y a plus que jamais des exploiteurs et des exploités. Aujourd’hui, comme jamais auparavant, nous disposons des moyens et des ressources pour vaincre l’inégalité. Mais les formes de la servitude n’ont jamais été aussi sophistiquées qu’aujourd’hui. Etre moderne, c’est-à-dire être en prise avec les problèmes de son temps, doit signifier pour nous que cette situation intolérable ne peut plus être tolérée, que l’égalité, c’est plus que l’égalité des chances, c’est l’égalité des conditions d’existence qui offre des chances égales à tous, dès la plus petite enfance, compte tenu des potentialités de chacun.
Il y a un défi nouveau, mais d’une ampleur considérable : la relation de l’humain avec son environnement. Pendant des siècles, dominer les éléments naturels fut un objectif majeur. Il exonérait de toute responsabilité ceux dont la course au profit s’accompagnait de déprédations en tous genres. Nous avons atteint cet objectif à un point tel qu’aujourd’hui les équilibres sont rompus, les espèces disparaissent, la planète, telle qu’elle s’organisait depuis que l’humain est apparu jusqu’aux débuts de la révolution industrielle, est en passe de disparaître sans qu’on connaisse exactement les conditions de survie de l’espèce humaine dans un environnement totalement modifié. Etre moderne, c’est restaurer d’urgence l’ordre naturel que nous nous employons à détruire depuis un bon siècle.
Il y a un autre défi qui s’ajoute à celui de l’inégalité et à celui de l’environnement, c’est celui de notre mode de vie. Comment ceux qui ont assez vivent-ils ? En quoi ce mode de vie est-il rendu possible grâce à la permanence du mode de vie de ceux qui, chez nous comme dans les pays du Sud, n’ont pas assez ? En quoi le mode de vie de ceux qui ont assez contribue-t-il à la destruction de la planète ? Il nous faut questionner les finalités de la production ; il nous faut questionner la finalité des échanges commerciaux ; il nous faut questionner les finalités de la consommation. Etre moderne, c’est inventer des formes nouvelles de production, d’échange et de consommation. Des alternatives sont expérimentées déjà et en grand nombre. Il faut s’en inspirer.
Il y a un défi toujours renouvelé : celui de la démocratie. La France est un des pays les moins démocratiques des pays de l’Union européenne. Nous devons mettre en place des instituions qui diffusent le pouvoir à chaque niveau pertinent, qui mettent à chacun de ces niveaux les contre-pouvoirs efficaces, qui organisent la transparence de tous les actes de chaque niveau de pouvoir, qui limitent la délégation et privilégient la participation et la démocratie directe. Mais nous avons aussi besoin d’une République qui consacre les droits collectifs fondamentaux et rende leur exercice accessible à tous, de la même manière. Des principes énoncés en 1793 (le caractère inaliénable de la propriété collective comme complément indispensable à la propriété individuelle, la révocabilité des élus, le droit au soulèvement contre des lois injustes) doivent être actualisés. Les conditions d’une presse pluraliste totalement indépendante des pouvoirs politiques et économiques doivent être créées. Etre moderne, ce n’est pas changer de République, mais changer la République.
Il y a un défi que nous impose la transformation du monde en maison commune. Du local au mondial, comment préserver les diversités ? Du village à l’ONU, comment respecter les souverainetés ? Comment éviter que la superposition d’institutions qui font éclater les frontières issues d’une Histoire souvent meurtrière se transforme en une aliénation massive à des autorités sans légitimité, sans contre-pouvoirs, sans contrôle et toujours au service des plus puissants ? Etre moderne, c’est à la fois être citoyen-souverain dans son village, dans sa région, dans son pays, dans l’Europe et dans le monde et combattre toutes les institutions qui altèrent cette souveraineté.
