Après des mois de tergiversations, un tribunal birman a condamné, mardi 11 août, Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la paix 1991, à trois ans de détention pour avoir enfreint les règles de son assignation à résidence. Aussitôt après l’énoncé de ce verdict, la junte militaire au pouvoir a commué cette peine en dix-huit mois de détention à son domicile de Rangoun. La leader du mouvement démocratique birman a déjà été privée de sa liberté pendant quatorze ans.
Cette décision judiciaire devrait susciter de vives réactions au sein de la communauté internationale et isoler plus encore le régime birman, accusé de vouloir faire taire la figure de proue de l’opposition birmane. Mardi matin, les réactions étaient nombreuses. La Malaisie a été le premier pays à réagir. Membre de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean), comme la Birmanie, elle a appelé cette organisation « à se réunir d’urgence » pour évoquer le cas d’Aung San Suu Kyi.
Elle était poursuivie pour avoir hébergé, début mai, un Américain, John Yettaw, un mormon, ancien vétéran du Vietnam à la santé mentale fragile, selon des diplomates occidentaux à Rangoun. Cet homme, qui a écopé d’une peine de sept ans de prison, dont quatre avec travaux forcés, s’était invité, à la nage, dans la demeure de la chef de l’opposition birmane située en bordure d’un lac. Celui-ci a déclaré au cours du procès que Dieu l’avait envoyé la prévenir d’un « projet d’assassinat ». Mme Suu Kyi l’avait laissé reprendre ses forces avant de le prier de repartir.
Selon tous les observateurs, ce procès a surtout exprimé la volonté du régime de trouver, à tout prix, un prétexte pour maintenir la figure de proue de l’opposition birmane à l’écart de toute vie politique. Sa période d’assignation à résidence, renouvelée chaque année depuis 2003, expirait le 27 mai.
La junte entend, en effet, mener, à l’abri de toute contestation intérieure ou extérieure, ce que le dirigeant birman, le « Généralissime » Than Shwe, a qualifié, le 27 mars 2008, de « réforme constitutionnelle destinée à transférer le pouvoir de l’Etat au peuple ». Après un référendum en 2008, des élections générales doivent se tenir en 2010 pour valider ce processus qualifié de « feuille de route vers la démocratie ». Le parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie, a boycotté et dénoncé ces manœuvres du régime, considérant que cette nouvelle constitution entérinerait le pouvoir des militaires.
Les nombreuses protestations internationales sur le sort réservé à Mme Suu Kyi ont eu un effet quasi nul sur la junte birmane. Le drame causé par le cyclone Nargis en mai 2008 a consacré, de plus, l’impuissance onusienne, qui a accepté de dissocier les questions humanitaires et politiques, principale condition à la coopération de Rangoun pour venir en aide aux victimes. Lors de la visite en Birmanie, en mai 2008, du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, l’envoyé spécial du secrétaire général pour la Birmanie, Ibrahim Gambari, fut exclu du voyage et il ne fut question ni d’Aung San Suu Kyi ni de réformes politiques. En août 2008, elle refusera, cette fois, de rencontrer M. Gambari pour protester contre sa détention. La visite du secrétaire général de l’ONU les 3 et 4 juillet, en vue d’obtenir la libération de l’opposante, s’était également conclue par un échec. Il n’avait pas été autorisé à la rencontrer.
Seule l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Asean) semble, aujourd’hui, en mesure d’influencer le régime birman. Au début du procès de Mme Suu Kyi, l’organisation avait mentionné « sa grave préoccupation » sur « sa santé fragile ». Des diplomates thaïlandais, singapouriens et russes, pays proches de Rangoun, lui avaient rendu visite et avaient convaincu les généraux birmans d’accepter une levée ponctuelle du huis clos du procès.
L’influence de l’Asean sur Rangoun à propos de Mme Suu Kyi est également apparue fin juillet lors du report du verdict de la fin juillet au 11 août pour ne pas troubler le déroulement du forum régional de l’organisation qui se tenait à Phuket, au sud de la Thaïlande. Les principales nations de l’Asean, dont la Chine, entendaient mener, sans perturbations, leurs négociations bilatérales avec les Etats-Unis dont la secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, avait été invitée, pour l’occasion, à la réunion.
