« Partez ou vous allez tous mourir » : sur les routes de la déportation des Rohingya birmans
Depuis le 26 août, la minorité musulmane de Birmanie est chassée vers le Bangladesh sans espoir de retour.
Ils ont couru, marché, trébuché, puis couru encore ; ils sont exténués, affamés, certains sont blessés ; ils ont fui, la mort aux trousses et la peur au ventre. Ils traînent avec eux le souvenir de leurs morts et la liste sans fin de leurs disparus. Il y a, dans l’exode forcé des Rohingya de Birmanie, dans la fuite de ces maudits, un air de fin du monde.
Deux semaines après les premières arrivées de Rohingya dans le sud du Bangladesh, sur l’autre rive de la rivière Naf – qui sépare le Bangladesh de la Birmanie –, le doute n’est guère permis : les Rohingya n’affrontent pas une persécution supplémentaire, un énième épisode dans la longue série de cataclysmes meurtriers ayant marqué l’histoire tragique de cette communauté musulmane de l’Arakan (appelé par les autorités birmanes Etat de Rakhine). Cette fois, les Rohingya birmans sont la cible d’une campagne de déportation systématique, dont l’objectif semble être qu’elle soit totale et définitive. Une fin de leur monde.
Parcourir la Route n° 1, qui relie Cox’s Bazar à Teknaf, chaque jour à l’aube, s’aventurer dans les sentiers à l’est de la route, marcher dans les collines autour de Gundam, puis dans les rizières, en allant vers le sud, longer les berges de la Naf jusqu’à ce qu’elle se jette dans le golfe du Bengale, offre une idée de ce qui est à l’œuvre à la frontière banglado-birmane. Tous les témoignages concordent : seuls les morts, les blessés agonisants, les disparus – hommes cachés dans la jungle ou enfants perdus en chemin – et quelques vieillards, trop faibles pour entreprendre ce voyage, ne fuient pas la Birmanie.
« Vous avez une minute pour quitter le village ! »
« Partez ! » « Vous avez une minute pour quitter le village ! » « Vous devez tous partir ! » « Partez ou vous allez tous mourir ! » Ce sont les ordres donnés par l’armée birmane aux plus chanceux des Rohingya, ceux qui ont eu droit à des paroles avant les tirs, et qui ne laissent aucun doute sur ce que l’ONU vient de qualifier d’« exemple classique de nettoyage ethnique ». L’expulsion des Rohingya n’est pas nouvelle : avec des pics de violence allant en s’intensifiant depuis vingt-cinq ans, les damnés de Birmanie, dont Rangoun n’a jamais reconnu la citoyenneté, étaient déjà, avant cette crise, la plus grande communauté apatride du monde (la nationalité birmane leur a été supprimée en 1982).
« Partez ou vous allez tous mourir ! » Ce qui semble nouveau, cette fois-ci, c’est l’ambition birmane d’en finir avec la question rohingya. Les témoignages d’hommes s’étant cachés dans la jungle, à l’orée des villages, confirment cet aspect définitif : ceux qui restent derrière les fuyards sont exécutés, et les villages sont systématiquement brûlés.
Les premiers jours, lorsque certains, tapis dans la jungle, hésitaient encore entre prendre la route du Bangladesh et attendre de rentrer éventuellement chez eux, ils étaient traqués soit par les soldats birmans, soit par leurs supplétifs des milices bouddhistes. Une politique de terreur s’est déployée dans les collines, les forêts et les rizières.
Le plus souvent, les Rohingya n’ont pas eu le droit à des paroles. Les unités arrivant dans les villages ont immédiatement ouvert le feu sur les maisons, pendant que les miliciens, armés de mâchettes et de couteaux, pourchassaient les fuyards. Nul besoin d’ordre ni d’explication pour faire comprendre aux communautés qu’elles devaient fuir sans se retourner.
Un matin, à l’aube, Shilkhali et les villages alentour sont incendiés. Les colonnes de fumée sont parfaitement visibles depuis la rive bangladaise de la Naf. Trois heures plus tard, Sayedul Amin et Mohammed Tayeb sont les premiers à arriver à Kanchrapara.
« Les soldats sont arrivés il y a quatre jours et, depuis la nuit dernière, ils brûlent des maisons à intervalles réguliers, raconte Sayedul Amin. Nous étions réfugiés sur la berge de la rivière. Nous avons abandonné à Shilkhali quelques vieillards, qui doivent avoir été tués. Ce matin, ils ont tout incendié derrière nous, et nous avons enfin pu trouver un bateau de pêcheurs pour nous faire traverser la rivière. »
Ensuite, il faut marcher avec de la boue jusqu’au torse, puis longer les rizières pendant cinq kilomètres. Les deux hommes sont exténués. A Kanchrapara, ils vont attendre les autres. « Seuls deux bateaux ont traversé, à cause d’une patrouille navale. Les pêcheurs ont peur. Parfois, l’armée confisque un bateau, ou le heurte pour le couler. Alors les autres attendent sur la berge que la patrouille soit partie. »
Beaucoup sont morts noyés en traversant la Naf à la nage ou à la suite du naufrage de leur embarcation. Une nouvelle colonne de fumée, puis une deuxième, puis une troisième, s’élèvent à l’horizon. Les villages brûlent les uns après les autres, méthodiquement.
Terreur et bain de sang
Vu le flot ininterrompu de réfugiés arrivant au Bangladesh, le nettoyage ethnique semble inexorable. La tâche principale des unités militaires birmanes déployées dans l’Arakan, renforcées par les 33e et 99e bataillons d’infanterie légère, réputés pour leur brutalité (et dont la présence est confirmée par des réfugiés identifiant les insignes de leur uniforme, selon un enquêteur international), est une politique de terreur et de terre brûlée. Les militaires ne poursuivent, par exemple, pas systématiquement les fuyards sur les berges de la Naf. Soit ils ne sont pas assez nombreux, soit ils n’en ont pas reçu l’ordre. La priorité semble être surtout de brûler les villages et de briser tout espoir de retour.
Après l’attaque d’une vingtaine de postes-frontières, le 25 août, par des rebelles de l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan (ARSA) – ayant donné lieu à des combats qui auraient fait, selon Rangoun, une centaine de morts, dont une dizaine de policiers –, l’Etat d’Arakan s’est embrasé. Les tueries et exécutions furent légion les premiers jours.
