L’enjeu est énorme : sortir du capitalisme. Une course de vitesse est engagée entre, d’une part, les capitalistes et, d’autre part, leurs soutiens et nous, la majorité du monde. Et nous avons tous les outils en main pour la gagner.
De rapport en rapport : plus ça chauffe, plus ça chauffe !
Après le rapport spécial du GIEC sur les 1,5 °C et celui de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), deux nouveaux rapports du GIEC confirment les prévisions les plus inquiétantes.
Un quart des terres émergées sont déjà dégradées
Le rapport du 8 août porte sur le changement climatique, la désertification, la dégradation, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres. La Terre procure la principale base de la vie humaine, en particulier de la nourriture et de l’eau potable, et joue aussi un rôle important dans le système climatique. L’état des lieux est accablant. L’agriculture et l’élevage industriels détériorent les sols et contribuent pour un tiers aux émissions de gaz à effet de serre. Mais surtout nous sommes dans un cercle vicieux. Plus les terres sont dégradées, moins elles absorbent de CO2 donc moins elles participent à la lutte contre le dérèglement climatique, plus la crise climatique s’accentue, plus les terres sont dégradées…
Les constatations établies accusent l’agriculture et l’élevage industriels et fournissent un argumentaire en faveur de l’agroforesterie, la diversité d’espèces végétales et forestières, l’agriculture biologique, la conservation des pollinisateurs donc une agriculture écologique, paysanne, alimentant des circuits courts.
La situation des océans et zones gelées n’est pas meilleure
Le rapport du 25 septembre porte sur les océans et la cryosphère (les pôles et les glaciers). Fonte des glaces, réchauffement des mers et élévation de leur niveau menacent un quart de la population mondiale : 28 % vivent dans les zones côtières, 680 millions de personnes vivent à moins de dix mètres au-dessus du niveau de la mer et autant dans les régions de haute montagne, 4 millions, dont 10 % sont autochtones, vivent dans la région Arctique.
Selon les projections, si les émissions ne sont pas résolument réduites, la hausse du niveau des mers pourrait dépasser un mètre à la fin du siècle : en cause la dilatation de l’eau sous l’effet de la chaleur mais surtout la fonte des calottes glaciaires (Groenland, Antarctique). Les phénomènes extrêmes (inondations, cyclones) augmentent en fréquence et en intensité. Cette conjonction détruit des zones humides côtières indispensables à la protection du littoral et à l’absorption du CO2. Près de 50 % de ces zones ont été détruites au cours du 20e siècle.
Les océans jouent un rôle majeur dans la lutte contre le changement climatique, ils absorbent le quart du CO2 émis et 90 % de la chaleur due aux émissions de gaz à effet de serre depuis 1970. Mais leur réchauffement et leur acidification, en plus de détruire la biodiversité, réduisent leur capacité d’absorption. Là encore, un cercle vicieux est en marche !
Le fiasco du sommet de l’ONU sur le climat
Le secrétaire général de l’ONU voulait faire de l’assemblée générale 2019 un moment historique, à l’égal de l’accord de Paris 2015 lors de la COP21.
Le 23 septembre, sur 193 États membres, seuls 136 sont venus, dont 73 avec des déléguéEs de second rang. Brésil et USA, cohérents avec leur climato-négationnisme, ont boycotté. Le fiasco de l’AG a été total, tout comme l’accord de Paris avait été incapable de prendre la moindre décision contraignante.
Désinvolture criminelle
L’assemblée aura permis à certains de se faire valoir, comme Macron distribuant bons et mauvais points, prodiguant des encouragements. Dérisoire et irresponsable quand on le voit à New York avancer l’objectif de – 55 % d’émissions de GES pour 2030, et à Paris, trois semaines plus tard, fixer l’objectif de – 40 % à la convention citoyenne pour le climat. Cette désinvolture est criminelle.
L’ONU avait initié un sommet des jeunes pour le climat deux jours plus tôt. Après avoir essayé de récupérer Greta Thunberg, de neutraliser son discours, les puissants et tous ceux qui les servent ont déchaîné leur haine machiste, anti-jeune, leur mépris… quand elle les a défiés et a appelé à la grève mondiale. Comme l’écrit notre camarade Daniel Tanuro : « La haine contre cette jeune femme est l’expression de la lutte des dominantEs pour leur domination. La lutte contre la jeunesse et contre les femmes, bien sûr. Mais aussi contre les salariéEs, les paysanEs, les raciséEs, les peuples indigènes, les personnes différentes, et le vivant en général. La lutte des classes à l’ère de l’Anthropocène »1.
