« En 2020, quatorze des plus anciens réacteurs français auront 40 ans ou plus. En 2025, ce sera le cas de 34 autres.≈ » Le parc nucléaire actuel, en France, compte 58 réacteurs. L’EPR avec ses 1 650 Mégawatts, constituerait donc, selon ses promoteurs Aréva et EDF, la meilleure réponse pour leur remplacement. Il permettrait aussi, d’après eux, de répondre à la croissance de la demande d’électricité.
Annoncé comme techniquement plus sûr, plus puissant et produisant moins de déchets, l’EPR fait toutefois l’objet d’une contestation au sein même de la communauté nucléaire. Certains physiciens estiment cette étape technologiquement inutile. Pour les antinucléaires, « l’EPR est une hérésie ».
Didier Anger, coordonnateur du collectif normand « EPR non merci » dénonce « l’aspect coûteux. Avec les 3,3 milliards d’euros, on pourrait créer 15 fois plus d’emplois dans le Grand Ouest en développant les économies d’énergies et les énergies renouvelables ». Les écologistes dénoncent les rejets qu’il va contribuer à augmenter à Flamanville. Notamment le tritium (hydrogène radioactif), rejeté à la mer en grandes quantités par les centrales nucléaires.
« En Grande-Bretagne, le très officiel Advisory Group on Ionising Radiation (AGIR) propose de multiplier par deux le facteur de risque pour cet élément. D’autres études tendent à montrer que, contrairement à ce qui est admis, le tritium rejeté dans l’environnement s’accumule dans la chaîne alimentaire. Ainsi, des poissons plats de la baie de Cardiff sont 1 000 à 10 000 fois plus contaminés que l’eau de mer analysée sur le même site », souligne l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest.
La contestation s’amplifie aussi dans les campagnes de la Manche, de la Mayenne et d’Ille-et-Vilaine autour du tracé de la ligne électrique 400 000 volts (150 km, 300 pylônes) qui doit relier le Cotentin au Maine. Les opposants ont décidé d’engager leur propre étude scientifique sur les effets des courants électromagnétiques sur la santé des populations vivant à proximité des couloirs de lignes. À Chèvreville, dans le Sud-Manche, les électeurs sont allés jusqu’à bouder les urnes des dernières municipales pour protester contre le passage des pylônes.
Malaises sur le chantier du réacteur EPR
La construction du nouveau réacteur de la centrale de Flamanville est moins idyllique qu’annoncé. L’autorité de sûreté nucléaire pointe, notamment, des soucis importants dans le coulage du béton.
CHERBOURG. - « Depuis le mois de décembre, nous avons coulé 40 000 m3 de béton. Mille personnes travaillent sur le chantier aux côtés de soixante-dix employés EDF », indique le service communication d’EDF. Quant aux opérations de formation et d’embauches locales, elles se déroulent « au mieux. En BTP, nous avons atteint tous nos objectifs et réussi à recruter 50 % de locaux », souligne Jehan Eric Winckler, coordonnateur du grand chantier. Par ailleurs, « la nouvelle route d’accès au sud et la future cale de déchargement des colis lourds sont en bonne voie ».
L’accueil des salariés extérieurs ne poserait pas davantage de problèmes. « Je suis même surpris par les capacités d’accueil des infras-tructures du Cotentin », déclare Jehan Eric Winckler. Même satisfaction à la Chambre de commerce de Cherbourg, où le président, Jean-Claude Camus, se félicite de l’efficacité du site Internet interentreprises. 80 millions d’euros ont été injectés localement en 2007. En résumé, tout va bien...
Cette version positive mérite quelques bémols. Le zèle à couler du béton en vitesse n’est pas du goût de l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire). Lors de son inspection du 5 mars sur la construction du radier de l’îlot nucléaire, l’ASN a découvert que « la qualité du ferraillage n’était pas satisfaisante ». L’Autorité de sûreté pointe également « des insuffisances dans le contrôle technique exercé par le groupement ’Bouygues, Quille et Baudin-Châteauneuf’ et dans la surveillance des activités exercées par EDF. »
Le rappel à l’ordre est sévère : « Je demande à EDF de m’indiquer pourquoi la phase de bétonnage a pu être lancée avec un ferraillage partiellement non conforme », explique Thomas Houdré, chef de la division nucléaire de Normandie. « Notre intervention a permis de corriger le défaut avant bétonnage, mais il est anormal qu’EDF n’ait pas constaté, elle-même, ce défaut. »
« La sécurité est à cran »
Greenpeace ne manque pas de relever ces dérives. « Rappelons qu’il s’agit du béton qui doit assurer directement la sûreté du réacteur et du stockage des combustibles irradiés », déclare son porte-parole, Yannik Rousselet. Le rythme soutenu pose aussi question à la CGT, exclue de toute les réunions de chantier. « Il existe un réel climat de tension sociale », constate Jacques Tord, délégué cégétiste. « Le recours à l’intérim est beaucoup trop élevé et l’esprit sécuritaire prend le pas sur le dialogue social. »
« On est à cran », confirme, sous le couvert d’anonymat, un des membres du service de gardiennage. « Nos conditions de travail sont déplorables : équipements défaillants, horaires élastiques, disparités salariales avec la centrale nucléaire, tenues inadaptées aux mauvaises conditions météorologiques... » Sur les 27 agents chargés de surveiller le chantier nucléaire, onze sont employés en CDD. « Certains craquent et font de la dépression ».
Pour la CGT, « EDF est victime du syndrome de l’EPR finlandais. » Lancée en 2005, la construction de ce premier réacteur EPR connaît bien des déboires. Le chantier a deux ans de retard et affiche un surcoût de 1,3 milliard qui portera la facture à 4,5 milliards d’euros. Pour Flamanville, Pierre Gadonneix, le PDG d’EDF, ne cache pas qu’il faut aussi s’attendre à un dépassement, sans toutefois en préciser le montant.