Lorsque le 18 janvier 2006, trois confédérations syndicales sur cinq (CFDT, CGC, CFTC) signent avec le Medef une nouvelle convention pour l’assurance-chômage (2006 - 2008), il était convenu que, très vite, une négociation s’ouvrirait à nouveau pour « remettre à plat » tout le régime. La CFDT expliquait que le système d’indemnisation du chômage est « à bout de souffle ». Le patronat est d’accord. Reporté pour cause de crise du CPE, il devient un chapitre de la « refondation sociale bis », engagée le 23 octobre par Laurence Parisot (Medef).
Pourquoi les cogestionnaires de l’Unedic (que la CFDT préside en alternance avec le patronat) estiment-ils qu’ils ne peuvent plus continuer ainsi ? D’une part, parce qu’ils sont devenus tellement isolés qu’ils en sont illégitimes. Ils sont minoritaires ! Et c’est de manière minoritaire qu’ils osent raboter, convention après convention, les droits des chômeurs et précaires. Les organisations de chômeurs ne cessent de les dénoncer. La CGT et FO, majoritaires à elles deux, ne signent pas les conventions. Le plan d’aide au retour à l’emploi (Pare), en 2000, était déjà un coup de force. La convention de 2002 a entraîné en 2003 le scandale des « recalculés » : CFDT et Medef ont été battus devant les tribunaux. L’accord du 25 juin 2003 sur le régime particulier des intermittents, minoritaire, a débouché sur une lutte sans précédent. Bref, le système est entré en instabilité politique croissante.
Seconde raison, leur projet est maintenant de restructurer l’indemnisation des sans-emplois (au total, au moins 4,5 millions) de telle sorte que la norme définitive devienne une « assurance » réservée à un segment bien précis des chômeurs (aujourd’hui moins de 50 % sont couverts par l’Unedic), distincts de ceux désignés comme « inemployables ». À ces derniers, la « solidarité nationale » se débrouillera, si elle le décide, pour reverser des allocations publiques réformées. Le gouvernement envisage une fusion des minima sociaux en une allocation unique. C’est ce que Laurence Parisot appelle « repenser l’articulation des compétences entre l’État, ce qui relève de la solidarité nationale, et les entreprises et les salariés, ce qui relève d’une logique d’assurance ». Ce schéma serait complété par l’organisation d’un marché structuré de la recherche d’emplois, où les entreprises privées opéreraient en sous-traitants de l’ANPE (qui a perdu son monopole de placement) et de l’Unedic.
Comment en est-on arrivé là ? Dans le système général de protection sociale, l’indemnisation des chômeurs est le maillon faible. Si la tendance générale est bien la segmentation de toute la sécurité sociale (santé, retraites...) selon des contraintes de marché, la dégradation est plus rapide pour les chômeurs, parce que la solidité des droits est historiquement plus fragile que pour l’assurance-maladie ou les retraites. Lorsque le régime général de sécurité sociale est créé (1946), le chômage en est exclu, malgré des projets d’unification restés sans suite. L’Unedic, créée en 1958, est une convention issue d’une négociation patronat-syndicats. Comme les retraites complémentaires, elle est donc hors de la sécurité sociale de base, et gérée paritairement, alors que les syndicats restent majoritaires à la sécurité sociale jusqu’en 1967. Le patronat cherche à réduire le poids institutionnel et politique de la sécurité sociale. Mais la puissance montante du salariat, de l’emploi et des salaires, est telle que, de 1958 à 1979, la part des chômeurs couverte par l’Unedic ne va pas cesser de progresser (de 18 % en 1959 jusqu’à 76 % en 1978).
De 1979 à 1982, il existe même un régime unique d’indemnisation. On peut parler d’une véritable « salarisation » du chômage, avec notamment (depuis 1975, après la lutte des Lip), la création de l’« allocation d’attente », qui garantit 90 % du salaire brut aux licenciés économiques. Mais la fonction protectrice de l’Unedic décline dans les années 1980, avec l’explosion du chômage, une première dénonciation de la convention (en 1982) par un patronat qui ne veut plus payer de cotisations, et un gouvernement (PS) qui oriente les partenaires sociaux vers des reculs aggravés des droits : création de filières (droits proportionnés aux durées de cotisations), coupure du régime en deux (1984) avec la création de l’allocation de solidarité versée par l’État. En 1988, le RMI institutionnalise l’incapacité structurelle de l’Unedic à protéger le revenu des chômeurs. L’État crée un sous-Smic des pauvres, à côté du Smic des salariés en poste. En 1992-1993, avec la dégressivité, les allocations baissent de 17 % tous les quatre mois. En 2000, avec le Pare, on passe à la notion de contractualisation des droits. Aujourd’hui, le patronat, avec un vrai « marché du chômage » pour les employables, veut rendre irréversible la coupure entre les diverses populations de sans emplois.
Quelle stratégie faut-il opposer à ces projets ? Les associations de chômeurs (AC !, Apeis, MNCP), la Coordination des intermittents et précaires, Génération précaire, Stop précarité, le Collectif national pour les droits des femmes, Solidaires et la Confédération paysanne viennent d’élaborer une plate-forme commune (Rouge n°2174) qui dénonce les situations de précarité, revendique le droit à l’emploi et un revenu autour du Smic comme « référence ». Le grand mérite de ce texte est son rôle fédérateur, à l’aube de possibles chamboulements sociaux. Il permet aussi d’approfondir les débats sur les perspectives d’ensemble.
La mémoire des acquis sociaux s’efface vite et il est parfois devenu indécent aujourd’hui de revendiquer le rattachement des chômeurs, des précaires et des « sans » aux garanties acquises par le salariat comme communauté de luttes et de droits. Alors que le Smic était en 1975 exigé par les syndicats pour les chômeurs, il faut aujourd’hui argumenter pour expliquer qu’accepter deux niveaux de revenu minimum (Smic et RMI) induit une société fracturée. Il faut donc tenir bon sur l’exigence du salaire des chômeurs, sur la base de cotisations payées par les patrons, même quand l’emploi ne peut plus être garanti, dans le cadre d’un « statut général du salarié » impliquant une grille salariale ascendante, fonction de l’ancienneté et de la qualification.
Cette base « salariale » du revenu va de pair avec la défense d’un régime social des chômeurs rattaché au régime général, dont il serait une branche à part entière, et qui couvrirait tous les chômeurs, sans cette distinction discriminante entre « assurés » et « assistés ». C’est là un projet de société solidaire et égalitaire, qui refuse qu’un segment de la population tombe dans la pauvreté cumulative et l’assistance publique, population qui se déstructure, se désocialise, avec des effets de concurrence entre pauvres, de violences et de racismes inéluctables.