Dans les cortèges, sur les piquets de grève et dans les assemblées générales, le mot se répète souvent : cette grève interprofessionnelle contre la réforme des retraites résonne pour Emmanuel Macron comme l’équivalent de la grande grève des mineurs de 1984-1985 pour Margaret Thatcher. C’est une forme de combat décisif, celui par lequel le gouvernement français, comme jadis l’ont fait les tories britanniques, cherche à abattre une ligne défensive contre le projet néolibéral. Mais en quoi cette analogie est-elle pertinente ? Pour le savoir, il faut se replonger dans la logique qui a présidé au principal conflit social britannique de la fin du XXe siècle.
Les mineurs britanniques, ligne de défense du monde du travail
La grève des mineurs britanniques est le grand moment de la transformation néolibérale du Royaume-Uni par Margaret Thatcher. C’est l’aboutissement d’une lutte de quinze années dont l’issue va entièrement modifier le paysage politique, économique et social du pays. L’ambition de la première ministre n’a jamais été cachée : il s’agissait d’en finir avec le modèle mis en place après la victoire surprise des travaillistes en juillet 1945. Et les mineurs représentaient le nœud réel et symbolique autour duquel s’organisait ce modèle.
En 1946, une des premières décisions du gouvernement de Clement Attlee avait été la nationalisation de la production de charbon autour du National Coal Board (NCB). Cette mesure avait été accueillie avec un immense enthousiasme par les mineurs. C’était la revanche du conflit perdu de 1926 au cours duquel les compagnies minières avaient organisé un lock-out, autrement dit une fermeture volontaire des usines pour épuiser les ressources des travailleurs pendant les négociations salariales.
À partir de la fin des années 1960, le modèle britannique entre en crise. Le gouvernement travailliste de Harold Wilson dévalue la livre en 1967 et l’inflation qui en résulte réduit le niveau de vie réel des salariés. Les mineurs sont en première ligne, leur niveau de vie relatif par rapport aux travailleurs de l’industrie n’a cessé de se dégrader et est, en 1970, inférieur de 11 % à la moyenne de cette catégorie.
La logique du NCB est de plus en plus la compétitivité de l’économie britannique et, partant, la modération salariale. Les conflits autour des salaires se multiplient. En 1969, une grève sauvage touche le secteur. Mais la situation continue à se dégrader et la pression sur les salaires se poursuit.
Le 9 janvier 1972, le syndicat national des mineurs, le National Union of Mineworkers (NUM), engage la première grève nationale depuis 1926. Le premier ministre conservateur Edward Heath, qui est arrivé au pouvoir deux ans plus tôt, engage le bras de fer. La grève s’éternise. Les mineurs développent la stratégie des « piquets de grève volants » (flying pickets) : les grévistes se rendent en fonction des besoins à des endroits stratégiques, comme la centrale électrique de Saltley Gate près de Birmingham.
Cette centrale sera bloquée pendant une semaine en février 1972 et constituera une des victoires symboliques marquantes de ce mouvement. Le 9 février, Edward Heath proclame l’état d’urgence. Mais l’économie est paralysée par les coupures d’électricité. Le 28 février, le NUM peut appeler à reprendre le travail : une augmentation de salaire de 21 % a été obtenue et un plan d’investissement dans le secteur minier est prévu.
Cette grève de 1972 est un moment clé de l’histoire économique britannique. Alors que le modèle de l’après-guerre est en crise, les mineurs dessinent une alternative aux mesures de retrait de l’État. En refusant une gestion purement financière de l’énergie, ils promeuvent l’idée d’aller plus avant dans une vision coopérative de l’économie. C’est une vision qui est traditionnelle au mouvement ouvrier britannique.
Ils s’opposent alors à ceux qui considèrent que le capitalisme ne pourra être sauvé qu’au prix du retrait de l’État et de la défaite du monde du travail. Ce combat, entre ce qui va devenir le néolibéralisme et une vision qui voudrait moins sauver un modèle keynésien en déroute qu’aller plus loin dans la réduction de la part du marché, se joue un peu partout dans les pays industrialisés en ces années 1970.
