Le référendum du 4 novembre s’inscrit dans le cadre du processus de « décolonisation » engagé lors de la signature des accords de Nouméa en 1998, sous le gouvernement Jospin. Des guillemets qui s’imposent tant l’évolution de la situation sur le terrain au cours des 20 dernières années témoigne d’une continuité de l’extension de la mainmise coloniale de la France sur un territoire qu’elle a conquis par la force en 1853. Comme le résumait Saïd Bouamama dans un excellent article publié en avril dernier, « l’histoire longue et récente de l’archipel souligne son importance économique et stratégique pour le colonialisme français. Celui-ci mettra tout en œuvre pour maintenir sa mainmise sur cette colonie de peuplement dans laquelle a été tentée une tentative de génocide par substitution »1.
Colonialisme de peuplement
La colonisation de la Nouvelle-Calédonie-Kanaky répond en effet aux critères de ce que les chercheurs ont défini comme un « colonialisme de peuplement », qui se distingue du colonialisme classique par le fait que l’objectif de la puissance coloniale n’est pas la « simple » exploitation économique de la population autochtone, mais bien son remplacement par une majorité de colons venus de la métropole. Patrick Wolfe, chercheur en histoire à l’université de La Trobe (Australie), explique ainsi que « le colonialisme de peuplement a deux caractéristiques principales. Premièrement, il est gouverné par une logique d’élimination. Les colons viennent pour rester. Leur mission première n’est pas d’exploiter les autochtones mais de les remplacer. Deuxièmement, l’invasion n’est pas événementielle, mais structurelle. Au-delà de la violence fondatrice de l’expropriation territoriale, les autochtones qui ont survécu sont soumis à une variété de stratégies au moyen desquelles la société coloniale cherche à les éliminer. »2
Des phénomènes caractéristiques de la colonisation de l’Australie et des États-Unis mais aussi, à bien des égards, de la Palestine. Et si, au cours d’un 20e siècle marqué par les luttes anticoloniales, les politiques de colonialisme de peuplement ont cessé de se traduire par des pratiques d’extermination des populations indigènes, elles n’en sont pas moins demeurées, à l’instar de ce qui s’est passé en Nouvelle-Calédonie-Kanaky, des entreprises de domination spécifiques, qui passent notamment par une « bataille démographique » visant à instaurer un processus irréversible de minorisation des populations indigènes.
Supériorité démographique
En Kanaky-Nouvelle-Calédonie, il existe ainsi une continuité entre les politiques ultraviolentes de la fin du 19e siècle (qui a vu la population Kanak passer de 45 000 à 27 000 entre 1887 et 1901), et les vagues de colonisation venues de la métropole, à grands renforts d’avantages fiscaux et salariaux pour les colons. Dans un courrier daté du 19 juillet 1972, le Premier ministre Pierre Messmer écrivait ainsi à son secrétaire d’État aux DOM-TOM : « La présence française en Calédonie ne peut être menacée, sauf guerre mondiale, que par une revendication nationaliste des populations autochtones appuyées par quelques alliés éventuels dans d’autres communautés ethniques venant du Pacifique. À court et moyen terme, l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d’outre-mer (Réunion) devrait permettre d’éviter ce danger en maintenant et en améliorant le rapport numérique des communautés. À long terme, la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire. Il va de soi qu’on n’obtiendra aucun effet démographique à long terme sans immigration systématique de femmes et d’enfants. »
Des propos explicites qui, plus de 45 ans plus tard, amènent à porter un regard particulièrement méfiant sur le référendum organisé le 4 novembre prochain qui, s’il peut être considéré comme le produit indirect et déformé des luttes du peuple kanak pour son indépendance, n’en demeure pas moins un « moment » institutionnel que la puissance coloniale ne redoute guère tant elle s’est assurée une supériorité démographique et, partant, électorale, qui a fait des Kanak une minorité dans leur propre pays, où ils représentent moins de 40 % de la population totale (sur un peu plus de 270 000 habitantEs).
