L’Anticapitaliste : Est-ce que tu as des informations sur ce qui se passe aujourd’hui à Gaza, et sur l’état de la résistance palestinienne ?
L. S. : À part ce qu’on entend dans les médias, toutes les informations qui y sont diffusées, ce qui m’inquiète beaucoup c’est l’état d’esprit des gens, toutes les destructions à laquelle ils font face. On parle de nombre de mortEs, mais ce sont des chiffres. On ne parle pas des histoires humaines qui sont derrière. On parle des enfants, mais on ne sait pas combien d’enfants, on ne se préoccupe pas de ce que vont devenir celles et ceux qui ont perdu toute leur famille. Les déplacements de familles à plusieurs reprises, d’un endroit à l’autre, cela représente une grande instabilité.
Il y a aussi toute la destruction de Gaza, des infrastructures. On n’a jamais vu ce type de photos et d’images dans les guerres précédentes : c’est vraiment une guerre menée non seulement pour éliminer la population, mais aussi pour raser le territoire. C’est ce qui est le plus inquiétant, avec le projet politique qui est derrière.
L’état mental et psychologique est plus grave peut-être encore que l’état physique des victimes. Parce que dans toutes les guerres, dans tous les déplacements de population, on connaît la crise humanitaire, la destruction des foyers, les refuges, les massacres, etc. Mais ce n’est pas une guerre classique : c’est une guerre coloniale, et Israël la mène sous les yeux de la terre entière, de tout l’Occident et des pays arabes. On meurt en silence.
Ce qui est aussi inquiétant, c’est l’après : à l’arrêt des massacres, comment les gens vont-ils retrouver leur vie, leur famille, dispersée, leur maison ? Ce n’est pas seulement l’aspect humain, c’est aussi l’aspect social qui est en jeu. C’est ce qu’Israël veut, et fait de cette guerre : pas seulement écraser et raser le territoire de Gaza, massacrer le maximum de gens, mais aussi détruire la société palestinienne.
Il n’y a plus de lieux de travail, les écoles sont détruites, les hôpitaux aussi, etc. Donc il n’y aura plus de vie. Il faudra tout reconstruire, si Israël n’a pas envahi et fait aboutir son projet politique de chasser les populations, de positionner des colonies, etc.
Tu penses que leur objectif est cette destruction et, morceau par morceau, de coloniser la bande de Gaza ?
Je pense qu’ils vont élargir les colonies. Peut-être pas rentrer dans les endroits les plus peuplés, ils auront peut-être d’autres objectifs. Il est possible aussi que l’objectif d’Israël ne soit plus d’installer un très grand nombre de colonies, parce que ça coûte cher, mais de ne rien faire de ces terrains, les transformer en zones tampons.
Est-ce que la population à Gaza a encore la capacité de s’organiser pour résister ?
Il y a une résistance militaire, qui s’est construite pendant toutes ces années, même si ce n’était pas à la même échelle qu’aujourd’hui. On n’a jamais pensé qu’il y aurait une opération aussi organisée que celle du 7 octobre. Donc ça montre effectivement que la résistance militaire est très organisée aujourd’hui, très construite, avec des moyens plus forts que ces dernières années.
Une résistance militaire défend la bande de Gaza, mais il y a aussi la résistance citoyenne dans les villes : toutes les associations palestiniennes, les ONG - même si on peut critiquer certaines ONG qui sont devenues des appareils étatiques – qui font du boulot sur le terrain. Donc il y a une résistance civile incroyable. Et ce sont ces gens-là qui organisent la résistance et toute la vie quotidienne des Gazaouis, depuis le blocus.
Tu peux donner des exemples ?
Il y a vraiment une diversité dans les associations, des petites et des moyennes qui travaillent, par exemple, avec les jeunes, avec les enfants, les femmes, des associations de santé. Il y a par exemple une association des femmes journalistes.
Il y a des syndicats, mais ce ne sont pas les syndicats officiels. La Fédération générale des syndicats palestiniens (Palestinian General Federation of Trade Unions, PGFTU) est vraiment un appareil étatique. Sa direction, ce sont des représentants des organisations politiques au sein de l’OLP, qui sont désignés pour être la direction des syndicats. Et la plupart de temps, ce ne sont pas des vrais syndicalistes. Il y a également un autre syndicat, aussi étatique, qui représente l’Union des syndicats qui s’était formée à l’extérieur de la Palestine quand l’OLP était au Liban. Ils ont installé une forme de syndicat pour travailler avec les réfugiéEs palestinienNEs au Liban. La direction est revenue avec le retour de l’OLP en Palestine. Donc il y a parfois des concurrences entre les deux, mais ils sont sur la même ligne politique, la ligne officielle de l’OLP et de l’Autorité palestinienne.
