Cette position, qui doit déboucher rapidement sur le vote d’une loi, constitue un des maillon importants de la politique du Medef et de Sarkozy visant à obtenir un syndicalisme de pacification sociale. Il s’agit de rapprocher les règles françaises de négociation et de structuration syndicale de celles en vigueur dans le nord de l’Europe : en accroissant la place des accords à tous les niveaux au détriment de la loi et du code du travail, en renforçant la représentativité des plus gros syndicats prêts à l’acceptation de la politique libérale, en diminuant le nombre de syndicats et, autant que faire se peut, en éradiquant les sections et syndicats combatifs.
Il s’agit également remettre en cause le « principe de faveur » qui protège les salariés isolés dans des petites entreprises et qui stipule que tout accord négocié à un niveau ne peut qu’améliorer les droits reconnus à un niveau supérieur, par exemple au niveau d’un accord de branche ou de la loi. La position du Medef est évidemment d’obtenir le maximum d’accords dérogatoires.
Il n’y a rien de positif dans cette dynamique. Cet accord se situe dans le contexte de l’offensive libérale. Il représente une nouvelle attaque contre le mouvement syndical et devrait normalement être rejetée par tous les militants syndicaux.
Malheureusement, sur plusieurs points, les directions de la CGT et de la CFDT peuvent se retrouver sur le même terrain que l’aile marchante du patronat.
Les règles actuelles de représentativité
La représentativité syndicale est l’ensemble des règles qui déterminent la possibilité, pour un syndicat, d’être reconnu nationalement, dans une branche ou une entreprise, de négocier, de désigner des délégués syndicaux, de participer au premier tour des élections professionnelles.
Un décret de 1950 a reconnu la représentativité de quatre syndicats au niveau national et interprofessionnel : CGT et CFTC, CGT-FO et la CGC. Il s’agissait d’abord de donner le droit aux syndicats qui se reconnaissaient dans les forces issues de la Résistance (la CGT et sa scission FO, la CFTC) d’être présents dans toutes les négociations et les entreprises, sans opposition possible du patronat. Il fallait ensuite casser le monopole de la CGT et donner la possibilité à des syndicats plus conciliants de la concurrencer. En 1966, un décret a ajouté la CFDT, créée en 1964, à la liste des quatre syndicats « représentatifs ».
Cette représentativité nationale permet à ces syndicats de se présenter à toutes les élections, de désigner des délégués syndicaux dans les entreprises de plus de 50 salariés, de participer aux négociations nationales. Ils disposent d’une « présomption irréfragable de représentativité », système totalement antidémocratique qui permet, par exemple, à un syndicat, « représentatif » mais n’ayant qu’un seul syndiqué dans une entreprise, de signer un accord avec sa direction.
Dans le domaine privé, les autres syndicats doivent faire la preuve de leur représentativité à tous les niveaux, sur la base des cinq critères : effectifs, indépendance, régularité et importance des cotisations, expérience et ancienneté, attitude patriotique pendant l’Occupation. Aujourd’hui, 58 ans après, ces critères sont toujours en vigueur.
En 1988, SUD-PTT puis le CRC sont apparus. La FSU et l’Unsa se constituent en 1993. Le Groupe de Dix s’est transformé en Solidaires avec l’arrivée des SUD, la FSU a élargi son champ de syndicalisation en 2004. Malgré la forte modification du paysage syndical, la loi, à la différence de ce qui s’est passé en 1950 ou 1966, n’a pas suivi. Pire, en 1996, l’amendement Perben aligne, sur certains points, les règles de représentativité dans la fonction publique sur celles du privé, afin de bloquer la FSU et le Groupe des Dix. En 2004, la loi Fillon sur la négociation collective renforce la possibilité d’accords dérogatoires et introduit le droit d’opposition qui permet à des syndicats ayant une majorité de voix de casser automatiquement un accord minoritaire.
Les intérêts des uns et des autres
Le Medef veut un système dans lequel l’essentiel de la réglementation du travail passe par des conventions, des accords à tous les niveaux, laissant le moins de place possible à la loi commune. Il veut faire bouger le mouvement syndical de tradition latine, minoritaire en effectifs mais combatif et très influent parmi les salariés. Les patrons veulent avoir en face d’eux des syndicats puissants, en plus petit nombre, financés en partie par le patronat, acceptant le cadre contractuel et ses règles du jeu, notamment celui de la collaboration et de l’adaptation au libéralisme.
Laurence Parisot a clairement fait le choix d’en finir avec les accords minoritaires, passés avec les seules FO, CFTC et CGC, pour jouer la carte de la CFDT, miser sur la CGT, marginaliser FO et obliger « les autres » (CFTC, CGC, Unsa) à s’inclure dans le jeu en fusionnant ou en disparaissant. Il s’agit aussi de marginaliser le groupe Solidaires ainsi que la FSU dans le champ hors de la fonction publique.
On ne peut comprendre l’acharnement de Laurence Parisot contre l’UIMM si on ne l’intègre pas dans ce projet. L’UIMM, comme les gouvernements des années 1970 et 1980, cultivaient les accords minoritaires dans une logique de « guerre de classe » contre la CGT et même la CFDT. Laurence Parisot veut au contraire jouer la carte de l’intégration.