« Un modèle économique colonial »
Une minorité numérique, mais aussi une minorité économique et sociale, dans la mesure où, malgré les promesses formulées en 1989 et réitérées en 1998, le « développement » n’a, au total, pas bénéficié à la population kanak. Les chiffres sont à cet égard explicites, et montrent à quel point, dans un territoire pourtant riche en ressources naturelles, notamment minières, les inégalités sociales se confondent avec les inégalités ethno-raciales : selon les chiffres rapportés par Mina Kherfi, de l’Union syndicale des travailleurs kanak et des exploités (USTKE), le taux de chômage est de 26 % chez les Kanak, contre 7 % chez les non-Kanak, tandis que 85 % des chefs d’entreprise et 75 % des cadres supérieurs sont des métropolitains ; on pouvait en outre lire en décembre 2017 dans le Figaro, peu suspect de sympathies indépendantistes, que « 17 % des ménages calédoniens, soit 53 000 personnes, vivent sous le seuil de pauvreté calédonien (600 euros par mois), soit deux fois plus qu’en France métropolitaine », mais surtout « [qu’]au sein même de l’archipel, les écarts sont énormes. Ce taux de pauvreté atteint 52 % dans les îles Loyauté, 35 % dans la province Nord contre 9 % dans la province Sud. »3 Lorsque l’on sait que les populations kanak se concentrent dans les deux premières provinces, on mesure l’ampleur des disparités…
Pour le Rassemblement des indépendantistes et nationalistes, le verdict est sans appel : « L’objectif de rééquilibrage, notamment vis-à-vis du peuple kanak, dans multiples domaines (emploi public et privé, formation …) n’est pas atteint. Sur le plan du développement économique, la Nouvelle-Calédonie s’est contentée de poursuivre et perpétuer un modèle économique colonial basé sur la dépendance vis-à-vis de la France qui a renforcé les inégalités sociales les plus criantes pour l’ensemble des citoyens calédoniens. »4
Articuler émancipation nationale et émancipation sociale
Des politiques qui traduisent le maintien d’une relation de domination coloniale, et qui ont également eu pour conséquence une perte de légitimité du mouvement indépendantiste, notamment auprès des nouvelles générations. Le processus de « décolonisation », s’il s’est traduit par de nombreux transferts de compétences – l’État conservant les compétences régaliennes : justice, ordre public, défense, monnaie et affaires étrangères –, n’a pas signifié une amélioration substantielle des conditions de vie des Kanak, renforçant le sentiment de bifurcation entre émancipation nationale et émancipation sociale. C’est ainsi que, malgré une importante campagne pour l’inscription sur la liste électorale référendaire menée par les forces indépendantistes, de nombreux Kanak, notamment chez les jeunes, se désintéressent du scrutin d’indépendance et sont davantage préoccupés par leur situation économique et sociale, a fortiori dans la mesure où leur statut de minorité démographique n’encourage guère à aller voter.
Pour certaines organisations indépendantistes, à l’instar de l’USTKE et de son émanation politique, le Parti travailliste (lire l’interview de Rock Haocas), la composition des listes électorales, conçues pour intégrer progressivement de plus en plus de métropolitains et pour marginaliser les Kanak, dans la continuité du processus de submersion démographique, expression du bilan catastrophique de ces 20 dernières années, invite à une « non-participation » au scrutin du 4 novembre, qui s’inscrit dans la continuité des pratiques de domination coloniale. L’objectif, pour ces organisations, est de se concentrer sur l’articulation entre les luttes sociales et la (re)construction d’une conscience nationale et anticoloniale. Le FLNKS, beaucoup plus intégré dans les institutions, a pour sa part fait le choix d’une campagne pour le « Oui », arguant que même en cas de défaite, une victoire trop écrasante du « Non » pèserait dans les futures négociations et prises de décision, alors qu’à l’inverse, un score élevé pour le « Oui » contribuerait à améliorer le rapport de forces pour les Kanak. Il ne nous appartient pas de décider à la place des Kanak, ni de leur avenir ni de leur attitude par rapport au référendum. Une chose est toutefois certaine : nous serons à leurs côtés pour les luttes à venir, qui ne manqueront pas de se poursuivre quel que soit le résultat du référendum, pour un réel exercice du droit à l’autodétermination et pour la justice sociale.