Le 26 août fut un bain de sang. Les jours qui suivirent aussi. Les unités de combat étaient souvent devancées d’une minute par les soldats des postes voisins des villages, que les Rohingya connaissaient, et dont ils ne s’attendaient pas à ce qu’ils ouvrent le feu sans sommation. D’où l’effet de surprise.
« A Soapran, les soldats sont arrivés le matin du 26 août avec des bouddhistes armés, raconte Mohammed Siddiqi. Ils ont tiré sur les maisons, puis sur les habitants qui s’enfuyaient. J’étais dehors et j’ai couru dans la jungle. Mon fils de 15 ans, une belle-fille de 21 ans et sa fille âgée de 2 mois ont été tués. »
Une fois dans les collines, les villageois se sont regroupés et ont entamé un éprouvant voyage de sept jours. « Pour le moment, nous déplorons 284 disparus. Certains sont peut-être encore en chemin, mais je pense que la plupart ont été tués. » Mohammed Siddiqi attend, dans le camp de réfugiés de fortune d’Unchiparang, le retour de l’hôpital d’un autre fils, un enfant de 9 ans, blessé d’une balle dans la cuisse.
Son fils aîné, Mohammed Jobair, a perdu femme et enfant. « Sans prévenir, sans rien dire, les soldats ont tiré en rafale sur les maisons. Ma femme, qui tenait notre fille contre elle, a reçu une balle qui lui a traversé l’épaule et les a tuées toutes les deux. J’ai couru vers la rizière. Les soldats nous ont poursuivis. J’ai fait le mort dans la boue. Un soldat m’a frappé le corps, puis il est parti. Deux heures plus tard, j’ai vu que le village brûlait. »
Assise de l’autre côté de la route, parce qu’il n’y a plus de place dans le camp de réfugiés improvisé, Sanjida caresse la tête de Salman, âgé de 9 mois, dont le pied droit est brûlé. « A Merullah, ils ont mis le feu aux maisons directement. Le temps de récupérer mon enfant sur sa couche, son pied avait brûlé. » Depuis son arrivée au Bangladesh, Salman n’a reçu aucun soin. Aucune organisation humanitaire n’est présente le long de la route de Teknaf. Sanjida apprend que des soins peuvent être délivrés dans les dispensaires des camps de réfugiés « officiels », créés par les autorités bangladaises après les exodes des années 1990, de Kutupalong et Nayapara. Personne ne le lui a dit.
« Hors de question de rentrer un jour »
Hasina Begum, elle aussi de Merullah, a eu de la chance. Elle a perdu ses deux parents, mais, enceinte de huit mois, elle est parvenue à la fois à fuir et à accoucher ce 26 août. Après la panique et la course éperdue vers la forêt, elle a senti les contractions. « J’ai accouché dans une cabane près de la rivière. » Avec son mari, Abdul Hamid, et leurs désormais trois enfants, ils ont mis deux semaines à rejoindre le Bangladesh. Allongés dans l’herbe au bord d’une rizière, au nord d’Unchiparang, ils sont épuisés et affamés. Hasina a le regard grave et fiévreux. Abdul, lui, sourit d’avoir sauvé les enfants. Le dernier-né n’a pas encore de prénom.
« Il est hors de question de rentrer un jour chez nous. Il n’y a plus rien là-bas. Rien, explique calmement Abdul Kashim, d’Hassorata, qui est arrivé à Teknaf dans la nuit. Mon fils Ibrahim a été touché par une balle pendant que l’on courait, et nous ne l’avons plus revu. Les soldats achèvent les blessés, et on ignore où ils les enterrent ; puis ils brûlent les maisons. Il n’y a plus rien… »
Quelque 370 000 Rohingya ont quitté la Birmanie en deux semaines, selon le Haut-Commissariat pour les réfugiés de l’ONU. Dans les milieux humanitaires, à Cox’s Bazar, l’idée commence à circuler qu’un million de Rohingya birmans va arriver au Bangladesh. La terreur par les exécutions, les viols et les violences, l’étendue géographique des opérations militaires, la destruction systématique des maisons, l’ordre de « partir ou mourir » : ce nettoyage ethnique est d’une ampleur inégalée. Reste à savoir si Rangoun a l’intention d’appliquer cette politique jusqu’au dernier Rohingya.
Rémy Ourdan (de Gundum à Teknaf (frontière banglado-birmane), envoyé spécial)
* LE MONDE | 13.09.2017 à 06h36 • Mis à jour le 18.09.2017 à 14h55 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/09/13/il-n-y-a-plus-rien-la-bas-sur-les-routes-de-la-deportation-des-rohingya-birmans_5184722_3216.html
L’enfer birman, vu par les orphelins rohingya
Parmi les expulsés de Birmanie, près de 200 000 enfants peuplent les camps de réfugiés. Dont au moins un millier de « séparés » qui ont perdu leurs parents pendant les attaques de l’armée.
Au sommet de la vulnérabilité, sur une communauté d’environ 400 000 Rohingya chassés de Birmanie, il y a les enfants. Ils sont environ 200 000, selon l’ONU, échoués dans les camps de réfugiés, au détour des collines, au bord des routes et des rizières du Bangladesh. Parmi eux, il y a les orphelins. Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) en a identifié, à la date du 12 septembre, 1 128. Leurs parents sont morts ou ont été portés disparus lors de la fuite du pays. Ces enfants-là, l’ONU les appelle « les séparés ».
Dans le camp de réfugiés de Kutupalong, en ce jeudi 14 septembre qui clôt la troisième semaine de l’exode forcé des Rohingya de Birmanie, une cinquantaine de séparés jouent à des jeux de société avec deux animateurs, des trentenaires rohingya eux-mêmes, réfugiés depuis leur enfance au Bangladesh.
Tous acceptent de parler
A la question de savoir s’ils souhaitent raconter leur histoire, et la séparation d’avec leurs parents, tous répondent qu’ils sont d’accord pour parler. Les entretiens se déroulent hors de la présence d’animateurs ou de parents éloignés pouvant les influencer ou répondre à leur place, comme c’est parfois la tentation des adultes. Lucidement, calmement, avec leurs mots simples, les orphelins rohingya racontent l’enfer birman.
