Le point sur les offensives contre les femmes
L’autonomie des femmes en question — Antiféminismes et résistances en Amérique et en Europe, Sous la direction de Josette Trat, Diane Lamoureux & Roland Pfefferkorn, éd. L’Harmattan, Paris 2006, 21,50 euros.
Antoine Detaine
La publication de cet ouvrage répond à un besoin d’orientation politique pressant des militant(es).
En effet à la question de l’actualité ou non d’un combat spécifique féministe, pour la grande masse des femmes… et des hommes, la réponse ne va plus de soi. De réelles avancées ont été entérinées dans nos législations. Les personnalités et courants se revendiquant des luttes de libération des femmes du passé, à l’unisson avec les grands médias entérinent l’idée que les inégalités de genre sont dépassées. Si on rajoute à cela les offensives réactionnaires plus traditionnelles, relayées par les États et les religions, qui s’acharnent à délégitimer pour remettre en cause les avancées en matière de séparation féminité/maternité. Rien d’étonnant à ce que le militantisme féministe soit à contre-courant aujourd’hui. Y compris, et c’est le plus grave, dans les cercles de la gauche radicale. Légitimant à son tour, à sa façon, que tout ça, c’est du « dépassé ».
Le mérite de ce livre est de faire le point. De nous donner enfin, une méthode pour rendre compréhensible cet état de choses. Pour répondre à la question : « Où en est-on ? ». Notamment qu’antiféministes et post-féministes de tous bords s’accordent sur un point : l’inactualité de tout combat collectif spécifique. Là n’est pas la moindre victoire, temporaire soyons certain(es), de la mondialisation capitaliste et son cortège de femmes exploitées, violentées, traitées, prostituées .
Les contributions de ce livre émanent de divers pays d’Amérique du Nord et du Sud ainsi que d’Europe occidentale et centrale. Elles illustrent la diversité des attaques en cours contre les femmes qui vont de la remise en cause de droits liés à leur autonomie (maternité, sexualité, salaire, prise en charge de la petite enfance…) jusqu’au droit de vivre, d’être, d’exister, tout court (Ciudad Juarez). Ces attaques reposent sur le socle misogyne traditionnel : Dieu ou la nature, a voulu qu’il y ait deux sexes, toute remise en cause est anormale donc amorale. Vous avez dit : « construction sociale des inégalités ? » C’est quoi ce monstre ?
Si ces attaques ne sont pas nouvelles, il est essentiel d’en mesurer le degré, la répartition géographique et surtout le modus operandi qui lui est souvent nouveau.
Un livre essentiel pour les militant-e-s révolutionnaires. Et même pour les autres !
Invisibles évidences de l’emprise du genre
Ilana Löwy, L’emprise du genre – Masculinité, féminité, inégalité, La Dispute, Paris 2006, 23,00 euros.
Didier Epsztajn
Dans le monde occidental, champ limité de cette étude, l’auteure explore le maintien des privilèges masculins dans et par la construction asymétrique de la masculinité et de la féminité. Elle rend particulièrement visible le marquage des femmes comme corps sexué, le traitement différent dans la socialisation des un-e-s et des autres et la perdurance toujours remodelée de l’emprise du genre dans le développement des inégalités, « capacité de régénération d’un système qui a incorporé la grande variétés des nouveaux rôles féminins sans céder sur l’essentiel, à savoir l’accent mis sur l’attrait sexuel pour les hommes comme élément essentiel de l’identité féminine ».
Des règles, des « évidences invisibles » participent à la construction des rôles, des identités et à la reproduction des discriminations : hétérogamie (recherche d’un compagnon mâle d’un statut égal ou supérieur), érotisation du pouvoir mâle et de la masculinité hégémonique (transformation de la subordination en source de plaisir), perception des femmes comme dotées d’une capacité innée de soigner, possibilité asymétrique de s’approprier attributs et rôles du sexe opposé, inégalité esthétique entre les sexes ; sans compter le façonnage des identités par l’hétérosexualité normative.
Avec des allers et retours par l’anthropologie, la médecine, la science, l’exploration de l’emprise du genre est analysée, détaillée, mise à jour dans ces multiples facettes. Éducation, socialisation et hétérosexualité participent à la construction de « l’homme dans la tête », les « rôles esthétiques » assurent une permanence de l’inégalité, la sexualisation des hormones, « le sexe en flacon » tend à la renaturalisation des corps.
Ces éléments permettent de construire une argumentation riche et d’explorer trois domaines particuliers et symptomatiques : le corps hormonal de la femme, le genre et l’autorité professionnelle, les couples hétérosexuels comme libre choix et construction de la hiérarchie du genre.
Deux petites remarques : la partie anthropologique aurait gagné à la confrontation aux travaux de Maurice Godelier et une analyse approfondie des remodelages assurés par la révolution capitaliste et la marchandisation des corps et des services aurait probablement contribué à une inscription plus ouverte dans « l’histoire ».
Ce livre très riche, dont la lecture questionne de plus nos propres comportements, est ouvert par un prologue autobiographique soulignant les conséquences des marquages lorsque l’on appartient à une minorité visible ou invisible, ici femme et juive en Pologne. Trop souvent négligés, les façonnages dans le regard de l’autre, la mise en différence et ses intériorisations, ne sauraient, sans interventions conscientes, être abolis dans l’avenir, uniquement bâti sur l’universel abstrait. Ce prologue est donc plus qu’une introduction, une véritable insertion et prise en compte de l’individu-e ( ? individue n’existe pas) concrèt-e, du « je » insoluble dans le nous.
Oui, « Le privé est politique ».