Sommaire
TOTAL MEPRIS : 4
PARFAITE INIQUITE : 6
SERVITUDE ET DEPENDANCES : 7
ACCIDENTES DU TRAVAIL : BONS A JETER : 8
PRECIS DE PRECARISATION : 12
1 : RENDRE LA VIE IMPOSSIBLE AUX SALARIES PERMANENTS : 13
2 : IMPOSER DES CDD AU LIEU DE CDI : 14
3 : SE DEBARASSER DES SALARIES AVEC UN TITRE DE SEJOUR PERMANENT : 16
4 : REMPLACER LES SAISONNIERS USES OU REVENDICATIFS : 16
QUE FAIT LA POLICE ? : 18
QUE FAIT LA JUSTICE ? : 9
LES PRUD’HOMMES : 19
LE TRIBUNAL CORRECTIONNEL : 21
QUE FAIT L’ADMINISTRATION ? : 22
GREVES ! : 23
Introduction
Alors que l’immigration de travail a cessé officiellement en 1974, une filière tout à fait légale reste ouverte à l’importation de main d’œuvre étrangère à deux conditions : que le contrat de travail n’excède pas huit mois et que les travailleurs soient originaires du Maroc, de Tunisie ou de Pologne.
La France a signé des accords sur la main d’œuvre avec ces trois pays et implanté dans les capitales une mission de l’O.M.I. (Office des Migrations Internationales) ; d’où les appellations courantes de « contrats OMI », « saisonniers OMI » voire « OMI » pour désigner les travailleurs concernés.
Ces appellations sans fondement juridique [1] ont une consonance parfaitement pertinente : les « OMI » sont ignorés, oubliés, laissés pour compte.
Chaque année, 4000 ouvriers étrangers viennent du Maroc et de Tunisie faire fonctionner l’agriculture « moderne » des Bouches-du-Rhône pendant six à huit mois. À la morte-saison, ils retournent au pays dans l’attente d’un nouveau contrat sans aucune garantie, même après plus de vingt années de service chez le même patron.
C’est bien là le scandale majeur : alors que chacun, exploitants agricoles en tête, reconnaît que « sans les « OMI », il n’y aurait plus d’agriculture compétitive dans les Bouches-du-Rhône », ces ouvriers n’ont aucune garantie de séjour et d’emploi reconnus au-delà de leur période de travail annuel au motif, purement formel, qu’il s’agit d’une « saison ». (une saison de 8 mois !)
Dès lors, la visée du renouvellement de leur contrat d’une « saison » à l’autre obsède tous ces ouvriers, les conduisant à une totale soumission à leurs employeurs. Ces derniers peuvent bafouer les règles de l’exploitation standard - parfois pimentée de paternalisme ou de racisme « ordinaire » - pour soumettre leurs salariés à des pratiques qui confinent au servage, en toute impunité.
Car les exploitants (exploiteurs) qui entrent dans ces dérives ne sont pas isolés. D’une part, ils bénéficient de la compassion d’une opinion publique facile à émouvoir sur le thème du pauvre petit paysan menacé de ruine par les méfaits conjugués de la nature ingrate, de l’administration tatillonne et des acheteurs rapaces de la grande distribution. D’autre part, ils peuvent compter sur le soutien inconditionnel du lobby agricole qui n’admet que du bout des lèvres l’hypothèse de rarissimes brebis galeuses et montre l’exemple de l’incivisme en organisant, au moindre prétexte, manifestations violentes et saccages qui terrorisent les pouvoirs publics.
Enfin, les « OMI » sont le cadet des soucis de tous les services publics qui justifient leur passivité au prétexte d’une prétendue « spécificité du statut OMI », les rares fois où ils sont interpellés. Car il faut dire que l’accès aux services publics et, plus généralement, à la vie sociale en dehors des vergers et des serres, est plutôt malaisé pour les travailleurs agricoles. Pendant la durée de leur contrat, ils n’ont de temps libre que le dimanche...s’il n’y a pas de tâches urgentes. Et s’ils se maintiennent en France, ne serait-ce que quelques jours après la fin de leur contrat, ils deviennent immédiatement des « sans-papiers » et sont traités comme tels. Car les travailleurs étrangers sans papiers semblent beaucoup intéresser les autorités répressives. Les fréquentes opérations de contrôle d’identité dans les champs - souvent sur réquisition du procureur de la république - conduisent, bon an mal an, une cinquantaine d’ouvriers agricoles au centre de rétention d’Arenc, d’où la moitié sont embarqués de force vers le « bled ». Il est rarissime que les employeurs soient inquiétés, les délits d’emploi d’étranger sans titre et de recours au travail dissimulé ont de beaux jours devant eux.
Le CODETRAS a été constitué en 2002 par des militants associatifs, des syndicalistes et des chercheurs révoltés par ce déséquilibre structurel absolu entre, d’une part, les travailleurs saisonniers étrangers et, d’autre part, les exploiteurs agricoles et leurs complices.
Après trois années d’existence, le Collectif a décidé de porter à la connaissance du public certaines des situations individuelles et collectives dont il a été saisi comme autant d’illustrations des ravages de la loi de la jungle qui régit l’agriculture intensive des Bouches-du-Rhône.
Il s’agit donc d’un premier livre noir qui vise d’abord à faire partager notre indignation devant l’injustice organisée en système avec le concours des pouvoirs publics.
Mais ce livre est également teinté d’espoir car ces situations sont aussi des exemples d’insoumission libératrice et d’une étonnante confiance dans les institutions garantes de l’Etat de droit.
D’où une seconde visée : susciter l’engagement de la société civile pour qu’elle interpelle ces institutions et soit vigilante sur leur fonctionnement afin que les « omis » soient enfin respectés et leur confiance justifiée « au nom du peuple français ».
Enfin, un phénomène complètement nouveau est apparu cet été 2005 qui ouvre une perspective de recul de l’injustice sous la pression des exploités eux-mêmes. Pour la première fois, des centaines d’ouvriers agricoles étrangers ont pris collectivement leur destin en main en se mettant en grève dans les plus grandes exploitations de la Crau. Largement rapportées par les médias, ces actions ont abouti rapidement à la satisfaction des revendications essentielles des salariés. Serait-ce le prélude d’un nouveau rapport de force ?
Total mépris
Depuis 1982, B. A-B. vient travailler chaque année chez un arboriculteur de Charleval avec un contrat de six mois, généralement prolongé de deux mois supplémentaires.
En ce début mars 2005, il est à quelques jours du retour à Meknès (Maroc) où vivent sa femme et ses enfants quand un camarade lui montre les annonces légales de la SAFER (Société d’Aménagement Foncier et d’Etablissement Rural) dans « l’Agriculteur Provençal ». B. A-B. découvre que le domaine où il est employé depuis 23 ans est vendu. Le patron ne lui en a rien dit.