Hanun, 7 ans : « On a quitté notre village à cause de la guerre. Les soldats ont tiré sur les maisons. Nous étions tous vivants et nous sommes arrivés à la rivière. Mes parents m’ont ordonné de traverser avec mon oncle sur un bateau. Eux ont pris le bateau suivant. Ils ne sont pas arrivés ici. Mon oncle m’a dit qu’ils étaient morts noyés. »
Ommal Haras, 10 ans : « Ma mère est morte il y a plusieurs années de maladie, je ne sais pas quand exactement. Lorsque les militaires ont bombardé puis sont entrés dans mon village, on s’est enfuis avec mon père et mon frère de 12 ans. On a marché huit jours jusqu’à la rivière [la Naf, qui sépare la Birmanie et le Bangladesh]. On a attendu une journée un bateau de pêcheur. Au milieu de la traversée, une patrouille navale [de l’armée birmane] a tiré sur le bateau. Il y a eu quatre morts, dont mon père qui ne savait pas nager, et le pêcheur aussi, tué par les tirs. Je suis resté accroché au mât, qui dépassait de l’eau, avec mon frère. Puis un autre bateau est passé par là et nous a emmenés au Bangladesh. »
Erfan, 14 ans : « J’ai été séparé de mes parents dès que les militaires ont bombardé mon village [au mortier]. Je me suis enfui avec mon grand-père. Je ne sais rien de mes parents, je ne sais pas s’ils sont vivants ou morts. J’espère les revoir un jour. »
« J’étais là, j’ai vu »
Noorana, 12 ans : « Je lavais du riz dans le canal avec deux de mes sœurs pour faire la cuisine quand les militaires sont arrivés. Je n’ai pas vu ce qu’il s’est passé chez moi. Nous nous sommes cachées dans la boue du canal, puis nous avons nagé jusqu’à l’extérieur du village. Des voisins, qui nous ont ensuite emmenées ici, nous ont dit que des membres de ma famille ont été tués : mes parents, trois frères et six sœurs. »
Abu Ansar, 9 ans : « Mes parents ont été tués par des soldats très brutaux. Ils ont été égorgés au couteau. J’étais là, j’ai vu. Les soldats n’ont rien dit. Je suis parti avec ma sœur. Nous avons marché à travers les collines jusqu’au Bangladesh. »
Sofin Ara, 9 ans : « Les militaires ont bombardé mon village avec des hélicoptères, puis ils sont venus et ont tiré sur les gens. Des soldats sont entrés dans ma maison, et je les ai vus égorger mes parents avec des couteaux. Ils n’ont pas dit un mot. Je crois qu’ils font ça pour qu’on quitte le pays. Je me suis enfuie jusqu’ici avec ma grand-mère et ma sœur. »
Estopa, 12 ans : « Je vivais avec mes parents, mes deux frères et mes six sœurs. Un soldat a égorgé mon père devant nous. Quand ma mère a crié et protesté, il l’a tuée d’une balle. Puis des soldats ont tué deux frères, eux aussi égorgés au couteau, et deux sœurs. Je ne comprends pas pourquoi ils ont soudainement attaqué nos maisons. Je suis venue ici avec les sœurs qui ont survécu. »
Mohammed Hasan, 13 ans : « Les militaires sont arrivés dans le village et ils sont entrés dans ma maison. Un soldat silencieux a égorgé mon père et a tiré sur ma mère. Ensuite les soldats ont violé ma sœur, puis l’ont tuée d’un coup de feu. Mon grand-père a été tué aussi. Après je suis parti avec ma grand-mère. »
« Plutôt mourir que retourner un jour en Birmanie »
Ces huit témoignages d’enfants sont représentatifs des récits recueillis au sein de cette communauté des séparés du camp de Kutupalong. Ils ne disent rien d’autre que la réalité brute. Aucun enfant n’avance de théorie sur la raison de ces violences. Pourquoi d’ailleurs devraient-elles être compréhensibles, ou explicables ?
Pour sortir ensuite du cauchemar, la discussion se porte sur les éventuels rêves et projets d’avenir. Certains enfants prennent un air grave, voire désespéré, comme si l’avenir était désormais une notion toute relative. D’autres sourient, soulagés peut-être de changer de sujet.
Hanun veut « être livreur pour gagner de l’argent ». Ommal Haras « préfère mourir plutôt que retourner un jour en Birmanie » et voudrait « devenir docteur, pour soigner les gens ». Erfan voudrait aussi « être livreur », et en tout cas « travailler dur, car personne ne [l]’aidera ». Noorana dit n’avoir « aucun rêve ». Sofin Ara pense devenir « une dame », tandis qu’Estopa voudrait « rentrer à la maison », s’il n’y avait pas « la peur ».
Mohammed Hasan, lui, a décidé qu’il veut « étudier le plus possible » : « Je voudrais devenir un professeur, pour éduquer tous les enfants. » Et comme tous les autres séparés à part Estopa, il dit « ne pas vouloir rentrer en Birmanie » : « On n’a plus de parents, mais on n’a plus non plus de maison, de toute façon. »
Rémy Ourdan (camp de Kutupalong (Ukhia), Bangladesh, envoyé spécial)
* LE MONDE | 15.09.2017 à 06h37 • Mis à jour le 15.09.2017 à 15h32 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/09/15/l-enfer-birman-vu-par-les-orphelins-rohingya_5185909_3216.html
Bangladesh : la tragédie humanitaire des réfugiés rohingya
Les centaines de milliers de musulmans victimes d’un nettoyage ethnique en Birmanie vivent un enfer au Bangladesh voisin. Les lieux d’accueil sont limités et difficiles d’accès.
C’est une « île ». Une drôle d’île, un bout de continent envahi par les eaux. La route n° 1, qui traverse la péninsule de la région de Cox’s Bazar, au sud du Bangladesh, entre le fleuve Naf et le golfe du Bengale, allait auparavant jusqu’à Shah Porir Dwip, un port de pêcheurs et de trafiquants. Désormais, dix kilomètres au sud de Teknaf, elle s’amenuise peu à peu, le bitume suinte puis s’effrite, jusqu’à disparaître. Ni la route ni les digues n’ont été entretenues. Il faut parcourir les 600 derniers mètres de ce qui fut une route nationale à pied, en file indienne. C’est en bateau que l’on rejoint ensuite Shah Porir Dwip.
Près du port, commerçants et bandits, bangladais comme rohingya installés là depuis d’anciens exodes, règnent sur tout ce qui traverse le fleuve Naf. Ils affrètent des embarcations destinées à acheminer les biens des réfugiés birmans les plus prospères, vaches et chèvres ou stocks de riz, qu’ils achètent au plus bas prix sans que le propriétaire, déraciné, menacé s’il le faut, ait de marge de négociation.
Un famille prépare le déjeuner dans un abri de fortune dans le camp de Kutupalong.