À gauche et dans le mouvement pour le climat, il est temps de ravaler « la rage de s’en faire remontrer par une jeune fille de quinze ans, sortie de nulle part, qui a fait plus en un an pour changer le climat que bien des structures militantes en trente ans… »2 et de s’engager pleinement dans ce mouvement.
1. Daniel Tanuro, « En défense de Greta Thunberg », Contretemps-web, 1er octobre 2019. Disponible sur ESSF (article 50636), En défense de Greta Thunberg.
2. Idem.
Une convention citoyenne sur le climat pour tenter de passer l’hiver
La convention est la réponse de Macron aux mobilisations climatiques et sociales, mais aussi au mouvement des Gilets jaunes. Avec l’idée de créer de la division au moment où s’esquisse la rencontre des deux mouvements. 150 personnes ont été tirées au sort, qui auront à s’informer, se former, débattre et proposer des mesures sur le seul thème de la réduction d’au moins 40 % des gaz à effet de serre en 2030. Fini l’objectif de – 55 % défendu par Macron à l’ONU en septembre. Le travail de la convention s’étale sur quatre mois en six étapes de trois jours jusqu’à fin janvier. Il avait annoncé au printemps que cela déboucherait sur un référendum. Pour Philippe, la chose n’est pas évidente.
Cornaquer, encadrer…
Sur un mode soft bien sûr, avec le pari de l’intelligence collective, un encadrement serré a été mis en place à travers le comité de gouvernance de 15 personnes et trois « garants » (Cyril Dion et deux hauts fonctionnaires). Parmi les pilotes, à côté des spécialistes reconnus comme Valérie Masson-Delmotte, paléo-climatologue et membre du GIEC, on retrouve le think-tank Terra Nova proche du PS, le PDG d’Aéroports de Paris, une lobbyiste extractiviste responsable du Medef. Laurent Berger de la CFDT a été auditionné, tout comme la ministre E. Borne. Le Conseil économique social et environnemental (Macron-compatible) est sollicité, avec un rapport pour orienter, bref, pour bétonner.
… mais la défiance est très grande
Les actions de « désobéissance civile » qui s’amplifient parviendront-elles jusqu’à la convention qui, telle qu’elle est, n’est pas souveraine ? La défiance et l’aspiration à une démocratie réelle sont au maximum. Le gouvernement, quant à lui, manœuvre avec l’espoir qu’en janvier les 150 portent la proposition d’une nouvelle mouture de la taxe carbone. À suivre…
Mobilisation historique pour le climat
Crédit Photo : Photothèque Rouge /Martín Noda
La semaine mondiale pour le climat du 20 au 27 septembre a mobilisé plus de 7,5 millions de manifestantEs, à l’occasion de plus de 6 100 événements dans 185 pays. C’est la plus importante mobilisation coordonnée à l’échelle mondiale depuis celle contre la guerre en Irak en 2003.
Une génération se lève
Elle arrive dans le prolongement des grèves scolaires pour le climat qui se déroulent depuis cet hiver, en particulier après l’appel de Greta Thunberg. Le fait nouveau, c’est la jeunesse des manifestantEs et grévistes. Une génération se lève, naît à l’action collective et politique. Par sa détermination, elle entraîne d’autres secteurs de la société, parents, syndicalistes, scientifiques… Les peuples autochtones, premiers concernés, sont aussi à la pointe. Massive et radicale, la mobilisation exige l’élimination complète des combustibles fossiles, la fin du brûlage et de la déforestation dans la forêt amazonienne et en Indonésie, une transition immédiate vers une énergie juste et équitable à 100 % renouvelable. Massive et radicale, elle contraste avec les discours creux de la soi-disant semaine climat de l’ONU à New York.
Cette semaine n’était que le début d’actions prévues au cours de l’année à venir. Ce sera le cas en Amérique latine alors que la COP25 se tiendra en décembre au Chili. Une grève générale mondiale commence à se discuter comme une perspective à construire pour le printemps prochain.
À ce stade, les appels à la grève sur les lieux de travail sont encore trop rares. Les directions syndicales majoritaires restent prisonnières d’une « transition juste » dans le cadre du capitalisme, sans rompre avec le productivisme toujours vu comme le seul cadre possible pour défendre les emplois et les salariéEs. L’impact de la mobilisation globale, liée à l’intervention de secteurs syndicaux convaincus que l’issue est impérativement sociale et écologique, peut changer la donne.