35 autres saisonniers employés par le même patron sont déjà repartis au Maroc, deux d’entre eux venaient depuis 1980 ; un autre a 63 ans, il venait depuis 1985. L’entrepreneur n’a pas renouvelé les contrats des salariés : il ne les a même pas prévenus... Total mépris.
B. A-B. est effondré. À 40 ans, il se sentait capable de poursuivre encore longtemps une existence alternant quatre mois de « vraie vie » auprès des siens avec huit mois d’exil dans une exploitation de vergers qu’il connaît parfaitement pour y accomplir depuis 23 ans tous les travaux : taille des arbres et cueillette des fruits, bien sûr, mais aussi conduite des engins, conditionnement et transport des fruits.
Il réalise tout à coup qu’il n’a pas d’avenir car il n’a aucune chance de trouver un autre patron pour la saisonprochaine. En effet, celui qui doit racheter l’exploitation a déjà ses propres ouvriers. B. A-B. sait qu’il ne peut prétendre à aucun dédommagement (le contrat saisonnier est un CDD sans prime de précarité), ni à aucune aide. Il a pourtant cotisé pendant 23 ans aux ASSEDIC mais celles-ci ne versent pas d’allocation chômage aux étrangers en situation irrégulière. Or, dans quelques jours, son contrat sera terminé et, avec lui, le droit au séjour en France. Plus de papiers, plus de droits.
Alors, plutôt que retourner au Maroc en vaincu, B. A-B. décide de rester et de se battre pour faire valoir ses droits. Il ignore exactement lesquels, mais ceux-ci doivent bien exister Une telle injustice ne peut-être possible, pense-t-il. Une association d’aide aux étrangers l’assiste pour une demande immédiate de carte de résident au préfet des Bouches-du-Rhône. Cet organisme l’oriente vers le CODETRAS auquel il expose, documents à l’appui, les pratiques de son employeur.
Il apparaît que tous les bulletins de salaire produits par cet exploiteur sont des « vrais faux : les mentions y sont légales et les calculs justes mais ils ne correspondent pas à la réalité. La fiction, inscrite sur les bulletins de paie, c’est un salaire brut au SMIC et un horaire de travail qui ne dépasse jamais les 35 heures hebdomadaires. La réalité, c’est un salaire de 5 € par heure travaillée, versé en espèces dans une enveloppe à la fin du mois.
Ce régime est appliqué à tous les travailleurs de l’exploitation, en violation des dispositions légales élémentaires, a fortiori de la convention collective [2]. Ainsi, après 23 années qui l’ont conduit à exercer les fonctions de chef de culture, B. A-B. est toujours à l’indice 100, celui des manœuvres débutants. En outre, aucune majoration de salaire pour les heures supplémentaires ou l’ancienneté n’a jamais été appliquée. Résultat : une économie considérable pour le patron, une perte de salaire tout aussi considérable pour les travailleurs et un manque à gagner pour les organismes collecteurs de cotisations sociales.
Pour B. A-B., la sous déclaration dépasse les 20 000 € sur les cinq dernières années. Pour l’ensemble des salariés, une multiplication prudente situe à un demi million d’euros l’escroquerie de l’employeur depuis l’an 2000.
On restera sourd aux rumeurs selon lesquelles « c’est comme ça partout et ça l’a été de tout temps », préférant savourer par avance le communiqué de la FDSEA qui déplorera les pratiques « d’une seule brebis galeuse » lorsque l’employeur de B. A-B. sera cloué au pilori.
Car il sera très probablement et très prochainement condamné par la justice prud’homale et peut-être, plus tard, par la justice pénale.
En tout cas, B. A-B. s’y emploie, beaucoup de ses ex-collègues s’y engagent et le CODETRAS les soutient sans réserve.
En attendant, B. A-B. est toujours « sans papiers ». En six mois, le préfet n’a même pas trouvé le temps d’accuser réception de sa demande de titre de séjour... Total mépris.
Parfaite iniquité
Quand les pratiques frauduleuses d’un employeur privent 33 ouvriers du renouvellement de leurs contrats.
Ils sont 33, tous originaires du même douar, « Inahnahen », dans le Rif marocain où ils attendent depuis maintenant trois ans que quelque chose se passe, qu’on leur explique pourquoi ils ne peuvent obtenir un nouveau contrat. Ayant déjà subi le déni de droit et la surexploitation durant parfois plus de dix ans au sein de l’exploitation basée à Entressen, ils se voient interdits de revenir travailler en France car leur employeur, du fait de pratiques frauduleuses, n’est plus autorisé a « faire entrer des contrats OMI ».
Pourquoi tant de partialité ?Comment admettre ce raisonnement absurde qui les condamne à rester au Maroc, non pas parce qu’ils n’ont pas fait leur travail correctement, non pas parce qu’il n’y a plus de travail, mais seulement parce que leur employeur a trompé l’administration en introduisant des nouveaux travailleurs dont il n’avait manifestement pas besoin ?
Leurs démarches collectives (délégation à l’OMI de Casablanca et courriers aux ministres et préfet des BDR) n’y changeront rien. La réponse d’Hervé Gaymard, ministre de l’Agriculture au moment des faits, confirme bien la totale responsabilité de leur employeur dans cette affaire et l’insouciance du ministre à l’égard des conséquences indirectes de sa sanction.
Pour ce qui concerne leur demande tout à fait légitime d’être prioritaires lors d’introduction de « primo contrats » - ce qui diminuerait le risque de situations frauduleuses semblables - la réponse du ministre est pathétique : « L’administration n’est pas habilitée à intervenir dans la mesure où cette question relève de la liberté contractuelle entre employeur et salarié . »
« L’administration » est pourtant aujourd’hui la seule à décider si les contrats sont accordés ou pas. Elle peut également utiliser la procédure de « contrat anonyme », pratiquée pour les saisonniers polonais, ou encore décider d’une priorité d’embauche pour certaines catégories d’ouvriers (on vient de le constater pour les 240 ouvriers « OMI » grévistes de la SEDAC).
Elle pourrait également être plus attentive lorsqu’elle a connaissance de pratiques illicites.
Ainsi, l’employeur privé (enfin !) de contrats saisonniers « OMI » depuis cette affaire, utilise, via une entreprise espagnole, des ouvriers équatoriens pour continuer tranquillement à exploiter.....
Servitude et dépendances
N. F. est aide-soignante au Maroc, lorsqu’ elle signe en 1990 un premier contrat OMI pour venir travailler en France, officiellement dans l’agriculture...
Son employeur, arboriculteur à Grans, franchit chaque année la Méditerranée pour y « faire son marché » : les candidats sont nombreux et leur force physique très appréciée. Cette fois-ci cependant, il a choisi cette mince jeune femme après avoir recruté au fil des ans plusieurs membres de sa famille. Une seule femme parmi une centaine d’hommes voués à des travaux très durs ?
L’explication ne tarde pas : lorsqu’elle arrive à Marseille en mai 90, N. F., à qui aucune information n’a été donnée sur la nature de son contrat d’embauche, se voit convoyée directement jusqu’à la maison de son patron. Elle sera...employée de maison, bien que son bulletin de salaire porte la mention « ouvrière agricole ».