La particularité britannique, c’est que le NUM, par sa victoire de 1972, va devenir le fer de lance de cette alternative. Ses combats ne concernent pas seulement la question de la mine, mais bien l’avenir des rapports sociaux au Royaume-Uni. Et c’est pourquoi le combat de 1972 va être soutenu plus largement dans le monde du travail. Au reste, les mineurs reprennent ici leur caractère traditionnel d’avant-garde : celui qu’ils ont eu en 1910 et 1911 lors des émeutes de Rhondda ou lors de la grève de 1926.
Mais dès lors, l’enjeu n’est plus économique, il devient un enjeu de pouvoir. Le monde du travail peut-il décider de l’orientation économique d’un pays ? Peut-il constituer un contre-pouvoir à un régime qui se prévaut de la légitimité démocratique ? C’est cette question qui va hanter le Royaume-Uni jusqu’en 1985.
En 1974, Edward Heath joue au reste pleinement sur cette gamme. Devant une nouvelle menace de grève de la NUM, il convoque des élections générales et fait campagne sur le thème : « Qui gouverne la Grande-Bretagne ? » (« Who governs Britain ? »). Il s’agit d’opposer à la puissance du NUM celle des institutions démocratiques. Mais le pari est perdu, preuve que la réponse à la question n’est pas si simple. Heath ne parvient pas à récupérer sa majorité.
Après un second scrutin, les travaillistes de Harold Wilson reviennent au pouvoir. Le moment est cependant difficile, le choc pétrolier frappe de plein fouet le pays, déjà en crise. Le Labour ne parvient pas à définir une vraie réponse. En 1979, il est balayé par les conservateurs menés par Margaret Thatcher.
Cette dernière a pris le parti en 1975 contre Edward Heath sur un programme simple : sortir de l’indécision qui a caractérisé l’ère Wilson-Heath et qui se résumait à vouloir sauver le régime de l’après-guerre. Thatcher veut faire table rase de ce modèle et construire sur ses ruines une société inspirée par Milton Friedman, Friedrich Hayek et l’école néoclassique qui renaît à cette époque. Pour cela, il faut gagner la bataille du pouvoir dans les urnes, mais pas seulement.
Pour faire croire qu’il « n’y a pas d’alternative », alors il faut briser toutes les alternatives, tous les contre-pouvoirs. Et la Dame de fer sait précisément qu’elle devra pour y parvenir abattre le pouvoir des mineurs. Une fois ceux-ci vaincus, la société n’aura plus de défense. Le pouvoir résidera seul dans un État déterminé à donner la priorité au capital. La défaite des syndicats sera celle du monde du travail dans son ensemble. Désormais, preuve aura été faite que la résistance est inutile et nuisible. Il faudra donc effacer les deux humiliations de 1972 et 1974 pour imposer sa vision du monde.
Margaret Thatcher va donc préparer soigneusement le conflit. Dès 1977, un de ses mentors, Nicholas Ridley, prépare un rapport sur la confrontation avec le NUM et sur les moyens de la gagner : stockage du charbon, basculement des centrales vers le pétrole, réquisition de chauffeurs non grévistes pour le transport, coupes dans les aides sociales des grévistes et répression policière. En 1979, à peine devenue première ministre, Margaret Thatcher déclare, selon sa biographie rédigée par Charles Moore : « Le dernier gouvernement conservateur a été détruit par une grève des mineurs. Nous en aurons une autre et nous la gagnerons. » Mais elle prend son temps : il faudra être prêt, cette fois.
Pendant cinq ans, les escarmouches ne vont pas cesser entre le gouvernement et le syndicat des mineurs. Les investissements et les embauches cessent dans les puits. En 1981, on est proche du conflit : le projet de fermeture de 50 puits déclenche des actions du NUM au pays de Galles. Le projet est vite retiré. À l’époque, le gouvernement s’attaque à d’autres secteurs : l’acier, la santé, les chemins de fer. Là aussi, c’est stratégique. On affaiblit d’autres secteurs pour isoler les mineurs.