Convergences prometteuses
Une fois la massivité du mouvement acquise, se pose la question des modes d’action. Comment être efficace ? Comment bloquer le système ? De nombreux groupes, Extinction Rebellion, Ende Gelände, ANV-COP21… les camps climat de cet été, préparent et organisent des actions de désobéissance : blocage de l’usine d’engrais Yara en Allemagne après les blocages de mines de lignite, blocage du centre de Londres, de la place du Châtelet, du centre commercial Italie 2 qui a montré une convergence indispensable avec les Gilets jaunes, le comité Adama… et une grande capacité de résistance à la répression. Un exemple pour tous les blocages de la production, de la circulation, de la consommation et des projets climaticides à venir.
Il existe aussi des convergences très prometteuses. En Suisse, la grève des femmes le 14 juin a mobilisé massivement, en particulier des jeunes femmes dont certaines sont aussi dans des grèves scolaires et marches pour le climat. Elles ont initié une rencontre « écoféministe » qui fait la jonction entre les deux mouvements, jonction qui peut être le début d’une convergence anticapitaliste mettant en évidence l’exploitation des salariéEs mais aussi le pillage de la nature, le travail gratuit des femmes pour reproduire et prendre soin des humains.
L’urgence d’un programme écosocialiste
Crédit Photo : Photothèque Rouge /Martín Noda
La réponse à la crise écologique est politique. Elle nécessite une révolution économique, sociale, politique, culturelle. Aucun aménagement du capitalisme n’est possible. L’écosocialisme, qui est une philosophie, un système économique, une organisation sociale, porte notre projet révolutionnaire émancipateur.
Cela implique la socialisation des moyens de production (qui deviennent propriété publique, communautaire ou coopérative), l’expropriation des capitalistes, l’égalité sociale, le partage des richesses, la baisse du temps de travail, l’amélioration des conditions de vie, la planification démocratique, intégrés à l’écologie, c’est-à-dire le souci de prendre soin de nous-mêmes, des autres, de notre environnement, pour produire ce dont on a besoin, dans les limites acceptables par la biosphère.
Les mesures immédiates et urgentes seront populaires pour l’immense majorité. L’urgence écologique ne doit pas rimer avec massacre social. Nous imposerons l’interdiction des licenciements par la continuité des salaires et des qualifications avec le maintien des savoir-faire et de la cohésion des équipes de production. Ainsi nous prendrons nos vies en main, en rejetant définitivement le chantage à l’emploi.
Des mesures de transition nécessaires
– supprimer les productions inutiles ou nuisibles (publicité, armement, nucléaire, pétrochimie) ;
– supprimer l’obsolescence programmée des appareils ; produire des biens durables, des appareils réparables ;
– augmenter l’offre dans la culture, la santé, l’éducation ;
– sortir du tout-voiture, du tout-camion ; l’usage de la voiture doit être diminué, partagé ; il faut en réduire la production, reconvertir les emplois et les process vers les transports en commun : tram, train, bus, métro. La voiture électrique n’est pas la solution ;
– développer les transports collectifs, gratuits, publics, réorganisés sous le contrôle des usagerEs, en ville mais aussi en campagne ;
– combiner la marche et le vélo aux transports collectifs ;
– réorganiser l’urbanisation, les liaisons ville-campagne, les loisirs, les activités, viser une réduction des trajets ;
– diminuer le volume de marchandises transportées et relocaliser les productions près des lieux de consommation ; déterminer de quoi nous avons besoin, comment et où le produire ;
– donner la priorité au fret ferroviaire et fluvial ;
– réduire et taxer le transport aérien et maritime ;
– baisser les consommations d’énergie, viser la sobriété ; socialiser les secteurs énergétique et bancaire pour financer la transition écologique ; stopper les partenariats public-privé, les grands projets inutiles, les subventions aux fossiles, la déforestation, l’extraction folle des matières premières du sous-sol ;
– arrêter le nucléaire et ses déchets mortels, produire l’énergie utile 100 % renouvelable ;
– développer une agriculture locale, paysanne, bio qui nourrisse sainement et paye correctement le travail accompli ; le passage vers l’agroécologie paysanne aura des effets positifs immédiats sur l’environnement ;
– travailler moins, travailler mieux, toutes et tous ; réduire le temps de travail sans perte de salaire, avec baisse des cadences, de l’intensité du travail, avec des embauches proportionnelles, des salaires qui permettent de vivre, avec des écarts limités.
