Toutes les conditions étaient réunies lors du mouvement de contestation pour qu’une révolution se produise en Iran, mais l’opposition n’a pas pu mobiliser la population ni inciter les habitants à manifester en masse ou à organiser des grèves ouvertes. La principale cause de cet échec est liée à l’absence d’unité entre les différentes composantes de l’opposition. Le courant monarchiste [qui aspire à une restauration du régime d’avant la Révolution islamique de 1979] a été le principal obstacle à l’émergence d’une unité nationale.
Les monarchistes iraniens comprennent un large éventail de tendances et de groupes politiques. L’extrême droite ainsi que les militaristes forment l’essentiel du spectre [favorable à une monarchie absolue]. Il existe néanmoins d’autres courants [qui leur sont proches], tels que les nationalistes [opposés aux velléités séparatistes, notamment de la minorité kurde] et les constitutionnalistes [partisans d’une monarchie constitutionnelle].
Mais pour tous ces courants, Reza Pahlavi, 62 ans, fils du dernier chah d’Iran renversé en 1979, représente le porte-drapeau et le personnage central de leur projet.
“Rôle central du prince Reza Pahlavi”
Mais Reza Pahlavi n’a jamais créé de parti politique, même avec ses partisans les plus proches. Il a été membre de plusieurs groupes, mais n’est jamais resté fidèle jusqu’au bout.
Au cours des dernières années, les monarchistes ont tenté de créer des coalitions politiques, dont une première en 2013 à Paris, baptisée “Conseil national iranien”. Reza Pahlavi en a été le principal orateur puis le président. Quatre ans plus tard, il a démissionné de son poste et la coalition s’est effondrée.
En septembre 2018, le réseau Farashgard a été formé par des monarchistes constitutionnels et des républicains. Il prône l’instauration d’une démocratie libérale et laïque et la lutte contre le communisme et l’islam politique. Farashgard dit croire au “rôle central du prince Reza Pahlavi” dans la formation d’une alliance entre les forces laïques et démocratiques. Début 2023, Farashgard a été renommé “Parti du Nouvel Iran” [d’après le nom d’un parti formé par de jeunes technocrates sous le chah].
Enfin, le Phoenix Project of Iran est un groupe de réflexion qui réunit plusieurs (universitaires) partisans de la monarchie chargés de réfléchir aux solutions objectives pour “reconstruire l’Iran”.
Ancrage royal
Les monarchistes affirment que les Iraniens sont historiquement ancrés dans une culture royale et prennent pour exemple la République islamique afin d’illustrer l’échec des républiques (à l’échelle mondiale). Ils attribuent les progrès effectués dans des pays comme la Norvège, les Pays-Bas ou le Danemark à la présence d’un roi.
Mais ils omettent de rappeler que les monarques dans ces pays ne sont rien de plus que des noms [et ne possèdent aucun pouvoir réel]. [En 2021], lorsqu’une chaîne télévisée suédoise a diffusé un documentaire sur la vie intime du roi [Gustave V], suscitant les protestations du roi [actuel et de la famille royale], le responsable de la chaîne lui a recommandé de regarder d’autres émissions au moment de sa diffusion.
Aucune condamnation à mort n’a été prononcée, et les flammes de la colère de la cour royale n’ont pas réduit les critiques en cendres. Que se serait-il passé si, à l’époque du chah, un reportage, sans l’autorisation de la Savak [services secrets], avait été diffusé sur la vie privée de la famille Pahlavi ?
Une haine des “gauchistes et séparatistes”
Les monarchistes dénoncent par ailleurs, de manière agressive, tous ceux qui n’utilisent pas le titre de prince en s’adressant à Reza Pahlavi. Pour eux, il s’agit d’un péché. Lors d’un récent rassemblement, ils ont scandé “Notre temple est Pahlavi”.
Quant à l’épouse de M. Pahlavi, elle critique régulièrement sur sa page Instagram les “gauchistes et séparatistes”, les accusant d’être à l’origine de la révolution iranienne de 1979.
Cela dit, je crois qu’il ne faut pas s’inquiéter de l’absence d’union (entre les différentes composantes de l’opposition, voire de l’absence d’un front uni). Il faut voir cela comme un exercice démocratique (avant l’heure) pour les Iraniens.
Ce qui est en revanche regrettable, c’est l’atmosphère malsaine, calomnieuse, monopolistique entretenue par l’extrême droite proche de Reza Pahlavi. Et le silence de ce dernier, qui a laissé de nombreuses questions sans réponse, lui qui se présente comme un républicain laïc, mais qui ne s’est toujours pas prononcé sur le type de régime politique qu’il privilégie.
Le silence du “prince”
Reza Pahlavi n’a pas non plus donné un avis clair sur la fortune de sa famille et les conditions de vie de la société iranienne sous le règne de son père.
Après son récent déplacement en Israël, il n’a rien voulu dévoiler sur sa rencontre avec Benyamin Nétanyahou et des responsables israéliens.
Et devant le sectarisme de sa femme et de ses partisans fanatiques, il choisit aussi le silence.
Enfin, une rumeur circule selon laquelle un haut responsable de la Savak, Parviz Sabeti [accusé par des militants de torture sous le règne du chah], serait son principal conseiller.
Reza Pahlavi doit répondre à toutes ces questions, et doit inciter ses partisans au pluralisme, à la responsabilité et à la tolérance.
Le “prince” devrait surtout savoir que dans le monde politique, le chemin vers le sommet est risqué et glissant.
Saïd Salami
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