Commencent alors des journées harassantes, car son travail ne s’arrête jamais, de 6 h du matin à 10 h du soir et plus.Elle doit s’occuper des enfants, les emmener à l’école et aller les chercher, faire le ménage et recommencer inlassablement , faire le pain, la cuisine, le lavage, le repassage, la couture, laver la terrasse, soigner les plantes.... Elle est une femme de peine, maintenue dans un état de servage au sens où l’on peut définir ce terme : « les gens de bras, serfs, journaliers (...) qui ne s’inscrivent dans aucun produit durable et sont soumis à la loi d’un perpétuel recommencement » (A.Supiot, Critique du droit du travail).
Tout cela pour environ 600 € par mois dont l’employeur déduit 150 € pour son petit studio (qu’elle n’occupe que très épisodiquement à Grans, souvent retenue à la maison avec les enfants). Comme il n’y a pas de petits profits dans le monde des rapaces, le patron récupère aussi largement la redevance payée à l’OMI pour chaque contrat en retenant chaque année 750 € sur sa paie. Heures supplémentaires non payées et non mentionnées sur le bulletin de salaire, pas de jours fériés, pas de congés...il faut tout accepter car en cas de protestation, elle et toute sa famille resteront au Maroc l’année suivante.
Et puis à qui parler ? À qui se confier quand on ne connaît personne ? Le patron a prévenu : c’est sa loi qui s’applique. La « bonne à tout faire » n’a pas à sortir de la maison, elle n’a pas à parler aux voisins... Il lui est même fortement déconseillé de se marier, elle doit être disponible jour et nuit. Elle se marie pourtant en 1994. Qu’à cela ne tienne, on fait pression pour qu’elle n’ait pas d’enfant...
Elle tiendra ainsi jusqu’en 2000 par peur des représailles envers sa famille.
Un accident du travail mettra fin à cette épreuve. Son patron refuse de le déclarer, on comprend bien pourquoi, et la jette à la rue : « je n’ai plus de travail pour toi... ». Elle se retrouve ainsi sans travail, sans logement, sans argent (son mari ayant été lui aussi victime d’un accident du travail) et...expulsable puisque son contrat est terminé.
Du pain béni, pense l’employeur qui voit la vie en rose (« tu ne m’arrives pas à la cheville » lui dit-il)...mais doit déchanter rapidement. Ses manœuvres pour la faire expulser échouent et N. F., soutenue par la CGT, le MRAP puis par le CODETRAS, se défend bec et ongles, témoigne dans la presse. Elle arrache des autorisations provisoires de séjour et porte plainte devant les prud’hommes puis au pénal. En représailles, plusieurs membres de sa famille resteront au Maroc sans travail l’année suivante. Elle recevra pour sa part des menaces à plusieurs reprises.
Aujourd’hui, elle attend la suite des procédures engagées pour tourner définitivement la page d’une « décennie au pays des droits de l’homme ».
Rendez-vous dès cet automne...
Accidentés du travail : bons à jeter
Depuis longtemps, le Code du Travail et le Code de la Sécurité Sociale garantissent aux salariés une protection contre les conséquences économiques des accidents du travail (perte d’emploi et perte de revenu). C’est un des acquis sociaux des plus profondément ancrés en France où tout le monde considère les victimes d’accident du travail avec grand respect... Sauf s’il s’agit de travailleurs saisonniers étrangers.
Lorsque l’accident arrive - et il arrive très souvent - lls doivent non seulement résoudre leurs problèmes de santé mais aussi se lancer dans des batailles juridiques et administratives pour qu’ils soient reconnus par l’employeur, traités équitablement par la Mutualité Sociale Agricole et assortis par le préfet d’un droit au séjour approprié.
Ahmed S.
A.S. est venu travailler en France à partir de 1978, toujours chez le même employeur à Entressen, toujours sous couvert d’un contrat saisonnier OMI, jusqu’au 5 septembre 1998, date de son accident de travail.
Après plus de vingt ans de bons et loyaux services, d’un travail pénible sous les serres, souvent employé les week-ends pour l’arrosage, A.S. est fortement prié de déguerpir (bousculade) pendant son arrêt d’activité pour accident de travail. Pour son employeur, il est devenu inutile ; ce que veut le patron, ce sont des gens qui travaillent et se taisent.
Etant logé sur place, dans un logement insalubre et sans eau potable, A.S. n’a qu’une alternative : soit il part et se retrouve à la rue, soit il reste surplace et décide de se battre.
Il choisit de rester et de lutter pour ses droits : son retour au pays signifierait pour lui l’impossibilité de continuer à se soigner et surtout l’impossibilité d’un éventuel retour en France.
Ahmed restera jusqu’en 2004 dans le logement, malgré les menaces et agressions physiques de son employeur, malgré une procédure en justice contre ce dernier pour salaires, congés payés, ancienneté, etc....Il fera même intervenir l’inspection du travail qui obligera l’employeur à refaire les logements de tous les saisonniers de l’exploitation. Il mobilisera la presse à plusieurs reprises, de même que la fondation Abbé Pierre qui filmera son logement et le montrera dans son rapport annuel sur le mal logement en France. Au jugement de départage du 24 mai 2004 : son employeur est condamné. Il doit lui payer : 5 148 € au titre du remboursement de la redevance OMI, 1 375 € au titre des congés payés, 1 627 € au titre de la prime d’ancienneté, 10 000 € à titre de dommages et intérêts et 800 € au titre des frais de procédure.
Ahmed obtient une prise en charge pendant quatre ans de son accident de travail, mais il doit contester le taux ridicule de 3 % d’incapacité de travail fixé par la CMSA alors que la COTOREP lui reconnaît un handicap à 50 %.
Il reste sans titre de séjour durant six ans, la préfecture refusant toutes ses demandes, y compris d’autorisation provisoire de séjour pendant sa période d’accident de travail.
Fin 2004, sa demande de carte de séjour est enfin prise en considération : il obtient une carte de 10 ans début 2005 et peut envisager de retourner dignement au Maroc pour voir sa famille après près de huit ans d’absence.
Ahmed H-C.
Après 4 ans de travail sans papiers dans l’agriculture, Ahmed H-C. obtient un contrat OMI en 1992 chez un gros arboriculteur de la Crau (employant jusqu’à 70 saisonniers « OMI »). Il travaille pour celui-ci jusqu’en 2002, date de son accident de travail. Pendant dix ans, A. H-C. effectue la récolte, mais aussi la taille, l’éclaircissage et même le traitement phytosanitaire sans aucun équipement de protection. Cette polyvalence, qui lui vaudra d’occuper le poste de chef d’équipe, n’est pas reconnue : A. H-C. est embauché au coefficient 100 comme simple « exécutant », son salaire déclaré ne dépasse donc pas le SMIC.
