Josyane Savigneau – Depuis 2006, le 17 mai est une journée mondiale contre l’homophobie. Est-ce utile ?
Jean-Luc Romero – Oui, puisqu’il faut toujours alerter la communauté internationale. Il y a à l’ONU 70 pays qui pénalisent encore l’homosexualité et qui empêchent qu’on la dépénalise de manière universelle. Donc cette journée de mobilisation, lancée d’abord au Canada, puis par Louis-Georges Tin, est importante. En France, en 1982, François Mitterrand a dépénalisé l’homosexualité, mais on voit que les tabous ont la vie longue. Une des rares avancées du gouvernement actuel a été de faire porter à l’ONU, par Rama Yade, la dépénalisation.
Dans « Homopoliticus » (Florent Massot, 290 p., 19,90 euros), vous dites que les gays français ont choisi « l’universalisme républicain plutôt que le communautarisme ». Comment cela se manifeste-t-il ?
Ils n’ont pas le mode de militantisme des Américains qui fonctionnent d’une manière communautaire. Ici, les gays se sont coulés dans le moule des institutions. Leurs revendications sont très républicaines et très universalistes. D’abord de bénéficier du mariage. Non pas un mariage homosexuel, comme on a tendance à dire, mais le même mariage que les hétéros. Avoir les mêmes droits, dans une République unique. Un citoyen égale un autre. L’amour entre deux hommes ou deux femmes doit être reconnu au même titre que l’amour entre un homme et une femme. Le principe d’égalité, que met en avant la République, doit s’appliquer.
Vous consacrez un chapitre aux « combats pour 2011 ». Quels sont-ils ?
La période qui s’ouvre est importante. Beaucoup de partis politiques commencent à comprendre que les questions de société sont majeures et que ce sont les seules sur lesquelles ils ont une vraie maîtrise. Il est plus facile, parce que le gouvernement et le Parlement décident, et eux seuls, de légaliser le mariage des homosexuels que de promettre d’augmenter le pouvoir d’achat. « Changer la vie », c’est encore possible, à condition de s’intéresser à ces questions-là, qui, pour moi, sont aussi importantes que les questions économiques et budgétaires. En 2012, l’égalité entre homos et hétéros sera peut-être enfin atteinte s’il y a alternance. Sinon ce sera plus compliqué.
Vous citez Oscar Wilde : « Une idée qui n’est pas dangereuse ne mérite pas d’être appelée une idée. » Est-ce que cela ne va pas contre le désir de normalité, de conformisme social ? Que pensez-vous du temps où être homosexuel était une revendication de marginalité ?
C’était une des étapes. Les choses se construisent à partir du moment où les gens deviennent visibles, ce qui n’a pas été possible à toutes les époques. Quand on a dû se cacher, avoir honte, et qu’on décide que tout cela est terminé, la première réaction est de violence, de réaction contre le système. Et les Guy Hocquenghem et autres seraient aujourd’hui étonnés de voir une communauté homosexuelle demander ce mariage « bourgeois ».
Pourquoi vouloir se marier plutôt que contester cette institution ?
On est passé de cette révolte, qui était nécessaire, et qui a permis d’avancer, à « comment faire pour être comme tout le monde ». A un moment, dans une société apaisée, on peut avoir cette simple envie. La communauté homosexuelle ne veut pas avoir plus de droits que les autres, mais elle veut des droits équivalents. A titre personnel, je ne suis pas intéressé par le mariage, et j’ai mis du temps à comprendre que c’était une véritable aspiration, souvent chez les gays qui sont obligés de se cacher le plus, notamment dans de petites villes.
Et au Parlement, quand je dis qu’il n’y a aucun député, aucun sénateur qui ait dit son homosexualité... Cela n’existe dans aucun autre pays voisin. La majorité des élus homosexuels que je connais sont mariés.
Le droit de dire sa sexualité ne va-t-il pas avec la liberté de ne pas dire ?