La grève et ses conséquences
En mars 1983, c’est l’accélération. Margaret Thatcher a, sur proposition d’un Nicholas Ridley qui met son projet à exécution, nommé Ian MacGregor à la tête de la NCB. Cet Écossais, frère d’un des briseurs de la grève de 1926 à Glasgow, a mené une carrière industrielle aux États-Unis. Il y a appris les nouvelles règles du « management » étasunien développées à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Il est rappelé par le Labour en 1977 et Margaret Thatcher le nomme d’abord à la tête de l’aciériste British Steel. C’est un cost killer qui gère selon les méthodes « modernes » : mise au pas des syndicats, licenciements, recherche des économies partout. Dès son arrivée à la tête de la NCB, il prévoit la fermeture de 141 des 198 puits jugés « non économiquement viables ». Durant toute l’année, Ian MacGregor multiplie les provocations par des annonces de fermetures massives.
Dès lors, le conflit est inévitable. Et il est politique. Certes, il s’agit de sauver des emplois. Mais bien davantage, il s’agit de sauver des bassins économiques et, au-delà même, une vision du monde. Le leader du NUM, Arthur Scargill, représente la gauche du syndicat. Pour lui, la notion de fermeture pour « raison économique » est inadmissible, elle va à l’encontre de ce qu’est sa conception du travail du mineur, un travail pour une communauté.
Trente ans plus tard, dans leurs témoignages sur la grève de 1984-1985, les anciens mineurs ne cessent de répéter que, plus que leurs puits, ils défendaient leur région et leur classe. Concrètement, l’idée centrale est bien que ce sont les travailleurs qui créent de la valeur et que celle-ci n’est mesurée que par un prix d’échange sur un marché. Lors d’un discours prononcé pendant la grève devant la conférence du NUM, Arthur Scargill fait du combat des mineurs celui du monde du travail en général [1]. La lutte qui s’ouvre ne peut être que complète : « Il ne peut pas y avoir de compromis sur l’opposition de principe à la fermeture des puits par le NCB. Notre but est des plus nobles : défendre les puits, les emplois, les communautés et le droit au travail. »
La grève commence le 1er mars 1984 après l’annonce de la fermeture du puits de Cortonwood dans le Yorkshire. Elle se répand très rapidement. Des négociations ont lieu mais ne mènent nulle part. Nul ne veut céder. Le combat est, comme on l’a vu, politique et idéologique. « Le but de la gauche est de paver la route de la défaite ultime du gouvernement en détruisant sa politique et sa crédibilité », explique John Redwood, conseiller politique de Margaret Thatcher, citant une conversation avec la première ministre. Il faudra donc vaincre les mineurs et non aboutir par des discussions.
Alors que la grève se poursuit, la répression se durcit. Le 18 juin 1984 à Orgreave, dans le Yorkshire, la police à cheval et à pied charge les grévistes [2].
Comme si, intellectuellement, échapper à la malédiction de la défaite était impossible. Dès lors, cette grève est devenue une référence pour l’imposition de ces politiques. La victoire de Thatcher en 1985 est bien une victoire de classe, comme celle de 1926.
Le parallèle avec la France
Peut-on alors y voir un parallèle avec la France d’aujourd’hui ? Dans sa volonté d’achever la politique néolibérale dans l’Hexagone en en finissant avec les « demi-mesures » et le « manque de courage politique », Emmanuel Macron s’inspire évidemment des grandes figures de la victoire néolibérale des années 1980.
Il ne cachait pas, avant d’être élu, sa fascination pour Margaret Thatcher. Car, a priori, la France n’avait pas plus de raisons de résister davantage au néolibéralisme que le Royaume-Uni. Le mouvement syndical y était moins fort et les élites politiques étaient depuis longtemps converties au néolibéralisme. L’État social français n’était pas plus solide que son cousin d’outre-Manche.
Le néolibéralisme s’est pourtant installé moins franchement en France dans les années 1980 et 1990. Pourquoi ? En grande partie par la résistance du monde du travail. Et, au sein de cette résistance, le secteur public du transport, SNCF et RATP, a joué un rôle déterminant. Cela s’est principalement joué en deux actes.
Le 15 décembre 1986, un projet de réforme de la grille des salaires à la SNCF déclenche une grève qui durera 29 jours et sera émaillée de piquets, de sabotages et de confrontations avec la police. Entre le 22 et le 24 décembre, le mouvement toucha aussi la RATP. C’était la plus longue grève de l’histoire de la société, jusqu’à ces premiers jours de 2020. Le mouvement obtint le retrait du projet.
