Stephen Bouquin – Pourquoi ce retour en politique ?
Vincent Decroly : Ce n’est pas une décision qui j’ai prise subitement. En réalité quand j’ai quitté Ecolo en 2001, j’ai acté ma rupture sur un certain nombre de désaccords fondamentaux. Ecolo faisait partie d’une sortie de majorité de droite plurielle au gouvernement sous la houlette de Verhofstadt. Et après une série d’étapes comme par exemple la marche multicolore à Clabecq, à laquelle les parents de Julie et Mélissa avaient appelés à participer, vivant les revirements de mon parti à cette époque, j’en avais marre de la pression permanente de l’appareil du parti sur ses élus pour qu’ils votent à la Chambre des dispositions situées aux antipodes du programme sur lequel nous avions été élus. En octobre 2001, j’ai déclaré à la tribune que je ne voterais plus en faveur des projets de la majorité dite « arc-en-ciel » systématiquement, mais en fonction de leur contenu et de leur compatibilité avec notre programme. C’en était trop pour Ecolo, qui m’a exclu de son groupe parlementaire. J’ai donc claqué la porte en octobre 2001 et ai terminé mon mandat en indépendant.
Après mes études de droit, je suis devenu avocat en 2005. A travers la confrontation que j’avais pu avoir avec des réalités de terrain, ce que les gens vivent sur le plan de leur quotidien, au niveau social, j’avais déjà à ce stade-là des convictions et des intuitions qui se sont renforcées depuis lors. Je suis devenu avocat afin de poursuivre sous une autre forme mon engagement. Et j’ai été confronté concrètement à ce que vivent les personnes sans papiers ou frappées par la pauvreté, à toutes celles aussi qui font face à un déni de droits ou à des injustices y compris sur le plan administratif. J’avais la conviction que le combat contre les injustices est essentiel pour la sauvegarde de la démocratie. Cette conviction s’est renforcée, avec désormais des visages et des noms sur des drames qui une cause, une origine politiques.
Après avoir été avocat, j’ai été actif dans la lutte contre la précarité, contre le surendettement. Je me suis engagé dans une association qui fournit notamment une aide juridique à des personnes qui sont en conflit avec leur CPAS. Il s’agit de personnes à qui on refuse l’aide sociale, l’aide médicale, par exemple, ou des jeunes à qui on refuse un soutien alors qu’ils sont en train d’achever des études. Ces expériences-là ont aussi renforcé mes convictions.
Par ailleurs en 2010, lors de la campagne du Front des Gauches, j’avais soutenu la campagne mais pour des raisons qui me sont restées incompréhensibles, on n’a pas vraiment fait appel à moi par après. Je n’ai donc rien fait d’autre que présider un meeting et puis rien. Pourtant cette campagne a rallumé la flamme du combat politique en moi et j’avais déjà envie à ce moment-là de rejoindre le combat pour une alternative de gauche rouge et verte.
Aujourd’hui j’ai le sentiment de pouvoir travailler dans un cadre collectif avec des gens sérieux et c’est ça aussi l’histoire de VEGA. J’ai lu leurs textes, je suis allé à Liège, j’ai apprécié l’action qu’ils ont développée au niveau communal. Et donc je suis là, à leur côtés et j’y crois.
Et si je te pose la question qui ne te fâche peut-être pas mais que tout le monde a sur les lèvres : ‘Pourquoi VEGA et pas le PTB ?’, que réponds-tu ?
J’ai été approché par le PTB mais ils me proposaient la Xe version du comité de soutien… Il n’y avait pas de marge de manœuvre sur le plan du programme alors que je suis tout aussi sensible aux questions écologistes qu’aux questions sociales et à la question de la démocratie et de la citoyenneté. Ce sont pour moi les trois balises programmatiques et du côté du PTB, je ne les retrouve pas vraiment. En particulier sur la question écologique ou sur la citoyenneté, je n’ai pas eu d’interlocuteur et je n’ai pas eu l’impression d’un travail commun possible. J’avais plutôt le sentiment de jouer le rôle d’un faire valoir et je ne me sentais pas l’âme d’apporter cette caution-là au PTB. Et j’ai perçu exactement le contraire du côté de VEGA ; à la fois une ouverture d’esprit, une volonté d’ouvrir un chantier de réflexion, non seulement sur la question écologique mais aussi sur les question de la démocratie et de la justice sociale. Et je retrouve chez eux aussi une jeunesse, une fraicheur que je veux encourager et aider à renforcer. On peut constater aujourd’hui qu’une résistance populaire est en train de se lever ; je pense aussi qu’une résistance peut être multiforme. Je ne pense pas qu’une résistance doit être monolithique pour être efficace. Souvent, on sera plus forts en s’appuyant les uns les autres qu’en se contraignant à suivre une forme unique de résistance au capitalisme. Je pense que l’ennemi commun, il est là, c’est le capitalisme.