Julien Salingue
1. « L’œuvre négative du colonialisme français en Kanaky : une tentative de génocide par substitution », en ligne sur https://bouamamas.wordpress.com/2018/04/16/loeuvre-negative-du-colonialisme-francais-en-kanaky-une-tentative-de-genocide-par-substitution/
2. Intervention lors de la conférence Past is Present : Settler Colonialism in Palestine (Londres, 5-6 mars 2011).
3. « Du nickel au tourisme, 8 choses à savoir sur l’économie de la Nouvelle-Calédonie », 2 décembre 2017.
4. « Le bilan politique de l’Accord de Nouméa est un échec selon le RIN », en ligne sur http://partitravaillistekanaky.blogspot.com/2018/03/le-bilan-politique-de-laccord-de-noumea.html
Créé le Vendredi 2 novembre 2018, mise à jour Vendredi 2 novembre 2018, 11:57 :
https://npa2009.org/actualite/politique/nouvelle-caledonie-kanaky-le-4-novembre-un-referendum-decolonial
« Il ne s’agit pas d’un référendum d’autodétermination »
Entretien avec Rock Haocas, membre du Parti travailliste et secrétaire confédéral en charge de la communication et des relations extérieures de l’USTKE.
Julien Salingue – Quelle est votre position pour rapport au référendum ?
Rock Haocas – L’USTKE a pris position lors de son dernier congrès en septembre pour une « non-participation » massive au référendum, comme l’avait fait le Parti travailliste cet été. Pour nous, les conditions de sincérité de ce référendum ne sont pas réunies en raison de la façon dont la liste électorale a été constituée. Il ne s’agit pas d’un référendum d’autodétermination, qui devrait concerner d’abord le peuple colonisé, c’est-à-dire le peuple kanak. À cela s’ajoute le fait que le bilan des accords de Nouméa sur le « rééquilibrage » et la « décolonisation » est très négatif. Je précise que si l’USTKE, syndicat indépendantiste a pris position, c’est bien le Parti travailliste, notre bras politique, qui fait campagne à l’occasion du référendum, qui fait les démarches d’information de la population kanak. Mais nous n’avons pas été reconnus par l’État comme faisant partie de ceux qui ont les droits d’accès à l’image pendant la campagne, contrairement aux différents groupes présents au niveau du Congrès, qu’ils soient indépendantistes ou anti-indépendantistes. Nous faisons donc campagne sur le terrain, avec des meetings, mais aussi via les réseaux sociaux et les quelques conférences de presse qui sont relayées. Nous y expliquons que c’est un référendum bidon, insincère, car une partie importante des non-Kanak est pour nous dans le périmètre de la fraude électorale, ce qui minorise les Kanak, parmi lesquels des milliers ne sont pas inscrits. Les autres font aussi campagne, avec plus de moyens, la droite pour le « Non » et le FLNKS pour le « Oui ».
Quelle différence entre la non-participation et l’abstention ?
L’abstention peut traduire un désintérêt, le fait de ne pas se sentir concerné. Pour nous, la « non-participation » est une vraie prise de position politique, une affirmation qui consiste à dire que ce référendum n’est pas légitime. C’est en ce sens que nous avons envoyé un courrier aux représentants de l’État localement, pour revendiquer le fait que nous avons nous aussi le droit à l’image, car notre position n’est pas abstentionniste mais une prise de position politique, au même titre que l’appel à voter « Oui » ou « Non ». C’est un message politique à part entière.
Votre principal argument est la composition des listes ?
Oui, car elles sont insincères. Mais aussi dans le sens où il s’agit d’un élément qui reflète ce qui s’est passé au cours des 20 dernières années, depuis les accords de Nouméa. La situation est devenue de plus en plus défavorable au peuple kanak : au niveau social, avec un échec sur la question du rééquilibrage, c’est-à-dire un soutien au peuple kanak dans le cadre d’une société largement déséquilibrée en raison de l’histoire coloniale, au niveau économique, à tous les niveaux. Nos revendications économiques et sociales sont les mêmes qu’à l’époque des accords de Nouméa, ce qui montre que les choses n’ont guère changé. Les listes sont à l’image de tout ça, elles expriment cet échec, et nous ne voulons donc pas participer.