Cette lutte, contemporaine du mouvement étudiant contre le projet Devaquet, est un coup dur pour le gouvernement Chirac, qui est arrivé au pouvoir en mai sur un projet ouvertement inspiré de celui de Margaret Thatcher. D’ores et déjà, les salariés de la SNCF et de la RATP se présentaient comme les adversaires des politiques néolibérales et une ligne de défense essentielle du monde du travail.
Cet aspect est confirmé avec la grève de 1995, qui est évidemment l’autre épisode marquant. La réforme des régimes spéciaux proposée par Alain Juppé est retirée après trois semaines de conflit. Le mouvement syndical dans les transports est sans doute moins structuré et plus divers que le NUM britannique. Mais 1995 introduit bel et bien l’idée d’une « grève par procuration » réalisée par les salariés de la SNCF et de la RATP pour défendre les intérêts globaux du monde du travail.
C’est toute l’ambiguïté de l’opinion publique française que l’on retrouve en 2020 : opposée aux « régimes spéciaux », elle est prête à dépasser cette opposition en soutenant des grèves dont elle sent bien que l’enjeu n’est pas la défense catégorielle, mais celle d’un système global issu de 1945.
Derrière les victoires de 1987 et 1995, il y a donc une volonté de marquer un pouvoir : celui du monde du travail, capable de définir par le rapport de force ses conditions de travail. Autrement dit, sa capacité à échapper aux simples logiques de marché. Les « régimes spéciaux », en tant que fruits de ces rapports de force et horizon à atteindre pour le reste de la population [3], sont des provocations permanentes à un ordre néolibéral construit sur un aplanissement par le bas des droits. En cela, les luttes des syndicats français et du NUM sont assez proches.
Du reste, pour le monde politique français, 1987 et 1995 apparaissent comme des lignes rouges semblables à 1972 et 1974 au Royaume-Uni. La réforme des retraites de 2003 se fera en prenant bien soin d’éviter toute provocation à l’égard du secteur du transport. Mais, en regard, chez les néolibéraux français, le mouvement syndical du monde du transport est la source du mal.
Celui qui a empêché les réformes « nécessaires » et qui ordonnent la prudence à des politiques pusillanimes. En cela, il prend la même fonction que les mineurs pour les tories des années 1980 : en brisant leur résistance, en détruisant leurs capacités de nuisance, on en finirait avec la mauvaise volonté française concernant la marchandisation de la société.
Depuis 2010, l’État français entreprend donc de défaire la résistance du secteur des transports. Lors de la réforme des retraites de 2010, les 18 jours de grève de la SNCF ont largement été contournés par la direction. Et malgré une forte mobilisation dans les rues, la réforme qui a mis fin au droit à la retraite à 60 ans a été adoptée. Cette défaite n’a cependant pas été écrasante et les régimes spéciaux sont restés.
Enfant tardif du néolibéralisme, Emmanuel Macron a été bercé par le mythe de cette victoire de 1985. C’est donc sans surprise qu’il a visé les régimes spéciaux dans son projet de réforme des retraites. Il ne pouvait ignorer qu’il allait là vers un conflit majeur avec « ses » mineurs : les syndicats de la RATP et de la SNCF. Et c’est bien pourquoi cette réforme des retraites est le « moment Thatcher » du président de la République.
En imposant la fin des régimes spéciaux et une réforme à points qui est le fer de lance des futures politiques néolibérales [4], le gouvernement entend en quelque sorte « venger » 1987 et 1995. S’il impose son projet à un mouvement encore plus dur, alors il peut penser que c’en sera fini des résistances françaises. Le mouvement syndical sera déconsidéré, les résistances jugées inutiles, le monde du travail, atomisé, devra accepter la loi du marché. Et à l’avenir, libéralisations, privatisations et mises en concurrence seront finalement acceptées, comme ce fut le cas dans le Royaume-Uni des années 1990 et 2000.
Ce calcul thatchérien explique les vraies-fausses négociations portant sur des points de détails comme l’âge pivot à 64 ans (alors que la réforme Touraine de 2014 prévoit déjà ce report de facto). Sur l’essentiel, on ne discute pas. L’enjeu, c’est de démontrer la défaite des syndicats et, partant, la vanité du mouvement social. L’État au service du capital doit briser tout contre-pouvoir du monde du travail. En 1985 au Royaume-Uni comme en France en 2020, la logique est la même.