Durant ces dix années, A. H-C. travaille sur trois sites de production alors que son contrat ne lui permet d’être employé que sur un seul. « Si les gendarmes viennent, dites-leur que vous ne logez pas ici », commande le patron. Son logement ? C’est un algeco (en fait un cabanon en bois et en ferraille aménagés), prévu pour 2 personnes qu’il partage avec 3 de ses collègues. Pour ce logement, le patron prélève chaque mois environ 200 € sur le salaire. A. H-C. doit travailler dur et ne peut profiter des droits sociaux auxquels lui donne droit son statut de salarié. En 1998, il est victime d’un premier accident de travail que son patron refuse de déclarer, le menaçant de ne pas renouveler son contrat l’année suivante.
En 2002, A. H-C. fait une lourde chute sur le dos au cours de la taille des pêchers. Le rythme de travail et l’équilibre précaire des échelles sont à l’origine de ce nouvel accident. Malgré la pression du patron et des contremaîtres, il est emmené aux urgences où il reste une semaine en observation.
Dans un premier temps, comme 4 ans auparavant, l’exploitant ne veut pas déclarer l’accident de travail. Il finit par le faire... en dehors du délai légal. Pour cette raison, la Mutuelle Sociale Agricole refuse la prise en charge de l’accident, ce qui lui vaudra d’être condamnée par le tribunal Administratif le 16 janvier 2004. Jusqu’à cette date, A. H-C. est donc accidenté, sans ressources et qui plus est en situation irrégulière depuis la fin de son contrat.
La reconnaissance de son accident de travail lui permet de bénéficier rétroactivement d’indemnités journalières versées jusqu’au 3 novembre 2003, date à laquelle la MSA le déclare consolidé, par un courrier en date du 2 juin 2004 !
Ahmed conteste alors cette consolidation, certificats médicaux et projet de nouvelle opération à l’appui. En octobre 2004, la MSA rejette la demande d’A.H.C, qui fait appel de la décision. La procédure suit son cours.
Le 16 septembre 2004, son médecin traitant établit un certificat de rechute de l’accident de travail que la MSA refuse de prendre en charge, tout comme les indemnité journalières maladie, au motif que A. H-C. ne remplit pas les conditions requises pour bénéficier des prestations de l’assurance-maladie. Le 7 décembre 2004, A. H-C. saisit la commission de recours amiable de la MSA puis le Tribunal des affaires de sécurité sociale pour contester cette décision. La procédure est en cours.
Aujourd’hui, A. H-C. bénéficie d’une autorisation provisoire de séjour valable jusqu’à fin 2005, afin de pouvoir se soigner et se défendre devant le Tribunal des Prud’hommes. Mais cette autorisation n’étant pas assortie d’une autorisation de travail, sans autres ressources, A. H-C. ne peut subvenir à ses besoins.
Hassan E-S.
H.E-S travaille depuis 1994 sous couvert de contrats saisonniers « OMI ». Il a travaillé chez le même employeur à Grans.
En août 2000, il est victime d’un accident de travail, reconnu et non consolidé jusqu’en mars 2002. Il rechute ensuite en avril 2003, mais cette fois , son arrêt de travail n’est pas pris en compte.
Il ne travaille plus jusqu’en 2004 où il reprend pour quelques mois une activité dans l’agriculture avant de trouver un travail dans un garage où il est embauché en CDI depuis avril 2005.
En 2002, la CMSA l’avait considéré comme consolidé et lui avait proposé un taux d’incapacité de 14% qu’il a contesté au tribunal de la Sécurité Sociale. Après plusieurs contestations et expertises, il finit par obtenir 20%. La COTOREP lui reconnaît un taux d’incapacité de travail de 35 % et la qualité de travailleur handicapé, catégorie A. Hassan a obtenu une autorisation provisoire de séjour de mars à septembre 2001 , mais seulement à partir d’octobre avec droit au travail. En 2004, il obtient de plein droit une carte de séjour de dix ans en raison de son taux de rente d’accident de travail de 20 %.
Boujemaa B.
Boujemaa B. travaille en France sous contrats OMI depuis 1988 et, depuis quatre ans, chez le même employeur, M L. à Grans. Le logement est vétuste : pas de cuisine, pas de toilettes, 3 douches pour 150 ouvriers.
Le 3 décembre 2002 : il tombe d’une échelle en récoltant les olives et bénéficie d’un arrêt de travail, prolongé jusqu’à fin mars 2003.
À la fin de son contrat, M L. l’ayant chassé de son logement, Boujemaa trouve à se loger dans la zone industrielle de Miramas.
Obtenue dans un premier temps pour se soigner, son autorisation provisoire de séjour est ensuite refusée. Il se retrouve en situation irrégulière.
Avec le soutien du collectif, il entame une procédure aux prud’hommes pour demander le versement des heures supplémentaires non payées.
Son employeur, déjà en cause dans plusieurs autres affaires (dont une au pénal), lui propose un arrangement financier à l’amiable avec une vague promesse de nouveau contrat.
Il accepte, mais aujourd’hui Boujemaa est toujours là, sans ressources, sans papiers, pas très fier de lui-même.
Désobéissance mortelle
Amar A. vient du Maroc et travaille depuis 1986, toujours sous contrat OMI, huit mois par an, chez M F. qui a créé une SARL de maraîchage à Berre.
Il a toujours été chauffeur de tracteur avec une grande autonomie. Quand l’employeur s’absente pour livrer les légumes au marché, c’est lui qui organise le travail des autres salariés. Pourtant, il ne gagne que le SMIC tout en exerçant sans autre formation que son expérience professionnelle un emploi qualifié .
Le 3 août 2004 à 16 heures, Amar sort les fanes de plants en fin de culture à l’aide du tracteur (vétuste et sans arceau de sécurité) qui se renverse lors d’une manœuvre à la sortie de la serre. Amar décède avant d’avoir été dégagé.
Suite à l’accident l’employeur déclare : « mon employé effectuait un arrachage de plants de fin de récolte. J’ai dû m’absenter et je lui ai bien recommandé de ne pas toucher au tracteur. Malgré mon interdiction, il a quand même voulu évacuer les déchets et s’est servi du tracteur pendant mon absence. Je ne m’explique pas cet accident qui s’est produit sur un terrain plat. Toujours est-il que l’ouvrier a été retrouvé écrasé sous le tracteur. Il s’agit bien d’un accident survenu pendant le temps le travail, travail qu’il n’aurait pas dû faire. »
Une enquête est demandée par la CFDT qui suit ce dossier pour la famille restée au Maroc. Au printemps 2005, le procureur d’Aix-en-Provence avait perdu le dossier... finalement retrouvé après plusieurs semaines... Au mois de mai 2005, l’allocation de veuvage commence à être versée et en juillet, le capital décès est acquitté à Madame A.
