Le cercueil de Marielle Franco avait à peine franchi les portes du cimetière de Caju, à Rio de Janeiro, jeudi 15 mars, qu’une foule, sonnée et révoltée, scandait, dans plus d’une dizaine de capitales régionales du Brésil, le nom de la militante de gauche assassinée. « Ce tir était adressé au peuple », « Pour que le deuil se transforme en lutte. Marielle Franco, présente ! », « La vie des Noirs et des LGBT comptent. Marielle Franco, présente ! », pouvait-on lire sur les banderoles à Sao Paulo, Rio de Janeiro ou Belo Horizonte.
Conseillère municipale de Rio pour le Parti socialisme et liberté (PSOL, gauche), Marielle Franco, 38 ans, enfant des favelas cariocas, militante des droits humains, des femmes et de la cause noire, a été tuée vers 21 h 30, mercredi, par quatre balles de 9 millimètres dans la tête alors qu’elle était assise à l’arrière de son véhicule. Son chauffeur, Anderson Pedro Gomes, a lui aussi succombé à une rafale de tirs. La police émet l’hypothèse d’un assassinat : les criminels ont pris la fuite sans dérober quoi que ce soit.
Vengeance policière
Dans une ville en plein chaos, minée par la corruption, ruinée et tourmentée par la guerre des gangs, Marielle Franco était une critique virulente de l’action des forces de l’ordre. Dénonçant les dérives policières, elle s’attaquait notamment à l’action des Unités de police pacificatrice (UPP), mises en place à partir de 2008 pour apaiser – en vain – les favelas de Rio.
Effrontée, considérée comme une enquiquineuse par certains bataillons de policiers militaires, qu’elle qualifiait de « bataillons de la mort », elle fut aussi prompte à fustiger l’intervention militaire fédérale décrétée en février pour prendre en charge la sécurité de l’Etat de Rio.
« MARIELLE N’A PAS ÉTÉ PRISE PAR HASARD. LES POSITIONS QU’ELLES PRENAIENT ONT À VOIR AVEC SON EXÉCUTION », AFFIRME JEAN WYLLYS, DÉPUTÉ DU PSOL
Le motif du crime reste obscur. Mais une partie des Brésiliens y voit une vengeance de la part des policiers. Appuyant cette thèse, la télévision locale de Rio, RJTV, révélait vendredi que les douilles retrouvées près des victimes proviendraient de lots de cartouches vendues à la police fédérale de Brasilia en 2006.
« Marielle avait été nommée rapporteuse de la commission parlementaire des conseillers municipaux sur l’intervention fédérale. (...) Elle venait de rédiger son master : “UPP : la favela au-delà de trois lettres”, rapporte un porte-parole de l’ONG Amnesty International. Il faut une enquête immédiate et rigoureuse. Il ne peut y avoir de doutes sur le contexte, les motivations et l’auteur de l’assassinat. »
Un pays où les forces de l’ordre ont perdu tout crédit
« Marielle n’a pas été prise par hasard. Les positions qu’elles prenaient ont à voir avec son exécution. C’était une femme, noire, lesbienne, de la favela, de gauche et du PSOL », ajoute Jean Wyllys, député du PSOL, qui espère faire de la mort de sa consœur l’« emblème de la lutte de ce qu’il reste de démocratie au Brésil. »
Avec plus de 60 000 homicides par an, dont une infime proportion est élucidée, le Brésil offre, avec cet assassinat, l’image d’une nation où les forces de l’ordre ont perdu tout crédit. Conscient de l’émoi, le président, Michel Temer, a promis, jeudi, que les auteurs de ce crime « d’une extrême lâcheté » seraient punis au plus vite.
Claire Gatinois (Sao Paulo, correspondante)