Sur la plage, parsemée de carcasses de vaches mortes noyées pendant la traversée, trois familles sortent d’un bateau. Sur l’autre rive, côté birman, une colonne de fumée s’élève dans le ciel : leur village brûle. L’armée birmane veille à ce que la déportation des Rohingya, en dépit des promesses d’Aung San Suu Kyi, ait un caractère définitif. Le pêcheur birman repart vite vers l’autre berge de la Naf, où des milliers de musulmans candidats à l’exil attendent encore une embarcation. Après une traversée « facturée » 5 000 à 10 000 takas par personne (50 à 100 euros), le voyage est loin d’être terminé. A partir de Shah Porir Dwip, une autre épreuve commence.
« Nous n’avons aucun pays, ni là-bas ni ici »
Près d’un demi-million de Rohingya birmans sont arrivés au Bangladesh depuis le 25 août. Ils ont vécu l’enfer de la violence dans leurs villages, puis un voyage éprouvant à travers la jungle et les rivières. Ensuite, outre le souvenir des morts et des disparus, des blessures et des viols, outre un abîme de détresse et la morsure de l’exil, ils affrontent une tragédie. Au Bangladesh, ils n’en ont pas fini avec la souffrance.
Rarement, pour un tel flot de réfugiés passant de la guerre à un pays en paix, le désert humanitaire n’a été aussi criant. Il faut chercher dans l’histoire récente des conflits, dans les recoins les plus abandonnés de la planète – notamment en Afrique et là où des réfugiés arrivent dans une zone elle-même encore en guerre – pour trouver un tel abandon. Et maintenant qu’une réponse humanitaire semble fragilement s’amorcer, c’est le ciel qui s’est, durant quelques jours, acharné sur les damnés de Birmanie.
A ce moment charnière entre la fin des moussons et l’arrivée de l’hiver, les camps de fortune et les abris ont été envahis par les eaux. Dans un camp improvisé, non loin de Balukhali, aucune tente n’est plus au sec. Les eaux ont débordé des rizières ou dévalé la pente de la colline. Entre le camp et la route, les adultes marchent dans la boue jusqu’à la taille, leurs enfants dans les bras, pour aller chercher des provisions. Un homme est immobile. On ne sait s’il est paralysé face aux remous de cette rivière de pluie ou par la fièvre qui se lit dans son regard désemparé et agite son corps frêle et grelottant.
L’accueil des réfugiés par le Bangladesh est paradoxal. Il y a une empathie spontanée, une solidarité villageoise, une mobilisation d’associations islamiques et une aide de certains notables. Mais tout cela s’accompagne d’une dureté des autorités gouvernementales et provinciales, une absence de coordination humanitaire pendant les trois premières semaines, et un refus de se dire que ces réfugiés sont peut-être au Bangladesh pour longtemps. « Nous n’avons aucun pays, ni là-bas ni ici », constate Abdul Rahman, avec un sourire mêlant ironie et désespoir.
C’est ainsi que la plupart des exilés ont vécu une vingtaine de jours au bord des routes et des chemins, dans le dénuement le plus total. Pour des raisons politiques, les pourtant très efficaces membres de Médecins sans frontières, d’Action contre la faim et autres ONG, de même que les agences de l’ONU – HCR (réfugiés), OIM (migrants), Unicef (enfants), PAM (alimentation) –, ne peuvent opérer que dans les camps bangladais « officiels », comme à Kutupalong. Les humanitaires sont donc absents des points de passage et d’arrivée des déportés. Ils ne portent pas assistance aux bords des routes. C’est aux Rohingya exténués, affamés, et privés de la moindre information, de trouver le chemin d’un hôpital ou d’un camp où un minimum d’alimentation et de soins sont accordés.
1 400 orphelins parmi les réfugiés
Les trois premières semaines furent ainsi celles du chaos, du dénuement et de la misère. Des familles entières ont vécu sur des terres alternativement poussiéreuses et boueuses, selon les jours de soleil implacable ou de pluies torrentielles. Et la moitié des réfugiés sont des enfants particulièrement vulnérables (250 000 dont 1 400 orphelins, selon l’Unicef), malnutris, vivant à même le sol, avec au mieux un arbre ou une bâche en plastique pour se protéger des intempéries.
Après avoir quitté Shah Porir Dwip et rejoint par bateau la route n° 1 qui, en passant par Teknaf, mène au nord jusqu’à Ukhia, limite au-delà de laquelle les Rohingya de l’actuel exode sont bannis, les réfugiés cherchent le moyen de rallier les camps situés autour de Kutupalong. C’est là que les nouveaux arrivants rejoignent leurs aînés des exodes de 1991-1992, de 2012, 2015 et de l’automne 2016.
Les associations islamiques de la capitale bangladaise, Dacca, et de la province de Chittagong, ainsi que, récemment, des organisations de Turquie et de pays musulmans d’Asie et du Golfe, s’activent pour leur venir en aide. Toutefois, à part de précieux sacs de riz, certains volontaires en tunique blanche immaculée jettent des camions des vêtements si misérables et déchirés que les Rohingya les utilisent davantage pour s’isoler du sol ruisselant que pour se vêtir. Et si, parfois, des imams s’arrêtent, c’est le temps d’une prière et d’une distribution de corans qui ne semblent guère être la préoccupation principale des réfugiés, même si ces villageois sont de pieux croyants.
La police bangladaise, appuyée à certains checkpoints par l’armée, a entrepris depuis quelques jours, à la suite d’une visite dans la région de la première ministre, Sheikh Hasina, et à des ordres de Dacca, de forcer les arrivants à rejoindre les camps de réfugiés officiels, déjà surpeuplés. Les camps de fortune sont anéantis les uns après les autres, comme pour orienter leurs occupants dans la bonne direction et éviter qu’ils ne restent trop longtemps au même endroit.
Près de Balukhali, un jour où la police n’est pas encore passée, ce sont des villageois bangladais qui veulent chasser les Rohingya d’un camp de fortune installé sous des arbres. « Ils nous ont donné jusqu’à midi pour quitter les lieux, sinon ils disent qu’ils viendront nous frapper, parce que ce terrain est boisé. Ils craignent que, si nous restons ici, ces forêts ne soient annexées par l’administration pour bâtir un camp, et qu’ils ne puissent plus couper et vendre le bois », raconte Sanjida, une mère de famille qui ne sait pas si ses trois enfants dormiront sous une tente le soir.