Il y a une quinzaine d’années, il y a eu d’autres syndicats, qu’on appelle les syndicats indépendants, qui ont été constitués par de vrais syndicalistes au sein des syndicats officiels, mais qui ont pu se libérer et construire des vrais syndicats agissant avec les travailleurs et les travailleuses.
Dans quels secteurs par exemple ?
Dans le secteur de l’éducation, dans celui de la santé, de l’électricité. Ils travaillent aussi dans d’autres secteurs, mais ces trois secteurs-là sont vraiment les plus forts pour les syndicats indépendants. Donc à Gaza, ce sont des syndicats indépendants qui organisent les travailleurs et les travailleuses, et défendent leurs besoins. Il y a aussi des travailleurs et travailleuses palestinienNes en Israël, mais c’est autre chose.
On a à peu près 60 % de chômage à Gaza. C’est gigantesque. Et donc, ces chômeurs et chômeuses dépendent aussi de structures du type ONG ?
Il n’y a pas vraiment d’aide sociale, d’équivalent du RSA. Il y a l’aide familiale, des associations, mais elles se sont énormément réduites ces dernières années. Il y a beaucoup de pauvreté.
En France, tout ce qui est diffusé par les médias est très schématique : c’est l’attaque du Hamas, sans expliquer qu’il y a aussi d’autres organisations, et sans du tout expliquer non plus ce qu’est le Hamas. Ces organisations sont sur la liste des organisations terroristes, donc on n’est pas censé comprendre pourquoi elles agissent. Est-ce que tu peux essayer d’expliquer quels sont les débats qui peuvent exister à Gaza et, un peu plus largement, en Palestine ?
Toutes les organisations sont sous le parapluie de l’OLP, y compris le FPLP et le FDLP. Il n’y a pratiquement que le Hamas et le Jihad islamique qui sont à l’extérieur de l’OLP. Le FPLP est divisé, parce que certainEs militantEs veulent continuer à rester au sein de l’OLP, tandis que d’autres veulent que le FPLP en sorte. À l’extérieur par exemple, en Syrie et au Liban, le FPLP n’a pas les mêmes cadres de travail qu’en Palestine.
L’Autorité palestinienne gère la vie administrative quotidienne des PalestinienNEs et, depuis les accords d’Oslo, elle contrôle, de fait, la vie des organisations palestiniennes. L’OLP est très affaiblie. Le Fatah a beaucoup reculé, certains militantEs sont en stand by parce qu’ils et elles ne sont pas d’accord avec la position officielle du Fatah. À Jenine et Naplouse, il y a une résistance armée, les groupes du Fatah travaillent avec le Hamas et le Jihad, complètement en désaccord avec la position officielle du Fatah.
Même le FPLP s’est beaucoup réduit, en termes de nombre de militantEs : malheureusement, beaucoup sont en prison. Beaucoup aussi sont en retrait, ou l’ont complètement quitté, parce qu’ils et elles ne veulent plus travailler dans ce cadre, ou encore parce que la position du Fatah n’était pas très nette. CertainEs ont accepté de ne pas se retirer définitivement de l’OLP au moment d’Oslo, Et certains cadres du FPLP ont été absorbés par l’Autorité palestinienne.
