L’avocate du député du Nord affirmait, dans son communiqué, que les faits retenus contre lui seraient la gifle ayant eu lieu il y a plus d’un an « dans un contexte déjà évoqué d’agressivité mutuelle », ainsi que les SMS envoyés à son ex-épouse après sa séparation. C’est ce qui a poussé Céline Quatennens, qui ne s’était pas exprimée publiquement en son nom depuis le début de l’affaire mi-septembre (elle avait signé un communiqué commun avec Adrien Quatennens, le 13 septembre, décrivant une situation de « divorce difficile ») à prendre la parole : « Il m’est désagréable que mon mari minimise les faits publiquement en jetant le discrédit sur ma personne », a-t-elle déclaré. Dans la foulée, Adrien Quatennens a fait savoir, par l’intermédiaire d’un communiqué de son avocate, qu’il démentait « catégoriquement les accusations portées à son encontre ».
En fin de journée, le 23 novembre, à l’issue d’une réunion du bureau politique, La France insoumise a publié un communiqué suspendant Adrien Quatennens du groupe LFI à l’Assemblée, même si le terme de « suspension » n’est pas utilisé : « Fidèles à notre engagement féministe, nous prenons au sérieux cette parole [de Céline Quatennens – ndlr], les accusations graves qui ont été formulées et qu’Adrien Quatennens récuse par la voix de son avocate. [...] Une fois la décision de justice rendue, notre groupe décidera collectivement des suites à donner en son sein. Jusque-là Adrien Quatennens ne participera pas à l’activité de notre groupe parlementaire. » C’est l’épilogue d’une journée durant laquelle LFI a été sous le feu des critiques à gauche, sur son attitude à l’égard du cas Quatennens.
Un coup d’arrêt au retour programmé
Sur le fond, le parquet de Lille n’ayant pas rendu publiques les infractions retenues dans cette « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité », comme la peine qui lui sera proposée, les deux parties se livrent à une bataille de communication. En l’état, les faits ne pourraient être rendus publics que le 13 décembre. Il n’en demeure pas moins que les conséquences politiques sont déjà là pour Adrien Quatennens et pour La France insoumise (LFI), dont il était l’une des figures de proue.
Le 18 septembre dernier, Adrien Quatennens avait reconnu des gestes violents sur son épouse, et avait été mis en retrait de la coordination du mouvement. LFI avait alors difficilement encaissé, illustrant ses difficultés à traiter les signalements à l’encontre de ses parlementaires. Deux mois plus tard, son arrêt maladie étant arrivé à son terme, Adrien Quatennens s’apprêtait à revenir à l’Assemblée nationale. Jean-Luc Mélenchon avait donné très tôt le la, en affirmant qu’il « [devait] revenir » et qu’il allait l’y « aider », en dépit de l’enquête préliminaire pour violences conjugales le visant après une main courante déposée par son épouse.
Cet empressement gênait déjà aux entournures au sein même de La France insoumise, notamment les militantes féministes du mouvement, et a fortiori au sein de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). Le programme partagé de la Nupes inclut notamment le milliard d’euros de budget contre les violences faites aux femmes, réclamé par les associations. Le bureau politique de LFI s’est réuni en fin d’après-midi, le 23 novembre, pour discuter de ce sujet épineux, source de divisions internes. Les députées Clémentine Autain et Danièle Obono y ont notamment défendu la suspension du député du Nord. Même si le terme n’apparaît pas dans le communiqué publié en fin de journée, l’idée est restée.
Contacté·es dans l’après-midi, de nombreux député·es n’ont pas souhaité nous répondre. « Notre décision concernant Adrien Quatennens doit prendre en compte sa parole à elle [Céline Quatennens – ndlr] et pas seulement la sienne. Nous devons être justes et audibles », a cependant réagi Clémentine Autain au Figaro. Au micro de BFMTV, sa collègue Raquel Garrido
Sous couvert de l’anonymat, un député LFI confie à Mediapart : « En l’état, je ne vois pas comment Adrien Quatennens peut revenir, et je ne suis pas sûr qu’un retour pressé, même pour lui, soit une bonne idée. Il faut prendre le temps, qu’il soit sensibilisé, que tout soit fait pour qu’il n’y ait jamais de récidive, c’est le minimum. »
Les critiques ouvertes de la Nupes
De nombreuses personnalités de gauche et écologistes ont communiqué leur soutien à Céline Quatennens et l’impossibilité à leurs yeux qu’Adrien Quatennens siège à leurs côtés. « Notre devoir est de dire que nous accueillons sa parole et la croyons. Notre responsabilité est d’en conclure que le retour d’Adrien Quatennens sur nos bancs est désormais impossible », a déclaré sur Twitter le premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure.