Les sondages donnent le « non » largement gagnant. Que peut-il se passer après le référendum ? Que comptez-vous faire ?
Nous restons indépendantistes, bien sûr. Nous nous battons, et nous nous battrons, pour l’accession du pays à la pleine souveraineté, pour la construction d’un autre modèle économique et social, une société plus égalitaire. L’accord de Nouméa prévoit d’autres référendums, en 2020 et en 2022, et il faut donc envisager de nouvelles stratégies à la lumière de ce qui se passe et de ce qui se passera à l’occasion de premier référendum. Nous savons déjà qu’il faudra se battre pour réunir les conditions de sincérité à l’occasion d’un prochain référendum. Je voudrais ajouter que certains racontent que le 5 novembre, le lendemain du référendum, cela va être le chaos dans le pays. Cela pollue beaucoup les échanges et la campagne, que ce soit du côté du « Oui » ou du « Non ». Ceux qui agitent le chiffon de la révolte pour faire peur aux gens ne rendent pas service à grand monde, ils jouent sur les peurs en se référant aux événements du passé, notamment dans les années 1980. Pour nous ce n’est pas sérieux de raconter ça, car dans la réalité la campagne se passe bien sur le terrain, les réunions publiques se tiennent normalement, etc. Le 5 novembre, les gens continueront à vivre, et en ce qui nous concerne, la lutte continuera.
Propos recueillis par Julien Salingue
Créé le Vendredi 2 novembre 2018, mise à jour Vendredi 2 novembre 2018, 11:22 :
https://npa2009.org/actualite/politique/nouvelle-caledonie-kanaky-il-ne-sagit-pas-dun-referendum-dautodetermination
Kanaky : rencontre entre le NPA et l’USTKE
Le 14 juin, une délégation du NPA a rencontré, dans nos locaux de Montreuil, deux représentants de l’Union syndicale des travailleurs kanak et des exploités (USTKE) : André Forest (président) et Rock Haocas (secrétaire confédéral en charge de la communication et des relations extérieures).
La rencontre entre le NPA et l’USTKE a été l’occasion d’un échange riche entre deux organisations dont les relations ne sont pas nouvelles même si nous avons été forcés de constater, à regret, que notre parti, dont l’influence et la force de frappe demeurent modestes, n’avait pas été, ces derniers temps, à la hauteur des enjeux posés par la situation en Kanaky/Nouvelle-Calédonie.
Référendum sincère ou manœuvres politico-administratives ?
Nos camarades de l’USTKE nous ont fourni des éléments de compréhension et d’analyse de la situation du processus de « décolonisation » officiellement à l’œuvre depuis 1988 et les accords dits de Matignon, et a fortiori depuis 1998 et les accords dits de Nouméa, signés alors que Lionel Jospin était Premier ministre. Des accords qui prévoyaient notamment la tenue d’un référendum d’autodétermination, qui aura lieu en novembre prochain et dont la portée et les modalités ont été au cœur de nos échanges avec l’USTKE.
Les camarades nous ont ainsi longuement expliqué les irrégularités qui entachent déjà le référendum, avant même que celui-ci ait eu lieu, notamment dans le processus par lequel la liste électorale a été constituée : difficultés d’inscription pour les Kanak dont plusieurs milliers, voire plusieurs dizaines de milliers, ne figurent pas sur la liste (que les autorités refusent de mettre à disposition), modification de la loi organique, qui permet désormais de figurer sur la liste à la seule condition d’être né sur le territoire et d’avoir 3 ans de résidence, au lieu de 10 auparavant, etc. Autant de manœuvres politico—administratives destinées à minimiser au maximum le poids des Kanak lors du vote alors que, comme nous l’ont rappelé les camarades de l’USTKE, l’évidence est qu’un scrutin d’autodétermination concerne en premier lieu le peuple colonisé…
Aux Kanak de décider librement de leur avenir !