La France connaît des troubles depuis le 17 novembre 2018. Le gouvernement a réagi à cette contestation par la manière forte : la répression policière et judiciaire. Il y a eu en France au cours de l’année passée chaque semaine un Orgreave. C’est un contexte qui pèse évidemment aussi sur le mouvement actuel qui n’est pas épargné par une certaine violence, notamment autour des piquets de grève.
Comme dans le Royaume-Uni des années 1980, la violence d’État vise à démobiliser la société, quand bien même, comme cela a été le cas en 1984 et aujourd’hui, la majorité de la population soutiendrait la grève. La méthode du gouvernement français consiste, comme l’a récemment avoué ouvertement le préfet de police, à tracer des « camps » au sein de la République : les bons et les méchants. « Il est temps que les méchants tremblent et que les bons se rassurent », disait Louis-Napoléon Bonaparte après son coup d’État du 2 décembre 1851.
Ce pourrait être la devise de l’actuel gouvernement. Et c’est une stratégie qui n’est pas sans rappeler celle de la lutte contre « l’ennemi de l’intérieur » de Margaret Thatcher. Ce terme est d’ailleurs régulièrement utilisé par l’avocat François Sureau pour décrire la politique de ce gouvernement. Indiscutablement, c’est bien une forme de guerre que mène ce gouvernement, comme celle que menaient jadis les tories contre le NUM.
En maintenant la pression policière tout en voulant briser la lutte syndicale, le gouvernement semble bel et bien dans une stratégie proche de celle de Margaret Thatcher en 1984-1985. Le calcul est donc double : épuiser l’opposition et compter sur l’auréole d’une victoire historique pour remporter les élections de 2022, tout en envisageant une large conversion culturelle au néolibéralisme qui élargirait sa base sociale et assurerait des victoires futures.
C’est ainsi que les tories se sont maintenus au pouvoir jusqu’en 1997, ne cédant leur place qu’à un New Labour qui ne reviendra pas sur les évolutions de l’ère thatchérienne, bien au contraire. C’est ce calcul qui explique qu’Emmanuel Macron a cherché à imposer cette réforme en dépit même de l’absence d’urgence. Il lui fallait sa victoire « thatchérienne » pour rentrer dans l’histoire du néolibéralisme.
Ce calcul est-il le bon ? Certes, les tergiversations de la CFDT, qui ne sont pas sans rappeler celles de la TUC britannique en 1984, et l’absence de relais politique réel pourraient le laisser penser. Mais, en réalité, rien n’est moins sûr. D’abord parce que le mouvement social est plus vaste aujourd’hui en France, il concerne les enseignants ou les personnels de santé, par exemple.
Ensuite, parce qu’un tel récit n’est pas nécessairement transposable dans la France de 2020. En divisant le pays et en maltraitant le monde du travail, Emmanuel Macron pourrait aussi bien provoquer un sentiment de rejet de sa personne. Un sentiment dangereux lorsque la première force d’opposition est néofasciste.
Sans compter que, historiquement, les porteurs des grandes réformes néolibérales l’ont payé cher politiquement : ce fut le cas de Jacques Chirac en 1988 et 1997 ou Nicolas Sarkozy en 2012. Mais surtout, Margaret Thatcher s’est imposée parce qu’elle pouvait se prévaloir d’un moment historique : la crise du capitalisme d’État à laquelle elle a réussi à réduire la lutte syndicale.
Aujourd’hui, la situation est différente. La crise des inégalités, particulièrement violente au Royaume-Uni, ainsi que la crise écologique, de plus en plus aiguë, montrent combien une politique néolibérale à la Thatcher est vaine aujourd’hui. Fonder sa politique sur un équilibre financier, une compétitivité coût et un désarmement du monde du travail, c’est aujourd’hui aller à contre-courant d’une histoire qui semble réclamer à nouveau le retour à la démocratie sociale et écologique. Trente-cinq ans plus tard, l’éventuelle victoire thatchérienne d’Emmanuel Macron pourrait bien être avant tout une victoire à la Pyrrhus.