Dans l’extrait de son livre publié par la revue québécoise Actualité et repris en France par ESSF, Francine Pelletier fait le constat que la jeunesse québécoise non seulement rejette de plus en plus fortement l’option indépendantiste mais aussi tendanciellement la culture québécoise portée par sa langue française en faveur d’un « penchant anglophile ». Le nationalisme québécois, péquiste ou caquiste, est d’abord porté par les gens âgés ou d’un certain âge. On peut penser que pour ces derniers il y a là la nostalgie d’un âge d’or d’un Québec prospère et progressiste qui, cependant, loin de se replier sur soi s’ouvrait au monde. Vient à l’esprit l’impact d’Expo 67. Ce renouveau nationaliste faisait le ménage du vieux nationalisme canadien-français assis sur la religion et la tradition tout en ayant soin d’en préserver et enrichir la culture s’exprimant essentiellement en français.
Des vagues libératrices qui se sont fracassées sur le blocage de la pusillanimité petite-bourgeoise
La première vague de ce nationalisme libérateur, gonflée par les Fronts communs et autres mobilisations populaires, s’est brisée sur le référendum de 1980 pour mieux renaître en une puissante deuxième vague qu’a anéanti la défaite crève-cœur du référendum de 1995. On ne dénoncera jamais assez le petit-bourgeois PQ qui a récupéré le populaire vent cyclonique de libération nationale pour mieux le casser en lui retirant sa substantifique moelle d’émancipation sociale. Telle est l’essence de la défaite de ce grand mouvement balafré par l’incapacité du peuple-travailleur de se doter de sa propre direction politique. Depuis ce divorce de la question nationale de celle sociale, le peuple-travailleur québécois s’est laissé entraîner dans l’abysse du recroquevillé identitarisme par le PQ de la Charte des valeurs auquel a succédé la CAQ aveugle au racisme systémique et fermée aux personnes réfugiées fuyant le monde en chamaille.
En rester là signifie la folklorisation à terme du peuple québécois refoulé dans les villages gaulois des dite régions avec la Ville de Québec comme capitale. L’humanité s’en porterait-elle plus mal ? Après tout, combien de premiers et petits peuples ont déjà disparu ou sont en voie de disparaître, langue maternelle comprise ? La dite civilisation, baignant dans la pauvreté de la consommation de masse, fille de l’accumulation exponentielle du capitalisme impérialiste, est toujours régnante et aveuglément triomphante. Austéritaire, elle contemple à ses pieds le gouffre de la terre-étuve qui demain, dans un fracas de guerres sans fin, la consumera à son tour. Son marché global balaie tant la biodiversité qu’elle lamine le pluralisme des cultures et des langues en faveur de l’anglicisation du monde, lingua franca du néolibéralisme, et de la culture commerciale anglo-saxonne.
L’anglicisation du peuple québécois par sa jeunesse ne sera pas certes un lent suicide, pas plus qu’il ne l’a été pour les peuples irlandais et écossais. Nos histoires de résistance nationale ont la couenne dure. Cependant, l’anglicisation en facilitant la pénétration de l’idéologie dominante en devient un obstacle à la libération nationale et à l’émancipation sociale. Ce qui est bien différent de l’indépendance « flag su’l hood » à la PQ et encore plus de l’autonomisme néo-duplessiste de la CAQ, sorte de trompeur néo-colonialisme. Bien sûr, la culture anglophone a son côté progressiste, sans compter la domination de l’expression scientifique et commerciale par l’anglais. Pour la grande majorité, la maitrise de l’anglais instrumental y suffit. Dans les pays scandinaves et aux Pays-Bas, la connaissance de l’anglais est répandue mais elle ne menace en rien la langue commune assise sur une riche et profonde histoire nationale.
Le drame réside dans la honte du français faute d’un projet de société digne du XXIe siècle
Le drame réside dans la perte de la maitrise et même dans la honte de sa langue maternelle parce qu’elle serait ringarde et même porteuse d’identitarisme raciste. Le français à la québécoise comme langue maternelle et commune est porteur d’une culture et d’une histoire nationales qui recèle une bonne dose de résistance à l’assimilation impérialiste qu’elle soit britannique, étatsunienne ou canadienne. La révolution de 1837-38, l’appui au soulèvement des Métis conduits par Louis Riel, la résistance à la conscription et la grande mobilisation libératrice-émancipatrice des années 1960-70 en sont le témoignage. L’essoufflement de ce courant, devenu invisible si ce n’est réactionnaire pour la jeunesse, est un appel au peuple travailleur québécois pour se ressaisir et renouer avec lui en articulation avec les défis existentiels de l’humanité du XXIe siècle.
La reconstruction de cette grande mobilisation, pour réussir, ne peut cette fois faire l’économie d’une direction politique issue de son sein prolétarien et populaire. L’échec est garanti avec une direction petite-bourgeoise qui s’arrêtera toujours au seuil de la nécessaire rupture. Il faut renouer avec l’indépendantisme révolutionnaire des Patriotes de 1838… qui avaient échappé le ballon en 1837. C’est ce ballon de l’indépendance émancipatrice qu’échappe Québec solidaire, présumé héritier historique des Patriotes, à l’encontre de l’indépendance « dépassement du capitalisme » de son programme. Il ne suffit pas d’être la conscience de gauche de l’Assemblée nationale à droite toute. Comme les Solidaires s’étaient laissés aspirer par le suivisme critique de la politique pandémique sauver-l’économie de la CAQ, ils le sont par sa politique écologique capitaliste vert tout-électrique à peine critiquée. Même son soutien du Front commun est mi-figue mi-raisin tellement Québec solidaire évite de soutenir explicitement la revendication phare de l’indexation des salaires au coût de la vie.
Si l’extractivisme des hydrocarbures soumet le Québec au Canada financier-pétrolier, le nouvel extractivisme tout-électrique le soumet à l’impérialisme étatsunien. L’ogresse filière batterie subventionnée à mort selon les critères étasuniens engouffre politiques budgétaire, fiscale, environnementale du Québec. Est devenue surdéterminante la rivalité ÉU-Chine dans le cadre du libre-échange nord-américain. La résurrection de la lutte pour l’indépendance écosocialiste, assise sur l’autonomie hydroélectrique et éolienne en quantité déjà plus que suffisante, sera le socle solide au peuple travailleur pour appliquer une politique de sobriété énergétique menant à la carboneutralité en dix ou quinze ans. En sera ouverte la porte d’une société solidaire et écoféministe de prendre soin des gens et de la terre-mère qui prouvera au monde que le peuple québécois est « quelque chose comme un grand peuple ». Comme au temps des grandes mobilisations de jadis, le français redeviendra le mode d’expression de la fierté retrouvée sans lois tatillonnes devenues nécessaires pour sauver les meubles. Adviendra un renouveau culturel que créera et célébrera la jeunesse dans la langue commune.
Marc Bonhomme, 1er octobre 2023
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