« Je m’en remets aux réponses de mes amis sur le sujet. » Laissant cette phrase sur son blog, Jean-Luc Mélenchon est parti en vacances sans expression publique sur la situation à Caracas. Le nouveau député des Bouches-du-Rhône n’a pas envie d’alimenter le « bashing utilisé contre » La France insoumise au sujet d’un Venezuela dont il a fait depuis quinze ans une « source d’inspiration ». Reprenons donc les « réponses de [s]es amis ». Ces dernières semaines, à chaque interview, on leur a demandé s’il y avait un « malaise » dans les rangs des insoumis, « s’il est encore possible de défendre » le successeur de Hugo Chávez et s’ils « condamnent » les arrestations d’opposants politiques. Leur ligne : les médias français font preuve de « manichéisme », voire de « désinformation ». Leur version : « Les Etats-Unis sont derrière » cette crise qui vient avant tout de la chute brutale des cours du pétrole, une partie de l’opposition « de droite dure et d’extrême droite » est « armée », des chavistes (dont des députés) ont aussi été assassinés et le Venezuela « n’est pas une dictature » puisque « Maduro a été élu ». Ils en appellent à une « solution politique ».
Cette position est partagée par leurs camarades communistes, qui dénoncent eux aussi la « caricature » médiatique d’une « opposition démocratique face à un gouvernement dictatorial », fait valoir Lydia Samarbakhsh, responsable de l’international au PCF. Dans ce contexte, « il est très difficile de dire « Attention, ce n’est peut-être pas la réalité » », explique-t-elle. Et pour éviter toute polémique, la communiste précise : « Nous dénonçons et nous condamnons les assassinats, les meurtres, les violences. La seule solution pour sortir de cette crise violente est le dialogue national. »
Mais dans cette gauche radicale, d’autres prennent clairement leurs distances avec les événements au Venezuela. « Le gouvernement Maduro a choisi la fuite en avant dans le seul objectif de se maintenir au pouvoir », peut-on lire dans un communiqué du mouvement Ensemble. Qui dénonce également la « pseudo-Assemblée constituante » mise en place après une « farce électorale ». Le texte pointe enfin la « répression des opposants politiques » : « Le Venezuela n’est plus aujourd’hui un Etat de droit. » Signe du malaise qui parcourt cette gauche, le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) n’a pas pris de position récente. Dans un article de son hebdomadaire l’Anticapitaliste daté du 25 juillet, la formation d’Olivier Besancenot et de Philippe Poutou s’accorde seulement sur le fait que « les classes populaires vénézuéliennes n’ont rien à gagner dans cette polarisation réactionnaire » entre Maduro et l’opposition.
« Droite dure biberonnée à l’impérialiste américain »
Depuis son arrivée au pouvoir en 1999, Chávez et le Venezuela font l’objet de rudes débats au sein de la gauche anticapitaliste française. Et avec Maduro, ce n’est pas près de s’arrêter. Les « amis » insoumis de Jean-Luc Mélenchon interrogent pourtant, comme l’a fait la semaine dernière Eric Coquerel, « la manière dont se fait la répression » ou bien « la manière dont [Maduro] essaie de sortir de l’ornière ». Auprès de Libération, le député de Seine-Saint-Denis insiste sur la « différence » à faire entre « le régime de Maduro et Chávez ». Alexis Corbière, son collègue à l’Assemblée nationale, admet également que « le régime est dans un moment de durcissement ». Mais ces bémols restent inaudibles tant ils sont enrobés de mises en garde. « Ce qui nous est demandé, c’est de renier un régime de gauche en disant qu’il a sombré dans la dictature, justifie Coquerel. Dans un contexte où les Etats-Unis sont à la manœuvre pour déstabiliser ce pays et que la droite libérale est à l’offensive, on n’a pas envie d’exprimer de réserve sur Maduro. » « On attend de nous une délégitimation totale de Maduro, de Chávez et, derrière cela, de toutes les expériences sociales en Amérique du Sud », ajoute Clémentine Autain, élue elle aussi en Seine-Saint-Denis. Jugeant le communiqué de son parti, Ensemble, « déséquilibré », elle donne sa propre position : « Je ne soutiens pas cette opposition de droite dure biberonnée à l’impérialisme américain, mais je ne soutiens pas non plus l’attitude de Maduro engagé dans un processus de raidissement autoritaire. » Mélenchon, lui, répète souvent qu’il a « une règle de base dans la lutte » : ne « jamais reculer » ou « céder ». Application au cas vénézuélien : émettre aujourd’hui un doute public sur Maduro, ce serait concéder à ses adversaires une part de terrain idéologique et cela favoriserait ensuite leur offensive pour tailler en pièce le programme entier de La France insoumise.
« Mélenchon a fait près de 20 % à l’élection présidentielle et il a un groupe actif de députés. Pour ses adversaires, le Venezuela est un bon moyen de lui accrocher quelques casseroles, observe à distance l’altermondialiste Christophe Aguiton. Mais il faut faire les deux à la fois : critiquer l’interventionnisme américain, mais dire aussi que ce que fait Maduro n’est pas acceptable. Ce n’est pas la faute de la CIA, mais ce n’est pas non plus la faute de la politique de Maduro. La crise vénézuélienne est avant tout liée à l’effondrement des cours du pétrole. » « La question du chavisme n’est jamais neutre lorsqu’elle est traitée dans les médias, fait remarquer pour sa part Christophe Ventura, chercheur, rédacteur en chef du site Mémoire des luttes et ancien responsable des questions internationales au Parti de gauche de Mélenchon. C’est fait pour disqualifier ce que vous êtes, pour mettre en échec toute autre idée de progrès social et démocratique. »
« Je n’ai jamais prétendu que c’était un modèle »
Ce n’est pas la première fois que Jean-Luc Mélenchon est embêté en France par le Venezuela. En avril, dans la dernière ligne droite présidentielle, alors que les sondages le donnaient proche du second tour et que les premiers reportages sur Caracas étaient diffusés dans les journaux télévisés français, il avait dû se justifier sur sa proposition de faire adhérer la France à l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (Alba), créée par le Venezuela et Cuba afin de favoriser les échanges avec la Guyane. « En 1981, Mitterrand avait les chars russes qui allaient débarquer à Paris. Nous, nous avons le modèle vénézuélien qui va ruiner la France », ironise Coquerel.