A la lisière forestière du camp de Kutupalong, où les réfugiés sont au contraire fermement conviés à s’installer, ce ne sont pas des villageois mais des éléphants qui ont semé la terreur. Probablement dérangés dans leur environnement naturel par cet afflux soudain de population, ils ont attaqué des familles durant la nuit : deux morts, neuf blessés. Quand le sort s’acharne…
« J’essaie d’aider les réfugiés, ce n’est pas toujours facile… »
« La coordination humanitaire entre le gouvernement, les agences de l’ONU et les ONG démarre enfin, même si nous avons du retard et manquons de ressources et de personnel, raconte Reza, le coordinateur bangladais du camp de Kutupalong. Nous allons étendre Kutupalong vers Madhuchara. Cela va devenir l’un des plus grands camps de réfugiés au monde. L’ONU s’est mise au travail… Bon, cela dit, elle n’amène que deux cents tentes par jour. » A ce rythme-là, il faudrait un an pour loger ceux qui sont déjà arrivés, sans compter qu’un autre demi-million de Rohingya pourraient débarquer si l’offensive militaire birmane dans l’Arakan se poursuivait avec le même objectif d’une déportation radicale et rapide.
Le camp des arrivants sera distant de la route principale, au-delà des rizières, d’environ quatre kilomètres. Les réfugiés s’en inquiètent : ils craignent de ne plus avoir accès aux dons ni aux activités de la région. En dépit d’un discours empathique de Dacca et de l’ordre donné de commencer enfin à enregistrer les réfugiés, on devine une volonté bangladaise d’éloigner les parias rohingya de la route et des villages. Ce sera la pérennisation du cauchemar, un peu plus loin des yeux d’un monde déjà fort indifférent.
A Shah Porir Dwip, le chef du village, Fazlul Haqui, un respectable pharmacien, souffle un peu depuis que les arrivées ont été entravées par le déluge de pluie qui a rendu la Naf plus dangereuse à traverser. « J’essaie d’aider les réfugiés, ce n’est pas toujours facile… » Il donne parfois des médicaments, ou prodigue des conseils afin de rejoindre le continent.
Au bord de cette île dont l’extrémité nord tombe abruptement dans l’eau, là où la route reliait auparavant le village au reste du monde, les pêcheurs attendent les réfugiés. Cette seconde traversée est nettement plus brève que celle de la Naf, et ne coûte que 100 takas (1 euro) par personne sur un bon canot à moteur. Et même moins sur une barcasse en bois. Des drames s’y déroulent pourtant, comme si le long voyage des Rohingya vers une relative et misérable quiétude ne devait leur épargner aucune épreuve. L’autre jour, une femme a perdu son bébé dans l’eau brunâtre. Le pêcheur devenu passeur n’a même pas arrêté son bateau. De toute façon, nul à bord n’aurait plongé, paraît-il, aucun ne savait nager. Tremblante de douleur, serrant son aîné dans ses bras, la mère est arrivée sur la berge en hurlant sa détresse.
Rémy Ourdan (de ShahPorir Dwip à Ukhia (frontière banglado-birmane), envoyé spécial)
* LE MONDE | 22.09.2017 à 05h50 • Mis à jour le 22.09.2017 à 10h33 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/09/22/refugies-rohingya-un-chaos-humanitaire-total_5189328_3216.html
Comprendre la crise des Rohingya en Birmanie
L’ONU estime que près de 379 000 personnes ont fui le pays depuis fin août. Le Conseil de sécurité a réclamé à la Birmanie d’agir pour faire cesser une « violence excessive » contre les Rohingya.
En près de deux semaines, ils sont quelque 379 000 Rohingya à avoir fui la Birmanie pour trouver refuge au Bangladesh, échappant ainsi aux violences qui frappent l’Etat d’Arakan (appelé Rakhine par le gouvernement). Quelle est l’origine de cette crise qui dure depuis des dizaines d’années ?
D’où viennent les Rohingya ?
Un peu plus d’un million de Rohingya vivent actuellement dans l’Etat d’Arakan, dans le nord-ouest de la Birmanie. Ces musulmans sunnites vivent dans un pays où plus de 90 % des 52 millions d’habitants sont bouddhistes.
Comme le rappelle Le Monde diplomatique, certains historiens considèrent que les Rohingya descendent de commerçants et de soldats arabes, mongols, turcs ou bengalis convertis à l’islam au XVe siècle.
Dans le pays, l’origine même du nom de « Rohingya » est controversée. Les historiens birmans soutiennent que personne n’en avait entendu parler avant les années 1950. Ceux-ci renforcent la position du gouvernement, qui estime que les Rohingya sont arrivés au moment de la colonisation britannique, à la fin du XIXe siècle, et qu’ils sont donc des émigrés illégaux du Bangladesh voisin.
Apatrides depuis 1982, victimes de nombreuses restrictions
Une loi de 1982 instaurée par la dictature militaire a rendu les Rohingya apatrides. Ils n’ont pas été reconnus comme faisant partie des cent trente-cinq ethnies répertoriées en Birmanie. Aujourd’hui encore, le gouvernement birman ne reconnaît que les « races nationales », celles présentes dans le pays avant l’arrivée des colons britanniques, en 1823.
Selon un rapport de la Commission européenne, mis à jour en mai, « il existe des tensions de longue date » entre les Rohingya et « la communauté bouddhiste du Rakhine », et « la ségrégation communautaire [y est] institutionnalisée ». Le document met en avant de nombreuses restrictions auxquelles les minorités musulmanes doivent se plier :
« Ils ne peuvent pas voyager sans autorisation, ni travailler en dehors de leurs villages, ni même se marier sans l’autorisation préalable des autorités, et n’ont pas accès en suffisance à la nourriture, aux soins de santé et à l’éducation. »
Le document européen ajoute qu’« en conséquence de la limite du nombre d’enfants autorisés pour les couples rohingya, des milliers d’enfants se retrouvent sans certificat de naissance car ils n’ont pas été déclarés ».
La privation de droits ne s’arrête pas là. Les Rohingya ont été officiellement interdits de vote lors des dernières élections générales de novembre 2015 et « n’ont eu droit à aucune représentation politique ».
Pourquoi cette crise revient-elle au cœur de l’actualité ?
Une nouvelle flambée de violences dans l’Etat d’Arakan, souvent en proie à des troubles, a commencé après l’attaque d’une vingtaine de postes-frontières, le 25 août, par des rebelles de l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan (ARSA), faisant douze morts dans les rangs des policiers. Ce groupe rebelle a émergé récemment, face à l’absence d’avancées sur le dossier de la minorité musulmane. Ces attaques ont déclenché une répression de l’armée et fait plus de quatre cents morts, pour la plupart des Rohingya, selon l’armée. L’ONU évoque plus de mille morts.