C’est aussi le cas de l’ancien Parti communiste – devenu le PPP – qui a perdu sa légitimité et donc beaucoup de militantEs. Ni le Jihad ni le Hamas ne sont membres de l’OLP. Il y a aussi l’Initiative nationale palestinienne qui a été créée par Moustafa Barghouti, Haider Abdel Shafi, et Ibrahim Dakkak. Haider Abdel Shafi, qui était médecin à Gaza et le responsable du croissant rouge, était une personnalité très respectée par toute la population : pendant les négociations de Madrid, il était le président de la délégation palestinienne (il n’y avait pas de délégation officielle palestinienne, parce qu’Israël et les États-Unis ne l’ont pas accepté, mais elle travaillait en fait sous le parapluie de la délégation jordanienne). Haider Abdel Shafi, avec d’autres personnes comme Fana Nahshari, porte-parole de cette délégation, mais aussi Faisal Fosemi, un cadre du Fatah très respecté, une personnalité de Jérusalem, étaient l’un des piliers importants de cette délégation pour l’accord de Madrid. Quand il a su qu’il y avait des négociations secrètes, il a démissionné en expliquant qu’il ne cautionnait pas ces négociations. Il a donc assumé, il a démissionné. Haider Abdel Shafi est quelqu’un de très respecté ; Mustafa Barghouti, qui était à la tête d’une ONG médicale constituée à la fin des années 70, était lui aussi un cadre du Parti communiste pendant la deuxième Intifada, mais il y a eu des divergences : lui voulait aller plus loin dans la résistance. La direction n’était pas d’accord avec lui : avec Haider Abdel Shafi, il s’est donc retiré, avec le soutien d’Edward Saïd, l’intellectuel palestinien que tout le monde connaît. Ils ont fondé ensemble l’Initiative nationale palestinienne comme une troisième voie entre le Fatah et le Hamas. Ce mouvement a eu à un moment donné beaucoup de succès, mais malheureusement, pendant les dernières années, ils ont aussi perdu beaucoup de leur public et de leurs militantEs. Ils sont rentrés officiellement dans l’OLP il y a quelques années, mais ils restent quand même actifs sur le terrain. C’est un petit mouvement.
À Gaza, après la victoire électorale du Hamas en 2006, que le Fatah n’a pas acceptée et qui a déclenché des sanctions de la part de la communauté internationale, le Hamas a été obligé de reprendre le pouvoir.Ils ont commis beaucoup d’erreurs ; après des affrontements entre les militantEs du Fatah et les militantEs du Hamas, ils ont pris le pouvoir et ont écrasé les autres courants.
On parle là de la direction politique, parce qu’il n’y avait pas encore de groupe armé. La direction politique du Hamas dépendait des Frères musulmans, de l’aide du Qatar, et aussi du régime syrien. Donc le Hamas n’était pas encore considéré comme un mouvement faisant partie du mouvement national palestinien. Il faut rappeler aussi que quand le Hamas a été constitué, en 1988, pendant la première Intifada, c’était dans la continuité des mouvements des Frères musulmans, qui n’existaient pas officiellement en Palestine. Il n’y avait que des associations caritatives dépendant d’eux et, à l’époque, à Gaza, il y avait l’un de leurs leaders, le Cheikh Ahmed Yassine, qui était leur porte-parole : leur souci principal était de trouver comment éliminer l’OLP, la remplacer, car ses dirigeants étaient les seuls représentants légitimes du peuple palestinien, bien que l’OLP soit interdite officiellement en Palestine occupée.
En effet, à l’époque, tous les partis de gauche (le Parti communiste, le FPLP, le FDLP) et le Fatah, travaillaient ensemble : ils étaient présents sur le terrain en tant que composants de la direction unifiée de l’Intifada. Donc le Hamas était à part ; ses actions étaient toujours désynchronisées par rapport à la stratégie de l’OLP. Leur souci principal, à l’époque était d’essayer de créer une société islamiste, et d’attaquer les droits des femmes : ils ont mené des tentatives pour imposer le voile dans la bande de Gaza. Ils ont réussi à le faire dans des endroits conservateurs, comme par exemple la Ville d’Hébron ou encore dans le nord de la Cisjordanie. À ce moment-là, malheureusement, les organisations de la gauche palestinienne n’ont pas défendu les femmes pour ne pas s’affronter à lui. À Gaza, ça s’est passé ainsi : même si à l’époque, c’était encore une société ouverte, lors de la première Intifada, pour aller, par exemple, aux funérailles des martyrs palestiniens ou pour aller présenter des condoléances à leurs familles, les militantes féministes, par respect, mettaient le voile ; c’est à ce moment-là que le Hamas en a profité pour imposer le voile aux femmes palestiniennes et qu’il a réussi à gagner l’hégémonie dans la société. La gauche palestinienne n’a pas fait son travail de mener cette bataille féministe, sous le prétexte que « ce n’est pas le moment », comme on dit partout. À ce moment-là, le Jihad islamique n’était pas présent, ou alors très discret, en tout cas, il n’a jamais cherché à prendre le pouvoir. Leur préoccupation essentielle était de résister au régime colonial sioniste, ce qui est une position bien plus respectable.