Le leader de La France insoumise ne fait pourtant pas du Venezuela un paradis. « Je n’ai jamais prétendu que c’était un modèle », écrivait déjà Mélenchon en 2007 [1]. C’est pour lui et les siens une « source d’inspiration ». Hispanophone, sensibilisé à la lutte contre les dictatures latinos dans sa jeunesse au contact d’exilés installés à Massy (Essonne), Mélenchon a retrouvé un intérêt au continent sud-américain dans les années 90. « Ce que nous voyons en Europe aujourd’hui s’est déjà joué là-bas », expliquait-il il y a dix ans. « L’Amérique latine a été le lieu d’émergence de la lutte contre les politiques que l’on disait « d’ajustement structurel », rappelle-t-il dans un autre livre d’entretien, le Choix de l’insoumission (Seuil), publié l’an dernier. La proximité des structures culturelles, juridiques et institutionnelles des sociétés sud-américaines avec l’Europe permet d’y lire beaucoup de notre futur face aux politiques d’ajustement structurel en cours en Europe. »
Il s’est d’abord intéressé au Brésil de Lula avant la révolution bolivarienne de Chávez, qu’il ne découvre qu’après le coup d’Etat manqué de 2002. Il fait son premier « voyage d’étude » à Caracas en 2006 en tant qu’observateur électoral. Sénateur socialiste à l’époque, il en revient avec du « concret » pour « régénérer […] le corpus idéologique et pratique » de son « courant révolutionnaire ». « Il y a la volonté de partager les richesses nationales, le pétrole, et d’asseoir son gouvernement et son régime sur le vote », souligne Coquerel. Mélenchon puise chez Chávez des « leçons essentielles sur le plan théorique » : le clivage peuple-oligarchie, la Constituante comme premier pilier de la révolution citoyenne, la proposition d’un référendum révocatoire… C’est grâce au Venezuela qu’« émerge » chez lui « l’idée qu’il y a cet acteur spécifique dans l’histoire de notre temps qu’on appelle « le peuple » ». La révolution bolivarienne, ajoute le leader des insoumis, « présente une lutte qui propose une ligne stratégique complète […] contre l’oligarchie ». Ligne fondamentale qui constitue aujourd’hui le cœur d’une doctrine politique détaillée dans un autre ouvrage qu’il porte en référence, l’Ere du peuple (Fayard).
« Pas de pacte avec les fascistes »
L’ancien socialiste a toutefois été un temps plus discret sur son attachement au Venezuela. En 2012, lorsqu’il fait référence à l’Amérique du Sud pendant sa première campagne présidentielle, il parle plus volontiers de l’Equateur de Rafael Correa - à qui il emprunte le concept de « révolution citoyenne » -, de l’Argentine de Néstor et Cristina Kirchner ou encore de la Bolivie d’Evo Morales, plus soucieuse d’environnement que la société de consommation vénézuélienne dopée au pétrole. Les sympathies de Chávez avec l’Iranien Ahmadinejad ou le Libyen Kadhafi lui font prendre ses distances. « Je leur ai dit mille fois, on ne fait pas de pacte avec les fascistes », confiait-il en 2011.
Mais après la présidentielle, Mélenchon reparle plus volontiers du président vénézuélien. En 2012, avant de passer son été à Cuba, il est à Caracas pour participer à un forum altermondialiste. Invité ensuite à suivre la campagne présidentielle avec l’équipe de Chávez, il repousse son vol pour La Havane. « Jamais je n’ai vu telle ferveur politique se concentrer de telle façon dans les corps et les visages. A mi-chemin, je m’aperçus que j’avais le visage en larmes », écrit-il alors sur son blog après avoir traversé, juché sur un bus, une foule de partisans du Président, tous de rouge vêtus, dans la ville de Barquisimeto.
Le 6 mars 2013, au lendemain de la mort du président vénézuélien, « en deuil », les yeux gonflés de tristesse, le député européen convoque la presse au siège du Parti de gauche pour une déclaration solennelle. « Ce qu’est Chávez ne meurt jamais, lance-t-il. C’est l’idéal inépuisable de l’espérance humaniste, de la révolution. » « Le Venezuela, c’était un Mai 68 permanent », fait valoir le politologue Gaël Brustier. Actif au sein d’un petit groupe de militants de gauche parisiens pro-Chávez de 2002 à 2007, ce dernier avait accompagné Mélenchon à Caracas en 2006. « Ce pays offrait alors un débouché politique à l’altermondialisme et permettait, pour toute une génération, d’exorciser le 11 septembre 1973 et le coup d’Etat de Pinochet contre Allende, analyse-t-il. C’est pour ça qu’en France il a parlé à beaucoup de gens de gauche. » D’où cette difficulté pour certains, aujourd’hui, de prendre quelques distances avec un pays qui reste une référence.
Lilian Alemagna