Le couperet de représentativité à 10 % dans les entreprises (transitoirement à 8 % dans les branches et au niveau interprofessionnel) menace directement la CGC et la CFTC, déstabilise FO, ferme la porte à l’Unsa et à Solidaires. Les divers projets de regroupements (entre l’Unsa et la CGC, voire avec la CFTC) ne sont qu’une première étape.
CGT et CFDT se rejoignent dans leur volonté d’aller vers des accords majoritaires pour ne plus être pollués par CFTC, CGC et FO en perte de vitesse (aujourd’hui des accords interprofessionnels ou de branche sont légaux dès qu’ils ont trois signatures, même si elles ne représentent que 10 % des salariés). Il s’agit d’essayer de faire évoluer le paysage syndical vers une situation comparable aux autre pays d’Europe de l’Ouest.
Le droit de s’organiser
Il n’existe pas de « démocratie sociale » dans les entreprises. Les rapports entre le patronat et les salariés sont fondés sur l’exploitation, la propriété privée des moyens de production et la vente par le salarié de sa force de travail. Le syndicat trouve sa première racine dans la nécessité de s’organiser pour ne pas rester isolé et créer le meilleur rapport de force dans un combat permanent. Les salariés doivent avoir le droit reconnu par la loi de s’organiser collectivement. Cela implique :
? le droit d’élire des délégués et de s’organiser en syndicat, dans toutes les entreprises, quelles que soient leur taille ;
? que tous les travailleurs travaillant pour une même activité bénéficient d’une même convention collective, la meilleure évidemment, luttant ainsi contre la multiplication des conventions collectives, l’utilisation de la sous-traitance avec des droits différents et la remise en vigueur complète du principe de faveur ;
? que la reconnaissance de syndicats à l’échelle d’une branche ou d’une région entraîne la représentativité dans ces périmètres, avec possibilité d’y nommer des délégués syndicaux ;
? le libre choix, par les syndiqués, de leurs délégués, des revendications, de la décision de faire grève, de négocier directement et de décider de signer ou pas des accords. Seuls des accords signés par des syndicats représentant plus de 50 % des salariés doivent être considérés valides.
Créer ce meilleur rapport de force implique que les salariés ne soient pas isolés dans leurs entreprises et qu’ils puissent s’organiser au niveau d’une zone d’activité, d’une ville, d’une branche, de l’État et au niveau international. Le syndicat, c’est au quotidien la défense des intérêts de tous les salariés, quels que soient leur statut, c’est la solidarité entre travailleurs, sans perdre de vue la remise en cause d’un système fondé sur l’exploitation.
Tous les syndicats légalement constitués doivent pouvoir se présenter librement aux élections professionnelles. La « position commune » prétend faire une ouverture démocratique concernant les élections professionnelles et la liberté de créer une section syndicale. Mais la suppression positive de la « présomption irréfragable » s’accompagne d’une barrière de 10 % des voix nécessaire pour exister. Cela bafoue le droit démocratique et remet en cause, à court terme, l’existence de nombreuses sections syndicales.
La représentativité dans l’établissement doit être reconnue à tout syndicat recueillant 5 % des voix aux élections professionnelles, de même pour les branches et au niveau national en cumulant les résultats aux élections prud’homales et aux commissions administratives paritaires (CAP). Cela implique un contrôle régulier démocratique des salariés, et donc le retour aux élections professionnelles tous les deux ans, alors que la position commune avalise l’organisation des élections tous les quatre ans.
Lutter pour l’unité des salariés contre l’éclatement syndical n’est pas une question administrative à faire trancher par le Parlement ou le Medef. Cela passe par la constitution de fronts de lutte, dans un contexte où le patronat, les gouvernements libéraux et l’essentiel des directions syndicales convergent sur la méthode des « diagnostics partagés » concernant les principaux dossiers. Aller vers de tels fronts de lutte impose de faire converger les structures militantes de la CGT, de la FSU, de Solidaires, éventuellement d’autres syndicats, sous le contrôle des travailleurs, à partir de l’établissement, de l’entreprise, de la localité, pouvant trouver son prolongement national. L’accord Medef-CGT-CFDT n’est pas une bouteille à moitié pleine ou à moitié vide. C’est une pièce dans un ensemble de refondation dicté par le Medef.
La commission nationale ouvrière de la LCR
Encart
Les points clés de la « position commune »
? Disparition du privilège de « présomption irréfragable de représentativité » pour les cinq organisations syndicales reconnues par le décret de 1966.
? Représentativité qui s’apprécie tous les quatre ans, à tous les niveaux, à partir de sept critères : effectifs et niveau de cotisations, transparence financière, indépendance, respect des valeurs républicaines, ancienneté de deux ans, influence caractérisée par l’activité, l’expérience et l’implantation géographique, l’audience établie à partir des élections professionnelles.
? Niveau de 10 % pour être représentatif dans l’entreprise, aux élections du comité d’entreprise ou à la délégation unique ; pour les branches et l’interprofessionnel, niveau de 8 % par cumul, établi tous les quatre ans, des résultats dans les comités d’entreprise ou à la délégation unique.
? Élections professionnelles ouvertes, au premier tour, à tout syndicat légalement constitué et ayant deux ans d’ancienneté.
? Possibilité de désigner des représentants syndicaux dans les entreprises, qui disposeront, jusqu’aux élections suivantes, da la protection (mais pas du droit à négocier).
? Accord validé par la signature des organisations syndicales représentant au moins 30 % des voix aux élections professionnelles et n’ayant pas subi le droit d’opposition.