À partir de 2005, donc, et jusqu’en 2009, le Hamas a créé son groupe armé, la brigade d’Izz al-Din al-Qassam, du nom d’un dirigeant palestinien qui a combattu pendant le mandat britannique contre les milices sionistes en Palestine avant 1948. À partir de cette date, c’était la résistance, mais les gens n’étaient pas d’accord avec leurs méthodes d’envoyer des roquettes qui n’ont aucun effet, à part celui de provoquer en retour des bombardements de la part d’Israël – même si ce n’est en réalité pas le cas, parce que de toute façon les bombardements ont lieu. À chaque fois, la direction du Hamas a cherché son propre profit, et non pas l’intérêt général. C’est différent dans cette « guerre », où je crois que la direction militaire a pris la décision de l’attaque du 7 octobre en dehors de la direction politique qui, semble avoir été surprise, comme tout le monde.
Presque toute la direction politique du Hamas se trouve depuis un moment au Qatar – ce qu’on ne comprend pas, d’ailleurs, et les gens sont en colère : que fait la direction politique au Qatar au lieu de structurer la lutte ? Ismail Haniyeh se balade partout, il va dans toutes les conférences, comme le fait Mahmoud Abbas : alors, quelle différence entre les deux ?
Je pense que la direction militaire a eu raison de chercher à provoquer un changement de rapport de force. La direction politique du Hamas est l’interlocuteur pour négocier avec le Qatar la libération des otages et des prisonnierEs palestinienNEs, mais en fait, le responsable militaire du Hamas est à Gaza, et personne ne sait où il se trouve précisément.
Quel est leur objectif maintenant ?
Le 7, l’objectif initial était que les combattants du Hamas aillent vers cette base militaire, et prennent des otages militaires pour les utiliser en vue de la libération de prisonnierEs palestinienNEs. C’était ça, leur objectif. Mais comme ils ont ouvert un passage, et que beaucoup de GazaouiEs sont entréEs, ils ont fait des dégâts énormes. Ce n’est pas justifiable, mais il faut prendre en compte le contexte : quand des gens enfermés « se libèrent », qu’ils agissent de façon incontrôlée. La direction militaire a été débordée par des civils : ils sont rentrés en vélo, avec des animaux, des mobylettes… Ils ont été submergés par l’aspiration à sortir ; et voilà que dans les médias, on nous dit que le Hamas a égorgé, violé des femmes, alors que j’ai l’impression que ce n’était pas leur objectif du tout.
Tu penses que la direction militaire voit une possibilité de résistance dans la guerre actuelle ? Gilbert Achcar explique que la résistance militaire ne peut pas gagner sans mobilisation internationale, mais l’inverse est sans doute vrai aussi : il faut une communauté d’objectifs pour une victoire.
Je pense que la résistance va continuer, qu’Israël n’arrive pas à la détruire. Israël, dans toutes ses guerres, dit que son objectif est d’éradiquer le Hamas : en fait, ça veut dire détruire la population. Mais son objectif est aussi de ne pas écraser le Hamas, car ils ont besoin d’un ennemi.
Et puis, ils n’ont pas choisi qui va gérer Gaza après la guerre. Ils aimeraient sans doute que ça soit une structure très bureaucratique qui gère.
C’est ça. À mon avis, leur souhait, ce n’est pas Mahmoud Abbas, qui est grillé – même les Américains ne le veulent pas. Ils cherchent quelqu’un de son entourage pour le remplacer et prendre le contrôle sur Gaza. La direction politique du Hamas, c’est autre chose. Ils peuvent chercher un compromis, mais la direction de la résistance militaire ne va pas accepter, sauf, peut-être, s’il y a vraiment des contreparties : la libération des ancienNEs prisonnierEs, des cadres politiques des organisations, les prisonnierEs malades, etc. C’est leur objectif principal.
La direction politique est complètement pourrie, mais la direction militaire du Hamas a compris qu’il faudrait aussi impliquer les autres courants, même s’ils sont très affaiblis, pour solidifier quelques acquis politiques. C’est pour ça qu’ils vont continuer à résister, même si, peut-être, il y aura quelque part un compromis, ou une trêve. Mais on ne peut pas prévoir ce qui va se passer, parce qu’on ne connaît pas les coulisses, les enjeux internationaux, la position des pays arabes, les objectifs de la direction politique du Hamas ni ceux de l’Autorité palestinienne.
