Qu’y a-t-il de commun entre Les Garçons Bouchers, Daniel Cohn-Bendit, Monseigneur Gaillot, Wolinsky, Guy Cudell et Pierre Rapsat ? A priori, pas grand-chose. Ces artistes et hommes politiques sont quelques-uns des signataires de « L’appel international pour l’annulation de la dette du tiers-monde ». Appel qui dit que le responsable d’une série de tragédies dans le monde (la faim, la mort d’enfants et de femmes) est un impérialisme économique qui saigne à blanc le tiers-monde et l’écrase sous le poids de la dette. L’annulation de cette dette ne résoudra pas tous les problèmes mais elle est un préablable à toute solution de fond. S’y refuser vaudrait refus d’assistance à peuples en danger.
Depuis le lancement de cet appel, le comité initiateur a multiplié les manifestations. Et il faisait étape à Bruxelles samedi, pour une journée d’ateliers de réflexion et un débat réunissant les « gourous » du tiers-monde. Le plateau rassemblait en effet ce qui se fait de mieux sur le sujet : Suzan George, pourfendeuse du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale ; René Dumont, un des papes de l’écologie et du pacifisme, Ernest Mandel économiste belge de renommée internationale et finalement, le très médiatique Gilles Perrault, initiateur de cet appel pour l’annulation de la dette et auteur du très célèbre « Mon ami le roi », réquisitoire contre le régime du roi du Maroc Hassan II. Gilles Perrault qui rendait samedi hommage aux trois autres débateurs en déclarant : Ce que je sais de la dette du tiers-monde, c’est en lisant Susan George, Ernest Mandel et René Dumont que je l’ai appris.
UN PUBLIC DE CONVAINCUS
La première surprise samedi venait sans aucun doute du succès de cette journée : plus de 600 personnes avaient envahi la salle Chavanne de l’ULB. La qualité des intervenants n’y était sans doute pas étrangère. La dette est l’instauration d’un état de guerre, une guerre très efficace car elle est silencieuse et ne paraît pas tous les soirs à la télé, clame Susan George. Des propos qui ne furent guère controversés et le débat a vite tourné court, tant les personnalités étaient à quelques détails près sur la même longueur d’ondes. (Susan George se distinguait notamment en déclarant préfèrer à l’annulation de la dette, le principe du remboursement créatif qui prévoit l’utilisation des sommes remboursées dans des fonds de développement, pour des crédits sélectifs à la population, pour des fonds restaurant l’environnement, etc.). Quant à la salle, elle était composée de « convaincus ». Ce qui a orienté les discussions davantage vers le « que faire ? ».
UN APPEL AU MONDE POLITIQUE BELGE
Parmi les accusés du jour : les élites du tiers-monde, les banques internationales et les organisations internationales, FMI, Banque mondiale, ONU ou Gatt. Susan George, découvrant que les banques belges ont provisionné toutes les créances sur le tiers-monde, déclare : Cela donne plus de possibilités au pouvoir politique belge pour annuler cette dette. Allez-y... Nous discutons comme si on nous donnait le choix, avertit Gilles Perrault (dont nous publierons vendredi une interview dans « Éco-Soir »). Or on ne nous offre rien. Tout ce que nous aurons, il nous faudra le conquérir par la lutte. Comment ? Des banderoles et des gens qui marchent derrière : c’est ainsi qu’à l’Est, nos voisins ont fait bougé l’histoire. Mais l’écrivain de remarquer que ce mouvement doit sortir des généralités et mettre chaque année sous le feu de l’actualité un pays particulier.
Susan George espère elle beaucoup dans la conscientisation du Nord : Pour que nos rangs grossissent, il faut montrer que la dette ne touche pas seulement le tiers-monde. Et de renvoyer au rapport qu’elle rédige actuellement et qui montre les liens entre la dette et la prolifération de la drogue, la pression à l’immigration, les hausses d’impôts (pour payer la faillite des banques), les pertes de marché et d’emplois dans notre industrie, la naissance de conflits.
Le comité pour l’annulation de la dette prévoit des manifestations lors du sommet des pays riches en juillet à Londres, des réunions annuelles du FMI et de la Banque mondiale en septembre à Bangkok. Quant à Eric Toussaint, organisateur belge de la journée de samedi, il met sur pied un débat entre hommes politiques belges, même si, comme il l’avoue, il ne se fait guère d’illusions sur ses résultats concrets.
BÉATRICE DELVAUX