Un autre défi est celui de la mondialisation, c’est-à-dire la forme présente du capitalisme qui se caractérise par une financiarisation de l’économie et une dérégulation massive. Au nom du libéralisme économique, cette mondialisation remet en cause même les acquis du libéralisme politique. Elle érige la compétition, la concurrence en ordre naturel des rapports humains et des rapports sociaux. Contrairement à ce que les élites politico-médiatiques s’emploient à nous convaincre, il ne s’agit pas d’une fatalité. Il s’agit d’un choix délibéré de nos gouvernants de droite, mais également de gauche dans la mesure où le mot gauche désigne les sociaux-libéraux. Etre moderne, c’est refuser d’ériger l’économie de marché dérégulée et financiarisée en modèle incontournable, c’est refuser d’imposer au monde une loi du marché qui ne profite qu’à quelques-uns, c’est reprendre le contrôle de l’économie pour la mettre au service des peuples. Etre moderne face à la mondialisation, ce n’est pas déréguler, mais au contraire imposer des règles éthiques, fiscales et sociales aux acteurs financiers, économiques et commerciaux et se doter des moyens de les faire respecter.
Enfin, étroitement lié à ce qui précède au point qu’on peut se demander s’il s’agit d’un préalable ou d’une conséquence, se pose la question de la finalité de nos vies et tout ce qui en découle. Comment et à quoi occuper le temps qui nous est donné à vivre ? Comment, dans la liberté de chacun, favoriser l’émancipation et l’épanouissement de tous ? Quelle place le travail doit-il occuper dans nos vies ? Quelle valeur et quelle fonction faut-il lui accorder ? A quoi et comment consacrer le temps hors travail ? Questions majeures quand on sait que les idéologies qui prétendaient au plus grand épanouissement individuel ou à la plus grande émancipation collective furent, jusqu’à l’horreur absolue, les plus asservissantes. Etre moderne, c’est libérer les humains de tout ce qui les conditionne, à commencer par le bourrage de crâne médiatique et publicitaire qui a remplacé, en efficacité, la propagande de la droite.
Il nous appartient de vérifier si nous partageons les mêmes analyses sur ces valeurs fondamentales de telle sorte que notre socle commun génère la confiance qui doit nous rassembler. Il s’agit de questions qui ne peuvent faire l’objet de compromis entre nous comme elles ne pourront faire, par la suite, l’objet de concessions de notre part. Ne peuvent se rassembler autour de ces valeurs que celles et ceux qui les partagent totalement. Indépendamment du fait qu’ils soient ou non membres d’un parti ou d’un mouvement dit de gauche.
5. FORGER L’OUTIL DE NOS AMBITIONS
Un de mes maîtres à l’Université m’a enseigné que « les partis sont des instruments d’action en raison du but qu’on poursuit et non des tribus auxquelles il faut être fidèle jusqu’à la mort et de génération en génération. » Cette observation, vieille de près d’un demi siècle, n’a pas pris une ride. Elle est même plus pertinente que jamais. Un parti ne peut être qu’un outil. Pas une fin en soi.
Les partis tels qu’ils sont organisés et tels qu’ils fonctionnent aujourd’hui sont nés pendant la deuxième moitié du 19e siècle, à l’époque du vote censitaire, alors que n’existait pas l’instruction obligatoire. Sont-ils encore l’outil le plus démocratique qui soit ? Ne contribuent-ils pas à la crise de la démocratie ? Comment faire mieux ?
Ce sont des questions que nous devons examiner avec minutie. Avec précaution aussi, tant il est vrai que très souvent les partisans de l’ordre et des régimes autoritaires ont pris pour cible la démocratie par délégation qui est le mode de fonctionnement des partis comme celui du parlementarisme. Avec lucidité enfin, car ce sont très souvent ceux qui se nourrissent d’un système qui contestent sa remise en question.
Soyons de bon compte et reconnaissons que notre démocratie est enrayée parce que le principe de la délégation a débouché sur une confiscation de la démocratie elle-même. Les défenseurs de la démocratie partidaire invoquent la légitimité démocratique des partis. Mais où se trouve la démocratie lorsque, sur 44 millions d’électrices et d’électeurs, le choix des candidat(e)s soumis(e)s au suffrage universel est le fait exclusif des membres des partis soit, tous confondus, environ 1,5 % de l’électorat ?
Le modèle – d’origine militaire – d’organisation pyramidale hiérarchisée qui caractérise les partis politiques d’aujourd’hui confère à des groupes de plus en plus restreints de personnes des pouvoirs considérables. Le principe de la délégation qui permet le fonctionnement de ce modèle a été à ce point étendu qu’on éprouve de plus en plus souvent des difficultés à conférer un caractère démocratique à certaines instances. Il en va ainsi, par exemple, du bureau exécutif des partis. Il en va de même de la Commission européenne. Car, et c’est bien là un des dangers d’un système qui reproduit ses propres pratiques, les partis génèrent des institutions à leur image.