S’approprier le droit de comprendre, de penser, de décider ce qu’on produit est une nécessité pour notre émancipation individuelle et collective.Les changements de comportement individuels sont nécessaires mais ne suffiront pas à sortir du capitalisme. On a besoin d’une forte mobilisation mondiale des mouvements environnementaux, syndicaux, paysans, féministes et indigènes. Rassembler, organiser les luttes pour sortir du capitalisme, expliquer comment on peut vivre autrement : voilà nos tâches.
La preuve par Lubrizol
L’incendie de Lubrizol et des stockages voisins, l’attitude avant, pendant et depuis l’accident de la direction de l’entreprise et des autorités, montrent, s’il en était encore besoin, qu’on ne peut faire confiance ni aux capitalistes ni à l’État pour protéger notre santé et l’environnement.
Une menace qui va durer
Face aux risques graves dus aux produits toxiques répandus dans l’air, la terre et l’eau, l’inquiétude est immense. Il ne s’agit pas d’un effet immédiat mais d’une menace qui va peser pendant de longues années. Face à la dissimulation des informations du préfet, à la complaisance des services censés surveiller les industries à risques, la colère est elle aussi immense. Elle renforce les autres colères contre toutes les injustices sociales, racistes, environnementales.
Dès le lendemain de l’incendie, les contacts ont été pris pour appeler ensemble à une première manifestation, le 1er octobre, qui a rassemblé 5 000 personnes. Depuis, un cadre commun s’est mis en place, il a organisé de nouvelles manifestations et une soirée le 17 octobre, mais aussi le suivi en commun des plaintes, enquêtes, expertises… La liste de plus d’une trentaine d’organisations signataires 1 illustre une convergence jamais réalisée auparavant entre organisations syndicales, associations écologistes, de défense des droits humains et contre le racisme, les Gilets jaunes et les organisations politiques. Cette unité inédite est indispensable pour obtenir vérité sur les faits et justice pour les victimes, il n’était pourtant pas écrit à l’avance qu’elle se réalise. Différents facteurs, en plus de la gravité de la situation, l’ont rendue possible.
Que produire et dans quelles conditions ?
L’initiative a été prise par la CGT, à partir de l’expérience du secteur santé-travail. De nombreuses années d’un travail opiniâtre sur les accidents du travail, les maladies professionnelles, les conditions de travail et de sécurité des salariéEs, les risques chimiques, physiques ou liés à l’organisation du travail… ont construit une pratique concrète qui donne tout son sens à l’exigence de « ne pas perdre sa vie à la gagner ». Se penser, en tant que salariéEs, comme « sentinelles des contaminations environnementales » (Henri Pézerat) est un antidote pour ne pas céder au chantage à l’emploi et à la fermeture de l’entreprise que les patrons agitent systématiquement et auquel les salariéEs mais aussi les syndicalistes ou les éluEs locaux ont souvent tant de mal à résister, quand ils ne s’en font pas le relais direct.
De plus, la Coalition climat Rouen, maintenue depuis 2015 (COP21 à Paris) et revivifiée depuis plus d’un an, offre un cadre de préparation commune des initiatives sur le climat, mais aussi d’échanges et de débats, de construction d’une confiance réciproque et de recherche d’une convergence plus importante avec le mouvement syndical.
Il reste encore du chemin à parcourir – le problème du lien avec les salariéEs de Lubrizol reste non résolu – mais la convergence réelle peut devenir enfin une réalité vivante. Elle est indispensable pour poser une question décisive, sociale, écologique et démocratique : que devons-nous produire et dans quelles conditions ?
1 – CGT, Solidaires, FO, FSU, Confédération paysanne, Syndicat des avocats de France, Collectif des riverains Lubrizol, Gilets jaunes Rouen, Front social, France nature environnement, Citoyens pour le climat, Bouillons Terres d’avenir, Greenpeace Rouen, Stop EPR, Les amis de la nature de Rouen, Association Henri-Pézerat, Addeva Rouen Métropole, Syndicat de la médecine générale, ATTAC, Alternatiba, LDH, CREAL 76, ASTI Petit-Quevilly, Addeva 76, Andeva, PCF, LFI, EÉLV, GDS, SAGV, GR, UCL, Ensemble, NPA.
Dossier réalisé par la Commission nationale écologie