Ce n’est pas exactement ce qui s’est passé à Charleville-Mézières (08), où la jupe étant longue et noire... Les médias sont vite passés à autre chose, la ministre s’empressant d’exprimer sa solidarité avec l’équipe éducative, dont elle a loué le « discernement », précisant que ce n’est pas la longueur de la jupe qui est en cause mais, sans citer le moindre fait concret, « l’attitude » et le « prosélytisme » dont « il a été jugé » que l’élève faisait preuve. Une notion intéressante. À quand l’exclusion de Marie-Paule, connue pour bassiner ses camarades avec ce « grave péché » que représente l’avortement ?
Foin d’ironie, et passons sur le prétendu « dialogue » avec la famille. En tout cas, la maman déclare : « On ne cherche pas de problème ; l’important c’est que ma fille continue ses études mais on ne comprend pas pourquoi l’école a réagi comme ça ».
Derrière le harcèlement
L’épisode n’est pas seulement cocasse et mérite au moins trois niveaux de lecture. D’abord celui de l’islamophobie désormais ordinaire : des injonctions de plus en plus contraignantes quant aux manières de se vêtir, à la multiplication des délits de faciès, en passant par les côtes de porc à la cantine, on ne compte plus les formes de harcèlement constant de la population musulmane, qui en dernière instance ont en commun de procéder de l’islamophobie d’État.
Un deuxième niveau de lecture est à repérer dans la justification de la mesure par l’académie de Reims qui a pointé une action « revendicatrice » et « concertée » avec d’autres élèves. Qu’on se le tienne désormais pour dit : en Vallso-Macronie, revendiquer, avec, pour circonstance aggravante, la concertation, c’est mal. Des fois que ça se produise dans les entreprises... La conclusion qui s’impose, si l’on ne le savait pas : politique de la race et domination de classe sont indissociables.
D’où le troisième niveau de lecture : si les musulmans et tout particulièrement les musulmanes (il y a bien là aussi une histoire de genre), ou plus généralement les immigréEs, sont l’objet de soupçons, de contrôles et de répression sans cesse accrus, ils et elles ne sont pas les seuls. De la loi sur le renseignement au martèlement obsessionnel de messages mettant en garde contre les menaces terroristes et autres, c’est un véritable processus d’hystérisation collective qui est méthodiquement mis en œuvre. Cela a pour conséquence de multiplier et d’exacerber les sujets de peur irrationnelle permettant le renforcement du contrôle de l’État sur toujours plus de domaines de la vie publique et privée, ainsi qu’une restriction du champ des libertés, avec autant que possible le consentement de la population effrayée.
Et, à l’instar de la grenouille que l’on parvient à faire cuire en augmentant très progressivement la température de l’eau, nous sommes exposés à ne plus percevoir que ce qui aurait été inconcevable il y a 20 ans s’est déjà produit. Ni plus ni moins qu’un lent glissement totalitaire. La bonne nouvelle, c’est que puisqu’il ne s’agit que d’un glissement et – pas encore – du totalitarisme institué, il est encore possible de résister. Mais il y a urgence.
François Brun