Précis de précarisation
L’objectif central de l’exploitation capitaliste de la force de travail salariée - obtenir le maximum de production pour le minimum de rémunération-, est contrarié par les dispositions protectrices de la législation du travail, notamment le salaire minimum, la limitation de la rémunération à la tâche et la majoration des heures supplémentaires.
Mais ces protections ne jouent que si les salariés s’en réclament au risque d’un conflit et, finalement, d’un licenciement quand bien même leur bon droit est reconnu par la justice prud’homale. Dans un contexte de chômage de masse, la perspective de perdre leur emploi conduit beaucoup de salariés mal traités à la résignation.
Pour les exploiteurs, cela ne suffit pas à leur tranquillité ; ils s’emploient inlassablement à créer les conditions structurelles susceptibles de garantir leur rêve : la soumission totale et définitive de salariés « kleenex ».
Ces considérations générales trouvent une illustration aveuglante dans les pratiques de l’agriculture « moderne » des Bouches-du-Rhône plongée dans le libre-échange des fruits et légumes. L’impératif de compétitivité justifie une stratégie de flexibilité et de déréglementation du travail, une valse à quatre temps qui vise la précarité totale du statut de travailleur agricole salarié.
1 : rendre la vie impossible aux salariés permanents
Les EARL la M et le P à Berre l’Etang sont gérées par Messieurs A, père et fils. Ils produisent de la tomate sous serres en verre avec des salariés de statuts différents :
– les salariés permanents, essentiellement marocains, plusieurs ont une ancienneté de 30 ans,
– les salariés sous contrat OMI, présents sur l’entreprise 8 mois par an,
– les salariés saisonniers locaux, recrutés par l’intermédiaire de l’entreprise REAGIR, ils sont payés soit à l’heure, soit au rendement.
Le conflit émerge début 2002, au moment du passage aux 35 heures. Se pose alors, le problème du paiement des heures supplémentaires.
L’employeur veut alors passer au paiement au rendement. Les salariés refusent. Une négociation s’engage et les salariés obtiennent la reconnaissance de leur qualification et la revalorisation de leur coefficient passant de 100 (manœuvre) à 135 (ouvrier qualifié). L’employeur relance cependant son idée du travail au rendement. Toutes ses propositions sont étudiées et refusées par les salariés.
Parallèlement, ces derniers demandent l’application du barème en vigueur pour les heures supplémentaires toujours sous payées.
L’employeur met alors en place une fiche de contrôle individuel du travail fourni.
Fin 2003, il réduit à 35h le temps de travail des 19 permanents qui ont demandé le juste paiement de leurs heures supplémentaires.
Début 2004, les salariés élisent les délégués du personnel qui se présentent sur une liste CFDT.
En mai 2004, l’employeur fait venir un huissier par deux fois après la journée de travail pour attester que les salariés permanents effectuent une grève perlée. Il fait constater leur moindre rendement, en comparaison des saisonniers « OMI », mis en demeure de travailler plus à l’occasion de ce contrôle.
Il se saisit de ce constat pour effectuer le licenciement de 13 permanents, tous syndiqués et protestataires. L’employeur demande l’autorisation de licencier les quatre délégués du personnel à l’inspection du travail qui refuse Il fait alors appel auprès du Ministre de l’Agriculture qui confirme le refus. Alors, il formule un recours auprès du Tribunal Administratif qui n’a pas encorestatué.
Le procédé utilisé par M A. est contesté par les 13 permanents devant les prud’hommes car il a été effectué de façon totalement illicite. En plus des indemnités pour licenciement abusif, ils demandent le paiement des heures supplémentaires, des congés payés et réclament pour certains, la prise en compte de l’ancienneté.
Malgré les conséquences irrémédiables pour eux (non-renouvellement de leur contrat), trois saisonniers « OMI » avaient reconnu devant l’inspection du travail avoir subi la pression de leur employeur pour augmenter leur rendement lors de ces fameux contrôles d’huissier. Avec deux autres salariés saisonniers, ils se sont joints aux ouvriers permanents pour engager une procédure. Restés sans travail, ils ont attendu plus de six mois une autorisation provisoire de séjour, pour la durée de la procédure en justice.
15 salariés découvrirent ensuite qu’une partie des cotisations sociales prélevées sur leur bulletin de salaire n’a pas été versée à la Mutualité Sociale Agricole. Pour plusieurs d’entre eux, cela équivaut à 2 années de cotisations.
Depuis, Messieurs A ont créé une nouvelle entreprise : P. Il s’agit d’un groupement d’employeurs entre les deux EARL. L’objectif est de bénéficier de dégrèvements de charges dont bénéficient les groupements d’employeurs.
Une partie des salariés saisonniers travaillent maintenant au rendement.
Les salariés licenciés n’ont pas pu retrouver du travail sur la zone : ils sont inscrits sur une liste d’indésirables.
Le Conseil des Prud’hommes doit juger l’affaire prochainement....
Mohamed E-M. c/ GAEC R.
Embauché depuis avril 1977 par le GAEC constitué à Berre entre Monsieur R. et ses fils, Mohamed E-M est persécuté par ces derniers depuis la retraite de leur père. Ils veulent déclasser Mohamed E-M. du coefficient 155 (ouvrier hautement qualifié) auquel son contrat de travail a été établi. À cette fin, ils ne lui confient plus de responsabilités, lui demandent de faire des tâches en dehors des normes de sécurité (entrer dans une chaudière pour en assurer le nettoyage sans équipement de protection ni formation au préalable pour cette tâche), ce qu’il refuse de faire. Les heures supplémentaires sont supprimées, les augmentations de salaires systématiquement appliquées avec un mois de retard...
En 2004, après un contrôle de l’inspection du travail, les congés payés sont réglés normalement mais les employeurs exigent de Mohamed E-M. qu’il exécute des « tâches correspondant à sa qualification », notamment qu’il fasse un rapport écrit quotidien sur ses observations à propos de l’état sanitaire dans les serres.
Or, Mohamed ne sait ni lire, ni écrire, que ce soit en français ou en arabe. Ses demandes de formation professionnelle et d’alphabétisation sont restées sans réponse.
Il n’a pas entamé de démarche auprès du Conseil des Prud’hommes.
Ayad E. c/ Bruno P.
Embauché depuis 1991 avec des contrats OMI, Ayad E. obtient une carte de séjour, fin 2001, après son mariage. En 2002, il travaille 12 mois chez Monsieur Bruno P., toujours dans le secteur de Berre, qui casse le contrat de travail sans explication à la fin de l’année.
Le salarié se tourne alors vers le Conseil des Prud’hommes ; il demande un juste versement de ses primes d’ancienneté, le paiement des heures supplémentaires, et réparation pour rupture abusive du contrat de travail.
Le jugement doit avoir lieu à l’automne 2005.
2 : imposer des CDD au lieu de CDI
Chadli A., Hassen A., Tahar H. & Moshen S. c/ EARL G. B.