L’USTKE et le Parti travailliste se posent aujourd’hui de plus en plus la question, au vu de toutes ces irrégularités, de refuser de considérer ce scrutin comme sincère et de refuser d’y participer. Une position définitive sera arrêtée entre cet été et la rentrée, après que la liste électorale aura été rendue publique, avec un certain nombre d’inconnues, liées notamment aux nuances, voire aux divisions, au sein du mouvement indépendantiste, mais aussi aux risques que pourrait représenter une trop large victoire du « Non » lors du référendum.
Le NPA continuera de suivre et de relayer la lutte des Kanak face au colonialisme français, et de resserrer les liens avec nos camarades sur place, dont le combat politique et social mérite d’être salué et mieux connu. Face aux poussées nationalistes et chauvines qui entachent malheureusement certaines parties de la gauche, nous ne manquerons pas de rappeler, avec d’autres, que le temps des colonies est fini et que les Kanak doivent pouvoir décider librement de leur avenir !
Julien Salingue
Créé le Dimanche 8 juillet 2018, mise à jour Dimanche 8 juillet 2018, 10:13 :
https://npa2009.org/actualite/international/kanaky-rencontre-entre-le-npa-et-lustke
« Pour nous, il est évident qu’un scrutin d’autodétermination concerne d’abord le peuple colonisé, donc le peuple kanak »
Entretien. À l’occasion de la commémoration des 30 ans du massacre d’Ouvéa, et de la visite d’Emmanuel Macron, du 3 au 6 mai, en Kanaky/Nouvelle-Calédonie, nous avons interviewé Mina Kherfi, représentante de l’USTKE (Union syndicale des travailleurs kanak et des exploités) en France .
Julien Salingue – Le 5 mai prochain, on commémorera les 30 ans du massacre d’Ouvéa. Peux-tu nous rappeler ce qui s’est passé à l’époque et quels sont aujourd’hui les enjeux de mémoire autour de cet événement ?
Mina Kherfi – Le 5 mai 1988, suite à une prise d’otages organisée fin avril par des indépendantistes kanak, l’assaut était donné contre la grotte d’Ouvéa par les forces armées françaises : ils n’ont pas fait dans la dentelle, avec 19 Kanak tués, ainsi que deux gendarmes. Ils ont tué tous les preneurs d’otages, qui étaient âgés de 18 à 40 ans, mais aussi les « porteurs de thé » venus du village voisin, qui étaient chargés du ravitaillement. Cela représente un jour très douloureux pour Ouvéa, pour toute la Calédonie. 19 morts d’un coup, sur une petite tribu comme celle du village de Gossanah, près de la grotte, c’est un chiffre énorme. C’est une douleur, une blessure qui n’est pas près de cicatriser.
Il y a eu des exactions, certains Kanak ont été tués après l’assaut. Par exemple Alphonse Dianou, l’un des preneurs d’otages, a été tué sur sa civière alors qu’il était blessé à la jambe, dans des circonstances qui n’ont jamais été révélées. Le comité Vérité et justice, les gens de la tribu de Gossanah, demandent l’ouverture du dossier : il y a eu une amnistie et donc on ne sait rien.
Emmanuel Macron sera présent le 5 mai à Ouvéa. Sait-on pourquoi il a décidé de s’y rendre ? Quelles sont les réactions sur place ?
Macron se rend en Kanaky du 3 au 6 mai, et il a effectivement prévu de se rendre à Ouvéa le 5. Sa visite est très mal perçue, notamment par la population de Gossanah où a eu lieu le massacre. Les gens considèrent que c’est une provocation, surtout ce jour-là, qui est un jour de recueillement, de deuil, une journée intime pour les familles, qui ont écrit pour lui demander de ne pas venir, au moins ce jour-là. Car il a prévu non seulement de se rendre à la gendarmerie, mais aussi sur la stèle en mémoire des 19 qui ont été tués ce jour-là. Donc le comité Vérité et justice et la tribu de Gossanah dénoncent cette venue.