« On sait la difficulté que c’est pour une femme de faire la démarche de porter plainte à la police, ça doit être respecté, on ne peut pas porter le discrédit sur elle, ni minimiser les faits, abonde Corinne Narassiguin, numéro 2 du PS. C’est clair qu’avec ces informations, il n’est pas possible qu’il revienne comme si tout était normal. »
« D’abord, il faut que la parole de Céline soit entendue. Elle a eu des propos nouveaux et importants, il faut respecter ce moment. Ensuite, je ne vois pas comment le retour d’Adrien Quatennens est possible dans des temps rapprochés », estime aussi la députée communiste Elsa Faucillon.
Du côté des écologistes, la députée Sandrine Rousseau a affirmé sur Twitter : « Adrien Quatennens ne peut plus siéger à l’Assemblée nationale. » Sa collègue Sandra Regol, jointe par Mediapart, estime que les propos de l’ex-compagne d’Adrien Quatennens sont « très graves » et que, « quand une femme parle, il faut la croire. Il est d’ailleurs tout à fait possible qu’il y ait eu de son côté une prise de conscience progressive du fait qu’elle avait été victime ».
Dans le fond, la position du groupe des écologistes, qui demande la mise en retrait du député du Nord depuis le début, ne varie pas : « Nous avons toujours dit, et nous nous le sommes appliqué quand nous étions en cause, qu’après ce genre de faits, personne ne peut revenir comme si de rien n’était. Il faut attendre une enquête interne ou que la justice statue », souligne Sandra Regol, qui « ne comprend pas pourquoi » Jean-Luc Mélenchon a « forcé la main » de ses troupespour qu’Adrien Quatennens revienne sur les bancs du groupe insoumis au Palais-Bourbon.
Un problème de ligne
Face au silence du fondateur de La France insoumise (Jean-Luc Mélenchon n’avait toujours pas réagi, le 23 novembre à 20h50), la militante féministe Caroline De Haas, qui lui avait déjà adressé une lettre pointant du doigt son inconséquence sur le cas Quatennens, a publié un texte fictif, indiquant « ce que devrait écrire le leader de la gauche suite à la prise de parole de Céline Quatennens ». « Le groupe parlementaire doit prendre une mesure concernant Adrien Quatennens. Il ne peut exercer son mandat de député de La France insoumise en l’état », écrit la militante en se substituant au fameux leader.
À l’inverse, jusqu’à présent, suivant les premières déclarations de Jean-Luc Mélenchon, le groupe parlementaire s’était fait discret sur le cas Quatennens – d’autant plus que, jeudi 24 novembre, LFI doit défendre ses propositions de loi dans le cadre de sa niche parlementaire. Si le groupe n’avait pas pris position sur son retour rapide, sa présidente Mathilde Panot avait déclaré le 15 novembre : « Dans le groupe, tout le monde est d’accord pour dire qu’il ne doit être ni exclu du groupe ni qu’on demande sa démission. À partir de là, il est logique que nous réfléchissions sur les modalités et l’accompagnement de son retour. »
Dans les boucles militantes insoumises lilloises, des proches d’Adrien Quatennens évoquaient, le 23 novembre, une possible riposte, alors que peu d’articles relayant les accusations de Céline Quatennens y étaient partagés. « Cela me désespère un peu. C’est révélateur de tout ce qu’on a laissé passer, d’un management politique qui n’a pas été net pendant plusieurs mois », témoigne un insoumis nordiste. La prise de position de LFI via son communiqué pourrait augurer d’une évolution, après des semaines de tergiversations. Chaque mot en a été bien pesé.
Mathieu Dejean