Embauché en 1991, Chadli effectue plusieurs CDD de 10, voire 11 mois ! Pendant que sa famille est en Tunisie, il partage un mobil home en France, avec un collègue de travail. Le logement est insalubre, il n’y a pas de point d’eau potable, la douche est à distance.
Embauché en 1990, Hassen travaille comme un damné. Malgré cela, l’employeur le considère toujours comme saisonnier. Son logement, une toute petite bâtisse partagé avec un collègue de travail. L’exiguïté, la vétusté, le non-accès à l’eau potable... en font un un taudis. Sa famille est restée en Tunisie. Embauché en 1993. Tahar a effectué plusieurs contrats dépassant le seuil des 8 mois. Pour le reste, sa situation est la même que celle d’Hassen.
Embauché en 1997, Moshen a également effectué plusieurs contrats de travail de plus de 8 mois. Sa famille est en Tunisie. Son logement est dans une petite bâtisse partagée avec un collègue de travail. Il est déclaré insalubre.
L’EARL G.B. est gérée par Monsieur Thierry F. qui a succédé à son père. Son oncle maternel, Monsieur D., fait fonction de chef du personnel dans l’entreprise. Chadli A. a travaillé chez Monsieur D. de 1980 à 1990, année où ce dernier a déposé le bilan.
La coutume de l’entreprise consiste à payer les heures supplémentaires en fin d’année, ou en fin de contrat. Début 2003, Moshen, Tahar, Hassen et Chedli, demandent à leur employeur de payer les heures supplémentaires chaque mois.
À partir de cette demande, ils subissent de nombreuses vexations : autonomes en temps normal dans leur travail, ils sont affectés avec les femmes avec des horaires plus courts. Leurs heures supplémentaires sont supprimées. Ils font l’objet de reproches, parfois par courrier, sur leur rythme de travail notamment, jugé peu productif.
Deux des salariés voient leur contrat s’arrêter en août 2003, avant terme. Et pourtant, leur mission d’entretien et de récolte des plants de tomates n’était pas terminée.
Les deux autres, sont contraints de s’arrêter en décembre 2003, avant la mise en place des plants de tomates et l’entretien de la culture.
Les salariés ont saisi le conseil des Prud’hommes auquel ils demandent notamment la requalification en CDI. Verdict le 8 novembre 2005.
3 : se débarasser des salariés avec un titre de séjour permanent
Fayçal F c/ SCEA R. et Fils
Faycal F. est embauché le 18 mai 1998 pour un contrat de 7 à 8 mois pour la récolte de pêches.
Chaque année depuis 2001, l’employeur abandonne certains de ses anciens saisonniers et les remplace par des salariés sous contrat OMI. Il passe ainsi de 6 à 17 contrats de ce type en 2004. Après avoir déposé les offres d’emploi à l’ANPE, il reçoit les candidats et leur pose des exigences suffisantes pour qu’ils renoncent ou ne puissent pas venir travailler chez lui, comme par exemple avoir le permis de conduire, utiliser sa voiture personnelle pour le travail... N’ayant pas trouvé les ouvriers dont il a besoin dans la main d’œuvre locale, il peut alors constituer les dossiers de demande de contrat OMI.
En 2005 Fayçal F. et son frère ne sont pas repris. Ils ont été remplacés par des contrats OMI.
L’affaire est portée devant le Conseil des Prud’hommes pour non-paiement d’heures supplémentaires et non renouvellement de contrat. Il n’y a pas encore de date fixée pour le jugement.
4 : remplacer les saisonniers usés ou revendicatifs
Ils sont sept, tous Marocains, en France depuis au moins trois ans pour les plus jeunes et neuf ans pour les plus anciens. Ils travaillent tous chez M F. à St Martin de Crau et sont occasionnellement embauchés et logés chez M L. en GAEC à St Martin de Crau également.
En 2001, lorsqu’ils arrivent pour effectuer leur nouveau contrat, ils sont envoyés chez M L., illégalement , car c’est M F. qui continue de les payer.
Le 5 juin, M L. menace avec un bâton les 7 salariés et les chasse. Devant leur refus de partir, le neveu de M L. les menace avec un fusil : il tire deux fois en l’air.
Les ouvriers retournent chez F. et déposent collectivement une plainte à la gendarmerie de Saint-Martin de Crau. Dans un premier temps, cette plainte n’est pas enregistrée ; il faudra qu’ils y retournent accompagnés de la CGT pour qu’elle le soit.
M F. propose aux ouvriers d’aller travailler dans l’Isère, ce qu’ils refusent, car cela n’est pas conforme à leur contrat et font intervenir l’inspection du travail.
M F. reprend les sept ouvriers chez lui mais pour trois d’entre eux la situation de conflit empire.
Le 8 juin, on les envoie creuser une tranchée à la pelle et à la pioche. Le 11, ils sont affectés au verger. Le 12, le travail est suspendu. La CGT intervient .Ils reprennent du 13 juin au 2 juillet. L’avancée de leur travail est photographiée et on les fait travailler 8 heures au lieu de 10 habituellement. Le 26 juin, l’inspection du travail fait la visite des logements surpeuplés.
Le 3 juillet, le patron met un terme à leur activité et les convoque à un entretien préalable de licenciement. Ils réagissent par l’envoi d’une lettre collective de protestation. L’absence de leur patron à l’entretien entraîne une nouvelle lettre de protestation et le dépôt d’une demande de référé aux Prud’hommes.
Pour finir, ils reçoivent, le 12 juillet, un recommandé annonçant la rupture de leur contrat de travail pour faute grave. L’accusation de non-exécution du travail, dégradation du logement, absence lors de la convocation préalable est évidemment non fondée. À la même période, 10 nouveaux saisonniers « OMI » en remplacent 10 plus anciens qui n’ont pas été renouvelés. Sept de ces nouveaux contrats auraient été accordés à des membres de la famille d’un ouvrier qui avait accepté de témoigner contre ses collègues.
Le jugement a été rendu le 11 septembre 2002, il accordait à chacun 3167,26 € de salaires jusqu’à la fin du contrat et de dommages pour rupture. L’employeur n’a pas fait appel.
Devant la Juridiction pénale, la plainte déposée pour menace de délit ou de crime (art 22-17) a été classée sans suite...
Ahmed F. travaille sous contrat OMI depuis 14 ans chez M B. à Châteaurenard auquel il réclame en septembre 2003 un rappel de salaires, d’ancienneté et de congés payés. L’employeur refuse et ne lui renouvelle pas son contrat.
Ahmed décide alors de rester sur le territoire français et engage une procédure devant les prud’hommes en mars 2004. L’employeur qui connaît la situation illégale de son ancien ouvrier le dénonce à la gendarmerie qui le convoque et l’arrête. Le 12 mars 2004, un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière lui est notifié et il est enfermé au Centre de rétention d’Arenc, à Marseille.
La Cimade, relayée par le CODETRAS et les médias (la Marseillaise notamment) interpelle le préfet qui le libère et lui remet une autorisation provisoire de séjour sans droit au travail. Suite à une nouvelle intervention du Collectif, il se sera finalement autorisé à travailler.
