Sariwon, envoyé spécial
« Faute d’équipements suffisants ou en état de fonctionner, nous pratiquons le plus possible d’anesthésies locales ou sous acupuncture », explique le docteur Choe Chol, chirurgien et directeur de l’hôpital provincial de Sariwon (250 lits) dans le département de Hwanghae du Nord, au sud de Pyongyang. La prise en charge de la douleur ? « Nous faisons de notre mieux. »
La première victime de près de cinq ans d’une crise nucléaire déclenchée par Washington, qui semble aujourd’hui en voie de résolution, est la population nord-coréenne : les carences du système sanitaire en témoignent.
Sur les six salles d’opération de cet hôpital où l’on pratique une trentaine d’interventions par jour, un bloc opératoire vient d’être réhabilité par l’organisation humanitaire française Première Urgence (PU) – présente en République populaire démocratique de Corée (RPDC) sous le sigle « Unité 1 » du Projet de Soutien de l’Union européenne.
C’est la seule salle d’opération présentant de relatives conditions d’hygiène. Mais les chirurgiens se lavent les mains dans des cuvettes et non à l’eau courante et, en hiver, ils opèrent à des températures descendant à – 5 degrés, faute d’insolation suffisante.
Dans son laboratoire de solutions injectables, dont le carrelage a été posé par des volontaires (infirmières et médecins), PU a installé des stabilisateurs de l’alimentation en électricité afin d’éviter coupures ou baisses de tension. Il n’y a pas d’eau de Javel, pas de désinfectant : on nettoie à l’eau distillée.
UN MÉDECIN POUR 130 FAMILLES
En raison de l’effondrement économique, consécutif à l’éclatement de l’URSS et à l’évolution de la Chine vers l’économie de marché, – deux facteurs qui ont mis fin aux liens privilégiés de ces pays avec la RPDC –, le fonctionnement du système hospitalier s’est progressivement détérioré.
« Les infrastructures sont là, en termes de nombre d’établissements par rapport à la population, de personnel hospitalier et d’accès aux soins », fait valoir le représentant d’une organisation internationale.
La RPDC a un médecin pour 130 familles. « Les centres de soin sont entretenus tant bien que mal, poursuit-il. Mais d’origine soviétique ou allemande, les équipements sont obsolètes ou en panne faute de pièces de rechange. » « Pour les cas les plus graves, nous sommes démunis », reconnaît le docteur Choe Chol.
Coupés de l’extérieur, les médecins pratiquent une médecine dépassée. Les techniques de réduction des fractures, par exemple, sont anciennes et les amputations fréquentes. Seuls trois centres de prothèses modernes sont gérés par l’organisation non gouvernementale Handicap International et le Comité international de la Croix-Rouge qui forme des orthopédistes.
« Précaire, la situation sanitaire en RPDC doit être relativisée », poursuit notre interlocuteur occidental, faisant valoir le taux élevé de vaccination des enfants : 97% dans le cas de l’hépatite B et des pourcentages analogues en matière de tuberculose ou de polio. La vétusté du système d’évacuation des eaux usées favorise cependant la transmission de toutes sortes de virus.
La pénurie de médicaments modernes est l’une des plus graves carences. La RPDC dépend en ce domaine à 70 ou 80% de la Croix-Rouge, de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Unicef. « Comme palliatif, nous avons recours à la pharmacopée traditionnelle », précise le docteur Choe.
L’Académie médicale et scientifique Koryo à Pyongyang, créée en 1961 et rénovée en 2002, abrite un hôpital ainsi que des centres de recherche et de formation. Le diagnostic est établi avec des équipements modernes mais pour le traitement, on a recours aux pratiques de médecine traditionnelle (chiropractie et acupuncture) et à une pharmacopée à base d’herbes, de feuilles et de racines, vieille de trois millénaires et dont Chinois et Coréens se disputent l’origine.
Les praticiens formés d’abord à la médecine occidentale se spécialisent ensuite en médecine orientale : chaque année, de 150 à 200 médecins sortent de l’Académie Koryo et il existe des centres de médecine traditionnelle à travers tout le pays.
Palliatif ou complément, la pharmacopée traditionnelle ne peut se substituer aux médicaments chimiques. « L’aide humanitaire internationale en médicaments, certes nécessaire, a créé une culture de dépendance en RPDC qui bloque toute renaissance de l’industrie pharmaceutique locale », fait valoir Félix Abt, qui représente à Pyongyang des entreprises suisses et allemandes et dirige PyongSu Pharma, une société mixte associant le ministère de la santé et un groupe d’investisseurs européens.
La rareté des médicaments modernes a conduit à l’apparition d’un marché parallèle sur lequel se vendent des produits contrefaits en provenance de Chine. Mais il est désormais préférable d’avoir des revenus pour se faire soigner.