Mme Clinton avait profité de ce forum pour inviter les autorités de Rangoun à libérer Mme Suu Kyi. Elle avait fait miroiter des « investissements américains dans le pays », en vain. L’avocat d’Aung San Suu Kyi, Nyan Win avait alors confié que sa cliente « se préparait au pire ». Le 26 juillet, un journal contrôlé par la junte stigmatisa « l’ingérence américaine » dans les affaires de l’Asean : « Si l’Asean obéit aux instructions de la secrétaire d’Etat des Etats-Unis, elle sera à la botte de Washington ». La Birmanie peut encore compter sur le soutien des piliers de l’Asean. Ce pays, riche en matières premières, bénéficie d’une grande mansuétude de ses voisins chinois et indien. Et la Russie et la Chine, fournisseurs d’armes à la junte, se sont toujours efforcées de la protéger au sein du Conseil de sécurité de l’ONU.
Jacques Follorou
° Article paru dans le Monde, édition du 12.08.09. LE MONDE | 11.08.09 | 14h26 • Mis à jour le 11.08.09 | 14h26.
Aung San Suu Kyi va faire appel
L’opposante birmane Aung San Suu Kyi et l’Américain John Yettaw, qui s’était invité chez elle en mai dernier, vont faire appel de leur condamnation, ont annoncé mercredi 12 août leurs avocats. Le verdict de dix-huit mois supplémentaires d’assignation à résidence, prononcé mardi à l’encontre de la lauréate du prix Nobel de la paix, continue d’alimenter un déluge de critiques à travers le monde mais, à New York, les quinze pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU se sont séparés sans trouver d’accord sur une déclaration commune.
La Chine, principale alliée de la Birmanie, a appelé mercredi la communauté internationale à « respecter totalement la souveraineté de la justice birmane ». L’assignation à résidence de Mme Aung San Suu Kyi a été prorogée de dix-huit mois sur ordre du numéro un de la junte, le généralissime Than Shwe, qui a atténué une peine initiale de trois ans de réclusion et de travaux forcés, annoncée plus tôt par un tribunal spécial siégeant dans une prison.
Aung San Suu Kyi a été reconduite dans sa demeure délabrée de Rangoun et, mercredi, la police et d’autres agents de sécurité bloquaient l’avenue menant au domicile de la figure de proue de l’opposition. De son côté, M. Yettaw, à l’origine de la mise en accusation d’Aung San Suu Kyi, a été condamné à des peines de sept ans de prison et de travaux forcés et, selon son avocat, l’Américain reste « très calme » et « espère la meilleure » issue possible.
« NOUS PENSONS QUE CE JUGEMENT EST TOTALEMENT CONTRAIRE À LA LOI »
Nyan Win, avocat d’Aung San Suu Kyi et porte-parole de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), a déclaré que l’équipe de défense de « La Dame » de Rangoun n’était « pas satisfaite » du jugement. « Nous pensons que ce jugement est totalement contraire à la loi », a dit Nyan Win, affirmant avoir reçu des instructions de sa cliente en vue de faire appel de la condamnation dès mercredi si l’équipe de défense reçoit rapidement une copie du jugement. Aung San Suu Kyi, 64 ans, a été privée de liberté pendant quatorze des vingt dernières années. L’opposition birmane est convaincue que sa nouvelle condamnation vise à l’écarter du paysage politique avant les élections controversées promises par la junte pour 2010.
De son côté, Khin Maung Oo, avocat de M. Yettaw — ce mormon de 54 ans qui a bizarrement réussi à nager jusqu’au domicile de l’opposante —, a également annoncé son intention de faire appel, « étape par étape », de la sévère condamnation visant son client. Si nécessaire, a-t-il dit, « nous écrirons » à Than Shwe « pour que M. Yettaw soit expulsé » de Birmanie. Le président américain, Barack Obama, s’est « joint à la communauté internationale pour appeler à la libération immédiate et sans condition d’Aung San Suu Kyi ». Il s’est également inquiété du sort réservé à M. Yettaw.
La Thaïlande, en sa qualité de présidente en exercice de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Asean), a exprimé sa « profonde déception » au lendemain du verdict. La Birmanie est l’un des dix pays membres de l’Asean. Mercredi, dans un commentaire, le quotidien officiel de la junte, The New Light of Myanmar, s’est insurgé contre les étrangers qui « s’ingèrent dans les affaires intérieures d’autres pays ». Le journal a estimé que Than Shwe avait fait preuve d’une « grande considération » à l’égard d’Aung San Suu Kyi en commuant sa peine de prison en résidence surveillée.
* LEMONDE.FR avec AFP | 12.08.09 | 09h19.
La « recluse de Rangoun » continue d’incarner l’espoir des Birmans
Il faut l’avoir vue se hisser sur le parapet de son portail, fluette, gracieuse, micro au bout des lèvres, distillant des mots d’espoir que boivent une foule de partisans rassemblés sur la chaussée, pour saisir, l’espace d’un instant, la séduction exercée sur son peuple par la « Dame ». C’était un jour de mousson de l’été 1996, à Rangoun, mais la scène s’est reproduite des dizaines de fois, aussi longtemps que la junte militaire a daigné l’autoriser au fil des deux décennies de résidence surveillée imposée à Aung San Suu Kyi.