« Cette fois, les Rohingya birmans sont la cible d’une campagne de déportation systématique, dont l’objectif semble être qu’elle soit totale et définitive. Une fin de leur monde », rapporte Rémy Ourdan, envoyé spécial du Monde à la frontière banglado-birmane. « Ceux qui restent derrière les fuyards sont exécutés, et les villages sont systématiquement brûlés », dit-il encore.
Le haut-commissaire de l’ONU aux droits humains, Zeid Ra’ad Al Hussein, a déclaré que « la situation sembl[ait] être un exemple classique de nettoyage ethnique » :
« Nous avons reçu de multiples rapports et des images satellitaires montrant des forces de sécurité et des milices locales brûlant des villages rohingya, et des informations cohérentes faisant état d’exécutions extrajudiciaires, y compris de tirs sur des civils en fuite. »
Les rebelles rohingya ont déclaré, dimanche 10 septembre, un cessez-le-feu unilatéral d’un mois, mais le gouvernement birman a répondu qu’il ne négociait pas avec des « terroristes ».
Quels sont les précédents épisodes de violence ?
En 2012, des violences intercommunautaires avaient déjà éclaté dans l’Etat d’Arakan, faisant plus de deux cents morts, principalement parmi les musulmans. Des milliers d’entre eux durent alors quitter leur domicile. Plus de cent quarante mille personnes avaient fui cette année-là et cent vingt mille sont toujours déplacées quatre ans après les faits, vivant dans des camps de misère.
Dans un rapport de 2013, l’ONG Human Rights Watch accusait déjà les autorités birmanes, des membres de groupes arakanais et des moines bouddhistes d’avoir commis des crimes contre l’humanité en menant « des attaques coordonnées contre des quartiers et des villages musulmans en octobre 2012, afin de terroriser la population et de la déplacer de force ». L’organisation estime que les autorités birmanes avaient participé à la destruction de mosquées, lancé des vagues d’arrestations accompagnées de violences et bloqué l’accès des organismes d’aide humanitaire aux personnes déplacées.
Entre 2014 et 2015, « quelque quatre-vingt-quatorze mille personnes (pour beaucoup, des Rohingya) ont fui dans l’irrégularité, à bord d’embarcations précaires, finissant souvent entre les mains de trafiquants et de l’esclavage moderne », rappelle aussi la Commission européenne.
En octobre 2016, une série d’attaques contre des postes-frontières à proximité du Bangladesh fit neuf morts parmi les policiers. Ces attentats, revendiqués par l’ARSA, avaient déclenché une vaste opération de l’armée. Les activités humanitaires avaient alors été suspendues et plus de soixante-quatorze mille Rohingya avaient fui leur village vers le Bangladesh, accusant les forces de sécurité de multiples exactions. C’est le même scénario qui se répète depuis la fin du mois d’août, de façon décuplée.
Où fuient les Rohingya ?
Les Rohingya se sont enfuis en masse à plusieurs reprises au Bangladesh, en Malaisie ou en Indonésie, pour échapper à la répression de la junte birmane alors au pouvoir — notamment en 1978 et en 1991-1992. Plusieurs centaines de milliers de Rohingya vivent encore aujourd’hui dans les camps de réfugiés au Bangladesh, dans une misère absolue. Dans ce pays, ils restent considérés comme des immigrés illégaux.
Aujourd’hui, les Rohingya fuient encore massivement le pays par la mer pour rejoindre la Malaisie, formant le plus grand exode de la région depuis la fin de la guerre du Vietnam.
En mai, la Commission européenne estimait que trois cent mille à cinq cent mille Rohingya vivaient dans des camps de fortune au Bangladesh, en plus des trente-trois mille établis dans deux camps officiels gérés par l’ONU, à Nayapara et à Kutupalong. Depuis le 25 août, l’ONU estime que ce sont trois cent soixante-dix-neuf mille personnes supplémentaires qui ont fui la Birmanie pour le Bangladesh.
Que fait la communauté internationale ?
A la demande du Royaume-Uni et de la Suède, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni mercredi 13 septembre pour évoquer ce dossier, malgré la résistance de la Chine, principal partenaire économique de la Birmanie. A l’issue de cette réunion a huis clos, le Conseil de sécurité a réclamé « des pas immédiats » de la part du gouvernement birman pour faire cesser « une violence excessive ».
Mardi, Pékin a réitéré son « soutien » à la Birmanie et aux « efforts » des autorités birmanes pour « préserver la stabilité » dans l’ouest du pays.
Des dirigeants de pays à majorité musulmane, dont le Bangladesh, l’Indonésie, la Turquie et le Pakistan, ont exhorté Naypyidaw [capitale du pays depuis 2005] à mettre fin aux violences dans l’Etat d’Arakan. En visite dans les camps de réfugiés, la première ministre bangladaise, Sheikh Hasina, a affirmé que c’était à la Birmanie de « résoudre » cette crise.
Que répond le gouvernement birman ?
Face à une crise sans précédent, le silence de Mme Aung San Suu Kyi, conseillère spéciale de l’Etat et porte-parole de la présidence, passe mal auprès de la communauté internationale. Pressée de réagir, la Prix Nobel de la paix a préféré annuler un déplacement pour l’Assemblée générale de l’ONU prévu à la fin de septembre. Celle-ci a cependant annoncé qu’elle s’adresserait à la nation birmane dans une allocution télévisée le 19 septembre pour « parler de réconciliation nationale et de paix ».
L’an dernier, à la tribune des Nations unies, Mme Aung San Suu Kyi, qui dirige de facto le gouvernement birman depuis avril 2015, avait pourtant promis de soutenir les droits des Rohingya.
Sa tâche est notamment compliquée par la montée de bouddhistes extrémistes ces dernières années et par la grande autonomie de l’armée birmane, qui reste toute puissante dans cette zone de conflit.
Romain Geoffroy
* LE MONDE | 13.09.2017 à 19h42 • Mis à jour le 18.09.2017 à 15h13 :
http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/09/13/tout-comprendre-a-la-crise-des-rohingya-en-birmanie_5185226_4355770.html
Le Bangladesh réclame des zones de sécurité supervisées par l’ONU en Birmanie
L’envoi d’une mission de l’ONU en Birmanie a également été requis par la première ministre, Sheikh Hasina. Le Bangladesh accueille actuellement 800 000 Rohingya.