Comment appréhendes-tu ce monde politique et de manière plus générale la situation politique ?
Depuis dix ans les maux se sont aggravés. A l’époque, quand j’ai quitté le parlement, on était dans un régime qui fonctionnait à l’inverse de ce que prévoit la Constitution. On pouvait constater que le parlement n’avait pas grand chose à dire et que c’était l’exécutif qui dirigeait tout. Le parlement ne contrôlait pas le gouvernement, mais l’inverse. Aujourd’hui, 10 ans après, le gouvernement contrôle toujours le parlement mais ce gouvernement est à son tour contrôlé par la commission Européenne, ou la Troïka. C’est évident sur le plan budgétaire au niveau des politiques sociales. Nous sommes en tout cas dans une situation de négation des principes démocratiques, de la souveraineté démocratique et citoyenne qui me paraît extrêmement préoccupante. Et je ne parle pas seulement en tant que juriste, bien sûr.
Aujourd’hui, tu te définis comme anticapitaliste. Qu’est-ce que cela signifie à tes yeux ?
Il y a 10 ans, je n’étais pas anticapitaliste ; j’étais anti-libéral. Je m’étais opposé à l’accord multilatéral sur les investissements ou au libre-échangisme en général mais je n’étais pas anticapitaliste. J’étais favorable à une régulation forte du marché et des opérateurs, les firmes ou les banques. Mais aujourd’hui, je pense que nous devons programmer la fin de ce système, dangereux et nocif, pour le genre humain comme pour notre écosystème. Il fait cesser d’entretenir l’idée qu’il faut trouver des accommodements avec le capitalisme. Et donc l’objectif est bien de sortir du paradigme actuel et c’est quelque chose qu’il faudra faire activement. On n’a pas tout le temps pour nous…
Comment procéder à ton avis ?
L’enjeu principal se situe du côté de la conjonction du rouge, du vert et de la démocratie. J’ai rencontré il y quelques semaines un représentant syndical, il m’expliquait que par les temps qui courent son organisation était d’abord une organisation de défense et qu’elle est toujours happée par les évènements qui se succèdent et qui sont traumatisants pour le monde du travail : fermetures, licenciements, accords au rabais, etc. Et cette course poursuite empêche penser et d’agir dans une perspective de transition, de changement sociétal. Imaginer des voies de sorties. Et c’est ici que l’éco-socialisme ouvre un horizon, permet de tracer une perspective de changement de type sociétal ; qui intègre à la fois une défense ferme du monde du travail et une manière de produire et de vivre autrement.
Ensuite la méthode, c’est ce que nous allons tenter pour faire se rencontrer ces perspectives rouges, vertes et citoyennes. On ne doit pas faire avec le capitalisme ce que les écologistes ont fait avec le nucléaire, c’est-à-dire élaborer des plans de sorties à quinze ans sans mettre le pied dans la porte. Il faut des lois, des mesures mais en se donnant les moyens de changer les structures et ce de manière irréversible. Il nous faut un cliquet anti-retour… On n’aura pas 55% tout de suite, mais si on rentre dans une majorité, il faut qu’il y ait une garantie d’irréversibilité des pas accomplis vers la sortie définitive du capitalisme.
Comment perçois-tu la situation politique en Flandre, en tant qu’éco-socialiste francophone ?
En tant que francophone, j’ai l’impression que Bart De Wever est un épouvantail bien utile et qu’il permet de faire passer des mesures sous prétexte qu’il faut sauver le pays, puisque ce serait pire si on ne faisait pas de concessions aux revendications de la NVA. Or, les revendications de la NVA, pour moi, sont avant tout de type ultra-libérales, et son nationalisme n’est qu’un prétexte. Et je pense que le gens vont finir par s’en rendre compte, aussi et surtout en Flandre. Mais du côté francophone, on ne s’inquiète jamais pour le type de projet socio-économique de la NVA ce qui permet à Di Rupo de faire campagne sur “on va sauver la Belgique”, alors qu’on est en train de détricoter ce qui faisait de la Belgique un pays doté d’une protection sociale assez solide. Réduire la place des services publics, casser le modèle social, ce sont des choses au moins aussi mortifères que le confédéralisme.
Propos recueillis par Stephen Bouquin à Madrid lors du 4e Congrès du Parti de la Gauche Européenne