Son buste dépasse de la grille. Chignon piqué de pétales d’orchidée, vêtue d’une chemisette violette, la « Dame », comme l’appellent affectueusement les Birmans, tient entre ses doigts des feuillets manuscrits. Elle parle, longuement, brûlant d’une ferveur tranquille, sereine, qu’on devine trempée dans une solide foi bouddhiste. Son propos tient plus du cours d’instruction civique et morale que de l’imprécation. Elle disserte sur l’économie et la démocratie, et répond aux questions que lui ont adressé ses partisans sous forme de billets glissés dans sa boîte aux lettres.
Elle est particulièrement prolixe sur la relation du maître et de l’esclave. Les références à Vaclav Havel ou à Nelson Mandela, ses maîtres en dissidence, abondent.
En face d’elle, la foule mêle retraités et lycéens, bonzes équipés de parapluies - gouttelettes de pluie obligent - et touristes bardés d’appareils photo. On repère aussi des gaillards à l’allure de policiers en civil. Des mains tendent des micros. Les cassettes audio circuleront plus tard sous le manteau. Depuis son assignation à résidence en 1989, un an après la sanglante répression d’un mouvement démocratique, Aung San Suu Kyi demeure confinée là, en son domicile du 54, rue de l’Université, une villa à l’architecture coloniale délavée par les pluies tropicales.
UN DÉFI INACCEPTABLE
Dans une pièce fraîche aux murs tapissés des portraits de son père - Aung San -, héros national assassiné à la veille de l’indépendance en 1948, elle a aménagé une manière de salon. Quand elle peut recevoir des visiteurs étrangers, elle s’exprime dans l’anglais cristallin d’Oxford, où elle étudia à la fin des années 1960 la philosophie et l’économie. Une véranda donne sur un étang couleur de plomb et, dans le jardin coiffé manguiers et cocotiers, se dresse une sorte de kiosque en bois de teck où se réunissaient naguère les membres l’état-major de la Ligue nationale de la démocratie (LND).
Vingt ans de liberté limitée, surveillée, souvent muselée. Peut-on imaginer la vie qui s’y consume ? Elle lit Tchekhov - entre autres - et joue du piano tandis que du dehors filtrent bonnes et mauvaises nouvelles. C’est de cette retraite forcée qu’elle apprit sa consécration par le prix Nobel de la paix (1991) ou la mort de son mari, le tibétologue Michael Aris, décédé d’un cancer en 1999 alors qu’elle n’avait pu le revoir qu’à cinq reprises depuis le début de sa réclusion.
La séparation avec sa famille fut, à n’en pas douter, sa plus grande souffrance. Elle n’aura pu accompagner l’adolescence de ses deux garçons, Alexander et Kim, aujourd’hui âgés de 36 et 32 ans.
Bien sûr, elle aurait pu se résoudre à l’exil pour retrouver la chaleur de siens. La junte n’attendait d’ailleurs que cela. Cruel dilemme. Elle serait infiniment plus inoffensive en Occident qu’au cœur même de Rangoun, derrière son portail de la rue de l’Université où les Birmans savent que l’espoir bat encore. Aung San Suu Kyi a fort bien compris le piège. Alors, elle a posé des conditions à son départ : formation d’un gouvernement civil, libération des prisonniers politiques. « Je ne laisserai jamais tomber la population », a-t-elle maintes fois lancé. Un défi inacceptable pour les militaires. La « Dame » en paie aujourd’hui le douloureux prix.
Frédéric Bobin
La Malaisie demande une réunion de l’Asean
Le ministre malaisien des affaires étrangères, Anifah Aman, a appelé, mardi matin 11 août, à une réunion d’urgence de l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (Asean) après la condamnation d’Aung San Suu Kyi à 18 mois de résidence surveillée. Pour M. Aman, cette condamnation « suscite une grande inquiétude ». La présidence suédoise de l’Union européenne (UE) a dénoncé le verdict dans un communiqué. Elle a réclamé sa libération « immédiate » et « sans condtions » et elle a annoncé de « nouvelles mesures ciblées » de rétorsion à l’encontre des dirigeants birmans. Le premier ministre britannique Gordon Brown s’est déclaré « attristé et en colère » et il a appelé l’ONU à imposer un embargo mondial sur les ventes d’armes à la Birmanie.
* Article paru dans l’édition du 12.08.09. LE MONDE | 11.08.09 | 14h26 • Mis à jour le 13.08.09 | 10h46 .