La première ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, a réclamé jeudi 21 septembre devant l’Assemblée générale des Nations unies l’envoi d’une mission de l’ONU en Birmanie. Elle a également demandé la création « de zones sûres » dans ce pays « supervisées par les Nations unies », pour permettre un retour de la minorité musulmane rohingya.
« Nous [en] accueillons actuellement 800 000 », a précisé la première ministre. « La Birmanie doit cesser le nettoyage ethnique », a-t-elle ajouté, en précisant condamner « dans le même temps tout extrémisme violent ». Les autorités birmanes ont justifié leurs opérations militaires dans l’ouest birman par des violences provoquées par des extrémistes musulmans.
La première ministre du Bangladesh a aussi dénoncé la « pose de mines terrestres le long de la frontière » entre la Birmanie et le Bangladesh, par les autorités birmanes, « pour empêcher les retours » de Rohingya ayant fui l’Ouest birman.
Le Bangladesh, un des plus grands camps de réfugiés du monde
Mardi, la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi avait assuré que la Birmanie était « prête » à organiser le retour des plus de 410 000 Rohingya réfugiés au Bangladesh voisin, se disant « profondément désolée » pour les civils « pris au piège » de la crise.
Prises à la gorge par l’afflux de réfugiés au Bangladesh et cibles d’attaques en Birmanie, les organisations humanitaires peinaient jeudi à venir en aide aux centaines de milliers de réfugiés rohingya, victimes, selon le président français Emmanuel Macron, d’un « génocide ».
En trois semaines, le sud du Bangladesh, frontalier de la Birmanie, s’est transformé en un des plus grands camps de réfugiés du monde à mesure que les réfugiés rohingya fuient la Birmanie, entraînant une dégradation de la situation humanitaire. L’ONU a plusieurs fois dénoncé une « épuration ethnique » menée par la Birmanie, provoquée par une vaste opération de représailles de l’armée après des attaques de rebelles rohingya le 25 août.
Le Monde.fr avec AFP
* Le Monde.fr | 22.09.2017 à 04h08 • Mis à jour le 22.09.2017 à 07h28 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/09/22/a-l-onu-le-bangladesh-reclame-des-zones-de-securite-supervisees-par-l-onu-en-birmanie_5189319_3216.html
Le Bangladesh demande à la Birmanie de réadmettre les réfugiés rohingya
Le Bangladesh, pays parmi les plus pauvres de la planète, est submergé par l’arrivée de 420 000 réfugiés musulmans rohingya qui fuient le conflit de l’ouest de la Birmanie.
« Nous avons dit à la Birmanie : “ils sont vos citoyens, vous devez les reprendre, assurer leur sécurité, les abriter, il ne devrait y avoir ni oppression ni torture” », a déclaré la première ministre lors d’une rencontre mardi soir avec ses compatriotes à New York.
La première ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, a renouvelé, mercredi 20 septembre, son appel à la Birmanie à réadmettre les réfugiés rohingya, dont plus de 420 000 ont fui les violences dans ce pays à majorité bouddhiste depuis la fin août.
Son pays, parmi les plus pauvres de la planète, est submergé par une marée humaine de réfugiés musulmans rohingya qui y trouvent abri pour fuir le conflit de l’ouest de la Birmanie voisine.
Mme Hasina se trouve cette semaine à New York pour assister à l’Assemblée générale des Nations unies et doit s’exprimer jeudi à la tribune. « Nous avons dit à la Birmanie : “ils sont vos citoyens, vous devez les reprendre, assurer leur sécurité, les abriter, il ne devrait y avoir ni oppression ni torture” », a déclaré la première ministre lors d’une rencontre mardi soir avec ses compatriotes à New York, selon des propos rapportés par les médias bangladais.
Malgré les efforts diplomatiques pour assurer le rapatriement de Rohingya en Birmanie, qui les considère comme des étrangers, « le gouvernement birman ne répond pas aux appels. A la place, la Birmanie dispose des mines antipersonnel le long de la frontière pour empêcher le retour des Rohingya dans leur pays natal », a déploré Sheikh Hasina.
Plus tôt dans la journée, la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi s’était dite « prête » à un retour de réfugiés rohingya, mais selon des critères qui restaient ambigus.
Le Monde.fr avec AFP
* Le Monde.fr | 20.09.2017 à 08h54 • Mis à jour le 20.09.2017 à 11h56 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/09/20/le-bangladesh-demande-a-la-birmanie-de-readmettre-les-refugies-rohingya_5188215_3216.html
Crise des Rohingya : l’épineuse gestion de Facebook, massivement utilisé en Birmanie
Des militants de la cause rohingya dénoncent une modération à deux vitesses dans un contexte extrêmement tendu.
Des publications supprimées, des comptes suspendus… Plusieurs défenseurs de la cause des Rohingya, minorité musulmane de Birmanie victime d’exactions et contrainte à un exode de masse, se plaignent depuis plusieurs semaines d’une modération à sens unique de leurs publications sur Facebook.
Dans un long article publié par le site d’information américain The Daily Beast, plusieurs d’entre eux expliquent avoir vu leurs messages inexplicablement supprimés, ou encore être la cible de messages haineux qui passent les filtres de la modération de Facebook. La plupart n’accusent pas Facebook directement de censure, mais affirment faire l’objet de campagnes concertées de signalements abusifs ou d’insultes sur le réseau social, et s’estiment victimes d’une modération à deux vitesses.
De son côté, Facebook affirme se contenter d’appliquer les mêmes principes que dans tous les pays. « N’importe qui peut signaler un contenu s’il estime qu’il viole nos règles. Peu importe combien de fois un message est signalé, il sera traité de la même manière. En réaction à ce qui se passe actuellement en Birmanie, nous prêtons une attention toute particulière à l’analyse des messages [signalés dans le pays] », écrit l’entreprise dans un communiqué.
Facebook reconnaît que sa modération n’est pas parfaite et que ses équipes commettent des erreurs, et dit appliquer sa politique standard en matière de contenus choquants en Birmanie : les images documentant des violences ou les dénonçant sont autorisées, pas celles en faisant l’apologie ou publiées uniquement dans le but de choquer.
« En Birmanie, Internet, c’est Facebook »
La situation est devenue plus complexe encore à partir de fin août, lorsque le gouvernement birman a placé l’Arakan Rohingya Salvation Army (ARSA), une organisation de défense des Rohingya accusée par Naypyidaw (capitale du pays depuis 2005) d’avoir commis plusieurs attentats et enlèvements, sur sa liste des groupes terroristes. A la même période, Facebook a également ajouté l’ARSA à sa liste des « organisations dangereuses », interdites de publication sur le réseau social.