Et puis, on est en train de parler de qui va prendre le pouvoir, alors que ça devrait être déterminé par les gens, par en bas. C’est vrai que c’est peut-être difficile de parler des élections aujourd’hui au sein des instances de l’OLP : le conseil national palestinien et le conseil législatif palestinien, mais nous souhaitons un processus démocratique. Cette guerre a bousculé, et va bousculer beaucoup de choses, donc on verra comment ça évolue.
Est-ce que c’est exagéré de dire que la population a utilisé le 7 pour essayer de relancer un mouvement militant ?
Je ne pense pas que ce soit exagéré. Et c’est lié à ce qui se passe en Cisjordanie. Il ne faut pas oublier que c’est l’enjeu principal aujourd’hui. Et même l’avenir de la Palestine, globalement. Je pense que ça va peut-être prendre du temps.
Comme la Cisjordanie est bouclée, on ne peut pas se déplacer en dehors des villes, et des villages où nous habitons, donc il y a des manifestations locales contre le génocide en cours, en soutien à la résistance et aussi contre les colons et l’armée israélienne en Cisjordanie. Il y a une structure, le Comité de coordination des forces politiques et islamiques, qui appelle à des manifestations, mais ça ne ramène pas beaucoup de monde. Il y a aussi des jeunes qui appellent sur les réseaux sociaux, sans être organiséEs. D’habitude, quand c’est organisé, il y a un cadre, des personnalités qui arrivent, des représentants qui se mettent en tête, et des slogans bien encadrés. Mais là, ce n’est pas encadré : des gens arrivent et balancent des slogans ; parfois c’est pertinent, et parfois ce n’est franchement pas politique du tout. Quand on discute avec les jeunes pour leur proposer de s’organiser, ils et elles refusent, par crainte des désaccords qui pourraient alors émerger, et des questions de pouvoir. C’est dommage, parce que c’est maintenant qu’on pourrait dépasser le cadre actuel.
Par exemple, le jour de la visite de Macron, qui a révolté les gens ici contre la position de la France, contre Macron, il y a eu des réactions sur les réseaux sociaux. À 16 h, il y avait un appel à se retrouver sur la place centrale de Ramallah, la place al-Manara. Des jeunes faisaient des pancartes en français sur la position de la France en utilisant Google Translation : « Monsieur Macron, dégagez-vous », mais aussi des pancartes pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah, avec notamment des jeunes qui ont fait des études en France.
À 17 h, une autre manifestation a été appelée par toutes les forces politiques et par les familles des prisonnièrEs pour réclamer leur libération. Donc tout ça est très divers. Il faut qu’on arrive à structurer ce mouvement alternatif. Est-ce que c’est la guerre à Gaza, et la suite, qui va bousculer les choses ? Est-ce qu’on va réussir à créer une nouvelle dynamique mettant au second plan l’ancienne génération ? Structurer, c’est notre rôle aussi, en tant que PalestinienNEs de la diaspora. On ne veut pas constituer un mouvement politique en France, on est dans les associations.
Dès qu’on avance politiquement sur le terrain là-bas, ça nous aide aussi à avancer nos positions, et ça aide le mouvement de solidarité à se solidifier.
Est-ce que tu as quelques éléments sur l’état des organisations de la gauche radicale là-bas : en particulier, est-ce que le FDLP et le FPLP peuvent jouer un rôle positif dans cette situation ?
Historiquement, ces deux organisations sont de la gauche radicale, mais elles n’en font plus partie : le FPLP d’aujourd’hui n’est plus celui des années soixante-dix. Elles peuvent publier des déclarations, mais elles ont été intégrées aux institutions et, sur le terrain, elles sont très peu présentes. Aujourd’hui, il n’y a plus de mouvement structuré de la gauche radicale : il n’y a que des militantEs individuelLEs. Donc l’enjeu, c’est vraiment de construire un mouvement militant qui soit en dehors de tout cadre politique déjà constitué et qui défende des positions plus larges : la fin du régime colonial, la revendication d’un État unique démocratique et laïque. Notre association fait partie de ce courant, autour de publication comme One Democratic State et One Democratic Secular State.
Propos recueillis par Antoine Larrache le 5 décembre 2023