En un mot comme en cent, au nom de la démocratie, on peut et on doit questionner aujourd’hui l’organisation, le fonctionnement et le rôle des partis politiques. D’autres que nous, comme par exemple les Verts, l’ont fait. Avec beaucoup de bonne foi et d’idéal. Ils voulaient « faire de la politique autrement ». Il nous faut soigneusement étudier les raisons de leur échec. Pour ne pas le connaître à notre tour.
Après plus de cent ans d’instruction obligatoire, avec le suffrage universel, les citoyennes et les citoyens aspirent à autre chose que de signer un chèque en blanc à des délégués dans un parti ou à des élus dans la commune, le département, la région, le pays ou l’Europe. La politique n’est plus acceptée comme l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde, même si de très nombreux acteurs politiques agissent encore comme s’il en allait ainsi. Il y a un intense besoin d’une information complète et donc de transparence sur les choix et la manière dont ils sont pris. Il y a un intense besoin d’être associé à l’élaboration de ces choix et donc de participation. Il y a un intense besoin d’être décideur et donc de démocratie directe. Ce sont ces attentes auxquelles il nous faut répondre en forgeant le nouvel outil politique qui portera les ambitions de la gauche nouvelle.
Il n’y a pas de modèle. Tout est à inventer. Même si le mouvement altermondialiste nous a fourni beaucoup d’exemples concrets du caractère démocratique et de l’efficacité du travail en réseaux, cette source d’inspiration n’apporte pas toutes les réponses. Nous sommes devant une page presque blanche. Nous devons inventer. N’est-il pas de plus belle cause ?
6. UN NOUVEAU RENDEZ-VOUS A NE PAS MANQUER
Un rendez-vous majeur avec l’Histoire a été manqué en décembre 2006. Nous ne portons aucune responsabilité dans l’échec de la démarche unitaire.
Dans un mode plus modeste, celui des commencements, des aubes qui se lèvent, nous sommes par contre totalement responsables de l’avenir que nous allons donner à la dynamique portée à partir du 1er février par des milliers de femmes et d’hommes hors des appareils ou qui en ont refusé la logique.
Certains, qui avaient joué un rôle dans la configuration unitaire de l’Appel du 11 mai 2006, veulent tuer dans l’œuf notre démarche parce que, pour eux, rien ne peut se concevoir en dehors d’un cartel d’appareils. D’emblée, ils désignent notre projet comme la création d’une « nouvelle petite organisation politique ». Incapables, intellectuellement, de concevoir de nouvelles formes d’action politique collective, incapables, politiquement, d’accepter que des femmes et des hommes sans appartenance à un parti – les plus nombreux dans notre société – puissent constituer un courant politique qui soit autre chose qu’un groupuscule, ils utilisent le vieux chantage à l’unité en nous désignant comme diviseurs d’une unité qu’ils ont été incapables de faire aboutir.
L’unité est notre ambition. Mais c’est une ambition trop nécessaire pour qu’elle soit confiée à ceux qui l’ont tuée en 2006. C’est une ambition trop belle pour qu’elle soit laissée à ceux dont le goût du pouvoir – fut-il celui de leader d’une coterie – ou les appétits de carrière (les municipales sont proches) constituent la seule véritable motivation.
Nous saisissons l’occasion qui nous est donnée par le champ de ruines que représente aujourd’hui ce qu’on a appelé la gauche pour construire une gauche nouvelle. Sur des bases différentes. A partir des gens. Les rencontres de cet été comme le rendez-vous de l’automne nous convoquent. Sachons, avec détermination et constance, faire prévaloir les exigences de cette gauche nouvelle.
PS. Invité depuis janvier en Allemagne pour intervenir dans un colloque sur l’Europe, je ne pourrai être présent les 23-24 juin à Paris/St Denis à la réunion des « délégués » de collectifs/comités locaux à la composition incertaine. Les idées qui précèdent sont celles que j’aurais défendues dans cette enceinte dont la légitimité devient très relative, même si ceux qui s’efforcent d’en assurer la continuité méritent toute notre estime.