L’alternative, c’est dire ou ne pas dire. Mais, faire croire à une vie de bon père de famille qui n’existe pas démontre qu’il reste honteux, pour ces élus, d’être homosexuels. Mais, dire ou pas est une décision totalement personnelle. C’est à chacun de décider d’en finir avec la chape de plomb. Car il est rare que cette chape n’existe pas.
J’ai personnellement vécu avec un double secret : homosexuel et séropositif. C’était difficilement supportable. Quand on se cache, on doit inventer un tas de stratagèmes. On peut se dire qu’on n’attache pas d’importance au regard des autres. Mais ce n’est jamais tout à fait vrai.
L’espèce d’homophilie affichée que vous relevez dans le milieu politique n’est-elle pas suspecte ?
Bien sûr. Et on le voit dans cette période où des choses basculent. Le Front national essaie de tenir des propos contre l’homophobie, et, à mon grand désespoir, l’UMP, parti républicain, n’en parle plus du tout. Pire, c’est le seul grand parti qui n’a pas répondu au questionnaire pour mon livre que j’ai envoyé à tous les mouvements politiques. Et dans ce parti, les plus grands homophobes se manifestent ouvertement, dans une indifférence totale des dirigeants du parti et du gouvernement.
Nicolas Sarkozy, en 2007, s’était engagé pour le statut des beaux-parents et pour un contrat d’union civile comme les Anglais. Et il n’a rien fait. Mais il va sûrement essayer de séduire de nouveau l’électorat gay pour la présidentielle de 2012. C’est devenu, comme je l’explique dans Homopoliticus, une nécessité électorale.
L’élection de Bertrand Delanoë à la Mairie de Paris était-elle une victoire pour les gays ?
Il n’a pas été élu parce qu’il était homosexuel, mais il est vrai qu’il y a eu un vote communautaire, exceptionnellement et pour la première fois en réaction aux excès de la droite pendant les débats sur le pacs. Cette mobilisation a été déterminante. Le pacs a beaucoup remué les homosexuels, de droite comme de gauche. Le débat sur l’IVG, en 1975, avait aussi été terrible, mais sur un temps plus court, et la loi était portée par le gouvernement. Là, il y a eu une année entière de haine, entre 1998 et 1999.
75 % des Français disent ne pas être hostiles à un président de la République homosexuel. Est-ce « plutôt un homme homosexuel qu’une femme » ? En Islande, il y a une femme, homosexuelle, chef de gouvernement. Je pense que des femmes arrivent, en France, à émerger en politique, mais c’est encore très insuffisant.
Vous relevez la phrase d’un journal gay britannique : « Un gay qui vote conservateur, c’est comme une dinde qui vote pour Noël. » Et vous avez quitté l’UMP pour vous rapprocher du PS...
Cette formule m’a beaucoup fait rire. Et je ne pouvais plus être dans le même parti que des hommes qui me considèrent comme « inférieur ». La droite entretient une relation trouble avec l’homosexualité. Je finissais par devenir une caution d’un parti où l’on tient des propos homophobes.
Un autre de vos combats est celui pour une loi sur l’euthanasie. Quelle loi ?
Une loi, c’est toujours mieux que pas de loi ! C’est sans loi, comme actuellement en France, qu’il y a des dérives, à l’inverse de ce que proclament les adversaires de l’euthanasie. Et c’est avec une loi que l’on rassure les personnes en fin de vie et que l’on prolonge la vie. Aujourd’hui, en France, on euthanasie des gens qui n’ont rien demandé.
Or le premier principe est celui de la volonté de la personne. Il faut mettre le patient au centre du processus. La France, qui a été première dans bien des domaines, est maintenant à la traîne sur les questions de société. La dernière étude de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) montre que seulement 20 % des gens qui en ont besoin bénéficient de soins palliatifs. Avec l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), je voudrais qu’une loi permette, en France, l’accès universel aux soins palliatifs, et autorise l’euthanasie, ainsi que le suicide assisté.
Propos recueillis par Josyane Savigneau