Depuis, Ahmed peut vivre dignement (il a retrouvé travail et logement) et se défendre devant la justice.
Que fait la police ?
Elle obéit aux autorités chargées du maintien de l’ordre public en fonction de l’époque, des circonstances et des directives gouvernementales.
Si l’on s’en tient aux troubles à l’ordre public que sont les délits (passibles de poursuites pénales), on peut distinguer ceux qui peuvent être commis par les employeurs (emploi dissimulé, emploi d’étranger sans titre...) et celui qui ne peut concerner que les étrangers : le défaut de titre de séjour.
Force est de constater que les forces de police et de gendarmerie privilégient cette dernière infraction et se désintéressent totalement du lien qu’elle peut avoir avec l’emploi illégal.
Abderrahmane EL G. est arrivé en France le 7 mai 2001 avec un contrat de travail OMI de 8 mois pour travailler chez M. D, exploitant à Saint-Martin-de-Crau.
Pendant 6 mois, il fait la cueillette des tomates, la plantation et la cueillette des salades, puis, pendant deux mois, la vente sur les marchés de Saint-Etienne-de-Grès et Marseille. Pendant toute cette période, sa rémunération a consisté en acomptes d’un montant total de 5 800 F (900 €).
A la fin du contrat, en novembre 2001, quand Abderrahmane réclame les paiements de ses salaires, M. D révèle alors ses vraies intentions. Il lui demande de rembourser 50 000 F (7 500 €), prix auquel il estime le fait de l’avoir fait venir en France. Abderrahmane ne peut pas repartir au Maroc. Sa famille attend les mandats qu’il n’a jamais pu envoyer.
Quatre autres ouvriers sont dans la même situation Tous avaient confiance en leur patron qui leur a menti et les a fait vivre dans des conditions lamentables, avec parfois le ventre vide
A la fin de son contrat, Abderrahmane reste en France. Il achète une fausse carte de séjour dans un café pour 2 000 F (300 €). Début juillet 2202, il est interpellé. Le 4, il est reconduit en avion au Maroc, le 4 juillet , sans avoir pu se défendre.
Le CODETRAS, qui venait de se constituer depuis peu, a tenté sans succès d’éviter son expulsion. Par la suite, le collectif assurera le lien avec son avocat qui obtient le paiement de ses salaires et l’annulation de son interdiction de territoire. Sa plainte au Procureur de la République de Marseille pour tentative d’extorsion de fonds a été transmise au TGI de Tarascon, territorialement compétent. Elle est restée sans suite.....
Abderrahmane est depuis au Maroc en attente d’un improbable nouveau contrat...
Sur la commune de Berre-l’Étang, le 23 mai 2002, à 6 heures du matin, sur réquisition du Procureur motivée par la lutte contre le travail illégal, la police nationale et la gendarmerie interpellent 30 personnes ; les unes dans leur lit, les autres sur le chemin du travail, à pied ou en voiture.
17 d’entre elles font l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière (APRF) notifié le même jour à 17 heures. 13 sont de nationalité tunisienne, 4 de nationalité marocaine. Ils sont arrivés en France depuis peu et ne parlent pas français. Leur consul les a tous reconnus. Un Tunisien a été assigné à résidence par le juge des libertés en échange de son passeport. Le 30 mai, ses douze compatriotes sont reconduits à Tunis.
Que fait la justice ?
La réponse sommaire serait : elle fonctionne... À condition de la saisir.
En fait, la question implique au moins trois juridictions : prud’homale pour les conflits du travail, pénale pour la sanction des délits et administrative en matière de séjour en France des étrangers. Vis-à-vis de chacune d’entre elles, les travailleurs agricoles étrangers sont particulièrement démunis. Le plus souvent, ils saisissent la justice à la dernière extrémité, quand ils estiment n’avoir plus rien à perdre ; c’est souvent dans des conditions très défavorables voire désastreuses pour l’organisation de leur défense.
Les Prud’hommes
Lorsque la faute de l’employeur est flagrante, les jugements sont sans ambiguïté favorables aux salariés.
Salah S. & Allal A. c/ EARL G.T.
Ces deux salariés sont salariés depuis plus de 10 ans de l’ EARL G.T.
Salah S. est tunisien, il a une carte de séjour, mais sa famille est restée au pays. Il habite une chambre chez l’employeur. Tous les ans, il essaie de rester entre un et deux mois au pays.
Allal A. est marocain, il possède une carte de séjour, sa famille réside à Berre l’Etang. Il a fait un emprunt pour acheter un appartement à Berre.
Lorsqu’ils s’aperçoivent du non-paiement de la prime d’ancienneté et des heures supplémentaires sous payées, ces deux salariés saisissent le Conseil des Prud’hommes.
À l’automne 2002, Salah S. perd trois membres de sa famille, son père, sa mère et son frère. Il effectue à chaque fois le voyage au pays. Bien sûr, il avise son employeur au préalable et un accord oral est conclu comme cela a toujours été le cas dans l’entreprise. Dès son retour, en décembre 2002, il se voit notifier son licenciement pour absence injustifiée.
Le Conseil des Prud’hommes, dans son jugement du 13 avril 2004, condamne l’employeur : au paiement des heures supplémentaires, de l’ancienneté, des congés payés et d’une indemnité de licenciement ainsi qu’à la rédaction de bulletins de paye rectifiés.
Une analyse des minutes de la section agricole du Conseil des Prud’hommes d’Arles entre 2001 et 2003, permet le même constat de rigueur. A titre d’exemple, El Hassan, travailleur OMI depuis 1977, est licencié au motif qu’il met « une certaine lenteur pour effectuer son travail (...) et qu’il y aurait eu un vol de légumes ». Ces quelques cagettes supposées dérobées reviendront finalement à la bagatelle de 11 739 € au patron, à qui le jugement de départage rendu le 24 octobre 2002 a rappelé ce que respecter les vieux voulait dire.
Salah a été licencié pour refus d’exécuter des heures supplémentaires au moment des vendanges. Le Conseil reconnaît le 3 décembre 2002 que c’est une cause réelle et sérieuse, mais que ce refus ne saurait « valoir faute grave privative des indemnités de rupture » et « comme pouvant perturber la bonne marche de l’entreprise ». Coût pour le patron de ces heures supplémentaires finalement jamais effectuées : 3 787 €.
Les CDD que l’employeur de Mohamed omettait d’établir par écrit ont été, en juin 2001, requalifiés en une seule fois en un CDI assorti d’une indemnité de 23 115 €.
Toutefois cette même analyse des décisions sur trois années consécutives révèle les carences structurelles de l’accès des travailleurs agricoles étrangers a une justice équitable.
Au plan général, on observe un recours relativement peu fréquent à la justice prud’homale : les plaintes de salariés au patronyme maghrébin représentent à peine la moitié du total, bien moins que leur proportion dans l’effectif des salariés du secteur. Au nombre de quelques dizaines chaque années, ces plaintes couvrent pratiquement tout ce que peut prohiber le Code du Travail.