Facebook affirme que sa décision n’est pas liée à une demande du gouvernement birman, mais à sa propre analyse et à l’application des règles internes du réseau qui prohibent les groupes « violents ». Le choix a cependant été salué par le porte-parole d’Aung San Suu Kyi, qui a incité – sur Facebook – les citoyens birmans à signaler massivement les messages de soutien à l’organisation.
Peut-être plus encore qu’ailleurs, le premier réseau social au monde se trouve placé dans une étrange position d’arbitre. En Birmanie, Facebook occupe une place un peu particulière. Très utilisé dans le pays – la quasi-totalité des adultes ayant accès à Internet a un compte Facebook – le réseau social joue un rôle majeur dans la diffusion d’informations.
Dans ce pays où la censure de la presse, particulièrement forte, ne s’est adoucie que depuis quelques années, les Birmans ont adopté Facebook à très grande vitesse, au fur et à mesure que les réseaux mobiles se sont développés. Ils s’en servent pour tout, depuis la communication quotidienne jusqu’aux mouvements de solidarité pour les victimes de catastrophes naturelles. « En Birmanie, Internet, c’est Facebook », résumait en janvier David Madden, créateur d’un laboratoire d’innovation numérique, cité par NBC News.
« Si vous demandez aux Birmans s’ils ont une adresse e-mail, ils vous répondront par la négative, détaille un ingénieur en informatique travaillant depuis plusieurs années en Birmanie. Et pourtant, pour se connecter à Facebook, il en faut bien une. En fait, il existe en Birmanie des boutiques qui proposent, pour des sommes modiques, de vous créer un compte Facebook et de le configurer sur votre smartphone. Ces boutiques utilisent des adresses e-mail créées pour l’occasion, mais dont les identifiants ne sont jamais partagés aux utilisateurs… par faute d’intérêt. » De manière étonnante, une bonne partie des très nombreux fournisseurs d’accès à Internet locaux ne disposent pas de site web, et sont uniquement présents sur Facebook.
Le pays reste tout en bas du classement de l’ONG Reporters sans frontières pour la liberté de la presse mais il ne fait plus partie des pays classés comme « ennemis d’Internet » par Facebook.
Sans surprise, et malgré une plus grande ouverture depuis 2012, le gouvernement birman garde donc un œil très attentif à ce qui se passe sur le réseau social. En 2014, une rumeur faisant état du viol d’une bouddhiste par un musulman à Mandalay s’était diffusée très rapidement sur Facebook, et avait provoqué des émeutes qui avaient fait plusieurs morts. Le réseau social avait alors été coupé durant le couvre-feu imposé par l’armée. Mais s’il était très lourdement censuré par la junte militaire avant 2011, comme la presse, le Web ne fait plus aujourd’hui l’objet de blocages de masse.
« Techniquement, la situation de l’Internet en Birmanie est très saine. Il n’y a pas de grand firewall comme en Chine, ou de système d’écoute sophistiqué, détaille un bon connaisseur de l’infrastructure technique eu pays. Internet en Birmanie est beaucoup plus libre qu’il ne peut l’être en Chine, ou même chez son voisin thaïlandais où une liste noire de sites bloqués est appliquée en permanence. »
Le rapport 2016 de l’ONG Freedom House notait que « depuis la levée de la censure systématique des médias en 2012, les contenus politiques sur Internet semblent quasi universellement accessibles, et même les contenus comme la pornographie ne sont pas bloqués ». Une dose de liberté qui n’est pas sans limites : fin 2015 et début 2016, au moins cinq personnes ont été interpellées pour avoir publié des messages ou des photographies insultant ou se moquant d’élus ou de militaires. Mais alors que le pays reste tout en bas du classement de l’ONG Reporters sans frontières pour la liberté de la presse, à la 136e place, il ne fait plus partie depuis 2014 des pays classés comme « ennemis d’Internet » par l’organisation.
Un contexte local très compliqué
Pour Facebook, les problèmes ne viennent donc pas tant d’un risque de blocage étatique que de la complexité du contexte local. La Birmanie a également été l’un des endroits où le réseau social a vu les limites de ses outils de modération semi-automatisée – sur Facebook, les messages ne peuvent être supprimés que par des modérateurs humains, mais l’entreprise a recours à de nombreux outils d’analyse statistique et sémantique pour prioriser et classer les signalements qui lui parviennent.
Dans un long message évoquant la difficulté de la tâche et publié fin juin, Richard Allan, vice-président de Facebook, expliquait avoir été confronté à un problème particulier en Birmanie concernant le terme kalar, utilisé depuis quelques années en argot pour désigner un musulman de manière péjorative, mais qui figure aussi dans de nombreuses expressions tout à fait innocentes.
« Nous avons regardé la manière dont l’utilisation de ce mot évoluait, et décidé que notre politique devait être de le supprimer uniquement lorsqu’il est utilisé pour attaquer une personne ou un groupe. Nous avons eu du mal, ces derniers temps, à appliquer correctement cette règle, notamment parce que le contexte n’est pas toujours simple à comprendre. En y travaillant, nous avons pu trouver un équilibre. Mais cela reste un défi au long cours. »
Reste une autre critique de certains militants de la cause des Rohingya à l’encontre de Facebook, beaucoup plus structurelle et portée également par d’autres groupes de défense de minorités dans le monde : sa politique du « nom réel », qui oblige à s’inscrire sur le réseau social sous sa véritable identité, les comptes sous pseudonymes pouvant être supprimés.
L’un des militants interrogés par le Daily Beast, qui écrit sous le nom d’emprunt de « Rahim », explique avoir vu plusieurs de ses comptes sous pseudonyme être supprimés par Facebook. « J’écris principalement sur les Rohingya, qui sont victimes d’épuration ethnique, et j’ai été surveillé de près par le gouvernement, affirme-t-il. J’ai trop peur pour utiliser mon véritable nom sur Facebook. »
Damien Leloup
* LE MONDE | 24.09.2017 à 16h04 • Mis à jour le 24.09.2017 à 16h13 :
http://abonnes.lemonde.fr/pixels/article/2017/09/24/crise-des-rohingya-l-epineuse-gestion-de-facebook-massivement-utilise-en-birmanie_5190469_4408996.html?xtmc=rohingya&xtcr=1