La révolte fut engendrée par le projet de destruction d’un des seuls parcs publics du centre-ville d’Istanbul pour y construire un centre commercial, mais il est évident qu’elle fut le résultat d’un ras-le-bol général. Le rejet des politiques y a été central :
– Politiques néolibérales et écocides. Précarisation et privatisations. « Rénovation urbaine » ayant pour effet le déplacement des couches défavorisées (surtout kurdes et gitanes) vers la périphérie. Construction de centrales nucléaires et hydroélectriques polluant les rivières. Projet de construction d’un troisième pont à Istanbul et d’un canal de 50 kilomètres dévastateurs pour l’environnement...
– Politiques sécuritaires et antidémocratiques. Arrestations arbitraires (envers les Kurdes, les révolutionnaires et des membres de l’armée suspectés d’avoir participé à des réunions de préparation de coups d’État). Longue période de détention préventives et procès interminables. Violences policières. Criminalisation de toute contestation. Impunité des responsables d’actes meurtriers (comme l’assassinat du journaliste arménien Hrant Dink).
– Politiques conservatrices, patriarcales et identitaires (sunnites). Tentative d’interdiction de l’avortement. Sacralisation de la famille. Cours sur le Coran et sur la vie du prophète dans l’enseignement secondaire. Restriction de la vente d’alcool. Refus d’accepter les revendications de la minorité musulmane Alévi…
À cela s’ajoutent le style autoritaire d’Erdogan et la politique interventionniste à l’égard de la Syrie. Les ingrédients de la potion magique qui transforma nombre de citoyens en « résistants ».
Préparer la prochaine vague
Lors des manifestations et des affrontements, plus de 2 millions et demi de personnes ont pris part aux événements. La moyenne d’âge des résistants est de 28 ans. Des jeunes travailleurs en entreprise, des « cols blancs » en proie à la précarisation, des lycéens... Mais le plus exceptionnel et enthousiasmant fut la participation massive de jeunes femmes, plus de la moitié des résistants ! Il faut aussi souligner une présence importante des LGBT tout autant sur les barricades que dans la « commune de Gezi », ce qui a eu comme conséquence une gay-pride de plus de trente mille personnes à Istanbul ! La résistance entraîna ainsi un contact entre différents secteurs de la société. La participation des Kurdes (réticents au début du mouvement) et des musulmans anticapitalistes et révolutionnaires fut aussi important.
Après l’évacuation violente du parc Gezi, le gouvernement a déclenché une véritable chasse aux sorcières : plus de 700 gardes à vue et une quarantaine d’arrestations. Cependant, la mobilisation continue à travers les forums nocturnes dans les parcs de quartiers et diverses activités locales comme les repas de rupture du jeûne (iftar) organisés par les musulmans anticapitalistes.
Bien entendu, le risque d’essoufflement du mouvement existe, mais la rentrée et l’ouverture des universités peuvent le revivifier. La gauche radicale doit se préparer à la prochaine vague de mobilisation, car quoi qu’il en soit, « l’esprit de Gezi » ne s’épuisera pas facilement. Les murs
de la ville en témoignent : « rien ne sera plus comme avant ! »
Uraz Aydin, Istanbul