Sitôt que le dossier n’est pas « en béton », les jugements sont souvent défavorables et leurs motivations discutables. En particulier, en matière de paiement de salaires et d’heures supplémentaires, la charge de la preuve n’est pas toujours exigée de l’employeur. Cinq saisonniers OMI domiciliés au Maroc, embauchés comme ouvriers agricoles par contrat de 4 mois pour la cueillette de fruits à Eyguières, ont été ainsi déboutés de leurs demandes (13 120 F chacun) car pour la justifier, les plaignants fournissaient un décompte établi de leur main qui ne saurait valoir comme commencement de preuve (jugement du 18 septembre 2001).
Par ailleurs, les salariés saisonniers sont fréquemment déboutés de leurs demandes de requalification ou de paiement de primes d’ancienneté sur la base d’attendus qui évoque une spécificité du « contrat OMI ». Ainsi, divers contrats OMI de 6 mois ont été « consentis » à Mohamed depuis 1996, dixit son employeur qui l’a licencié le 26 juillet 2000 pour faute lourde. En février 2002, le Tribunal relève que « ces différents contrats obéissent à une législation spéciale, ne permettant nullement un cumul autorisant à considérer qu’il s’agit d’un CDI, vu au surplus les périodes annuelles réduites ». En novembre, le Conseil des Prud’hommes se montre encore plus lapidaire. Comme, explicite-t-il sa décision, « la relation de travail repose sur des contrats OMI, comme le justifient les bordereaux de paiement, les relations contractuelles entre 1992 et 1998 ne peuvent nullement être considérées comme un CDI.
Enfin, la présence personnelle des salariés saisonniers aux audiences est souvent impossible, qu’ils soient expulsés du logement après le dépôt de plainte contre l’employeur souvent logeur, qu’ils n’aient plus d’adresse où recevoir les convocations ou, plus fréquemment, parce qu’ils ont quitté la France à l’expiration de leur contrat. Six ordonnances de caducité, sanctionnant l’absence physique du demandeur sans motif légitime, ont été rendues entre 2001 et 2003 à l’encontre de salariés, dont trois étaient domiciliés au Maroc. En gros, on juge leurs affaires quand ils ne sont plus là.
Le tribunal correctionnel
Le mercredi 3 février 2005, trois employeurs agricoles de la zone de Berre, MM Aligon, Arnaud et Otta comparaissent devant le Tribunal de Grande Instance d’Aix-en-Provence à l’issue de poursuites engagées par le Procureur de la République.
C’était la première fois que des employeurs agricoles du département passent en correctionnelle.
Ils doivent répondre de trois inculpations : aide à l’entrée et au séjour irréguliers d’ étrangers, emploi dissimulé (sauf pour Arnaud) et emploi d’étrangers non autorisés à travailler.
Le ministère public a requis : contre Aligon, 3 mois de prison avec sursis et 2000 € d’amende ; contre Arnaud, 1500 € d’amende ; contre Otta, 2500 € d’amende
A 18h30, le verdict tombe : aucun des inculpés n’a été reconnu coupable du premier chef d’inculpation « faute de preuve du caractère intentionnel » ; Aligon est condamné à 4000 € d’amende ; Arnaud est relaxé et Otta condamné à 1000 € d’amende.
Que fait l’administration ?
?
Grèves !
Pour les exploitants agricoles des Bouches-du-Rhône, l’année 2005 restera longtemps dans les mémoires ; non pas du fait d’une production exceptionnelle, d’une grave mévente ou d’une catastrophe naturelle particulièrement sévère ; rien de tout cela, mais quelque chose de tout à fait inattendu pour ces seigneurs de la terre : « la grève ».
Cela commence au temps des cerises : 40 ouvriers permanents, soutenus par la CGT, font vivre un véritable cauchemar à la direction d’ une exploitation de Fos-sur-Mer. 15 jours de grève, une récolte perdue et l’obligation de céder aux principales revendications des ouvriers, à savoir la simple application de quelques avancées récentes de la convention collective.
Cela continue par un phénomène exceptionnel : la révolte d’une partie des ouvriers les plus précaires, les plus soumis au bon vouloir de leur patron, les fameux « contrats OMI ». 240 ouvriers qui, en pleine cueillette, décident de se mettre en grève sur deux exploitations situées au milieu de la plaine de la Crau et appartenant au plus gros exploiteur du département.
Autant de Marocains que de Tunisiens qui, revendiquant des arriérés de salaires non perçus depuis deux ans, peuvent enfin rendre visible toute la misère de leur vie quotidienne : sous payés, logés dans des taudis, obligés d’accepter toutes les exigences patron sous peine de ne pas être repris l’année suivante.
En une semaine l’affaire sera bouclée : prise en main syndicale de la CGT et intervention du préfet qui engagera les moyens de l’Etat pour reloger les ouvriers convenablement et s’assurer que l’employeur payera ses dettes. Il promet aux ouvriers une certaine garantie d’embauche pour la saison prochaine : « suspension de toute embauche de primo-migrants dans le département en 2006 tant que les actuels employés de la SEDAC n’auront pas retrouvé un emploi saisonnier ».
Dès le lendemain de la reprise du travail, une autre grève se déclenche sur l’exploitation voisine où 138 des 168 ouvriers ont débrayé ; des permanents mais également les 34 « contrat OMI » marocains qui soutiennent le mouvement de leurs camarades. Les autres sont des « contrats OMI » polonais ; ils ne se sentent pas concernés.
Le conflit sera réglé dans la journée et l’employeur acceptera toutes les revendications sans discuter : il ne veut pas connaître le sort de son voisin qui vient de subir une semaine de matraquage médiatique.
Collectif de défense des travailleurs étrangers dans l’agriculture
codetras espace.asso.fr
Le collectif est une association de fait. Il est constitué de personnes engagées par ailleurs dans diverses organisation de la société civile :
A.S.T.I de Berre
Association de coopération Nafadji Pays d’Arles
Cimade
Confédération Paysanne
CREOPS
Droit Paysan Aureilles
Espace-Accueil aux étrangers
Fédération du MRAP 13
FGA CFDT
Forum Civique Européen
FSU 13
Ligue des Droits de l’Homme du Pays d’Arles.
Ligue des Droits de l’Homme de La Fare-Les Oliviers
Notes
1 l’OMI - qui d’ailleurs se dénomme désormais ANAEM (Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations) - n’a qu’un rôle d’agence de voyage, sans aucun pouvoir de décision dans la procédure d’embauche.
2 Convention collective des exploitations agricoles (personnel d’exécution) et des coopératives d’utilisation de matériels agricoles du département des Bouches-du-Rhône du 12 février 1986.
CODETRAS
codetras espace.asso.fr
Photos [non reproduites ici] : Yohanne Lamoulère, Denis Natanelic