Un vaste mouvement de grève, de manifestation et d’occupation de rue a commencé en fin d’année 2018 et s’est prolongé en janvier au Bangladesh, notamment à Savar, une importante zone industrielle située dans un faubourg de la capitale. C’est là qu’en 2013 les bâtiments du Rana Plaza, abritant de nombreux ateliers de production textile, s’étaient effondrés, faisant plus de 1130 morts et un grand nombre de blessé.es. Les blocages de route se sont produits dans diverses localités : Shewrapara, Mirpur, Ashulia..
Par milliers, les travailleur.es du textile se sont mobilisé.es à l’occasion de la révision de la grille des salaires dans le secteur de l’habillement (elle a lieu tous les 5 ans), stoppant la production de plus de 100 usines, dressant des barricades (y compris sur une autoroute) et s’attaquant à des entreprises. La réponse policière a été très violente : tirs de balles en caoutchouc, gaz lacrymogène, canons à eaux, nombreux cas de mauvais traitements ou tortures… Un ouvrier a été tué, Sumon Miah, bien d’autres ont été blessés. Les syndicats GSAO et GSTUK ont organisé des sit-in pour exiger que toute la vérité soit faite sur cet assassinat.
En 2016 déjà à Ashulia, une autre banlieue de Dacca, pendant une semaine, une mobilisation pour des augmentations de salaire avait provoqué la fermeture de douzaines d’entreprises. La répression avait été féroce : plus de 1500 travailleur.es licenciés, une trentaine d’autres arrêtés, une cinquantaine de syndicalistes poussés à la clandestinité. De nombreux dirigeants syndicaux sont toujours inculpés et menacés d’arrestation [1].
La question de l’augmentation des salaires restait donc pendante. En 2018, les syndicats demandaient un salaire minimum de 16000 takas (parfois 18000), mais le gouvernement s’en est tenu à la moitié : 8000 takas (soit 85 euros par mois). Pour certain.es, l’augmentation de salaire était sensible, bien que fort limitée au vu de l’inflation des prix et du logement ; pour d’autres en revanche, c’était le contraire ! Quant au paiement des heures supplémentaires, il baissait. Le gouvernement a dû reconnaître ces inégalités criantes et constituer une commission tripartie avec les employeurs et syndicats – sans que cela aboutisse à une modification significative des décisions initiales.
La répression patronale a été à nouveau très dure, avec des milliers de licenciements ou des poursuites en justice contre des grévistes et manifestant.es (et des disparu.es).
A la demande de la Clean Clothes Campaign (Campagne pour des vêtements propres), certaines grandes marques de l’habillement ont émis le vœu que les travailleur.es du textile au Bangladesh reçoivent un salaire minimum décent – mais sans le chiffrer. Un vœu pieux.
Dans les campagnes aussi. La répression frappe aussi dans les campagnes. Le 12 janvier, par exemple, le dirigeant de la Fédération des paysans du Bangladesh (BKF), dans le district de Bhola, a été violemment agressé par les propriétaires fonciers locaux, provoquant de graves blessures internes. Il est toujours à l’hôpital [2].
La sécurité au travail. Le pays est dirigé par la Ligue Awami et Sheikh Hasina, Première ministre, qui a instauré un régime autocratique – emportant officiellement 288 des 300 sièges au Parlement lors des récentes élections. La répression politique et sociale est généralisée. Le droit d’association est sévèrement limité.
Le gouvernement manœuvre actuellement auprès de la Cour suprême pour paralyser la mise en œuvre de l’Accord sur les incendies et la sécurité dans les entreprises qui avait été signé après la catastrophe industrielle du Rana Plaza [3]. L’indépendance des tiers surveillant l’application de cet Accord est menacée d’être détruite. Les signataires de l’Accord sont les fédérations syndicales IndustriAll et Uni ; les quatre associations témoins sont Clean Clothes Campaign, International, Labor Rights, Maquila Solidarity Network et Workers Rights Consortium.
L’Accord a permis de localiser (et souvent de résoudre) quelque 100.000 failles de sécurité dans les usines. Quelque deux millions de travailleur.es ont suivi des exercices d’alerte dans plus de 1000 entreprises, selon le bilan de la Clean Clothes Campaign. Néanmoins, plus de 50% des entreprises n’ont pas de systèmes adéquats de détection anti-incendie et d’alarme et 40% ont toujours besoin de rénovation structurelle.
Si le gouvernement obtient gain de cause, tout cela sera remis en cause. C’est en effet un comité paragouvernemental qui devra approuver toute décision concernant l’Accord [4]. Les inspecteurs de l’Accord n’auront pas le droit de relever de nouvelles violations des règles de sécurité (comme des alarmes incendie en panne, des sorties de secours bloquées ou des fissures dans la structure d’un bâtiment). L’Accord ne pourra plus agir contre les employeurs menaçant de licenciement les travailleur.es qui dénonceraient la non-application des normes standards de sécurité. Or, aucun organisme au Bangladesh ne peut aujourd’hui remplacer efficacement l’Accord [5].
L’économie du Bangladesh (165 millions d’habitants), repose largement sur l’industrie textile (80% des exportations). C’est le deuxième pays producteur après la Chine. Quelque 4 millions d’ouvrières et ouvriers sont employé.es dans ce secteur qui comprend près de 4500 ateliers. Ils fabriquent des vêtements pour les distributeurs occidentaux comme H&M, Primark, Walmart, Tesco, Carrefour et Aldi… « Nos » entreprises.
Pierre Rousset