Le Bangladesh, (le Bengale orientale avant son indépendance en 1971) est un pays avec une forte tradition de luttes. Les luttes paysannes et ouvrières y ont toujours été très importantes et combattives et la gauche bien que faible et divisée reste puissante avec un soutien de masse important.
La gauche bangladaise a été profondément marquée par la division internationale entre les courants maoïstes et staliniens. Le parti communiste du Pakistan oriental (le Bangladesh depuis 1971) a lui-même été divisé entre une aile pro-Moscou et une aile pro-Pékin.
Ces deux courants ont pris des positions radicalement opposées durant la guerre de libération en 1971. Le courant pro-Moscou, le parti communiste bangladais (PCB), a soutenu la guerre de libération et l’établissement du socialisme au Bangladesh par la voix parlementaire. Cette orientation l’a amené à se rapprocher de la ligue Awami [1] parvenue au pouvoir après la guerre de libération.
Majoritairement, l’aile pro-Pékin, suivant le choix de Mao de s’opposer à la partition du Pakistan, n’a pas soutenu la guerre de libération. Elle l’a dénoncé comme étant une « machination indo-soviétique » pour favoriser l’expansionnisme indien dans la région et l’hégémonie soviétique. D’aller à contre courant d’une guerre soutenue massivement par la population a coûté cher au courant maoïste qui s’est divisé après 1971 en d’innombrables factions et s’en est trouvé durablement affaibli.
Durant les années 70 et 80, une succession de dictatures militaires a renforcé les difficultés de développement des partis révolutionnaires et radicaux, renforçant les tendances à la division.
Aujourd’hui la gauche bangladaise est partagée en deux blocs distincts. Des partis comme le PCB et le Parti des travailleurs ont choisi de collaborer avec la ligue Awami lorsque celle-ci est au pouvoir [2] .
En dehors des sphères liées au pouvoir, certains partis de gauche ont cherché à dépasser leurs divisions en lançant en septembre 2007 une coalition nationale, l’alliance de gauche démocratique, avec pour objectif de lutter pour un Bangladesh démocratique et de faire émerger une opposition crédible aux deux principaux partis qui alternent au pouvoir [3] . Cette alliance, qui est constituée par 10 partis de la gauche radicale [4]
, se situe clairement en opposition aux partis politiques de l’establishment mais aussi en opposition aux partis de gauche qui participent à la gestion du pouvoir. Des discussions sont en cours pour renforcer et élargir l’alliance à d’autres forces de l’opposition . Bien que les partis formant la coalition puissent avoir des idées sensiblement différentes, ils s’accordent sur un programme minimum qui leur permet d’intervenir sur la scène politique à un niveau national.
Sur le terrain, malgré ses divisions et sa faiblesse numérique, la gauche radicale bangladaise reste forte. Grâce à une longue tradition de luttes, elle a acquis un soutien de masse parmi les ouvriers et les paysans. Les partis politiques de la gauche radicale ont pour la plupart développé des organisations de masse qui ont permis le développement de luttes spectaculaires avec des résultats significatifs. A titre d’exemple, le CPB-ML dirige les fédérations Krishok et Kishani Sabha, deux organisations paysannes représentantes de la Via Campesina au Bangladesh et fortes de deux millions de membres.
Plusieurs partis politiques comme le parti des travailleurs révolutionnaires ou le parti démocratique révolutionnaire ont développé des syndicats dans le secteur du textile. Les partis de la gauche radicale ont aussi développé un travail et des organisations de masse en direction des étudiants et des femmes.
On retrouve ses organisations de masse et ses syndicats dans de nombreuses luttes qui ont vu le jour ses dernières années et ont rencontré un certain écho au niveau international.
En 2010 plusieurs vagues de grève ont éclaté dans le secteur de l’industrie textile. Ce secteur représente 80% des exportations bangladaises et emploie plus de trois millions de personnes. Les ouvriers, principalement des femmes, y travaillent pour un salaire de misère dans des conditions moyenâgeuses pour des donneurs d’ordre occidentaux qui commandent de grandes quantités de textile à bas coûts.
Entre le 19 et le 23 juin 2010, 800 000 ouvriers ont cessé le travail pour réclamer une hausse des salaires. En juillet et août, près de 700 usines ont été touchées par des vagues de grève, toujours sur la question des salaires. En décembre, de nouvelles mobilisations ont eu lieu pour obtenir la prise en compte de la hausse des salaires obtenue en août et toujours pas effective en novembre. Les mobilisations sont fortement réprimées par la police anti émeute et il n’est pas rare que des travailleurs soient tués dans le cours des mobilisations. Mais malgré la répression et les intimidations des militants syndicaux, les luttes restent très fortes [5].
D’autres luttes tout aussi significatives ont vu le jour, notamment sur les questions environnementales. Par exemple, dans le district de Phulbari, les communautés locales se sont mobilisées pour faire échec à un projet de mine de charbon à ciel ouvert d’une compagnie basée en Angleterre, GMC Resources plc, soutenue par des fonds de pension et des banques privées. Si ce projet voyait le jour, jusqu’à 500 000 personnes pourraient être déplacées et l’environnement très dégradé. La mobilisation a été soutenue par le comité national pour protéger le pétrole, le gaz, les ressources minérales et les ports (NCPOGMPP), un collectif constitué par des experts, des chercheurs, des partis politiques et des individus. Ce collectif constitue « une nouvelle forme de mouvement politico-social avec son expérience de travail sur l’intérêt national, particulièrement contre les accords douteux avec les multinationales » [6]. Le mouvement de Phulbari est sans précédent tant par l’ampleur de la révolte que la conscience qu’il a développé auprès des communautés locales. Jusqu’à ce jour, il a réussi à empêcher la mise en œuvre de ce projet.
Les luttes paysannes sont aussi particulièrement importantes. Au Bangladesh, 80% de la population travaille dans le secteur agricole et 70% des paysans sont sans terre. Les fédérations Krishok et Kishani Sabha ont mené des luttes importantes pour l’accès à la terre des paysans notamment en organisant des occupations de terre. Depuis les années 2000, ces organisations ont aussi développé la mobilisation des paysans sur les questions du changement climatique et de la souveraineté alimentaire, deux questions fondamentales pour le Bangladesh qui est déjà affecté par le réchauffement climatique.