Au-delà du 5 mai, cette visite de Macron est très politique, puisqu’elle s’inscrit dans le cadre du référendum du 4 novembre prochain sur l’indépendance…
Bien sûr. Il vient pour affirmer la position de la France. Il a choisi une date très symbolique, ce n’est pas neutre. Les non-indépendantistes, donc la droite, ont prévu une manifestation à cette occasion pour affirmer leur volonté de continuer à faire partie de la France. Il se dit aussi que Macron va remettre l’acte de possession par la France de la Nouvelle-Calédonie de 1853, qui était jusqu’alors conservé aux Archives nationales de l’outre-mer, au président du gouvernement local. On est dans la politique du symbole, qui pour nous n’est pas acceptable.
Car ce que vous demandez, c’est autre chose que des symboles, tant la situation demeure inégalitaire et discriminatoire.
Tout à fait. Les inégalités sont persistantes, et on peut même dire qu’elles s’aggravent avec le temps. Ce sont des inégalités à tous les niveaux : emploi, accès au logement, scolarité, etc. Par exemple, 26 % de chômage chez les Kanak, contre 7 % chez les non-Kanak, on compte à peine 5 % de cadres Kanak, etc. Ce sont des disparités énormes, et qui s’accroissent malgré le prétendu processus de décolonisation entamé avec l’accord de Nouméa en 1998. Les inégalités sont toujours criantes, de nombreux Kanak vivent dans des conditions déplorables, des milliers d’entre elles et eux vivent dans des logements insalubres, des cabanes en tôle à la périphérie de Nouméa. Les logements sont très chers à Nouméa en raison de l’indexation des salaires sur ceux de la métropole, et les salaires très hauts des fonctionnaires, notamment à Nouméa et dans sa périphérie.
L’USTKE demande depuis sa création la fin de ces discriminations, avec notamment l’égalité d’accès à l’emploi pour les Kanak, leur accès à des postes à responsabilité, etc. Nous nous battons également contre la cherté de la vie et pour plus de justice sociale.
Et par rapport au référendum ?
Ce que l’USTKE et les partis indépendantistes demandent, c’est l’assurance que les listes électorales soient sincères et correspondent à la réalité, et que tous les Kanak soient inscrits sur les listes, car la liste référendaire est une liste spéciale. Or il est apparu que des milliers d’entre eux manquaient, on parle de 25 000, en raison de la complexité de la procédure d’inscription et des démarches à entreprendre. Donc on attend que les listes soient affichées pour vérifier que tous les Kanak ont bien été inscrits, et l’affichage aura lieu un peu tard, en juillet. C’est à ce moment-là que l’on verra si la liste est sincère, et que nous prendrons notre décision sur le référendum. Pour nous, il est évident qu’un scrutin d’autodétermination concerne d’abord le peuple colonisé, donc le peuple kanak, et il est inimaginable que des milliers de personnes manquent sur les listes.
Peux-tu nous parler des prochaines initiatives de soutien aux Kanak qui seront prises en France ?
Nous organisons plusieurs initiatives à la fin de la semaine, les 4 et 5 mai, à propos desquelles nous avons informé dans les manifestations du 1er Mai, avec le mouvement des jeunes Kanak en France, Solidarité Kanaky, et d’autres. Le 4 mai, nous commémorerons le massacre d’Ouvéa, ainsi que les morts de plusieurs figures du mouvement indépendantiste, victimes du colonialisme français, en organisant un rassemblement devant le musée de l’Histoire de l’immigration, à la Porte-Dorée à Paris. C’est un symbole, car il s’agit de l’ancien musée des Colonies, que nous avons choisi pour également dénoncer les symboles liés au colonialisme qui persistent dans ce musée. C’est aussi à proximité de ce musée que des Kanak ont été exposés, tels des cannibales, lors de l’exposition coloniale de 1931. Il y aura donc des témoignages, des prises de parole pour informer sur la situation actuelle en Calédonie, parler du référendum, mais aussi pour rappeler le massacre d’Ouvéa il y a 30 ans. On espère que l’information sera relayée, et qu’il y aura du monde à ce rassemblement.
Propos recueillis par Julien Salingue
Créé le Jeudi 3 mai 2018, mise à jour Jeudi 3 mai 2018, 19:30 :
https://npa2009.org/actualite/international/pour-nous-il-est-evident-quun-scrutin-dautodetermination-concerne-dabord-le